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Les Monts de Brumes *
#11
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Gerry se glissa furtivement vers les bruyères et y resta tapis un long moment. N’entendant aucun bruit suspect, il se risqua plus loin, et descendit vers le centre du vieux cratère. La végétation abritée du vent y prospérait sur un sol chaotique. Sous un chaud soleil d’altitude, les insectes menaient une sarabande effrénée en pillant méthodiquement chaque grappe de fleurs, comme Gerry se coulait parmi les mélèzes. Après une distance d’environ un sillon, il repéra des vibrations provenant du sol. Il s’approcha en catimini sur le tapis d’aiguilles de pins, et trouva une sorte de cheminée naturelle qui émergeait du rocher poreux. Des ronflements épouvantables en émanaient.

- « Par chance, les géants sont gens de bon sens, pensa-t-il : ils font une sieste au plus chaud de la journée. »

Gerry s’approcha encore. Les fumets domestiques des géants l’assaillirent alors – une suave fadeur d’étable relevée du piquant d’un terrier de putois, mais adoucie d’une odeur que Gerry ne reconnut pas immédiatement. Il s’éloigna en titubant et se dissimula dans les buissons. Aussi silencieux qu’un furet, il chercha l’entrée de la caverne. Il la trouva six toises plus loin, en contrebas. Deux géants y étaient vautrés, visiblement incommodés par la chaleur. Ils discutaient nonchalamment des occupations de leurs journées fainéantes :

-« Veux jouer balle – sapin !
- Jouer autre !
- Pourquoi pas jouer balle – sapin ?
- Beaucoup chaud. Balle bruit. Ppa dort avec balle. Pas jouer balle – sapin ! Jouer autre ! »

Leur parler commun s’avérait rudimentaire mais compréhensible. La similitude de cette scène domestique avec celles que devait vivre la Comté en ce moment même aurait fait rire le hobbit aux larmes, s’il avait eu une conscience moins aigue du danger.

Aussi grand qu’un homme adulte mais deux à trois fois plus large et lourd, le premier personnage, allongé sur des fougères, arborait une mine juvénile et contrariée. Son crâne entièrement chauve et ses joues glabres se coloraient d’orange lorsque l’énergumène s’échauffait, mais son teint naturel était d’un gris-rose délavé. Il portait une sorte de pagne en peau attaché à la taille par un câble de chanvre. Le second personnage qui semblait plus grand et se comportait comme l’ainé, portait une chevelure grise et filasse qui lui revenait sans cesse sur les yeux, qu’il avait d’un bleu des plus clairs.

Le jeune énergumène soupira, renifla et cracha de dépit. L’autre fut secoué d’un rire que le hobbit surpris trouva presque humain, quoiqu’assez grossier. Bientôt ils étaient assis côte à côte sur un tronçon de sapin, et concourraient pour le plus long crachat. Les voyant tous deux de face, Gerry réalisa qu’il s’agissait d’une fillette - Morrg - et de sa petite sœur - Dyya, presque un bébé - tant leur ressemblance était flagrante. Leurs traits enfantins et la taille relative de leur tête trahissaient des petits géants.

- « Quelle peut être la stature des parents ? » se demanda le malheureux hobbit.

Comme les enfants géants continuaient leur concours, il dut esquiver en catastrophe un crachat particulièrement volumineux. Cet évitement inopiné sembla donner l’alerte. Les nez raclés et re-raclés, et donc parfaitement opérationnels, humèrent aussitôt l’air surchauffé. Gerry battit en retraite juste à temps. Il s’engouffra dans un tronc creux et se rua vers l’autre extrémité. Il venait d’en sortir et de se dissimuler dans les fougères lorsque le tronc qui faisait son abri quelques secondes auparavant était soulevé comme un fétu de paille et inspecté sous tous les angles. Gerry n’attendit pas la fin de l’examen et se déroba habilement vers la pente.

Il déboucha sur une vaste cuvette peu profonde. La prairie, au milieu de la combe volcanique, gardait les traces des activités récentes des géants. Des sapins déracinés trainaient près d’un feu de camp gigantesque. Le foyer creusé était tellement profond que notre hobbit n’aurait pu en sortir. Les graminées avaient été couchées sur de grands espaces, probablement à l’aide des sapins, lors de parties épiques. Un peu à l’écart se dressait une haute table de pierre, entourée de tabourets de rochers. De par sa taille, l’ensemble paraissait comme la tombe d’un Roi des anciens hommes. Gerry repéra également deux autres sentiers qui montaient de la cuvette vers les pentes opposées. Il supposa que d’autres familles vivaient là-haut. Il se mit aussitôt en recherche, surtout autour des sapins.

Après une bonne heure d’investigations, il était en nage – la brise trop timide ne parvenait pas à le rafraîchir. Soudain lors d’une pause il réalisa que l’objet de ses recherches ne pouvait être là : la « balle » dont les enfants géants se languissaient était certainement l’œuf – elle avait été confisquée par le père de famille pour obliger les enfants à faire la sieste et à le laisser dormir tranquille !

Gerry revint à la caverne qu’il avait fuie, mais en prenant soin d’aborder en aval du vent. Il s’approcha subrepticement de buissons en fougères, à l’ombre des sapins. Les deux enfants avaient regagné leurs paillasses à l’entrée de la caverne, et discutaient des attaques récentes subies de la part des grands aigles.

- « Pourquoi pas jouer autre ?
- Rester maison dodo pas danger
- Grands oiseaux pas méchants !
- Grands oiseaux méchants ! Mma Bobo œil !
- Oui mais Ppa plus fort ! Jouer Grand oiseau attrapé ! Jouer attraper ?
- Non ! Rester maison dodo pas danger
- Bon manger grand oiseau ? »

Le dialogue continuait ainsi entre les deux enfants contraints de rester à l’abri. Gerry n’avait décidément aucune chance de pénétrer dans la caverne pour y récupérer l’œuf. Il hésita à se cacher pour attendre que les géants sortissent de la caverne. Mais alors les deux enfants désœuvrés emmèneraient probablement l’œuf pour jouer…

Dans ce cas mieux valait profiter de la sieste. Gerry remonta donc la pente à la recherche d’une autre ouverture. Guidé par les ronflements, il en trouva une, qui aurait pu se prêter à des reptations de cambrioleur. Mais de toute évidence ce conduit donnait directement au-dessus des dormeurs. Un peu plus loin notre hobbit découvrit une fissure, large et noircie. En s’approchant, il fut certain d’avoir trouvé le conduit d’échappement du foyer. Des odeurs de tourbe et de brûlé lui chatouillaient les narines. L’idée de descendre à l’aveuglette directement dans la marmite des géants ne l’enchantait gère, mais les effluves de suie froide et l’absence de fumeroles le rassuraient.
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A suivre...
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Les Monts de Brumes * - par Chiara Cadrich - 02.09.2017, 20:54

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