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Bonjour à toutes et à tous,
La question que je souhaite débattre ici est délicate mais n’en reste pas moins, à mon humble avis, intéressante. Comme beaucoup, je suis passionnée par les langues (le Sindarin en particulier) créées par le Professeur Tolkien. Cette passion me vient en partie de mon attraction naturelle pour les langues étrangères. Et c’est là, pour moi, que le débat commence.
L’étude d’une langue de Tolkien est une entreprise particulièrement intéressante du point de vue linguistique. Ces langues, bien que plus ou moins abouties, ne permettent cependant pas d’être parlées comme le serait une autre langue (‘vivante’ ou ‘morte‘ d'ailleurs).
Je me suis longtemps (et encore maintenant) interrogée sur l’origine de la création de ces langues par le Pr Tolkien.
Leur création est naturellement reliée à son application à créer un monde virtuel incroyablement complet et détaillé sur le point historique et sur bien d’autres niveaux. Cependant, il serait réducteur de penser que ces langues n’ont été inventées uniquement pour donner plus de contenance et réalisme à cet univers. La motivation du Pr Tolkien en recherche linguistique et création artistique est indéniable.
Je pense que le point sensible du débat repose ici même. Une langue est définie comme un système (éléments vocaux, éventuellement graphiques, signes…) que les individus d'une dite communauté utilisent pour s’exprimer et communiquer entre eux.
La question qui me taraude repose sur l’utilisation d’une telle langue.
Une langue est un outil qui force naturellement l’envie d’être utilisée...
Doit-elle rester uniquement le support de travaux, d’analyses et de création linguistiques, ou peut-elle être considérée comme éventuellement utilisable ?
Je suis consciente que le sujet est plus que vaste. Étant nouvelle sur ce site, je suis dans un premier temps curieuse de connaître l’avis des différents férus en langues de Tolkien sur ce sujet.
Qu’en pensez-vous ?
Calad amen i reniar mi 'aladhremmin ennorath!
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(16.08.2010, 16:40)Celebelleth a écrit : Doit-elle rester uniquement le support de travaux, d’analyses et de création linguistiques, ou peut-elle être considérée comme éventuellement utilisable ?
De ma faible connaissance sur le sujet, je vais quand même donner mon avis. Je pense que les langues de Tolkien sont utilisables, tant qu'on reste dans le cadre des expressions inventées par lui. L'étude et l'analyse permettent alors de comprendre le fond. Mais je pense que c'est un tort si l'étude dérive et commence à recréer des expressions et des mots (ce qu'on range dans les néo-).
What's the point of all this pedantry if you can't get a detail like this right?
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Je n'ai pas beaucoup de connaissances dans le domaine (voire pas du tout), mais l'expérience semble montrer qu'à moins de réciter des phrases existantes, on est obligé de faire de l'approximation et des choix, des choix dont on a aucune garantie que ce seraient ceux de Tolkien. Du coup si on veut parler, on s'éloigne déjà de Tolkien.
On étudie les langues de Tolkien, mais on ne les parle pas, on parlera des "néo-"langues tout au plus basées sur celles de Tolkien. Il faut juste être clair dans ce qu'on fait. Seulement à force de faire de l'un et de l'autre il y a risque de s'y perdre soit-même.
Enfin c'est ma vision personnelle de la chose...
Celebelleth a écrit :Cependant, il serait réducteur de penser que ces langues n’ont été inventées uniquement pour donner plus de contenance et réalisme à cet univers. En effet c'est même plutôt le contraire. L'univers vient après les langues il me semble.
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Je n'ai rien contre les néo-langues, personnellement (elles ne m'intéressent pas, pour tout dire), tant qu'elles sont explicitement présentées comme telles. Tout le monde n'a malheureusement pas cette honnêteté intellectuelle...
The gods forgot they made me, so I forget them too
I listen to the shadows, I play among their graves
(17.08.2010, 11:11)Zelphalya a écrit : Celebelleth a écrit :Cependant, il serait réducteur de penser que ces langues n’ont été inventées uniquement pour donner plus de contenance et réalisme à cet univers. En effet c'est même plutôt le contraire. L'univers vient après les langues il me semble.
L'univers a été créé pour les langues et non l'inverse, effectivement. Tolkien en parle d'ailleurs dans ses lettres, en rappelant le lien entre les langues et leurs textes traditionnels.
(17.08.2010, 20:07)Meneldur a écrit : Tout le monde n'a malheureusement pas cette honnêteté intellectuelle...
Comme tu as raison...
Et certains parmi les plus connus qui se targuent censément de faire la distinction sont de fieffés menteurs...
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En réalité, si l'on lit les articles de Hostetter, de Renk et de Fauskanger, les points de vue sur l'utilisation des langues elfiques sont bien moins éloignés qu'on ne pourrait le croire. Tout étudiant des langues inventées par Tolkien aura un jour où l'autre cherché à les utiliser (y compris Hostetter lui-même, comme il le note par ailleurs), et tout utilisateur potentiel cherchant à exprimer quelque chose de non-évident aura été forcé de les étudier par elles-mêmes pour obtenir quelque chose de compréhensible. Là où les points de vue divergent abruptement est l'état d'esprit qui préside à l'étude ou à l'utilisation. On peut considérer que toute la gamme des possibles est représentée dans le petit monde des lambendili, même si l'on peut être réticent à accorder ce titre à certains d'entre eux.
L'étude des textes peut passer par une décortication minutieuse de chaque élément fourni par Tolkien avec remise dans le contexte contemporain de cet écrit et mise en parallèle des étapes précédentes et suivantes des conceptions de Tolkien sur ses langues inventées. Elle peut dégénérer en une ratatouille d'éléments rapportés sans tenir compte de l'époque à laquelle ils appartiennent ni préoccupation de citer le texte de Tolkien. On peut même observer des monuments de pseudo-érudition qui affectent d'avoir le sérieux d'une étude scientifique tout en déformant sans le dire le texte de Tolkien et en citant sélectivement celui-ci pour le plier à des conceptions simplifiées de ce qu'il devrait être.
Leur utilisation varie elle aussi. On compte ceux qui font une distinction nette entre l'étude scientifique des textes de Tolkien et la préoccupation artistique qui cherche à poursuivre l'inspiration du Professeur. On en voit d'autres pour qui le moindre manuel prêt à l'emploi disponible sur internet vaut parole d'évangile et supplante même les conceptions tolkieniennes authentiques, puisque celles-ci sont trop complexes et de toute façon contradictoires ! Sans parler de ceux qui ont établis leur propre système et clament à cor et à cris qu'il s'agit de la méthode par excellence, y compris pour l'analyse scientifique susmentionnée.
En somme, le maître mot doit être rigueur : dans l'analyse comme dans la distinction entre étude et utilisation. Sans quoi on risque de tomber dans les travers que dénonçait déjà Tolkien, s'indignant contre les gens qui récréaient des étymologies imaginaires pour les mots de ses langues elfiques et estimaient que la proximité sémantique entre un mot elfique et un nom propre du monde primaire permettait de décoder les significations secrètes du SdA : « des broderies inauthentiques sur mon œuvre, n'éclairant que l'état d'esprit de leurs inventeurs et pas le mien ou mon intention et ma méthode. » (Lettre n° 297) Certes, c'est demander beaucoup plus d'efforts à ceux qui désirent se plonger dans l'œuvre linguistique de Tolkien, mais c'est la seule méthode qui permette de rester proche des conceptions de Tolkien et de l'incroyable richesse de sa sous-création.
Tolkien a volontairement bâti des irrégularités dans ses langues inventées pour les rendre similaires à celles du monde réel, façonnées par leur histoire et leurs locuteurs. Peut-on penser qu'il aurait souhaité qu'on simplifie ses inventions à seule fin de les rendre plus simples à apprendre, au risque de les transformer en un code « grossier à l'extême », comme l' animalique inventé par ses cousines dans leurs jeunes années ?
Bibliographie
- Helge Fauskanger, « Tolkien's Not-So-Secret Vice »
- Carl Hostetter, « L'elfique comme elle est parlait »
- ———, « Linguistique tolkienienne, les cinquante premières années », section « Quatrième phase – étudiants et locuteurs, ou elfique et néo-elfique »
- Thorsten Renk, « Ainsi, vous voulez apprendre l'elfique ? »
Rollant est proz e Oliver est sage.
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Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland
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(21.08.2010, 14:38)Elendil a écrit : On peut même observer des monuments de pseudo-érudition qui affectent d'avoir le sérieux d'une étude scientifique tout en déformant sans le dire le texte de Tolkien et en citant sélectivement celui-ci pour le plier à des conceptions simplifiées de ce qu'il devrait être.
N'est-ce pas le B.A.ba des formations artistiques que de faire dire ce qu'on veut à n'importe quel texte ou oeuvre d'art ? (d'ailleurs, ce serait un moindre mal si cette pratique était uniquement cantonnée aux domaines artistiques) Je pense que cette mauvaise habitude a de beaux jours devant elle...
Il me semble qu'au vu du vocabulaire incomplet et des "irrégularités" existantes, il est impossible d'utiliser les langues de Tolkien avec la même rigueur (et d'une certaine manière la même facilité) que les langues vivantes, anciennes, voire mortes. Cependant, cela n'empêche personne de s'en servir de manière occasionnelle et dans un cadre assez limité.
Ensuite, si certains aiment développer ces langues pour les utiliser couramment, il n'y a nul interdit tant que les inventions et approximations sont clairement indiquées.
Je ne crois pas qu'on peut obliger ces langues à rester des supports d'études. Une langue est faite pour être écrite ou parlée. Elle doit être utilisée pour réellement exister. C'est sans doute pour ça que toute personne qui se penche à un moment donné sur l'étude grammaticale, morphologique etc. de ces langues tente un jour de s'en servir.
Personnellement, cela m'énerve de ne pas pouvoir les utiliser au même titre qu'une autre langue, même ancienne. Je n'aime pas l'idée de m'éloigner de ce qui est strictement "Tolkien" et je n'apprécie pas d'être limitée dans mon usage.
(16.08.2010, 16:40)Celebelleth a écrit : Une langue est définie comme un système (éléments vocaux, éventuellement graphiques, signes…) que les individus d'une dite communauté utilisent pour s’exprimer et communiquer entre eux.
Il me semble que cette communauté n'existe pas. Non seulement la langue est fictionnelle, mais elle n'a pas été créée pour être parlée (par opposition, par exemple, à l'esperanto).
A partir de là, c'est une langue mort-née. Car, soit on se cantonne aux écrits de Tolkien et cette langue ne peut être utilisée car elle n'est pas suffisamment développée, soit des individus décident d'utiliser cette langue (et donc forment une communauté) et la langue évolue en s'éloignant de Tolkien.
Or comme il n'y a pas une seule communauté de fans de Tolkien, il y aura obligatoirement plusieurs évolutions d'une même langue. C'est un processus linguistique naturel. Tolkien s'insurgeait (Lettre n° 297 citée par Elendil) contre les amateurs qui faisaient leur cuisine avec ses langues mais c'est inévitable à partir du moment où on ne crée pas une langue en recherchant une cohérence interne mais où on développe une langue pour son utilisation. Un tel développement n'est pas l'affaire de linguistes (sinon, on n'aurait pas tant d'anglicismes en français moderne).
Il est intéressant d' entendre Tolkien lui-même indiquer que s'il était heureux que des gens prennent connaissance de ses langues ou aient du plaisir à les découvrir, il ne souhaitait pas pour autant voir ses langues "couramment" employées, rappelant dans la foulée que "D'une part, bien entendu, l'elfique est trop compliqué.".
Il faut donc bien avoir à l'esprit que ce n'était nullement le souhait de l'auteur, et que chercher à utiliser ces langues en s'orientant vers une forme de néo-elfique c'est, d'une manière ou d'une autre, le fait de tracer des autoroutes en Terre du Milieu, là où des sentiers plus escarpés mais tellement plus pittoresques vous attendent.
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