04.02.2016, 17:09
(03.02.2016, 09:37)Elendil a écrit : En revanche, dans les sociétés où l'honneur ne consiste pas simplement à vaincre, mais à vaincre en y mettant les formes, il faut s'attendre à l'y retrouver.
Je ne suis pas sûr de bien comprendre le terme, loin de là, mais je ne sais pas s'il consiste simplement en un excès de mise en forme, ou plutôt, en une priorité donnée à la forme du combat plutôt qu'à son issue -plaçant ainsi l'honneur personnel au-dessus du souci de ceux que le chef, le roi, le commandant, a pourtant devoir de défendre.
Ce qu'il me semble plutôt apercevoir, c'est l'expression d'une certaine rationalité, qui ne tient pas suffisamment compte de certaines limites. Beowulf, Roland, peut-être Beorhtnoth, ne sont pas accoutumés à la défaite. En tout cas pour Roland et Beowulf, ce sont des êtres capables de se surpasser toujours. D'ailleurs n'est-ce pas cela, l'héroïsme, la capacité à se surpasser, à sortir de ses propres limites, pour accomplir bien plus que ce qui aurait été sensément possible autrement ? Or, et c'est là où "l'ofermod" est bien une perversion de l'héroïsme et justement intéressante en ce sens-là, c'est qu'il s'agit, toujours, d'outrepasser certaines limites.
Dans l'article qu'a conseillé Druss, l'auteur voit à l’œuvre une certaine rationalité dans la décision de Beorthnoth. Il ne s'agit pas seulement, de la part de ce chef de guerre (ou je ne sais plus très bien ce qu'il est pour tout dire), de faire passer l'honneur avant la vie de ses hommes. Il s'agit de prendre une décision qui paraît raisonnable -faire sortir les Vikings de l'île, autrement ils ne tarderont pas à s'en aller par un autre côté et à ravager une autre partie de la contrée- mais qui est faussée en ce qu'elle néglige l'infériorité manifeste des troupes anglaises.
Et cela, Beorthnoth ne le voit pas, n'en a pas une conscience suffisante, parce qu'il ne conçoit pas qu'il puisse exister des limites qu'il ne pourrait pas franchir. Il ne conçoit pas que l'héroïsme, quoiqu'il consiste en un dépassement des limites, peut lui-même se heurter à un mur. Et, la notion d'héroïsme étant, si j'ai bien compris, importante pour Tolkien, je crois qu'il est permis de regarder l'ofermod comme je le propose, de le voir comme une sorte d'héroïsme débordant, comme un révélateur de certaines limitations insurmontables de l'être.
Et sans doute, comme le suggère l'entrée du Dictionnaire Tolkien à propos du Retour de Beorthnoth, la tentation de Boromir est-elle bien une marque d'ofermod -une marque qui le distingue justement d'Aragorn- en ce sens qu'il ne conçoit pas que l'héroïsme des Hommes puisse être lui-même limité et ne permettra pas, jamais, de maîtriser l'Anneau ; d'ailleurs, et là je mets un peu les pieds dans le plat et vous prie de bien vouloir m'en excuser un peu, le fait qu'il sonne du cor à sa mort pour appeler à l'aide alors qu'il est déjà trop tard évoque irrésistiblement Roland (et sans doute bien d'autres épisodes que j'ignore), et avec Roland, l'ofermod.
Bon, mes dernières remarques sont un peu lourdes et surtout régurgitatoires, mais j'espère que vous aurez servi mon idée principale, à savoir que l'ofermod, ce n'est pas un excès d'esprit ou d'honneur, c'est un oubli des limites intrinsèques et infranchissables de l'être, auquel l'héroïsme, s'il s'attache à les outrepasser, se heurte et trouve là son naufrage.