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De l'autorité des sources : le plus récent VS le plus originel
#1
Bonjour,

à la suite des échanges avec Tikidiki sur le fuseau du choix d'Elros, nous avons eu des passes d'arme sur l'autorité des sources à utiliser, Tikidiki considérant que les écrits de Tolkien les plus récents "abrogeaient" ses écrits plus anciens.
Ne partageant pas cette opinion tranchée, tout en comprenant bien qu'elle puisse sembler logique, notre discussion a conduit à un peu d'incompréhension, qui a aboutit à ce débat de fond :
doit-on considérer que les écrits les plus récents d'un auteur abrogent forcément les plus anciens,
ou bien peut-il y avoir des cas où un récit plus "originel" a meilleure autorité, même si l'auteur a cru changer d'avis ensuite.


Je ne me considère pas comme très affuté ni très compétent sur le sujet (n'ayant à la base pas prêté la moindre attention aux chronologies des différentes et contradictoires solutions apportées par Tolkien sur le problème cité), néanmoins j'ai pensé à une façon d'aborder la question ici quand même, avec 3 exemples :
  • La même question dans les religions
  • la question dans les comics (!)
  • la question chez les auteurs

La religion étant par principe un sujet sensible, nous nous bornerons ici à une analyse exégétique et non de croyant ou d'incroyant. Puis nous virerons de bord vers des exemples plus légers pour rester dans un thème ludique.

Je n'ai aucune compétence particulière dans ce domaine, je tente d'associer à mes souvenirs des exemples sourcés, mais tout cela peut contenir des imperfections.

1- La question dans les religions
Je me contenterai de 2 exemples : celui des versets abrogeant dans l'Islam, et de la Tradition dans la religion chrétienne.

A- Les versets abrogeant dans l'Islam
Le Coran n'est pas un récit (comme la Bible) mais plutôt un recueil de différentes "pensées" (inspirées) de Mahomet. Le recueil présente donc des versets, parfois sans lien les uns avec les autres, rangés dans des sourates (chapitres). Ces sourates seraient publiées de nos jours par ordre de taille.

Mais il existe des versets qui disent strictement le contraire l'un de l'autre, sans qu'il soit possible de trouver une interprétation permettant de les faire cohabiter. L'exemple le plus marquant est celui du vin :
Citation :5.90: Ô les croyants! Le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées, les flèches de divination ne sont qu’une abomination, oeuvre du Diable. Écartez-vous en, afin que vous réussissiez.
Citation :16.67: Des fruits des palmiers et des vignes, vous retirez une boisson enivrante et un aliment excellent. Il y a vraiment là un signe pour des gens qui raisonnent.
Le Coran bannit donc le vin dans un verset comme oeuvre du diable, et en fait presque une boisson divine dans un autre. Comment savoir ce qu'il faut pratiquer ? Des théologiens musulmans ont assez naturellement décidé sur ce genre de contradiction que les versets les plus récents abrogeaient les plus anciens, (en s'aidant d'un verset qui indique qu'une telle chose est possible), charge aux spécialistes de déterminer lequel est le plus récent.
Ici l'interdiction du vin est plus récente que son appréciation : dont règle.
Bon.
Problème : les versets les plus intolérants et appelant même au meurtre des non croyants sont plus récents (période médinoise) que ceux appelant à la paix, la tolérance et la concorde (période mecquoise) (la raison historique étant que l'Islam en expansion était fragile et devait composer avec les autres peuples, tandis qu'une fois devenu fort et majoritaire, il pouvait matériellement écraser ses adversaires)
Ceci (et d'autres cas de contradictions) gêne aux entournures, même les plus fidèles musulmans, qui aimeraient bien trouver une solution plus saine à ce problème.
De nouvelles interprétations se font donc jour, suggérant soit que chaque verset est adapté à un lieu et à une époque différente ("contextualisation"), soit qu'il faut choisir selon son propre coeur ("interprétation"). (exemple de ces interrogations ici). Evidemment, cela fait débat et personne n'est d'accord sur le sujet.

Mon propos n'est pas ici de trouver une solution à ce problème - sur lequel les théologiens et croyants musulmans s'affrontent encore (tapez "Coran abrogeant" dans Google si vous voulez en apprendre plus) - mais de montrer pourquoi la solution du plus récent abrogeant les anciens n'est pas forcément la meilleure.

B- La Tradition VS la Parole vivante dans la religion chrétienne

Evolution des textes
Dans la religion chrétienne, deux courants "s'affrontent" presque depuis l'origine. De façon caricaturale : ceux qui font vivre la Parole de Dieu en l'interprétant sans cesse de nouveau et l'adaptant au monde (l'Eglise catholique pour simplifier, qui "produit" donc de nouveaux textes) VS ceux qui recherchent le message originel et courent sans cesse auprès du Jésus le plus "pur", c'est à dire débarassé de tout ce qui a été surajouté ensuite (cela va des protestants qui vont se référrer à l'écriture seule jusqu'aux courants les plus forcenés de l'exégèse qui vont jusqu'à faire le tri même dans la Bible pour tenter d'isoler les textes les plus anciens seulement, jugés plus purs (tout ajout ultérieur étant qualifié d'impureté)).

Là aussi où se trouve la vérité ? A l'origine ? Ou au terme ?
Bien malin qui pourra répondre d'une seule phrase.

Deux récits de la création
Et même en tranchant cette question, on se retrouve avec quelques contradictions dans la Bible. Par exemple, dans son premier chapitre, la Bible offre deux récits de la création qui n'ont franchement pas grand chose à voir l'un avec l'autre.
Le premier récit montre un monde fait en sept jours (nombre divin dans le monde juif signifiant que le monde est tout entier divin) et qui aboutit à la création de l'homme comme homme et femme (les 2 à la fois), au terme de toute la création.
Le second récit montre que Dieu fait la terre et l'eau, puis crée aussitôt l'homme à base d'argile, avant de faire pousser les plantes pour le placer dans un jardin parfait afin de le cultiver. Mais l'homme est seul, alors Dieu fait d'autres êtres vivants pour lui, mais il n'est pas satisfait. Alors Dieu crée la femme à partir de sa côte.
D'un point de vue historique et chronologique, les deux récits se contredisent. (si on considère que les auteurs inspirés ne font que retranscrire chacun le même Auteur divin ?)
(bien que d'un point de vue ontologique, les deux montrent que l'homme et la femme sont égaux, et que le monde a été fait pour eux)

Selon les exégètes, le plus récent est le premier récit (qui joue clairement avec des concepts plus subtils que le second, un peu plus "fermier"). Faut-il donc le considérer comme plus vrai que l'autre ? Dieu a donc vraiment besoin de se reposer ?

Moïse fendant les eaux
Ou bien dans le récit de la mer fendue en deux par Moïse, le récit principal évoque un vent bûlant qui chasse la mer pendant toute la nuit et en fait apparaître le fond, tandis que certaines mentions ajoutées ultérieurement évoquent une mer tranchée en deux avec des murs d'eaux à gauche et à droite. Ici, le plus récent est clairement le plus fantastique (fait pour ajouter au miracle). Le plus récent est clairement le moins fiable.



2- Les comics
Je saute d'un pas léger vers un exempe beaucoup moins complexe : les comics américains.
J'ai voulu un jour m'aenturer à lire un résumé de l'histoire de Superman. Grave erreur ! Il y a tellement de contradictions et d'incohérence dans l'ensemble du récit que la seule solution a été d'imaginer une multitude d'univers parallèles permettant aux diverses versions de n'être cohérentes que dans un univers donné.
Et c'est vrai pour la majorité des super-héros américains.
Certes, le problème est renforcé par la mutitude de scénaristes aux commandes, mais tous travaillent tout à fait légalement aux ordres de l'éditeur (qui veille à la cohérence) pour prolonger la vie du héros.
Face au devenir de certains héros, beaucoup de fans se disputent en revenant ou non aux sources.
Et c'est vrai de beaucoup d'autres héros évoluant dans le temps. Parfois de la responsabilité d'un seul et même auteur !

On a ici la même problématique que pour la religion : la vérité est-elle aux sources ou dans l'évolution ?



3- Chez les auteurs

Sur la question de l'autorité des sources, je me permet de faire une autre séparation:

Publié VS Brouillon
Je n'ai pas fait cette étude chez Tolkien, mais de mes différentes lectures (letters et Home) je suis à peu près sûr que même dans ses brouillons Tolkien est revenu en arrière.
Il a pu avoir différentes idées sur ses histoires, changer d'avis tardivement dans ses brouillons. Mais au moment de publier l'histoire, il revenu à une version antérieure, soit qu'il la jugeait plus cohérente (la nouvelle idée générant trop d'incohérence), soit qu'il reconsidérait son idée antérieure comme plus conforme à sa philosophie.

De ce fait, je ne pense pas qu'on puisse considérer différentes versions de brouillons comme relevant de toute façon de la règle naturelle (mais combattue ici) du plus récent abrogeant le plus ancien. Car un auteur est encore en réflexion quand il est en brouillon, et trancher définitivement doit se faire avec le plus grand soin. C'est même parfois l'éditeur qui donne les choix à prendre à l'auteur, en connaissance du lectorat, de contraintes matérielle (nombre de pages) ou comme tiers relevant des incohérences que l'auteur a perdu de vue.
La dernière version d'un brouillon ne fait pas, de fait autorité. En revanche, incontestablement (et évidemment), une version publiée fait autorité sur un brouillon. Même si la version publiée est celle d'un brouillon antérieur, même si des notes ultérieures contredisent la publication (auteur qui commence à changer d'avis sans en avoir forcément mesuré toutes les conséquences).


Vision d'un auteur
Bon voilà, je n'ai pas étudié d'autres auteurs comme j'ai pu étudier Tolkien, donc je n'ai pas d'autre exemple à donner chez des auteurs fameux. Sans doute certains ici sauront le faire.
Mais comme j'écris aussi, je vais me permettre, très modestement, d'illustrer cela avec mon propre exemple, d'autant que mon écriture s'étire sur 20 ans.
Je suis donc un écrivain à la petite semaine qui écrit quand il en a le temps. J'ai mis 10 ans à écrire et publier mes deux premiers tomes, et 10 ans à terminer les 2 derniers.
Autant vous dire que dans ce laps de temps, ma vision des choses a changé. Et c'est là un élément important : sur une aussi longue période de temps que celle sur laquelle Tolkien a écrit, sa vision, sa philosophie, ses sentiments évoluent forcément. (mais pas nécessairement en mieux pour l'intégrité de l'histoire)
A 40 ans, il est difficile de me retrouver dans tout ce que j'avais écrit à 20 ans.
Dans mon cas, le plan de toute mon histoire était écrit depuis le début. Je savais donc d'où mes héros venaient et où ils allaient.
Mais le temps que j'ai mis à rédiger réellement l'histoire, sans compter les passages découlant naturellement de certaines attitudes ou événements et que je n'avais pu prévoir dans le plan initial, a conduit celle-ci à évoluer.
Sauf que plus l'histoire évoluait loin de son plan original, plus je créais des contradictions, non seulement avec le futur (ce que j'avais prévu d'écrire) mais aussi avec le passé. Tel comportement induit par tel événement ne collait plus avec le comportement antérieur du héros.
Au final, mes changements de scénarios inattendus provoquaient de réelles ruptures avec le récit. Et plus d'une fois, je me suis retrouvé à relire toutes mes notes passées pour comprendre : pourquoi avais-je écrit tel passage ? Où est-ce que je voulais en venir ? Etait-ce du détail ou du fondamental ?
Je me retrouvais donc à faire ma propre auto-exégèse pour vérifier si le tournant que je prenais était conforme à l'idée originelle, et si je ne trahissais pas toute l'histoire. Et au final, j'étais plutôt étonné de la qualité des idées initiales. Le temps passant, j'avais certes évolué, mais j'étais aussi devenu plus paresseux intellectuellement. Confronter une idée nouvelle aux idées plus jeunes révélait (2 fois sur 3) que l'ancienne était en fin de compte meilleure.

Mes brouillons les plus récents se révélaient, après analyses, moins qualitatifs et plus problématiques, souvent, que les premières idées (plus anciennes).



Conclusion
Je me suis certes permis des exemples tout à fait discutables pour cette tentative de démonstration, mais voilà le bout du chemin. Je pense qu'un texte plus récent ne suffit pas en tant que tel à abroger les plus anciens.
Il faut de l'analyse, du jugement, des avis extérieurs même, pour déterminer quelle source est la plus satisfaisante face à un problème donné.
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De l'autorité des sources : le plus récent VS le plus originel - par Vinyamar - 02.06.2018, 23:42

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