30.09.2017, 16:28
(Modification du message : 01.10.2017, 15:04 par Chiara Cadrich.)
.oOo.
Il était temps ! Les ronflements s’étaient espacés et avaient fini par cesser. Dès les premières bribes de conversation des adultes, les jeunes géants se précipitèrent à l’intérieur avec espoir :
-« Balle-Sapin ! Balle-Sapin ! Ppa et GrrPpa jouer Balle-Sapin ! »
L’enthousiasme de la jeunesse se communiqua aux générations mûres. Malgré les admonestations de la matriarche, la famille gagna le terre-plein central du cratère et s’adonna aux joies d’une sorte de hockey sur gazon, aux règles frustes et assez instables. Gerry qui s’était embusqué en lisière du sous-bois, les observa deux longues heures durant, mais il n’eut jamais l’opportunité de s’approcher de l’œuf qui servait de palet. Une autre famille vint assister aux joutes, prêtant la main de temps à autres pour entraver les joueurs adultes, et se jetant dans la mêlée en brandissant leurs sapins. Si les équipes n'avaient pas constamment mis en danger la vie de l'oeuf, Gerry aurait presque pu se croire en pique-nique dans la Comté, lorsque les mamans éloignent les turbulents pour bavarder en paix, par un beau dimanche estival.
Enfin les parents demandèrent grâce, et tous rentrèrent au logis. La famille se restaurait de mets froids, regrettant la mobilisation de l’âtre familial comme prison. C’est ainsi que le grand aigle, pris à parti, entama, à l’encontre de sa nature la plus profonde, une conversation pleine de duplicité avec ses geôliers :
-« L’aigle que voici s’est montré méchant. Mais l’aigle s’estime suffisamment puni.
- Quoi que dit l’aigle ?
- L’aigle a été méchant. Mais aigle assez puni !
- Aigle rester foyer. Toujours puni.
- L’aigle a été puni injustement. L’aigle souhaitait seulement retrouver le petit des aigles !
- Petit aigle pas chez Géants ! Aigle méchant ! »
L’impasse se profilait… Ces abrutis patauds et menteurs refusaient de reconnaître leurs torts. Mais Landroval ravala sa fierté et biaisa, se rappelant l’approche proposée avec insistance par le hobbit :
- « L’aigle a été méchant. L’aigle offre d’être puni en faisant jouer les enfants géants ! »
Sur la face grise et rose du géant contrarié, la stupéfaction céda le pas à la satisfaction. Son adversaire admettait sa défaite et acceptait de s’humilier. Mais un fond de méfiance le retenait :
-« Quel jeu ? »
Puisant dans les fines sensations du haut vol, Landroval broda autour du jeu sans le décrire vraiment :
- « Une glissade qui vous emmène au firmament, un jeu qui vous fait Roi des montagnes, un souffle qui vous emplit les poumons de vif espoir, un jeu qui s’élève au-dessus de tous les autres, un flux brut qui vous gonfle le cœur, … et un jeu que les géants ne peuvent pratiquer seuls ! Le chevauche-montagne ! »
Les petits géants n’avaient pas suivi la rhétorique savante du grand aigle, mais leur instinct ne les trompait pas : ce jeu devait être sensationnel, encore que leur vocabulaire imagé les aurait plutôt portés vers le qualificatif « Grrr-wow ». Un grand sourire et des yeux brillants avaient vite remplacé leur air hagard. Ils se pendirent aux basques de chamois de leur père et scandèrent en cadence :
« Cheval-montagne ! Cheval-montagne ! Cheval-montagne ! …»
Le père géant avait d’ores et déjà perdu la partie. Sous l’œil goguenard de son épouse, il eut beau feindre de ne pas comprendre, refuser tout net, repousser à plus tard, invoquer sa grande fatigue, agiter la peur des aigles, considérer les dangers, prétendre avoir quelque chose de plus important à faire – il dût céder.
L’aigle fut retiré sans ménagement de son réduit et interrogé derechef. Il en dit le moins possible, mais il laissa entendre qu’il fallait se rendre au bord du cratère, au sommet de la pente externe du volcan, et qu’alors le jeu commencerait. Bâillonné d’un chiffon d’une propreté douteuse, Landroval se retrouva les pattes entravées d’une longue corde que le père géant tenait fermement.
L’héroïque lignée de sportifs se rendit au point le plus haut de la montagne des géants. Etaient présents GrrPpa, Ppa, Morrg et Dyya, leurs basques de cuir en main. Les amis et cousins, qui gîtaient de l’autre côté du cratère, ne furent pas conviés à la première, preuve que Ppa et GrrPpa, bien que curieux et excités, voulaient tout de même s’assurer qu’ils maîtriseraient la technique avant d’en faire assaut public de vantardise. Le père s’institua premier volontaire – pour des raisons de sécurité indiscutables - au grand dam de ses filles mais à l’évidente satisfaction de son beau-père GrrPpa, que l’expérience et une longue pratique des ecchymoses ludiques avaient rendu prudent.
Le grand aigle se percha sur ses épaules, et sans lâcher la corde, Ppa lui saisit les pattes. Alors Landroval étendit ses ailes dans la brise. Aussitôt le géant se sentit flotter. Le grand aigle se pencha en avant et - hop ! - l’équipage sauta dans la pente et les voilà partis sous l’ovation des jeunes géantes. Ppa dévala la déclivité, accroché à son frein naturel. Ce ne fut pas une mince affaire pour Landroval de diriger son fardeau et lui communiquer une sensation de légèreté, tout en l’empêchant de freiner sur la neige et en évitant les obstacles, tant les congères molles que les dangereux rochers. Bien entendu le géant adulte, d’une masse considérable, ne pouvait être enlevé dans les airs. Après une minute de descente, le grand aigle accentua opportunément une faute de Ppa et l’équipage tomba dans la neige.
Le père géant, enchanté de son exploit, se releva radieux. La première frayeur passée, cette harmonieuse et aérienne glissade l’avait diverti. Le bouquet final dans une gerbe de neige avait été positivement délectable. Cela ne valait pas un bon vieux concours de lancer de rochers par temps d’orage, mais ce jeu occuperait les enfants sans grand risque.
Sous les vivats d’une foule réduite mais excitée et envieuse, Ppa, l’aigle sur son dos, remonta la pente à grand pas, montrant par là son irréprochable condition physique. De retour au sommet, en nage et époumoné, il dut régler l’inévitable dispute et attribua à Morrg le privilège de la descente suivante, au prix d’un beau-père froissé et d’un bébé animé d’une rancœur éternelle.
D’émotion, la jeune géante claquait des dents – les géants n’ont pourtant jamais froid. Elle se jeta dans la pente avec détermination et une certaine dose d’inconscience. Landroval n’eut aucune difficulté à guider et accompagner son nouveau fardeau, souple et confiant, qu’il aurait pu tenter d’emporter au loin. Mais le comportement de cette famille le laissait penser qu’ils se montreraient inoffensifs pourvu que l’on gardât leurs jouets à distance. Dans sa grande sagesse, Landroval renonça à la vengeance.
Aussi se contenta-t-il, à la faveur de la chute de fin, de se débarrasser du chiffon qui entravait son bec. Alors que Morrg peinait en gravissant la pente, Landroval, d’un coup de bec, sectionna la corde qui le retenait, s’envola sans coup férir et s’en fut hors de vue de la famille, outrée de ce manque de courtoisie et de sportivité.
Ppa mit plusieurs minutes à réaliser qu’il s’était fait berner. Son beau-père l’accabla de sarcasmes, alors que la petite Dyya fondait en larmes et se répandait en imprécations sur sa grande sœur qui revenait penaude.
Le père géant fut contraint d’offrir à sa petite fille une séance de compensation. Il s’allongea sur le dos, les pieds dans la pente, et assit son rejeton en pleurs à califourchon sur son ventre. Puis il dévala la pente comme s’il eut été un tronc de sapin creusé – que l’on nomme « Schlitt » chez les géants. C’est donc après une descente qui lui rafraichit le séant, suivie d’une remontée éprouvante, sa petite fille sur les épaules, que Ppa se résolut à revenir au logis.
Appréhendant la confrontation, il eut la surprise d’y trouver une épouse satisfaite, qui le félicita d’avoir rendu sa liberté à leur prisonnier :
-« Guerre méchante. Plus méchante que grand aigle ! Et foyer disponible maintenant ! »
Ppa en fut reconnaissant envers son épouse, car son beau-père dut cesser ses jacasseries malveillantes, et il bénéficia d’un ragout chaud pour le dîner. Grandi par ces lauriers inattendus, le géant père, magnanime, proposa aux enfants une petite partie de balle-sapin. Les dernières traces de mécontentement s’évanouirent lorsque le père prit l’œuf sous son bras et les entraina vers le terre-plein central.
-« Balle-Sapin ! Balle-Sapin ! Ppa et GrrPpa jouer Balle-Sapin ! »
L’enthousiasme de la jeunesse se communiqua aux générations mûres. Malgré les admonestations de la matriarche, la famille gagna le terre-plein central du cratère et s’adonna aux joies d’une sorte de hockey sur gazon, aux règles frustes et assez instables. Gerry qui s’était embusqué en lisière du sous-bois, les observa deux longues heures durant, mais il n’eut jamais l’opportunité de s’approcher de l’œuf qui servait de palet. Une autre famille vint assister aux joutes, prêtant la main de temps à autres pour entraver les joueurs adultes, et se jetant dans la mêlée en brandissant leurs sapins. Si les équipes n'avaient pas constamment mis en danger la vie de l'oeuf, Gerry aurait presque pu se croire en pique-nique dans la Comté, lorsque les mamans éloignent les turbulents pour bavarder en paix, par un beau dimanche estival.
Enfin les parents demandèrent grâce, et tous rentrèrent au logis. La famille se restaurait de mets froids, regrettant la mobilisation de l’âtre familial comme prison. C’est ainsi que le grand aigle, pris à parti, entama, à l’encontre de sa nature la plus profonde, une conversation pleine de duplicité avec ses geôliers :
-« L’aigle que voici s’est montré méchant. Mais l’aigle s’estime suffisamment puni.
- Quoi que dit l’aigle ?
- L’aigle a été méchant. Mais aigle assez puni !
- Aigle rester foyer. Toujours puni.
- L’aigle a été puni injustement. L’aigle souhaitait seulement retrouver le petit des aigles !
- Petit aigle pas chez Géants ! Aigle méchant ! »
L’impasse se profilait… Ces abrutis patauds et menteurs refusaient de reconnaître leurs torts. Mais Landroval ravala sa fierté et biaisa, se rappelant l’approche proposée avec insistance par le hobbit :
- « L’aigle a été méchant. L’aigle offre d’être puni en faisant jouer les enfants géants ! »
Sur la face grise et rose du géant contrarié, la stupéfaction céda le pas à la satisfaction. Son adversaire admettait sa défaite et acceptait de s’humilier. Mais un fond de méfiance le retenait :
-« Quel jeu ? »
Puisant dans les fines sensations du haut vol, Landroval broda autour du jeu sans le décrire vraiment :
- « Une glissade qui vous emmène au firmament, un jeu qui vous fait Roi des montagnes, un souffle qui vous emplit les poumons de vif espoir, un jeu qui s’élève au-dessus de tous les autres, un flux brut qui vous gonfle le cœur, … et un jeu que les géants ne peuvent pratiquer seuls ! Le chevauche-montagne ! »
Les petits géants n’avaient pas suivi la rhétorique savante du grand aigle, mais leur instinct ne les trompait pas : ce jeu devait être sensationnel, encore que leur vocabulaire imagé les aurait plutôt portés vers le qualificatif « Grrr-wow ». Un grand sourire et des yeux brillants avaient vite remplacé leur air hagard. Ils se pendirent aux basques de chamois de leur père et scandèrent en cadence :
« Cheval-montagne ! Cheval-montagne ! Cheval-montagne ! …»
Le père géant avait d’ores et déjà perdu la partie. Sous l’œil goguenard de son épouse, il eut beau feindre de ne pas comprendre, refuser tout net, repousser à plus tard, invoquer sa grande fatigue, agiter la peur des aigles, considérer les dangers, prétendre avoir quelque chose de plus important à faire – il dût céder.
L’aigle fut retiré sans ménagement de son réduit et interrogé derechef. Il en dit le moins possible, mais il laissa entendre qu’il fallait se rendre au bord du cratère, au sommet de la pente externe du volcan, et qu’alors le jeu commencerait. Bâillonné d’un chiffon d’une propreté douteuse, Landroval se retrouva les pattes entravées d’une longue corde que le père géant tenait fermement.
L’héroïque lignée de sportifs se rendit au point le plus haut de la montagne des géants. Etaient présents GrrPpa, Ppa, Morrg et Dyya, leurs basques de cuir en main. Les amis et cousins, qui gîtaient de l’autre côté du cratère, ne furent pas conviés à la première, preuve que Ppa et GrrPpa, bien que curieux et excités, voulaient tout de même s’assurer qu’ils maîtriseraient la technique avant d’en faire assaut public de vantardise. Le père s’institua premier volontaire – pour des raisons de sécurité indiscutables - au grand dam de ses filles mais à l’évidente satisfaction de son beau-père GrrPpa, que l’expérience et une longue pratique des ecchymoses ludiques avaient rendu prudent.
Le grand aigle se percha sur ses épaules, et sans lâcher la corde, Ppa lui saisit les pattes. Alors Landroval étendit ses ailes dans la brise. Aussitôt le géant se sentit flotter. Le grand aigle se pencha en avant et - hop ! - l’équipage sauta dans la pente et les voilà partis sous l’ovation des jeunes géantes. Ppa dévala la déclivité, accroché à son frein naturel. Ce ne fut pas une mince affaire pour Landroval de diriger son fardeau et lui communiquer une sensation de légèreté, tout en l’empêchant de freiner sur la neige et en évitant les obstacles, tant les congères molles que les dangereux rochers. Bien entendu le géant adulte, d’une masse considérable, ne pouvait être enlevé dans les airs. Après une minute de descente, le grand aigle accentua opportunément une faute de Ppa et l’équipage tomba dans la neige.
Le père géant, enchanté de son exploit, se releva radieux. La première frayeur passée, cette harmonieuse et aérienne glissade l’avait diverti. Le bouquet final dans une gerbe de neige avait été positivement délectable. Cela ne valait pas un bon vieux concours de lancer de rochers par temps d’orage, mais ce jeu occuperait les enfants sans grand risque.
Sous les vivats d’une foule réduite mais excitée et envieuse, Ppa, l’aigle sur son dos, remonta la pente à grand pas, montrant par là son irréprochable condition physique. De retour au sommet, en nage et époumoné, il dut régler l’inévitable dispute et attribua à Morrg le privilège de la descente suivante, au prix d’un beau-père froissé et d’un bébé animé d’une rancœur éternelle.
D’émotion, la jeune géante claquait des dents – les géants n’ont pourtant jamais froid. Elle se jeta dans la pente avec détermination et une certaine dose d’inconscience. Landroval n’eut aucune difficulté à guider et accompagner son nouveau fardeau, souple et confiant, qu’il aurait pu tenter d’emporter au loin. Mais le comportement de cette famille le laissait penser qu’ils se montreraient inoffensifs pourvu que l’on gardât leurs jouets à distance. Dans sa grande sagesse, Landroval renonça à la vengeance.
Aussi se contenta-t-il, à la faveur de la chute de fin, de se débarrasser du chiffon qui entravait son bec. Alors que Morrg peinait en gravissant la pente, Landroval, d’un coup de bec, sectionna la corde qui le retenait, s’envola sans coup férir et s’en fut hors de vue de la famille, outrée de ce manque de courtoisie et de sportivité.
Ppa mit plusieurs minutes à réaliser qu’il s’était fait berner. Son beau-père l’accabla de sarcasmes, alors que la petite Dyya fondait en larmes et se répandait en imprécations sur sa grande sœur qui revenait penaude.
Le père géant fut contraint d’offrir à sa petite fille une séance de compensation. Il s’allongea sur le dos, les pieds dans la pente, et assit son rejeton en pleurs à califourchon sur son ventre. Puis il dévala la pente comme s’il eut été un tronc de sapin creusé – que l’on nomme « Schlitt » chez les géants. C’est donc après une descente qui lui rafraichit le séant, suivie d’une remontée éprouvante, sa petite fille sur les épaules, que Ppa se résolut à revenir au logis.
Appréhendant la confrontation, il eut la surprise d’y trouver une épouse satisfaite, qui le félicita d’avoir rendu sa liberté à leur prisonnier :
-« Guerre méchante. Plus méchante que grand aigle ! Et foyer disponible maintenant ! »
Ppa en fut reconnaissant envers son épouse, car son beau-père dut cesser ses jacasseries malveillantes, et il bénéficia d’un ragout chaud pour le dîner. Grandi par ces lauriers inattendus, le géant père, magnanime, proposa aux enfants une petite partie de balle-sapin. Les dernières traces de mécontentement s’évanouirent lorsque le père prit l’œuf sous son bras et les entraina vers le terre-plein central.
.oOo.
A suivre...