03.10.2019, 07:51
(02.10.2019, 21:45)Tikidiki a écrit : Certains disent cela pour les Vanyar-Noldor-Teleri, mais je trouve cette idée à la limite du contre-sens.
Les trois clans des Elfes représentent pourtant un magnifique exemple de tripartition, avec un degré de détails assez impressionnant : les Vanyar représentant l'aspect religieux, avec leur lien particulier aux Valar, les Ñoldor incarnant l'aspect guerrier (en dépit de leur attirance pour les connaisances) et les Teleri figurant l'aspect de prospérité, qui se retrouve aussi bien dans leur nombre que dans leur lien avec la nature (marins, forestiers), sans parler de la difficulté à les caractériser précisément, ce qui est justement un trait saillant de la troisième fonction. Un examen de la royauté chez les Elfes renforcerait l'analyse.
Je doute fort qu'il s'agisse d'un parallèle volontaire (les hypothèses de Dumézil sont postérieures à la répartition des Elfes en trois clans), mais il me semble assez évident qu'on voit là une conséquence des remplois mythologiques que Tolkien a faits. Le plus amusant est que cette répartition des Elfes est probablement plus claire que celles qu'on peut retrouver dans la plupart des textes celtiques ou germaniques. Le seul point où l'on s'écarte un peu de la définition canonique est le talent des Ñoldor pour l'art et les sciences, deux domaines plus souvent associés à la première fonction. On retrouve toutefois assez fréquemment des exemples de mise en retrait de la première fonction, où une partie des rôles qui lui incombent normalement (et spécialement la détention des connaissances) est dévolue à la deuxième fonction, qui acquiert une importance prédominante. Ainsi dans les légendes nartes chez les Ossètes, par exemple.
(02.10.2019, 22:11)MrBathory a écrit : Quant à l’application de la trifonctionnalité aux Elfes uniquement, en effet c’est quelque peu étrange, les Elfes étant un peuple qui certes ne partage pas tout le temps un même destin, mais garde des caractéristiques communes au-delà des divisions dues à leurs choix et à leurs histoires.
Alors justement, la trifonctionnalité s'applique normalement à l'intérieur d'un seul et même peuple. Ce n'est que rarement qu'on y retrouve une théorie destinée à expliquer les rôles mythologiques de l'ensemble des peuples, sauf quand cela s'inscrit dans un mythe fondateur selon lequel tous les peuples découlent d'une même origine.
(02.10.2019, 22:11)MrBathory a écrit : En effet, si l’on ne considère pas que les Elfes révérent la Nature, qu’ils ne la considèrent pas comme sacrée et ne la soignent pas, tout en n’ayant aucune perception du caractère évanescent de cette dernière qui ne provoque chez eux aucune peine, que les hommes n’apprécient pas la guerre et les conquêtes, au point bien entendu de ne pas vouloir atteindre un endroit qui leur est interdit sans que leur monde soit rayé de la carte, que les Hobbits ne vivent pas dans une société agricole rythmée par les récoltes et les saisons, et que les nains de par leurs activités en tant que forgeron ou mineurs ne sont pas des artisans à qui on fait appel pour les armes et autres tâches, ça ne fonctionne pas. De même, toutes ses populations étant exemptes d’influences issues de sociétés et de mythes traditionnels européens, y trouver un schéma rappelant les travaux, bien que postérieurs au début de la création du Legendarium de Tolkien, de Dumézil est une sombre coïncidence.
Le premier problème que j'ai avec cette théorie est qu'il mélange quatre peuples ayant — selon Tolkien — trois origines différentes et deux créateurs distincts : Elfes, puis Hommes & Hobbits pour Ilúvatar, Nains pour Aulë. Il y a là une hétérogénéité qui n'est pas propice à une démonstration de trifonctionnalité, selon les critères retenus par Dumézil. Par ailleurs, à ce compte, j'aurais tendance à approuver Tikidiki lorsqu'il dit que ce choix laisse de côté les Ents, les Orques ou les Trolls, auxquels je rajouterais volontiers les Drúedain, qui sont au moins aussi éloignés des Hommes normaux que le sont les Hobbits. Or Dumézil dit bien que sélectionner trois catégories semblant trifonctionnelles au sein d'un ensemble complexe comportant plus de trois catégories est une démarche viciée.
Enfin, si l'on admettait temporairement ton hypothèse, il n'en resterait pas moins des difficultés. Si les Elfes dans leur ensemble peuvent faire office de représentants de la première fonction (ce n'est pas incompatible avec leur tripartition interne, incidemment), le reste est plus problématique. Le peuple le plus nombreux devrait normalement être le représentant de la troisième fonction. Par ailleurs, les Nains sont-ils vraiment moins belliqueux que les Hommes ? Comment regrouper dans une seule troisième fonction, même subdivisée en deux sous-parties, les Hobbits et les Nains, qui sont fortement hétérogènes ? Enfin les Nains et les Hobbits d'une part et les Hommes de l'autre ne sont jamais vraiment entrés en conflit (hormis l'exemple isolé de Fram), alors que l'hostilité entre deuxième et troisième fonction est une constante — qu'on retrouve entre Ñoldor et Teleri, d'ailleurs.
Bref, je ne crois pas que cette proposition fonctionne, ce qui ne signifie pas qu'il faille s'arrêter là. Personnellement, je pense qu'il faudrait fouiller plus en détail les Contes perdus. Si l'on veut débusquer d'autres exemples de trifonctionnalité, c'est sans doute dans ces textes, qui sont vraisemblablement plus influencés par leurs sources d'inspiration que les versions ultérieures, qu'on a le plus de chances d'en trouver.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland