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Tolkien et Nietzsche : Essai d'analyse et de comparaison
#11
(07.08.2019, 22:32)MrBathory a écrit : Je me permets de penser que la figure du héros, j’ai pris ici l’exemple de Frodo mais tu as raison de citer Aragorn ou surtout Gandalf, est une manifestation du dépassement de soi qu’on pourrait rapprocher du surhomme nietzschéen. Libre à toi de ne pas me suivre là dessus hein !

Je ne suis pas en train de me demander si cette interprétation est vraie ou fausse : je demande surtout si elle est réellement pertinente. Vu la multitude de héros qui existent, il n'y a plus aucune pertinence à l'appliquer à Frodo ou même à l'oeuvre de Tolkien. D'autre part, tous les membres de la communauté se dépassent (ce qu'on peut éventuellement lier à la volonté de puissance) mais peu le font de leur propre force (exemple de Frodo soutenu par de nombreuses personnes) ; aucun ne cherche un éternel retour, ou je ne sais quoi d'autre.
En fait, je trouve cette interprétation si dénuée d'intérêt qu'elle pourrait même être appliquée à Gollum, qui par sa volonté dépasse sa condition de Hobbit, acquiert une longévité incroyable, et trouve avec l'anneau (rond, c'est un signe !) un éternel retour, une situation cyclique.
Mref, des billevesées de ce genre, on pourrait en inventer à la pelle : dès lors, la question est celle de la pertinence, comme je ne cesse de le répéter. Quel lien y a-t-il réellement entre Tolkien et Nietzsche ? Quelle influence avérée ? Surtout, quel sens cela apporte-t-il à l'oeuvre de Tolkien ? Tu vois bien que tes interrogations sur la nature "surhumaine" de Frodo finissent en eau de boudin, puisque tu ne cherches même pas à répondre à ta question, en pesant le pour et le contre.
En un sens (pour me répéter encore), je trouve que tu ne fais qu'appliquer une grille de lecture à l'oeuvre du Professeur, et que l'on a autant de pertinence à se demander quelle est la position du prolétariat dans l'oeuvre du Professeur, ou ce que symbolise véritablement la tombe de Balin d'un point de vue jungien.

(07.08.2019, 22:32)MrBathory a écrit : Pour Gimil, en tant que membre de la communauté (ou de la fraternité) de l’anneau il incarne son peuple tout entier et le dévouement de ce dernier envers le bien et contre le mal. Il n’y a d’ailleurs pas beaucoup d’autres nains dans le SDA. En ce sens je le considère comme archétype de son « espèce ».

Cet argument ne tient clairement pas : faire partie de la Communauté (ou Fratenité, comme tu dis Smile ) ne rend en rien représentatif (plutôt l'inverse, même). Dirais-tu que Sam, Frodo, Merry et Pippin soient très représentatifs ? Au contraire, ils sont assez mal vus en Comté. Aragorn, plus représentatif que je ne sais quel péon que l'on croise dans le livre ? Non, car même s'ils portent le symbole de leur race dans la Communauté, on ne peut les prétendre représentatif. Gimli en particulier, qui finit en prenant la mer avec l'Elfe ; qui est issu d'une des Sept communautés de nains dans la Terre du Milieu (et donc à ce titre encore moins représentatif). Non, Gimli n'est pas Le Nain, pas plus que Legolas n'est L'Elfe, etc.
Je noterai avec amusement ton "le dévouement de ce dernier envers le bien et contre le mal" en sachant que les Nains, dans le Légendaire, ne sont clairement pas aussi... gentils que ce que tu indiques. On notera particulièrement la mise à sac de Doriath, l'épisode de Mîm (clairement ambivalent), la folie de Thror, l'avidité et le renfermement général des Nains.
"Il n’y a d’ailleurs pas beaucoup d’autres nains dans le SDA" : même s'ils sont davantage en arrière plan, tu en trouveras un certain nombre (surtout issus du Hobbit, où leur personnalité est décrite avec plus de précision).
En vérité, à part cette velléité de symbolisme et de voir des choses plus profondes qu'elles ne sont en réalité, qu'est-ce-qui t'empêche de voir en Gimli un personnage comme un autre – avec certes, toujours une dimension symbolique, mais qui ne masque en rien son individualité, sa personnalité, sa spécificité.


(07.08.2019, 22:32)MrBathory a écrit : L’influence de Nietzsche sur toute la pensée occidentale semble t’échapper alors qu’elle est considérable et représentative d’un mouvement de déchristianisation des sociétés.

En quoi cette influence serait-elle plus forte que celle de Freud ? Ou Marx ? Ou Darwin ? Ou je ne sais quel penseur contemporain qui va dans le sens du courant moderne ? Oseras-tu me dire qu'en terme de renommée et d'héritage, de publication et de lecture, les trois auteurs que j'ai cités là sont clairement moins marquants que notre Moustachu ?
Nietzsche n'est qu'un auteur de la modernité, à la suite d'un grand nombre (d'Ockham, Descartes, Kant, etc.).
Là où je te rejoins, c'est sur ta conclusion, en disant que Tolkien et Nietzsche s'inscrivent dans des courants opposés et, de fait, peuvent être contrastés. Mais les deux ont tellement peu à voir (malgré les points communs que tu as cités car, en vérité, tu n'en exploites aucun dans ton essai) que leur rapprochement n'apporte rien au schmilblick.


(07.08.2019, 22:32)MrBathory a écrit : Je doute qu’en tant que catholique, dans un pays anglican qui plus est, Tolkien n’ai pas été sensible à ce mouvement et à un certain relativisme moderne. Il était lui-même plutôt anti moderne d'ailleurs, comme sa position sur la technique le montre si bien. Je pense justement que, et pas nécessairement consciemment, l’œuvre de Tolkien est une réponse à la perte de sens amenée par les événements du XIX, comme l’industrialisation, et dont le point culminant fut la Première Guerre mondiale. En ce sens, lui qui fut dévasté par cette expérience indicible et fratricide s’est positionné pour un retour du sens dans l’existence à travers la morale véhiculée par les mythes.

Pourquoi l'oeuvre de Tolkien devrait-elle être une réponse philosophique au malaise du siècle ? Non pas qu'elle n'en soit point imprégnée (clairement pas), mais pourquoi ne serait-elle pas simplement à visée esthétique ? Je veux dire, tu sais comme moi que le fondement de l'oeuvre de Tolkien est son travail linguistique, et que cette création linguistique est avant tout une recherche de la beauté pour elle-même. De même pour la vision mythopoïétique : les légendes d'Arda ont un but esthétique, ce sont des histoires qui valent la peine d'être contées, pas avant tout une réponse aux questions philosophiques du temps.
Encore une fois, je ne nie pas que Tolkien s'inscrive dans son temps et, de fait, d'une manière ou d'une autre, s'approprie des questions de son siècle. Mais pourquoi réduire son oeuvre à une réponse ? En quoi les tengwar, la grammaire quenyarine ou la calligraphie de Namarie sont-elles une réponse, voire une réaction aux questions philosophiques de son siècle ? Il en est de même pour sa mythopoïesis... Le primat n'est pas au sens, mais à l'esthétique. Sans quoi il aurait écrit un essai – et Le Seigneur des Anneaux n'est pas un anti-Zarathoustra.
Tu dramatises trop les choses, à mon sens, à force d'y chercher un sens caché, et tu fais du mal à l'oeuvre en la contraignant à ta grille de lecture. C'est tout le sens, à mon avis, de bien des passages dans ses Lettres, où le Professeur récrimine à chaque instrumentalisation et relecture de son oeuvre.

(07.08.2019, 22:32)MrBathory a écrit : Les hobbits sont vus par Tolkien comme les représentants les plus proches du peuple anglais, peuple rural et qui aime la bonne chère. Les elfes, eux, de par leur côté évanescent et quasi entre-deux mondes perdent peu à peu leurs liens avec la TdM, ils s’exilent et sont de moins en moins nombreux. Le fait qu’ils ne fument pas d’herbe à pipe est plutôt logique, car ils sont moins rattachés à la terre, et plus aux autres éléments, que ne le sont les hobbits. De plus, la pipe est un des attributs de Sherlock Holmes, une des figures anglaises les plus connues et ce n’est pas un hasard.
Je te rejoins sur ce que tu dis là : l'herbe à pipe comme un élément anglicisant. Mais cela semble s'arrêter là, l'herbe à pipe n'est pas un symbole absolu, et n'est pas qu'un symbole.
C'est comme le fait de donner un monocle à un personnage : de par la connotation du monocle, cela confère à mon personnage un passif bourgeois et/ou distingué. Mais en rien ce monocle n'est qu'un signifiant, il doit aussi être pris pour ce qu'il est, c'est-à-dire un objet concret permettant de donner une caractéristique personnalisante au personnage.


En mot de fin, je t'enjoins véritablement à toujours te poser la question de la pertinence. Qu'est-ce que cela apporte ? Est-ce que cela éclaire réellement ? Est-ce qu'un lecteur pourrait mieux saisir la portée de l'oeuvre en ayant lu ce que tu dis ?




@Hofnarr : entendu pour la question du Discord, désolé de ne pas y avoir pensé Neutral



Deuxième édit(h) :

(08.08.2019, 11:06)MrBathory a écrit : La question principale en fin de compte est la suivante : Quelles sont les différentes méthodes pour analyser une oeuvre littéraire ?
Là-dessus, je t'ai dit ce que j'en pensais : partir de l'oeuvre sans se munir (autant que possible) de ses grilles de lecture. La prendre pour ce qu'elle est.


(08.08.2019, 11:06)MrBathory a écrit : Je suis convcaincu que son oeuvre, de par son sérieux et sa profondeur, peut être classée parmi celle des grandes figures philosophiques. Car l'oeuvre de J.R.R. en analysant le réel offre des réponses aux questions considérées comme philosophiques, voir comme métaphysiques. Et des réponses aussi sérieuses que celles de philosophes confirmés. L'oeuvre de Tolkien est une réponse à des questions éternelles. Essayer de la traiter sérieusement est justement une manière de dégager de celle-ci ce qui en fait son génie. C'est à dire, la victoire de l'imaginaire, mais aussi du réel sur la barbarie. La victoire de la culture, sur la technique.

A nouveau, je trouve que tu te montes la tête et cherches à ne pas voir la simplicité où elle est. Oui, Tolkien a des positions sur la place de l'art, de la technique, de la religion, qui transparaissent dans son oeuvre. Mais peut-on vraiment prendre son oeuvre comme une réponse philosophique à ces questions ? Les positionnements de Tolkien, si on les isole, sont globalement des positions du référentiel chrétien-thomiste, sans guère plus de détail. La mort comme un don et non une condamnation, l'histoire comme ayant une fin et alimentée par la Providence, l'art comme sub-création donc marque de la présence du Créateur dans ses créatures. Tout cela n'est guère nouveau et, même si cela reste intéressant à souligner, il ne faut pas plus dramatiser la chose en faisant de Tolkien un philosophe confirmé, victoire et lumière de l'imaginaire sur la barbarie, des hauts arts sur l'inhumanité – déclaration que je trouve être à la limite du ridicule, mais du mauvais côté de cette limite.

Oui, la mise en perspective philosophique a du sens, mais tu ne peux pas en espérer la même chose que la confrontation entre deux écrits philosophiques. Et, ce faisant, tu rates le coeur de l'oeuvre du Professeur.
Doctus cŭm libro
― Proverbe latin
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