31.12.2018, 13:03
Je remonte le fuseau, ayant retrouvé mon édition commentée de The Battle of Maldon, de Scragg (1981). Je ne sais pas si cela apportera plus d'eau à ce moulin, mais au moins l'information sera notée quelque part (et puis ça parle de Tolkien donc...).
La note concernant le mot ofermod (p. 74). Je laisse volontairement certaines expressions en anglais :
Et voici donc la partie pour les Tolkiendilli, Introduction p. 37-41 (je n'ai laissé que les notes que j'estimais utiles au propos) :
La note concernant le mot ofermod (p. 74). Je laisse volontairement certaines expressions en anglais :
Citation :ofermode. Ce mot a donné lieu à plus de controverses critiques que tout autre aspect du poème. Pour un résumé des arguments et un bilan précis du problème, voir Helmut Gneus 'Battle of Maldon 89' [article cité ci-dessus]. En tant que nom, le mot apparaît dans trois autres contextes en vieil-anglais, à chaque fois avec la signification 'pernicious pride' [fierté pernicieuse] : deux fois en poésie (Genesis B, 272, où il fait référence à Satan et Instructions for Christians, 130, où le vers est identique à celui-ci) et une fois dans un glossaire. La même forme, orfermod, a souvent un sens adjectif de 'proud' [fierté] (Hans Schabram, Superbia, liste 123 exemples, bien qu'il soit parfois difficile d'être sûr que le mot soit un adjectif plutôt qu'un nom). De nombreuses tentatives ont été faites pour interpréter le mot dans un sens favorable à Byrhtnoth, que ce soit comme 'great courage' [grand courage] ou comme 'magnanimity' [magnanimité], pourtant il n'existe aucune base étymologique pour cela (voir Schabram et le résumé de Gneuss), non plus qu'une telle traduction confirmée par le contexte (voir Introduction, p. 37). La possibilité que le mot soit utilisé dans le poème dans un sens ancien et favorable qui aurait été éclipsé par son usage dans un contexte religieux dans le vieil-anglais tardif est très ténue, en particulier puisque le poète montre dans d'autres usages l'absorption d'influences lexicales vieil-anglaises encore plus tardives (voir Introduction p. 26). Toutes les preuves disponibles pointent vers un mot ayant ici un sens réprobateur que lui et ses dérivés ont ailleurs. Sur la place de ce dénigrement de l'action de Byrthnoth dans la structure du poème, voir Introduction, pp. 37-41).
Et voici donc la partie pour les Tolkiendilli, Introduction p. 37-41 (je n'ai laissé que les notes que j'estimais utiles au propos) :
Citation :Alors qu'il est difficile d'être sûr du thème principal du poème dont il manque à la fois le début et la fin, certaines suppositions peuvent être faites. Le poète, même s'il n'est didactique dans le sens étroit d'offrir un enseignement chrétien, est un moraliste. Non seulement la traitrise de Godric est condamnée, mais son péché relativement véniel du vol est souligné (þe hit riht ne wæs, ligne 190). Ceux qui fuient sont moralement plutôt que légalement condamnés (lignes 195-197) et c'est la vertu morale de ceux qui restent qui est par implication accentuée. Ce n'est alors pas très surprenant de trouver que la décision imprudente de Byrhtnoth (telle que la voit le poète) [Note 183] d'autoriser les vikings à traverser le gué est condamnée sur un terrain moral (lignes 89-90), ni non plus que les vikings soient décrits comme perfides en demandant cette autorisation (ligne 86). L'ofermod de Byrhtnoth a inquiété de nombreux lecteurs depuis que J.R.R. Tolkien [Note 184] a affirmé que non seulement c'était un mot de désapprobation signifiant 'pride' [fierté], mais aussi que landes to fela dans la ligne suivante 'signifiait dans un idiome vieil-anglais qu'aucun terrain n'aurait dû être concédé du tout' [les citations de Tolkien sont traduites par moi en l'absence de la VF sous la main]. Ces deux lignes ensemble, selon lui, constituent une 'critique sévère' de la part d'un poète qui condamne Byrhtnoth pour considère une bataille désespérée comme un match de sport, abandonnant un avantage tactique 'au risque de placer son heorðwerod, tous les hommes qui lui sont chers, dans une situation véritablement héroïque, dont ils ne pourront se racheter que dans la mort. Magnifique, sans doute, mais certainement faux. Trop insensé pour être héroïque.' Des critiques plus tardifs ont affirmé que le péché de Byrthnoth était moins sérieux, soit parce qu'une telle imprudence était un défaut héroïque traditionnel soit parce qu'il y avait conflit entre la responsabilité du chef d'une part et celle du héros d'autre part. D'autres ont affirmé que les contextes dans lesquels le mot ofermod apparaissait ailleurs en vieil-anglais étaient religieux, et que la signification 'pernicious pride' [fierté pernicieuse] qu'il avait alors était inappropriée dans un contexte héroïque, où il devait avoir une signification plus ancienne telle que 'great courage' [grand courage] ou 'magnanimity' [magnanimité], une vertu essentielle à de nobles chefs. Mais il a désormais été montré de façon convaincante que la preuve qu'ofermod est un terme d'approbation est nébuleuse, et que Tolkien avait indubitablement raison en considérant ce terme comme péjoratif. De même, l'explication du poète selon laquelle Byrthnoth avait concédé trop de terrain aux vikings est gratuite d'après l'information que les vikings avaient obtenu l'autorisation de traverser la chaussée (lignes 91-94) et doit être considérée comme une intervention délibérée de la voix de l'auteur commentant l'action plutôt que la reportant simplement. Un tel jugement négatif est tout à fait en accord avec une critique subtilement implicite de Byrthnoth faite plus tard par la structure du poème : juste au moment où il exulte de l'habilité avec laquelle il a traité le viking qui l'attaquait et qu'il rend grâce à Dieu pour cela, il est mortellement blessé (lignes 146b-151).
L'hubris de la première phrase est ici celui du héros germanique chrétien dans la forme. Le pathos de la mort du héros, qui est décrite à la suite (lignes 159-184), est déjà suggéré ici dans se to forð gewat / þurh ðone æþelan Æþelredes þegen. Mais ni l'héroïsme ni le pathos ne peuvent écarter le commentaire que la structure invite à faire : Byrthnoth est frappé dans sa fierté. Le tour de la Roue de la Fortune, suivant si étroitement la mention de Dieu le 'Mesureur' ne peut être une coïncidence.
Cela ne veut pas pour autant dire que Tolkien ait raison de rejeter Byrthnoth comme insensé ou non-héroïque. Soyons prudents de ne pas le critiquer plus sévèrement que ne le fait le poète, car le rappel des fonctions éthiques chrétiennes ne fonctionne que dans le but de signaler comment la tragédie est survenue. Le poème ne cherche pas à explorer les implications du conflit entre les codes chrétien et héroïque, et l'héroïsme de Byrthnoth n'est pas diminué par son ofermod ou par son hubris, comme nous pouvons le constater de la structure du poème entier. La réponse prête des hommes d'Eadric et Offa à ses ordres, le soin avec lequel il arrange ses forces, la démonstration de son caractère dans l'échange avec le messager (son assurance en son propre commandement à répondre au nom de þis folc, sa loyauté personnelle envers son roi et sa supériorité psychologique sur les Danes dans le dédain qu'il montre pour eux dans son usage de l'ironie), tout cela contribue à établir son statut pour le public, avant la bataille. Quand les Danes ont traversé le gué et que la critique appropriée a été portée, son personnage est réaffirmé par la bravoure et l'habileté avec lesquelles il se défend dans le combat, et par la loyauté qu'il inspire à la fois immédiatement quand le jeune homme à ses côtés tue son assassin et sur le long terme quand ses partisans prennent la décision consciente de mourir en le vengeant. Le poète fait un commentaire moral sur la décision de Byrthnoth de concéder trop de terrain aux vikings et en fait un autre, à travers sa structure, sur la tragédie d'un homme fauché au moment de son triomphe. Mais, finalement, le public est appelé à admirer le héros, commandant, combattant et mourant bravement avec Dieu sur ses lèvres [Note 189].
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Note 183 : L'argument stratégique que Byrthnoth avait raison, en termes militaires, d'autoriser le passage du gué, pour causer autant de dommages qu'il pouvait aux vikings plutôt que de les regarder, impuissant, naviguer plus loin pour s'attaquer à d'autres lieux moins bien défendus a aussi été avancé (par ex. par Warren A. Samouce, 'General Byrthnoth', JEGP 2 (1963), 129-135, et par O. D. Macrae-Gibson, 'How Historical is The Battle of Maldon ?', Medium Ævum 39 (1970), 89-107). On doit cependant noter que nulle part le poète ne suggère que la bataille fut perdue du fait d'avoir concédé trop de terrain.
Note 184 : 'The Homecoming of Beorhtnoth Beorhthelm's Son', Essays and Studies 6 (1953), 1-18.
Note 189 : Peut-être que le jugement moral ne porte pas tant sur le héros lui-même que sur l'ethos héroïque, bien que puisque le poète n'aborde pas ce point, il serait imprudent pour la critique de le faire.
What's the point of all this pedantry if you can't get a detail like this right?