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L'essentiel est invisible pour les yeux*
#8
.oOo.
Qui s’occupait du petit, ce qu’il faisait ici en pays sauvage, tout cela n’était pas bien clair. Mais il faut dire que venir passer sa nuit sur une pierre froide au milieu d’un cercle d’épouvante, n’était pas particulièrement raisonnable non plus de la part du rôdeur ! Quand cette similitude eut frappé l’esprit d’ Ernilion, il cessa de tarabuster l’enfant avec ses questions d’adulte, auquel le petit ne se donnait d’ailleurs même pas la peine de répondre : si l’on se mettait à tout expliquer aux grandes personnes, on n’en sortait plus !
Du coin de l’œil et de l’oreille, Ernilion surveillait les environs, racontant à son pupille son existence de coureur des bois. De son côté, le gamin suivait le chemin sinueux mais insistant de sa logique d’enfant, laissant de temps en temps, au fil de ses questions, un indice déroutant en pâture à la sagacité de son compère. Côte à côte, assis au bord de la vieille stèle, les jambes pendant dans le vide, gamin et jeune homme babillaient, enroulés dans le manteau du rôdeur.
– Mon Papa, il est chevalier, lui aussi chasse les ennemis comme toi ! Tu es chevalier ?
– Non, je ne suis pas chevalier. Enfin… pas vraiment.
– As-tu vaincu des ennemis, es-tu un héros ?
– Tu crois donc qu’être un héros, c’est tuer des ennemis ?
Le petit se tut, longtemps.
Très longtemps.
L’espace d’un instant, les regards du jeune homme et du petit se croisèrent. Ils y lurent la même solitude, la même fêlure, précoce et lancinante, le même vide dévorant laissé par la guerre. Et cependant quelques lambeaux d’espoir, que tissait inlassablement la même vieille dame, ratatinée sur son ouvrage, à l’aide de son aiguille étincelante – l’amour !
Le petit rompit le terrible silence :
– En partant, mon Papa m’a dit : sois sage avec Maman, quand je reviendrai, je veux être fier de toi ! Mais Papa n’est pas encore revenu. Et Maman est trop fatiguée d’avoir pleuré, elle dort tout le temps… Je crois que je n’ai pas été assez sage…
La petite bouche du gamin, larme de corail brillant sous la lune, avait fini dans un murmure, se tordant comme celle d’un écolier en faute. Le rôdeur avait senti son cœur s’arrêter un instant, devant l’évidence tellement cruelle qu’il n’avait su la voir plus tôt.
Le petit se rendit compte du trouble de son aîné, et ce fut lui qui vint à son secours :
– Toi non plus, tu n’es pas très sage, comme grande personne ! Mais tu es un guerrier, je le sais car tu parles comme mon Papa. Les vrais héros ne disent pas qu’ils sont des héros. Alors moi non plus, je ne le dirai pas. Mais je veux devenir un héros. S’il te plaît, tu peux m’apprendre à devenir un héros ?
– ... et si tu deviens un héros, ton papa sera fier de toi et il reviendra, c’est bien cela ?
Le gamin hocha la tête : pour une grande personne, la comprenette de ce gaillard-là n'était pas trop grippée…
Face à l’engeance orque et gobeline, Ernilion était prêt à tout, mais comme il se sentait désarmé pour secourir un gamin…
– Écoute moi, mon garçon…
Ernilion rassembla son courage et soupira avant de se lancer :
– Là où il est, ton papa est déjà fier de toi, j’en suis sûr. Tu es un petit héros pour lui. Sinon il ne t’aurait pas laissé avec ta maman. Tu l’ignores encore mais c’est la seule sagesse qui te manque – une sagesse dure, qui va te faire du mal, et je suis désolé d’être celui qui doive te l’imposer. Ton papa ne reviendra pas, car les ennemis l’ont tué. Et ta maman est morte de chagrin… C’est moi qui suis revenu à leur place pour te chercher.
Ernilion n’était pas fier de lui. Soulagé d’avoir fait son devoir, sans doute. D’avoir su trouver des mots. Mais quels mots, aussi tranchants que son glaive…
– … Tout va bien aller, je vais t’emmener avec moi, tenta-t-il maladroitement.
Le petit sanglotait, le visage enfoui dans les plis de sa toge. Le jeune homme prit le gamin dans ses bras, l’enveloppa de toute la douceur qu’il put trouver en son cœur, et de la chaleur que pouvait dispenser son manteau de rôdeur. Le gamin ne pesait pas plus qu’un nouveau-né, hoquetant dans les bras de cet athlète malhabile. Au pays des larmes que le guerrier avait déserté sans retour, l’ondée douce-amère baignait, caressait, berçait l’âme blessée du petit. Blessée par le seul ami qu’il ait eu depuis si longtemps…
.oOo.
A suivre...
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RE: L'essentiel est invisible pour les yeux - par Chiara Cadrich - 01.08.2020, 10:45

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