14.05.2020, 15:58
(14.05.2020, 14:23)Hofnarr Felder a écrit : Mais je trouve dommage que l'héroïsme d'Eowyn soit finalement interprétée rétrospectivement par le personnage même comme une descente dans l'ombre, alors que les haut-faits des personnages masculins ne prennent jamais si explicitement, il me semble, une connotation aussi négative.
Comme si, pour les personnages masculins, il est normal, souhaitable, vertueux de s'illustrer dans des exploits guerriers, alors que pour le seul personnage féminin qui s'y livre, c'est un égarement passager dont il lui faut se guérir, une ténèbre dont il lui faut se purger.
Je pense qu'il y a là derrière deux points distincts qui se renforcent mutuellement. Le premier est que Tolkien considère manifestement la guerre comme une chose néfaste, mais parfois inévitable. La déploration que fait Faramir du goût grandissant pour l'exploit guerrier chez les Gondoriens montre bien que Tolkien ne voit pas la guerre comme ennoblissant l'homme, tout au contraire. Cela n'empêche d'ailleurs pas Faramir de se battre, y compris dans des situations d'où tout espoir de victoire est absent, pour lui-même sinon pour son peuple. Par ailleurs, dans le SdA, la valorisation de la guerre en tant que telle par les Rohirrim fait l'objet d'une critique discrète, mais constante, me semble-t-il. J'aurais donc tendance à dire que l'exploit guerrier est valorisé quand il s'avère utile pour le peuple dans son ensemble, mais fortement déprécié quand il n'existe que pour lui-même et pour l'honneur qu'il conférerait au héros : en cela, la geste de Túrin dans son ensemble en constitue la critique la plus nette possible. Je serais donc tenté de nuancer fortement l'idée selon laquelle l'exploit guerrier masculin serait vu comme vertueux en soi, plus encore normal ou souhaitable. Il est vrai que la plupart des récits de Tolkien prennent place pendant une guerre. Toutefois, l'activité militaire non nécessaire est généralement vue sous un jour très négatif, à l'instar des conquêtes d'Ar-Pharazôn et de ses prédécesseurs dans l'« Akallabêth ».
Par ailleurs, il est tout à fait vrai que Tolkien tend à attribuer un rôle guerrier plus important aux personnages masculins. Sans doute peut-on arguer qu'il était au moins en partie influencé par les stéréotypes de son temps — stéréotypes au moins partiellement justifiés lorsque la guerre était en grande partie une affaire de muscles et de testostérone. Néanmoins, il est intéressant de noter que Tolkien adopte en fait une position plus nuancée que tu ne semble le penser, en insistant notamment sur les différences culturelles : chez les Elfes, les femmes sont également susceptibles de prendre l'épée, notamment pour défendre leur foyer, comme Idril à Gondolin. De plus, on peut noter que Galadriel joue un rôle prépondérant dans l'assaut sur Dol Guldur à la fin de la guerre. Excepté Legolas, c'est sans doute l'Elfe qui a la plus grande activité militaire dans le roman.
Je pense qu'on peut lire le revirement d'Éowyn avant tout comme une réintégration sociale et une remise en perspective de l'exploit guerrier, quelqu'en soit son auteur, qui n'exclut d'ailleurs pas qu'Éowyn, au travers de cette réintégration, ne se réapproprie (peut-être abusivement) certains stéréotypes de son peuple, comme le fait que la guerre soit une affaire d'hommes. Il me semble notable que Faramir semble lui aussi se désintéresser de tout exploit guerrier par la suite. De sa fratrie, on peut même se demander si ce n'est pas Éowyn qui choisit la meilleure part, plutôt que son frère, qui semble quelque peu enfermé dans son rôle consistant à faire résonner le tonnerre de la cavalerie des Rohirrim sur tous les champs des batailles ultérieurement livrées par Aragorn...
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland