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Origine et étymologie du nom Wargs
#29
Sur le mot vargr (á forníslensku), cf. Jan de Vries, Altnordisches etymologisches Wörterbuch, zweite verbesserte Auflage, Leiden, E. J. Brill, 1977, pp. 646-647.

Le philologue néerlandais rappelle le rapprochement classique de vargr et du latin wargus. Comme il a été déjà dit plus haut, le second sens de vargr est « hors-la-loi ». De Vries dit de même pour le mot wargus : « hors-la-loi », « criminel » (p. 647).

Mais d'où vient qu'on appelle vargr un hors-la-loi en norrois ? Dans le dictionnaire anglais-norrois (An Eglish-Icelandic Dictionnary) de Vigfússon (et non de Cleasby comme on le prétend), de 1884, on lit à l'entrée vargr (p. 680) :
Citation :II. a law phrase, metaph. an outlaw, who is to be hunted down as a wolf, esp. used of one who commits a crime in a holy place, and is thereon declared accursed

L'origine de cette acception du mot vargr est vraisemblable. Je n'ai pas le temps de me plonger à corps perdu dans les textes de lois pour voir des cas où l'on emploierait le mot vargr comme « hors-la-loi ». Je noterai simplement que l'Ordbog over det norrøne prosasprog, le grand dictionnaire de Copenhague, donne trois occurrences tirées de la Grágas (« Le recueil de l'oie grise »), la grande compilation des lois islandaises.

Toujours dans le grand dictionnaire norrois de Copenhague, on notera la référence importante, pour l'historien des religions, du vargr comme fredløs person (« personne à laquelle on interdit de jouir pleinement de la liberté ») dans les Skáldskaparmál de Snorri, dans l'épilogue, où il est question de Pyrrhus, fils d'Akhilleus. On dit de Pyrrhus qu'il "pouvait être appelé vargr en fonction de leur religion, car il ne respectait pas les lieux de sanctuaire." Cf. le passage en norrois : « Piʀvs matti vargr heita at þeira trv, þviat eigi þyrmði hann griþa stavþvnvm [...] » dans l'édition de Finnur Jónsson, Edda Snorra Sturlusonar, København, Gyldendalske Boghandel – Nordisk Forlag, 1931, p. 87.

On trouve également l'expression vargr í veum à plusieurs reprises dans la littérature norroise. On pourrait traduire cela par « loup dans un lieu sacré ». On la trouve par exemple au premier chapitre de la Vǫlsunga saga. Cf. Vǫlsunga saga – The Saga of the Volsungs. Edited and Translated with Introdudction, Notes and Appendices by R. G. Finch, Thomas Nelson, London and Edimburgh, 1965, p. 1.

L’éditeur et traducteur de la saga légendaire ajoute en note :
Citation :« an expression normally used of a man who slays another in a hallowed place or sanctuary (e.g. at an assembly), and is forthwith declared a ‘wolf’, i.e. an ‘outlaw’ and is equivalent to the term skógarmaðr (i.e. ‛wood-man’), the outcast from society who roams the forests, the like of wolves, and with them to be hunted down and slain. »

Sur cette expression, j’émets l’idée qu’il s’agit d’une figure métaphorique très ancienne, en ce que l’allitération renvoie souvent à des notions d’un autre âge. Nous n’avons malheureusement pas ici d’expression dite d’une « figure métaphorique » comme l’écrivait Rüdiger Schmitt dans son excellent ouvrage Dichtung und Dichtersprache in indogermanischer Zeit, c’est-à-dire une phrase ou un syntagme formé de mots appartenant à la même racine, comme on en trouve dans le gotique wulfos wilwandans (Matthieu 7:15) « des loups [brigands] ravissant (leurs proies) / prédateurs.

André Rousseau, dans « Saussure à Paris (1880-1891) : Le cours de grammaire gotique » in Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 153e année, 2009, pp. 481-504, écrivait (p. 487) que « Wulfs ‟loup” et wilwan ‟ravir, piller” présentent une assonance évidente, qui remonte peut-être à une étymologie commune (*wļkw pour wulfs, *welkw pour wilwan). Cf. aussi du même auteur GOTICA. Études sur la langue gotique, Paris, Honoré Champion (Bibliothèque de Grammaire et de Lingusitique N° 43) ; pp. 30-31.

On notera que Ferdinand de Saussure, dans un article intitulé « Gotique wilwan publié dans les Mémoires de la Société de Linguistique en 1889, VI, p. 358, republié dans Ferdinand de Saussure, La grammaire du gotique. Deux cours inédits : 1. Cours de grammaire gotique (1890-1891) ; 2. Cours de grammaire gothique (1881-1882). Accompagnés d’articles de Saussure sur le gotique. Édités avec notes et commentaires par André Rousseau, Paris, Honoré Champion (Bibliothèque de Grammaire et de Linguistique N° 54), 2018, p. 469, écrit la chose suivante :
Citation :« C’est très probablement du verbe *welk2ō que la langue primitive avait tiré *wḷk2o-s « le loup », qui pour l’Arien [Wulfila] a toujours été synonyme de brigand. Le vague sentiment de cette parenté subsistait peut-être encore lorsque Ulfilas écrivait [la figure étymologique dont vient de parler]. »

Il est intéressant de voir quand gotique, le mot loup avait déjà cette connotation péjorative de l’homme.

Je n'ai pas le temps de revenir sur la figure allitérative étymologique gotique qui, selon moi, dans le Nouveau Testament, serait un vestige de cette poésie gotique que Tolkien décrivait amèrement comme perdue. Cf. J. R. R. Tolkien, Les Monstres et les critiques et autres essais, traduit de l’anglais par Christine Laferrière, Paris, Christian Bourgois, 2006, p. 257. Plusieurs passages de la Bible gotique, que j'ai relevés, pourraient aller en ce sens. Je vais même plus loin en montrant dans une étude à paraître sur le poème Bagme Bloma que Tolkien se serait inspiré de ces passages allitératifs pour son propre poème gotique allitératif. Je ne peux pas vous en livrer plus en l'état.

J'aurais bien aimé parler un peu du loup-garou, comme on en trouve dans la littérature latine (dans le Satiricon de Pétrone par exemple), mais cela nous emmènerait trop loin. Le mot islandais ancien vargúlfr est curieux. Comme l'indique très justement Vincent Samson dans Les berserkir. Les guerriers-fauves dans la Scandinavie ancienne, de l’Âge de Vendel aux Vikings (VIe-XIe siècle), Lille, Presses Universitaires du Septentrion (Histoire et civilisation), 2011, p. 45 :
Citation :« Mogk souligne que [L]e norrois vargúlfr correspond à l’allemand Werwolf. La forme vargúlfr n’est cependant pas attestée en dehors du cycle des Strengleikar (adaptation en prose des Lais de Marie de France). Il s’agit donc vraisemblablement d’une construction récente (XIIIe siècle), utilisée pour traduire le normand garwalf. »

On remarquera, à l’instar de Vincent Samson, que si l’allemand Werwolf provient d’un mot vieil-haut allemand wërwolf, signifiant « homme (wër) – loup (wolf), le mot norrois vargúlfr est une combinaison des substantifs vargr (« loup », mais aussi « hors-la-loi ») et úlfr (« loup »).

Je m’arrête là pour ce soir. Ces recherches m’ayant demandé des heures de travail, je tombe de fatigue !

A.
ᛘᛅᛚᚱᚢᚾᛅᚱ ᛋᚴᛅᛚᛏᚢ ᚴᚢᚾᛅ᛬
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