19.12.2019, 11:46
(Modification du message : 19.12.2019, 11:49 par Chiara Cadrich.)
.oOo.
Quelques rais avares passementaient d’or la dentelle acuminée des ramées verdoyantes. La jeune femme humait lentement, le visage au ras du sol. Les fumets se croisaient dans la pénombre moite de la grande forêt. Chaque odeur fugitive lui racontait les petites préoccupations d’un animal – l’écureuil simplet entassant ses réserves pour oublier ses cachettes, la martre en chasse semée dans un frêne parce que le dit écureuil saute d’un arbre à l’autre pour rejoindre son refuge, la renarde gravide inquiète de trouver une tanière, le blaireau mécontent d’avoir été éconduit par sa femelle, la laie ouvrant la voie à sa phalange de marcassins… L’air vrombissait du ballet des insectes, dont les plus voraces semblaient s’acharner sur la chasseresse. Dans la chaleur de l’été, le petit peuple du sous-bois s’affairait, grattant, creusant, entassant, chassant, pour apprêter logis et garde-manger en prévision de la saison maigre. Et le clan de Bera se soumettait à cette loi des forêts. La jeune femme sourit à la pensée d’Arduyr , son grand-père, répétant leur leçon aux petits du clan : « Nul n’échappe à la loi des forêts ! Elle est comme la pluie, qui poursuit tout un chacun et mouille d’abord le dos des plus puissants. Le chasseur, pas plus que l’animal, ne saurait s’y soustraire, car lorsqu’il renie la loi, c’est tout son clan qu’il met en danger ! »
Là ! Un lambeau de velours, tombé d’un andouiller !
Elle suivait la piste depuis l’aube : un mâle, quatre ans, foulée souple et d’une grande prudence. Il avait dû s’arrêter là : des feuilles broutées, et un peu plus loin, une écorce démasclée ! La ténacité avait payé : le gibier de Bera avait rejoint une coulée. Les feuilles y étaient plus tassées, les branches basses révélaient sa corpulence, la piste menait au point d’eau. Une combe boisée se dessinait derrière un bosquet de noisetiers. Une rigole y sautillait joyeusement de pierres moussues en troncs effondrés. La fraicheur sourdait là dans le chant des sitelles et des grives musiciennes. « Chacun attend son heure, Pour la soif étancher, l’Homme par faveur Au ru va se pencher. »
À son arrivée, en effet, on détala dans les fourrés, on prit éperdument son envol, on se roula en boule en attendant que ça passe… Bera observa attentivement – tous avaient respecté la loi. La chasseresse trouva une pierre plate, but à longs traits dans l’onde pure, au goût de tourbe et de menthe fraîche.
Puis elle reprit la piste, et suivit patiemment les signes. Enfin, elle reconnut un gîte, non loin de la croisée de coulées franches. Bera choisit un beau chêne qui lui donnerait une ample visibilité et prépara son attirail. Elle grimpa dans l’arbre et s’arrima à plus d’une perche de hauteur. Le gros gibier, naturellement diurne, était très sensible aux odeurs. En l’absence de vent, il fallait à tout prix réduire son empreinte olfactive.
Bera commença son affût.
Lentement, le temps passait. Les rongeurs s’affairaient, surveillant du coin de l’œil l’intruse sur son perchoir et moquant ses allures de gros écureuil bouffi.
Très lentement, le temps passait. Les oiseaux s’arrêtaient faire une petite causette, glosant sans fin sur la déloyauté du coucou.
Si lentement, le temps passait. La renarde se montra, son ventre distendu. Elle n’avait pas trouvé de tanière. Il y avait bien la souche creuse, là-bas près du frêne foudroyé, mais ça sentait le vieux blaireau grincheux… La jeune femelle passa, repassa, inquiète de cette odeur diffuse, de ce parfum de sournois – l’homme.
Le temps passait. Le Gorgûn surgissait, de temps à autres, la pressait, la harcelait, mais le lynx n’arrivait pas.
Réveil en sursaut ! Galopade puissante sur les feuilles ! Lumière basse, il était tard !
Bera s’orienta, gênée desserra la sangle pour mieux voir, sortit une flèche, se pencha pour armer…
Comme dans un rêve éveillé, la poursuite se dirigeait vers elle. Un Lynx, déroulant sa foulée souple et puissante, pourchassait un chevreuil, qui bondissait au hasard, époumoné et les yeux affolés. Bera baissa son arme. Un lynx, au pelage clair… pas si grand, mais tout de même… L’hallali passa sous elle comme une cavalcade fantôme. La chasseresse se tordit le cou pour les suivre au plus loin, puis la course se perdit dans une combe de sapins. Le silence du soir retomba sur la forêt, comme le soleil déclinait derrière les montagnes.
Bera se morigéna – Endormie !?
Elle détachait la sangle lorsqu’elle l’aperçut du coin de l’œil – le lynx la regardait, en tapinois sous une branche basse !
Surprise, elle chuta, retenue à mi-course par son harnais.
Là ! Un lambeau de velours, tombé d’un andouiller !
Elle suivait la piste depuis l’aube : un mâle, quatre ans, foulée souple et d’une grande prudence. Il avait dû s’arrêter là : des feuilles broutées, et un peu plus loin, une écorce démasclée ! La ténacité avait payé : le gibier de Bera avait rejoint une coulée. Les feuilles y étaient plus tassées, les branches basses révélaient sa corpulence, la piste menait au point d’eau. Une combe boisée se dessinait derrière un bosquet de noisetiers. Une rigole y sautillait joyeusement de pierres moussues en troncs effondrés. La fraicheur sourdait là dans le chant des sitelles et des grives musiciennes. « Chacun attend son heure, Pour la soif étancher, l’Homme par faveur Au ru va se pencher. »
À son arrivée, en effet, on détala dans les fourrés, on prit éperdument son envol, on se roula en boule en attendant que ça passe… Bera observa attentivement – tous avaient respecté la loi. La chasseresse trouva une pierre plate, but à longs traits dans l’onde pure, au goût de tourbe et de menthe fraîche.
Puis elle reprit la piste, et suivit patiemment les signes. Enfin, elle reconnut un gîte, non loin de la croisée de coulées franches. Bera choisit un beau chêne qui lui donnerait une ample visibilité et prépara son attirail. Elle grimpa dans l’arbre et s’arrima à plus d’une perche de hauteur. Le gros gibier, naturellement diurne, était très sensible aux odeurs. En l’absence de vent, il fallait à tout prix réduire son empreinte olfactive.
Bera commença son affût.
Lentement, le temps passait. Les rongeurs s’affairaient, surveillant du coin de l’œil l’intruse sur son perchoir et moquant ses allures de gros écureuil bouffi.
Très lentement, le temps passait. Les oiseaux s’arrêtaient faire une petite causette, glosant sans fin sur la déloyauté du coucou.
Si lentement, le temps passait. La renarde se montra, son ventre distendu. Elle n’avait pas trouvé de tanière. Il y avait bien la souche creuse, là-bas près du frêne foudroyé, mais ça sentait le vieux blaireau grincheux… La jeune femelle passa, repassa, inquiète de cette odeur diffuse, de ce parfum de sournois – l’homme.
Le temps passait. Le Gorgûn surgissait, de temps à autres, la pressait, la harcelait, mais le lynx n’arrivait pas.
Réveil en sursaut ! Galopade puissante sur les feuilles ! Lumière basse, il était tard !
Bera s’orienta, gênée desserra la sangle pour mieux voir, sortit une flèche, se pencha pour armer…
Comme dans un rêve éveillé, la poursuite se dirigeait vers elle. Un Lynx, déroulant sa foulée souple et puissante, pourchassait un chevreuil, qui bondissait au hasard, époumoné et les yeux affolés. Bera baissa son arme. Un lynx, au pelage clair… pas si grand, mais tout de même… L’hallali passa sous elle comme une cavalcade fantôme. La chasseresse se tordit le cou pour les suivre au plus loin, puis la course se perdit dans une combe de sapins. Le silence du soir retomba sur la forêt, comme le soleil déclinait derrière les montagnes.
Bera se morigéna – Endormie !?
Elle détachait la sangle lorsqu’elle l’aperçut du coin de l’œil – le lynx la regardait, en tapinois sous une branche basse !
Surprise, elle chuta, retenue à mi-course par son harnais.
.oOo.
A suivre...