05.10.2019, 17:29
(05.10.2019, 15:20)Tikidiki a écrit : Pourrais-tu dire pourquoi tu exclus cet exemple ? [...] Et trier les peuples pour étudier la tripartition en excluant ceux qui n'y correspondent pas, n'est-ce pas fausser une partie du résultat ?
À un moment, si tu veux parler de tripartition, il faudrait que tu connaisses la théorie dumézilienne, et tes remarques me font douter que tu aies jamais lu un de ses livres. Selon Dumézil, la tripartition doit s'observer au sein d'un ensemble homogène et les traits caractéristiques des fonctions sont moins des caractéristiques de nature que des distinctions différentielles : Dumézil est un précurseur du structuralisme. À ce compte, il est dénué de sens d'invoquer un peuple humain dans une question qui ne concerne que les Elfes.
Par ailleurs, rien ne sert de parler des Dúnedain comme remplissant à eux seuls une fonction. Il est nécessaire de trouver un système d'oppositions dans lequel ils s'insèrent, ce qui nécessite de les comparer à d'autres peuples humains. Il te faudrait donc commencer par trouver une formulation où l'on trouve trois peuples (mythiques ou réels) ou trois divisions au sein d'un même peuple énumérés de manière à représenter une totalité. Je n'en vois que deux possibles : les trois Maisons des Edain, d'une part, et la division entre Hauts Hommes (Hommes de l'Ouest), Hommes du Crépuscule et Hommes de l'Obscurité que fait Faramir. Cette dernière division est la seule où figurent les Númenóriens, mais elle ne me semble pas un meilleur support pour une division tripartie que celle des Maisons des Edain.
(05.10.2019, 15:20)Tikidiki a écrit : Pour Ingwë, la VF m'a initialement induit en erreur, mais c'est une hypothèse qui se tient, étant donné qu'il est dit le premier à s'être réveillé, le chef de la première tribu, le premier de tous les Elfes, et qu'il est toujours nommé en tête des trois ambassadeurs (ce qui est cohérent avec le fait qu'il soit l'aîné, cf. l'extrait suivant).
Encore une fois, tu extrapoles un peu... Dans la légende, c'est Imin qui s'éveille en premier. Nulle part Tolkien ne dit qu'Imin soit Ingwë, ni Tata Finwë, et il est même impossible qu'Elwë soit Enel, puisqu'Elwë a au moins un frère, Olwë et se marie avec Melian, alors qu'Enel s'éveille uniquement avec sa femme promise, Enelyë. Si la légende recouvre un fait réel (ce que Tolkien se garde bien d'affirmer), il semble que la hiérarchie elfique ait été bouleversée par l'envoi des ambassadeurs. Bref, le seul avantage spécifique à Ingwë est d'être le chef de la Première Tribu, au moins à partir de la Grande Marche.
(05.10.2019, 15:20)Tikidiki a écrit : Or, le statut de chef me semble davantage appartenir, selon la tripartition, à la 2e catégorie.
En fait, Dumézil constate que le roi transcende les fonctions, car il doit toutes les représenter. Il peut être issu de la première ou de la deuxième, exceptionnellement de la troisième quand il s'agit d'une succession mythique déclinant la suite des fonctions, comme dans l'Edda en prose, où Odin, Thor et Freyr sont représentés comme des rois ayant successivement gouverné les Scandinaves.
(05.10.2019, 15:20)Tikidiki a écrit : Pour moi, cela montre aussi que les Vanyar n'ont rien de plus que les Noldor dans un contexte où ils le devraient s'ils appartenaient à une première catégorie.
Pourtant, les occasions de distinguer Vanyar et Ñoldor ne manquent pas, et je les ai citées... Il est parfaitement attesté que la tripartition oppose ponctuellement les première et deuxième fonctions à la troisième, dans des guerres ou dans des cérémonies. Puisque c'est le cas ici, c'est bien un exemple en faveur de la tripartition des Elfes.
(05.10.2019, 15:20)Tikidiki a écrit : Un lien plus fort avec les Valar... mais est-il réciproque ? Tu dis toi-même, ce lien existe entre les Vanyar et Manwë et Varda, non pas avec tous.
Je crois avoir déjà répondu à cette remarque et n'y reviendrai pas.
Je t'invite vraiment à lire Dumézil si tu souhaites te faire une idée valable de ce que sont les trois fonctions, sans quoi tes objections continueront de tomber à plat. A minima, les Dieux souverains des Indo-Européens, Mythes et dieux des Indo-Européens, précédé de Loki, Heur et malheur du guerrier et l'édition intégrale des Esquisses de mythologie. Pour une meilleure compréhension des personnages (plutôt que des peuples) incarnant l'idéologie tripartie, l'édition intégrale de Mythe et Épopée, I, II, III est indispensable. Par ailleurs, tous les textes de Dumézil sur les Nartes devraient t'intéresser, puisque les contes nartes mettent précisément en scène une société mythique de héros — et non de dieux — où les rites religieux sont presque entièrement, sinon complètement absents et où, comme par hasard, la première fonction est excessivement en retrait, encore plus que chez Tolkien.
Au risque de me répéter, l'important pour une identification trifonctionnelle n'est pas que les trois personnages ou les trois peuples remplissent toutes les caractéristiques de chaque fonction, mais que les différences entre les personnages ou les peuples soient orientées d'une manière qui s'interprète de façon fonctionnelle. Avec les Elfes, c'est bien le cas. On peut ensuite noter les déviations qui s'écartent du schéma canonique, et il y en a principalement deux. D'abord le rôle en retrait des Vanyar, lié à une quasi-absence du religieux chez les Elfes, qui s'explique amplement par le fait que les Elfes vivent au contact des dieux et ne me paraît nullement troublant. Ensuite et surtout le rôle d'artisans et de scientifiques des Ñoldor, qui n'a rien à voir avec la deuxième fonction. C'est surtout ici qu'on voit que Tolkien n'avait pas volontairement en tête un modèle trifonctionnel pour ses Elfes. Néanmoins, ce qui est remarquablement intéressant est le fait que les Ñoldor finissent surtout par se distinguer pour leur nature belliqueuse et que les récits du Silmarillion tournent autour d'eux, ce qui est un magnifique cas de schéma mythique s'imposant à la création mythopoétique de Tolkien.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland