Note de ce sujet :
  • Moyenne : 0 (0 vote(s))
  • 1
  • 2
  • 3
  • 4
  • 5
L'épreuve *
#1
Une petite histoire façon Jeu de rôle, qui imagine l’initiation d’un magicien fraîchement émoulu de Valinor…
.oOo.
Tiers Age 1107 - Ruines de la forteresse d’Eldanar, à la frontière septentrionale d’Arthedain et Rhudaur.

La bise étirait de lourds nuages au-dessus des âpres Mornelandes. Rôdeur et magicien se glissaient comme des ombres dans le lacis des sous-bois qui avaient envahi les abords de la vieille forteresse.
- Ces ruines ne me plaisent pas, chuchota le rôdeur. L’air n’y vrombit plus du vol des insectes. Les oiseaux les ont désertées. Les arbres sont recroquevillés sur leurs racines torses.

Le vieillard dévisagea son compagnon, l’air préoccupé :
- Vos éclaireurs nous avaient déjà prévenus que des créatures en avaient fait leur antre. Que suspectez-vous, Celepharn (1) ?
- Je ne sais pas… Cette maçonnerie se désagrège comme sous l’effet d’une maladie. Les pierres qui s’en détachent tombent assourdies au fond des ravins, dérangeant des choses sombres. Il plane un avertissement silencieux qui oppresse mon cœur. Mithrandir, il règne là une malice qui dépasse la perversité des orques et la brutalité des trolls.
- Je ressens moi aussi une malveillance aux aguets. Mon ami, il me faut démasquer le pouvoir tapi au fond de ces oubliettes.
- Je vous accompagne !
- N’insistez pas. J’ai promis au roi que l’héritier du trône ne prendrait pas de risque inconsidéré. Attendez-moi une heure. Passé ce délai, si je ne suis pas ressorti, rapportez la nouvelle à votre père puis revenez en force.

Une poutre vermoulue, dernier vestige du pont-levis effondré, enjambait les douves, dont la surface noire et huileuse se crevait parfois de bulles nauséabondes. Le magicien s’y glissa prudemment, marquant un temps d’arrêt devant la herse abaissée. Puis, avisant une poterne à mi-hauteur de la muraille sur sa gauche, il y grimpa en s’aidant des hourds (2) écroulés et disparut par l’ouverture béante.
.oOo.
A suivre...
.oOo.
Notes
(1) Celepharn était le fils de Mallor d'Arthedain. Il monta sur le trône de l'Arthedain en 1110. Il est mis en scène ici, comme le premier capitaine ayant institué le corps des rodeurs du roi, chargé de garder les frontières septentrionales contre les créatures mauvaises qui commençaient à s’y multiplier.
(2) Charpente en encorbellement au sommet d'une tour ou d'une muraille.
Répondre
#2
J'aime beaucoup, j'ai hâte de lire la suite.
Répondre
#3
Merci Widor !

.oOo.
C’était là. Le cul-de-basse-fosse était obstrué par une lourde porte, installée récemment et à la hâte.

La luciole fidèle qui tremblotait à l’extrémité du bâton du magicien, semblait à présent étouffer sous des nuages de spores noires qui s’élevaient des murs moisis. D’un coup de son épée, le magicien brisa la chaîne qui retenait les battants de chêne clouté. La porte s’ouvrit lentement, semblant bailler sur le vide primordial du monde.

Au cœur de la noirceur, surgissant de l'abîme, deux orbites s'ouvrirent. Impérieuses, deux lueurs ternes le regardaient, sans ciller. Dans un silence absolu, une onde de malveillance déferla sur le magicien, dardée par les prunelles avides et cruelles sur la forme mortelle indésirable en ces lieux.

Ainsi Gandalf avait débusqué l’abomination dans son repère… Il hésita, reculant d’un pas et sondant l’intense regard obnubilé par la haine. Ses sens aux aguets n’y relevaient rien de ce qui nourrissait d’ordinaire son empathie pour les êtres en Terre du Milieu : le courage s’y était mué en instinct de destruction, le désir aboli en frustration vengeresse, et la pitié bannie de cette âpre présence à l’humanité desséchée.

Gandalf doutait. Cette ombre de terreur remâchait sa rancœur au long des siècles, avide d’assouvir sa faim en réduisant toute vie au néant. Etait-ce là une goule, un spectre, un esprit servant de l’Anneau ? Le magicien avait mandat pour s’opposer à lui, mais en aurait-il la force ? Quels pouvoirs surhumains cette haine incarnée en ombre avait-elle distillés dans son repère ?

La peur.
D’abord la peur, fille de mensonge et mère de lâcheté. La peur avait été l’arme maîtresse de Sauron et avant lui Morgoth. La peur paralysait les membres et gangrenait l’esprit, isolait les meneurs et asservissait les peuples.

Mais la peur n’habitait pas le magicien. La flamme du courage illuminait son âme altruiste, mussée aux fibres du vaisseau humain qu’on lui avait assigné pour arpenter la Terre du Milieu. La peur ne s’était pas encore installée dans sa chair empruntée, n’avait pas gagné son esprit trop acéré, même assujetti à ce corps de vieillard.
Mais il eût mieux valu pour lui !

Sectateur prosterné devant Sauron depuis les âges sombres, cette âme damnée avait étudié les arts noirs sous sa férule. Il était déjà trop tard lorsque le magicien se rendit compte qu’il ne pouvait plus proférer un son.

Une glaise méphitique semblait obstruer la gorge de Gandalf, qui brûlait d’un feu glacé et l’empêchait d’invoquer la flamme d’Anor. Plus il tentait de s’en débarrasser, plus il sentait s’épaissir cette gangue abjecte.

Alors les yeux s'avancèrent, enchâssés sous leur sombre capuchon, se repaissant du hurlement silencieux de la victime en leur pouvoir. Des choses immondes remuèrent dans les recoins, poilues et visqueuses, anticipant un festin.

Une haute forme sombre dominait à présent la silhouette recroquevillée du magicien. L’étouffement qui gagnait le Gris consumait ses sens. Perçant son cœur d'une lance de glace, une force implacable enveloppait à présent ses membres, tétanisant sa volonté. Son corps mortel - celui d’un vieillard alerte, fort comme les racines et vif comme le cerf – palpitait de sang rouge asphyxié, empoisonné par les maléfices de son ennemi. Son esprit sagace, privé du verbe, paniquait à présent et hurlait sa détresse au bord du néant, dans la cage de ce corps impuissant. L’exigence furieuse de la vie lui battait sourdement aux tempes, rejetant dans les limbes les sages prescriptions des Valar et jusqu’à la conscience de sa vraie nature.

Lentement, le spectre révéla un coutelas de sous les pans de son manteau noir. La lame terne et longue était ciselée comme un assemblage d'éclats mortels, prêts à se briser dans la blessure et tourmenter la victime jusqu'à la folie.
.oOo.
A suivre...
Répondre
#4
.oOo.
Soudain une torche jeta de brèves lueurs fauves sur les murailles grises.
- "Mithrandir, je suis avec vous !"

A l'entrée de la salle souterraine, sous les voûtes, s'avançait la silhouette de Celepharn, brandissant un espoir ténu.

Les deux flammes froides étincelèrent un instant sous le capuchon du spectre, qui se tourna vers le nouvel intrus.

Libéré de son emprise, le magicien s'effondra, haletant. Longuement, avec avidité, sa gorge brûlante inspira l'air vicié.

Le spectre étendit le bras, pointant son poignard dans la direction de Celepharn. Une chape morbide tomba sur le prince, comme sa torche s'éteignait brusquement dans un souffle glacial. Mais le descendant d’Elendil, mû par un courage régal ou un pouvoir hérité de l’Ouïstrenesse, s’élança en avant :
- "Arthedain !", hurla le rôdeur, dégainant sa lame et chargeant son ennemi.

L'espace d'un éclair, Gandalf entrevit le pire - Celepharn réduit à merci dans les catacombes de l'ennemi, lentement perverti en momie asservie à garder l'antre de son maître. La lignée d'Isildur brisée et les royaumes Dunedain du Nord précipités dans l'anarchie.

En effet, de toutes parts, des vagues de rats assaillaient le prince trahi par son élan, tandis que, devant le magicien à terre, le spectre ourdissait quelque malédiction.

Non ! Ce fils de l'Ouest déchu ne tomberait pas ! Son squelette ne dessécherait pas, esclave d’une goule, abandonné dans un immonde cul-de-basse-fosse!
Gandalf se redressa péniblement, cherchant dans la pénombre son bâton gisant dans la vermine.

Déjà le prince reculait, étouffant sous l'assaut grouillant des répugnants rongeurs.

Alors Gandalf, pressé par l'urgence, lança une injonction de sa voix altérée. Encore à genoux, il frappa le sol de son bâton en invoquant Elbereth.

Des silhouettes d'elfes riant sous les étoiles coururent furtivement sur la voûte. Des rameaux lumineux y fleurirent un instant sous le regard des dieux, entre les ogives, qui cédèrent enfin.
Dans un grand fracas, des blocs de maçonnerie s'abattirent sur le pavé souillé de la crypte, ensevelissant le spectre sous de lourds gravats.

Mais plus terribles encore lui furent la claire lumière du jour ainsi dévoilée, et l'évocation d'Elentari, perçant l'obscurité au cœur et dispersant poisons et sortilèges.

Débarrassé des abjectes grappes de rats, qui se débandaient à présent, le prince s'avança.

La clé de voûte s’était abattue sur le spectre qui avait disparu, abandonnant les lambeaux de sa longue bure noire.

Mais l’éboulement obstruait la salle ; Celepharn bloqué ne put rejoindre le vieillard, certainement enseveli sous les monceaux de gravats.

Le Prince appela, en vain. Les ruines étaient figées dans le silence de la mort.
.oOo.
A suivre...
Répondre
#5
Magnifique ! Quelques réminiscences de Dol Guldur, mais l'histoire est rafraîchissante
Répondre
#6
Superbe texte, c'est un régal de le lire (une erreur peut-être ? "Arthedain !, hurla le rôdeur" il me semble que les rôdeurs n'existent pas encore à cette époque, Celepharn est soit le roi d'Arthedain soit l'héritier du trône selon l'époque où se situe le récit).
Répondre
#7
Merci Dwain et Widor ! Voilà des lecteurs attentifs !

L'origine des rôdeurs... Hé bien il se trouve, comme dirait Gandalf, que j'ai accordé une petite pensée à ce sujet. Smile

Celepharn était le fils de Mallor d'Arthedain. Il monta sur le trône de l'Arthedain en 1110. Il est mis en scène ici, comme le premier capitaine ayant institué le corps des rodeurs du roi, chargé de garder les frontières septentrionales contre les créatures mauvaises qui commençaient à s’y multiplier.

Je ne peux pas croire que les rôdeurs après Arvedui se soient constitués par génération spontanée; il leur aura fallu une longue tradition de la guerre d'embuscade. Personnellement, je la fais remonter à l'apparition des premiers troubles (vers l'an TA 1000), ces mêmes résurgences de l'ombre qui conduisirent à l'envoi des magiciens.
Répondre
#8
Hello,

Je suis assez d'accord avec Widor : j'ai toujours considéré que l'émergence des rôdeurs (en tant qu'institution si l'on peut dire) dataient d'après la chute de l'Arthedain (1975) mais je ne sais pas si quelque chose est attesté à ce sujet. Il y a quand même un aspect de "discrétion" chez les rôdeurs qui n'a pas lieu d'être tant qu'il existe un royaume dans le nord.

Un individu peut être considéré comme un rôdeur au sens premier du terme mais je trouve ça quand même bizarre pour un prince j'avoue.

J'aime beaucoup l'utilisation d'Eldanar (qui me rappelle beaucoup de souvenirs) mais j'imagine qu'assez peu de monde ici connaissait cet avant-poste avant de lire ton texte Mr. Green
Répondre
#9
(28.05.2018, 21:47)Chiara Cadrich a écrit : Merci Dwain et Widor ! Voilà des lecteurs attentifs !

L'origine des rôdeurs... Hé bien il se trouve, comme dirait Gandalf, que j'ai accordé une petite pensée à ce sujet. Smile

Celepharn était le fils de Mallor d'Arthedain. Il monta sur le trône de l'Arthedain en 1110. Il est mis en scène ici, comme le premier capitaine ayant institué le corps des rodeurs du roi, chargé de garder les frontières septentrionales contre les créatures mauvaises qui commençaient à s’y multiplier.

Je ne peux pas croire que les rôdeurs après Arvedui se soient constitués par génération spontanée; il leur aura fallu une longue tradition de la guerre d'embuscade. Personnellement, je la fais remonter à l'apparition des premiers troubles (vers l'an TA 1000), ces mêmes résurgences de l'ombre qui conduisirent à l'envoi des magiciens.

On peut en effet imaginer (c'est même probable) la création d'une compagnie à l'image des archers de l'Ithilien dans le Seigneur des Anneaux.
Répondre
#10
En 1000 les premiers troubles viennent plutôt de Mirkwood méridionale je dirais, non ?... Angmar est fondé vers 1300. (Eldanar est pris par Angmar en 1325 d'après ICE)

Je trouve qu'il y a donc un petit anachronisme dans ton récit ^^

Pour moi les rôdeurs pourraient éventuellement exister sous forme embryonnaire (mais pas royales) après 1409 ou après 1635 mais pas trop tant que les trois royaumes frères sont debout.
Répondre
#11
Assez d'accord avec Irwin et Widor... l'emploi du terme rôdeur est problématique.

Normalement, il ne faut pas confondre la Compagnie des Rangers d'Ithilien, véritable structure militaire, avec "les Rangers du Nord" qui sont tout ce qui reste des Dùnedain du Nord. Il y a une forte charge symbolique autour de l'état de rôdeur, le fait d'être privé de sa patrie et de n'être que les derniers d'un peuple, qu'on retrouve particulièrement chez les Rôdeurs du Nord mais aussi ceux d'Ithilien dont le pays est ravagé par la guerre.
Répondre
#12
Bonsoir à tous !

Vos arguments donnent à réfléchir.

Les rangers d'Ithilien sont hors course sur ce coup-ci. Je comprends bien la symbolique du guerrier contraint à l'anonymat sur les terres de ses ancêtres. Le Silmarillion en est plein lui aussi. Mais cela ne résout pas notre problématique.

Le besoin de protéger les frontières septentrionales d'Arthedain est à situer entre sa création (861) et celle d'Angmar (vers 1300). Rhudaur tombe graduellement sous influence, si bien que dès 1350, la guerre est ouverte. Cela induit qu'il y a eu une influence, que l'on peut imaginer un peu antérieure à 1300.

Nous devons supposer que les rois d'Arthedain ne sont pas plus idiots que nos militaires et se préparent (d'ailleurs au lieu de nos satellites, ils avaient le palantir d'Amon Sûl Smile ). Un corps de guerriers d'élite, peu nombreux, mobiles, camouflés et autonomes (nos "forces spéciales" d'aujourd'hui), dépendant de la couronne et au périmètre d'action couvrant un grand arc des rives de la Mitheithel à la baie de Forochel, en passant par les landes d'Etten, est parfaitement vraisemblable. Que ce corps perdure jusquà la chute d'Arthedain est naturel, et encore plus qu'il alimente la vision des rôdeurs.

Donc à quel Roi en attribuer le mérite ? Je peux vous accorder le souverain régnant vers 1200, mais pas plus tard. Et donc je crois que je vais devoir laisser Eldanar indemne pour cette fois, si ICE situe sa chute bien plus tard ! Ne voyez pas nécessairement dans ce spectre l'un des Ulairi. Je l'ai soigneusement laissé dans l'ombre - ah ah ! Il y a bien des horreurs en ce vaste monde - ICE en invente d'ailleurs de nombreuses dans le Nord-Rhudaur...
En outre, j'avais besoin d'un candidat vivant peu après l'arrivée de Gandalf (entre 1000 et 1050), pour justifier l'inexpérience de ce dernier.

Quant au terme rôdeur/ranger, je l'aime bien. L'espèce d'ordre mystico-militaire créé pour faire perdurer la lignée d'Isildur doit avoir un nom. Et celui-là m'accompagne depuis mes 13 ans...

Mais je note que rien ne vaut une suspicion de coup de canif à la cohérence du legendarium pour vous faire réagir. Very Happy
Cela aussi donne à réfléchir au marqueteur qui sommeille en moi...

Bon c'est pas tout ça, mais ils sont en mauvaise posture, alors il faut que je finisse la suite…
Répondre
#13
La question géostratégique me semble plutôt pertinente, ou je n'ai pas grand chose à y redire (ça me rappelle les créations de profil warhammer).

La question pour moi est l'emploi du terme rôdeur, qui n'est pas à utiliser n'importe comment, d'où le rappel qu'il n'existe qu'en Ithilien et en Arnor dans des conditions spécifiques de perte d'un territoire.

(30.05.2018, 19:25)Chiara Cadrich a écrit : Que ce corps perdure jusquà la chute d'Arthedain est naturel, et encore plus qu'il alimente la vision des rôdeurs.
Citation :Quant au terme rôdeur/ranger, je l'aime bien. L'espèce d'ordre mystico-militaire créé pour faire perdurer la lignée d'Isildur doit avoir un nom. Et celui-là m'accompagne depuis mes 13 ans...

C'est donc là où je ne suis pas d'accord. Les rôdeurs tolkieniens apparaissent nécessairement du fait d'un état d'errance, et il ne peut y avoir de vraie continuité entre une "garde des frontières" sous l'Arnor et les Rangers de la fin du Troisième Âge, car leur sens est profondément différent.

Mais je n'ai rien contre ce type de garde, nommé autrement ! Smile
Répondre
#14
L'idée de terre perdue ne me parait pas attachée intrinsèquement au nom. Les "rangers" ont une longue histoire militaire en Grande-Bretagne. Pendant la guerre de 7 ans en Amérique du Nord (disons les guerres indiennes), les tactiques de guérilla des "coureurs des bois" français et de leurs alliés indiens ont conduit les autorités britanniques à recruter des colons localement (New England Frontiersmen) et de les organiser en bandes armées. Plusieurs se sont illustrées et sont devenues des unités redoutées, telles les Rogers Rangers. D'autres troupes similaires comme les Queens Rangers sévirent ensuite pendant la guerre d'indépendance des US. Plus tard, ce terme a été adopté par diverses régions du commonwealth ou des US (Texas Rangers), pour désigner les forces mobiles. Il s'agit bien de "forces spéciales", dans un contexte de zones de grandes tailles et peu peuplées. Leur recrutement a lieu proche des théâtres d'opération, que ce soit pour conserver le territoire ou harceler l'ennemi qui l'occupe.

L'idée de terre perdue est bien sûr attachée à l'Arnor et à l'Ithilien, que les rangers de Tolkien arpentent (puisque c'est l'expression au goût du jour). Mais l'idée d'errance, certes romantique (tous ceux qui errent ne sont pas perdus...), ne tient pas militairement (de surcroit, sur 1000 ans dans les 2 cas !) :

- Les rangers d'Ithilien sont une tête de pont maintenue secrète et renouvelée à partir de Gondor tout proche. Le romantisme est d'y enrôler les descendant des réfugiés d'Ithilien.

- Les rangers d'Arnor, véritable caste de milice noble, sont impensables sans des racines profondes dans une population durablement suffisante. Le romantisme est cette profession de foi de 1000 ans des Dunedain. Je réfute le schéma selon lequel Eriador est pratiquement désert (comme cela peut apparaître à la lecture du SdA à la fin du 3ème âge) : largement dépeuplé d'accord, mais il faut des bases arrières nombreuses et protégées ainsi que des "centres spécialisés" pour produire et soutenir une force d'élite. Il faut en outre que cette force assure sa propre succession et un haut niveau de formation pour maintenir sa culture, son idéal, ses capacités civiles autant que militaires.

En conclusion, j'adhère assez à l'idée d'un terme spécifique pour désigner l'ordre militaro-mystique des Dunedain d'Arnor. Mais je ne pourrais pas utiliser le même que pour les francs-tireurs d'Ithilien, pour les raisons culturelles et tactiques ci-dessus.

S'il faut trouver une vraiment bonne traduction de "rangers tolkiennien", qui s'écarte des connotations anglaises historiques avec leur cortège de cruautés (coureur des bois ?), évoquent le romantisme de la terre (partiellement) perdue mais sans l'errance qui renie toute vraisemblance, il me faut chercher encore...
Mais en l'état, "Rôdeur" ne me parait pas respecter ces contraintes... et donc convenir à mon corps d'éclaireurs.

Tiens ! Eclaireurs ?

Bon, pendant ce temps là, l'histoire n'avance pas...
Mais ce genre de discussion donne des idées de scénario.
Répondre
#15
(30.05.2018, 23:40)Chiara Cadrich a écrit : - Les rangers d'Arnor, véritable caste de milice noble, sont impensables sans des racines profondes dans une population durablement suffisante. Le romantisme est cette profession de foi de 1000 ans des Dunedain. Je réfute le schéma selon lequel Eriador est pratiquement désert (comme cela peut apparaître à la lecture du SdA à la fin du 3ème âge) : largement dépeuplé d'accord, mais il faut des bases arrières nombreuses et protégées ainsi que des "centres spécialisés" pour produire et soutenir une force d'élite. Il faut en outre que cette force assure sa propre succession et un haut niveau de formation pour maintenir sa culture, son idéal, ses capacités civiles autant que militaires.

Je ne sais pas car on a très peu d'indications sur l'Arnor. Mais on sait que les Dùnedain étaient un peuple errant, vivant caché, ayant peu de capacités autant culturelles que militaires :

Citation :When the kingdom ended the Dunedain passed into the shadows and became a secret and wandering people, and their deeds and labours were seldom sung or recorded.

App. A.

Je pense qu'il est difficile de parler d'une "unité d'élite", et qu'elle soit dans la continuité d'une unité créée par l'Arnor.

Mais une garde ayant un autre nom a pu exister sans nul problème pour moi Smile

Pour donner une comparaison, les "résistants des maquis" (mots très marqués) n'ont pas eu besoin d'être anticipés par une garde du même type (et appelée pareil) dans les décennies précédentes.
Répondre
#16
Je tombe des nues en réalisant que Tolkien utilisait le terme de rangers en vo pour rôdeurs ! Ranger pour moi était attaché à mes débuts en jeu de rôle avec AD&D et rôdeur a eu de plus en plus une connotation romantique "tout ceux qui errent ne sont pas perdus".
J'imagine que pour le lecteur anglophone ça évoque tout de suite quelque chose de militaire (les rangers du Texas). Le lecteur francophone n'a pas cela; je trouve que c'est un avantage: on voit très vite dans l'action qu' Aragorn a une formation martiale et le terme apporte plutôt un côté mystérieux.
Qu'en pensez vous ?
La lumière n'indique pas le bout du tunnel, c'est la lanterne de celui qui comme toi, cherche à sortir.
Répondre
#17
Je crois que "ranger" désigne celui qui parcourt un territoire particulier, autant à la façon d'un garde forestier ou des montagnes qu'à celle d'un militaire : https://en.oxforddictionaries.com/definition/ranger ; https://www.etymonline.com/word/ranger
Répondre
#18
Le plus étonnant est Tolkien n'a pas trouvé, pour désigner des personnages si importants que ces Dunedain, un autre terme que ce barbarisme importé par les envahisseurs normands! Wink
Dorées les feuilles tombent, mais le rêve se poursuit
Là où l'espoir demeure, les eaux chantent sous la nuit
Répondre
#19
J'ai un peu perdu le fil, mais tout cela est très intéressant ! Very Happy
Nous butons assez souvent sur des difficultés de traduction, avec des connotations culturelles...
C'est décidé, je vais écrire des nouvelles sur les labeurs des Dunedain d'Arnor. Et je tâcherai de vous montrer qu'un groupe, aussi exalté soit-il, ne peut survivre culturellement pendant plus d'un millénaire et en gardant intact son idéal, sans une organisation quasi-monastique, qui cultive toutes les qualités d'une haute civilisation. Après tout, les Dunedain sont l'élite.

En attendant ces instants que je savoure d'avance, voici la suite de ma petite marotte, qui avait pour seul but de vous parler… de la mort.
C'est parti.


.oOo.
D’un coup la rumeur du monde s’évanouit autour de Gandalf. Le tumulte de son âme s’apaisait à mesure que se retirait la douleur et s’achevaient ses convulsions. Affranchi du rythme furieux et syncopé du souffle, son esprit regagnait son emprise sur lui-même. Libéré des cadences tyranniques de la chair, son cœur écartait le doute et revenait à sa source. Curieusement, quelques souvenirs des Terres du Milieu défilèrent devant lui, tout à tour insignifiants ou marquants.

Une aube radieuse auréolait l’âme légère d’Olorin qui étendait ses ailes pour la rejoindre et s’y confondre. A mesure que s’élevait son esprit, les vanités de l’existence terrestre, attachantes et dérisoires manies incarnées, s’étiolaient dans la lumière de l’ouest.

Pourtant Olorin ne parvenait pas à prendre son envol. Quelque chose d’étrange, un regret trouble le retenait au chevet de la dépouille de Gandalf. Un goût d’inaccompli nourrissait sa répugnance à quitter ce corps irradiant encore de chaleur, compagnon des joies et des doutes. Sa dépendance envers Arda avait crû en lui, le besoin avait fleuri de se réaliser sous cette forme, vaisseau palpitant de sa vie en Terre du Milieu, de marquer la mémoire du monde avant d’être oublié, sans attendre les lueurs d’un destin trop lointain.

Les impressions humaines l’avaient baigné de douces ivresses et taraudé de lancinantes douleurs. Les sentiments contradictoires éveillés ici-bas s’entremêlaient subtilement dans cette vie humaine qui filait si rapidement. Ses sens avaient peu à peu obnubilé sa connaissance antérieure, marquant ses sentiments d’un sceau charnel. La médiation de la chair l'avait libéré de bien des choses qu’il avait crues essentielles, et enchaîné à d'autres, à présent viscérales.

Gandalf avait goûté la complicité des regards, les soirs de fête à Fornost Erain, sous la fragile lueur des étoiles. Il avait partagé l’espoir et la fraternité des veillées d’arme, avec des hommes modestes et fiers. Il avait prêché courage et bienveillance aux foyers des peuples libres, ressentant une curieuse affinité pour leurs grandeurs et leurs faiblesses.

Non, il n’en avait pas fini avec cette vie. Ses souvenirs tendres et doux-amer puisaient leur beauté dans l’éphémère – dans l’incertain et la persévérance. Accroché à l’épave de son corps terrestre, Gandalf s’accorda à lui-même, avec une étrange humanité, de renoncer aux fastes de l’Ouest, et de gagner sa renaissance en Terre du Milieu.

Il plongea dans la douleur.
.oOo.
A suivre...
Répondre
#20
.oOo.
Le Prince avait rameuté ses troupes et fouillé les ruines, forcé les catacombes d’Eldanar, et purifié par le feu les horreurs qu'il y avait débusquées.

Ses preux n'avaient pas retrouvé le corps du magicien.

Mais en dépit de toute logique, Celepharn n'était pas en deuil.
Le matin radieux, le ramage des alouettes et la glorieuse floraison qui avaient regagné les ruines perdues d'Eldanar, lui chantaient que le magicien s'en était tiré, après tout.

Le Prince en était sûr, le vieux pèlerin bourru reparaîtrait un jour pour rappeler aux hommes que le mal ne dort point, et raviverait la flamme de la dignité et du courage. Son ami nourrissait un espoir tout particulier pour la lignée d'Isildur. Jamais il ne les abandonnerait.

Et peut-être même, Gandalf, qui avait à présent vécu défaillance, peur et souffrance, se montrerait-il plus indulgent, plus persévérant, par la grâce de l’espoir et de l’amour qui, chez les humains, compensent les épreuves.

Et sans doute serait-il aussi un peu plus prudent…
.oOo.
Fin !
Répondre
#21
Une suite, sitôplé \o/

C'est très bon mais trop court Mr. Green
Répondre
#22
Merci Dwain !

Il y aura d'autres sujets autour des frontières du nord.

Mais justement, voici un appel à candidature : qui a une idée pour un site (pas forcément un château) situé aux confins septentrionaux d'Arnor/Arthedain ? Il s'agit de remplacer Eldanar…

Le site aurait été défriché par un émigré de Nùmenor fuyant les sévices des hommes du Roi. Venait-il chercher les solitudes rappelant l'âpreté du Forostar ? Interrogeait-il les étoiles depuis sa tour isolée ? Cherchait-il les vérités alchimiques au fond d'un chaudron d'un "Tainted Adan" ? Est-ce son descendant qui est devenu ce spectre peu recommandable ?

A votre bon cœur...
Répondre
#23
Un site fictif ? J'aurais tenté, si mon sindarin est correct, Gilgalen, le champ des étoiles (c'est-à-dire Compostelle, dont l'histoire rappelle aussi un exil).
Répondre
#24
Bonne idée ! Je me demande s'il ne faut pas rendre le pluriel par Giliath ?
Une étendue de toundra non-loin des forêts de sapin, à mi-chemin entre Forochel et Carn Dûm, où la voûte étoilée serait si claire que le mage n'aurait pas résisté.
Répondre
#25
Je n'ai pas encore pris le temps de lire les deux derniers épisodes et je reviens à la discussion technique sur le terme ranger. Il est finallement bien à sa place, car il s'agit du mot avec lequel les gens de Bree désignent ces gens bizarres que sont les Dunedain ("The Bree-folk called them Rangers" SdA L1 IX). Gandalf et Aragorn qui sont des habitués du coin emploient donc eux aussi ce mot, ainsi que Frodon et Merry les rédacteurs du Livre rouge.
La lumière n'indique pas le bout du tunnel, c'est la lanterne de celui qui comme toi, cherche à sortir.
Répondre
#26
Bon voilà, j'ai suivi vos conseils en remaniant cette petite nouvelle.
La nuit (étoilée!) portant conseil, j'ai aussi changé le titre.

Pour ce qui est des arguments échangés concernant les rôdeurs, je retiens que :
- il y a décidément des difficultés avec les associations d'idées autour de "Ranger" et "Rôdeur", même si le stereotype Jeu-de-rôlistique né de l'Archétype Strider s'est imposé à nous jusqu'ici.
- la sémantique du gardien itinérant, exilé sur sa propre terre, exige - pour les plus romantiques d'entre nous Very Happy -que la terre en question ait dû être abandonnée.
- la génèse des rôdeurs en tant qu'organisation durable induit des interprétations très larges.

De mon point de vue, c'est tant mieux !

Merci à Tikidiki pour sa contribution !

.oOo.

La mort dans l’âme

.oOo.
Tiers Age 1107 - Ruines de la forteresse de Gilgalen (1), à la frontière septentrionale d’Arthedain.

La bise étirait d’âpres nuages au-dessus des Mornelandes. Dunadan et magicien se glissaient comme des ombres dans le lacis des sous-bois qui avaient envahi les abords de la vieille forteresse.
- Ces ruines ne me plaisent pas, chuchota le Dunadan. L’air n’y vrombit plus du vol des insectes. Les oiseaux les ont désertées. Les arbres sont recroquevillés sur leurs racines torses.

Le vieillard dévisagea son compagnon, l’air préoccupé :
- Vos éclaireurs nous avaient déjà prévenus que des créatures en avaient fait leur antre. Que suspectez-vous, Celepharn ? (2)
- Je ne sais pas… Cette maçonnerie se désagrège comme sous l’effet d’une maladie. Les pierres qui s’en détachent tombent assourdies au fond des ravins, dérangeant des choses sombres. Il plane un avertissement silencieux qui oppresse mon cœur. Mithrandir, il règne là une malice qui dépasse la perversité des orques et la brutalité des trolls.
- Je ressens moi aussi une malveillance aux aguets. Mon ami, il me faut démasquer le pouvoir tapi au fond de ces oubliettes.
- Je vous accompagne !
- N’insistez pas. J’ai promis au roi que l’héritier du trône ne prendrait pas de risque inconsidéré. Attendez-moi une heure. Passé ce délai, si je ne suis pas ressorti, partez rameuter vos forces puis revenez investir les lieux.

Une poutre vermoulue, dernier vestige du pont-levis effondré, enjambait les douves, dont la surface noire et huileuse se crevait parfois de bulles nauséabondes. Le magicien s’y glissa prudemment, marquant un temps d’arrêt devant la herse abaissée. Puis, avisant une poterne à mi-hauteur de la muraille sur sa gauche, il y grimpa en s’aidant des hourds (3) écroulés et disparut par l’ouverture béante.

.oOo.

C’était là. Le cul-de-basse-fosse était obstrué par une lourde porte, installée récemment et à la hâte.

La luciole fidèle qui tremblotait à l’extrémité du bâton du magicien, semblait à présent étouffer sous des nuages de spores noires qui s’élevaient des murs moisis. D’un coup de son épée, le magicien brisa la chaîne qui retenait les battants de chêne clouté. La porte s’ouvrit lentement, semblant bailler sur le vide primordial du monde.

Au cœur de la noirceur, surgissant de l'abîme, deux orbites s'ouvrirent. Impérieuses, deux lueurs ternes le regardaient, sans ciller. Dans un silence absolu, une onde de malveillance déferla sur le magicien, dardée par les prunelles avides et cruelles sur la forme mortelle indésirable en ces lieux.

Ainsi Gandalf avait débusqué l’abomination dans son repère… Il hésita, reculant d’un pas et sondant l’intense regard obnubilé par la haine. Ses sens aux aguets n’y relevaient rien de ce qui nourrissait d’ordinaire son empathie pour les êtres en Terre du Milieu : le courage s’y était mué en instinct de destruction, le désir aboli en frustration vengeresse, et la pitié bannie de cette âpre présence à l’humanité desséchée.

Gandalf doutait. Cette ombre de terreur remâchait sa rancœur au long des siècles, avide d’assouvir sa faim en réduisant toute vie au néant. Etait-ce là une goule, un spectre, un esprit servant de l’Anneau ? Le magicien avait mandat pour s’opposer à lui, mais en aurait-il la force ? Quels sortilèges cette haine incarnée en ombre avait-elle tissés dans son repère ? Quels pouvoirs surhumains avait-elle acquis, à distiller sans fin le fiel de son aigreur envers les hommes ?

La peur.

D’abord la peur, fille de mensonge et mère de lâcheté. La peur avait été l’arme maîtresse des Seigneurs des Ténèbres avant leur bannissement. La peur paralysait les membres et gangrenait l’esprit, isolait les meneurs et asservissait les peuples.

Mais la peur n’habitait pas le magicien. La flamme du courage illuminait son âme altruiste, mussée aux fibres du vaisseau humain qu’on lui avait assigné pour sillonner la Terre du Milieu. La peur ne s’était pas encore installée dans sa chair empruntée, n’avait pas gagné son esprit trop acéré, même assujetti à ce corps de vieillard.

Mais il eût mieux valu pour lui !

Sectateur prosterné devant Sauron depuis les âges sombres, l’âme damnée qui se tenait devant lui avait étudié les arts noirs sous sa férule. Il était déjà trop tard lorsque le magicien se rendit compte qu’il ne pouvait plus proférer un son.

Une glaise méphitique semblait obstruer la gorge de Gandalf, qui brûlait d’un feu glacé et l’empêchait d’invoquer la flamme d’Anor. Plus il tentait de s’en défaire, plus il sentait s’épaissir cette gangue abjecte.

Alors les yeux s'avancèrent, enchâssés sous leur sombre capuchon, se repaissant du hurlement silencieux de cette victime en leur pouvoir. Des choses immondes remuèrent dans les recoins, poilues et visqueuses, anticipant un festin.

Une haute forme sombre dominait à présent la silhouette recroquevillée du magicien. L’étouffement qui gagnait le Gris consumait ses sens. Perçant son cœur d'une lance de glace, une force implacable enveloppait à présent ses membres, tétanisant sa volonté.
Son corps mortel - celui d’un vieillard alerte, coriace comme la souche et vif comme le cerf – palpitait de sang rouge asphyxié, empoisonné par les maléfices de son ennemi. Son esprit sagace, privé du verbe, paniquait à présent et hurlait sa détresse au bord du néant, dans la cage de ce corps impuissant. L’exigence furieuse de la vie lui battait sourdement aux tempes, rejetant dans les limbes les sages prescriptions des Valar et jusqu’à la conscience de sa vraie nature.

Lentement, le spectre révéla un coutelas de sous les pans de son manteau noir. La lame terne et longue était ciselée comme un assemblage d'éclats mortels, prêts à se briser dans la blessure et tourmenter la victime jusqu'à la folie.

.oOo.

Soudain une torche jeta de brèves lueurs fauves sur les murailles grises.
- Mithrandir, je suis avec vous !

A l'entrée de la salle souterraine, sous les voûtes, s'avançait la silhouette de Celepharn, brandissant un espoir ténu.

Les deux flammes froides étincelèrent un instant sous le capuchon du spectre, qui se tourna vers le nouvel intrus.

Libéré de son emprise, le magicien s'effondra, haletant. Longuement, avec avidité, sa gorge brûlante inspira l'air vicié.

Le spectre étendit le bras, pointant son poignard dans la direction de Celepharn. Une chape morbide tomba sur le Prince, comme sa torche s'éteignait brusquement dans un souffle glacial. Mais le descendant d’Elendil, mû par un courage régal ou un pouvoir hérité de l’Ouïstrenesse, s’élança en avant :
- Arthedain !, hurla le Prince, dégainant sa lame et chargeant son ennemi.

L'espace d'un éclair, Gandalf entrevit le pire - Celepharn réduit à merci dans les catacombes de l'ennemi, lentement perverti en momie asservie à garder l'antre de son maître. La lignée d'Isildur brisée et les royaumes Dunedain du Nord précipités dans l'anarchie.

En effet, de toutes parts, des vagues de rats assaillaient le Prince trahi par son élan, tandis que, devant le magicien à terre, le spectre ourdissait quelque malédiction.

Non ! Ce fils de l'Ouest déchu ne tomberait pas ! Son squelette ne dessécherait pas, esclave d’une goule, abandonné dans un immonde cul-de-basse-fosse!

Gandalf se redressa péniblement, cherchant dans la pénombre son bâton gisant dans la vermine.

Déjà le Prince reculait, étouffant sous l'assaut grouillant des répugnants rongeurs.

Alors Gandalf, pressé par l'urgence, lança une injonction de sa voix altérée. Encore à genoux, il frappa le sol de son bâton en invoquant Elbereth.

Des silhouettes d'elfes riant sous les étoiles coururent furtivement sur la voûte. Des rameaux lumineux y fleurirent un instant sous le regard des dieux, entre les ogives, qui cédèrent brutalement.

Dans un grand fracas, des blocs de maçonnerie s'abattirent sur le pavé souillé de la crypte, ensevelissant le spectre sous de lourds gravats.

Mais plus terribles encore lui furent la claire lumière du jour ainsi dévoilée, et l'évocation d'Elentari, perçant l'obscurité en son cœur et dispersant poisons et sortilèges.

Débarrassé des abjectes grappes de rats, qui se débandaient à présent, le Prince s'avança.

La clé de voûte s’était abattue sur le spectre qui avait disparu, abandonnant les lambeaux de sa longue bure noire.

Mais l’éboulement obstruait la salle ; Celepharn bloqué ne put rejoindre le vieillard, certainement enseveli sous les monceaux de gravats.

Le Prince appela, en vain. Les ruines étaient figées dans le silence de la mort.

.oOo.

D’un coup la rumeur du monde s’évanouit autour de Gandalf. Le tumulte de son âme s’apaisait à mesure que se retirait la douleur et s’achevaient ses convulsions. Affranchi du rythme furieux et syncopé du souffle, son esprit regagnait son emprise sur lui-même. Libéré des cadences tyranniques de la chair, son cœur écartait le doute et revenait à sa source. Curieusement, quelques souvenirs des Terres du Milieu défilèrent devant lui, tout à tour insignifiants ou marquants.

Une aube radieuse auréolait l’âme légère d’Olorin (4) qui étendait ses ailes pour la rejoindre et s’y confondre. A mesure que s’élevait son esprit, les vanités de l’existence terrestre, attachantes et dérisoires manies incarnées, s’étiolaient dans la lumière de l’ouest.

Pourtant Olorin ne parvenait pas à prendre son envol. Quelque chose d’étrange, un regret trouble le retenait au chevet de la dépouille de Gandalf. Un goût d’inaccompli nourrissait sa répugnance à quitter ce corps irradiant encore de chaleur, compagnon des joies et des doutes. Sa dépendance envers Arda avait crû en lui, le besoin avait fleuri de se réaliser sous cette forme, vaisseau palpitant de sa vie en Terre du Milieu, de marquer la mémoire du monde avant d’être oublié, sans attendre les lueurs d’un destin trop lointain.

Les impressions humaines l’avaient baigné de douces ivresses et taraudé de lancinantes douleurs. Les sentiments contradictoires éveillés ici-bas s’entremêlaient subtilement dans cette vie humaine qui filait si rapidement. Ses sens avaient peu à peu obnubilé sa connaissance antérieure, marquant ses sentiments d’un sceau charnel. La médiation de la chair l'avait libéré de bien des choses qu’il avait crues essentielles, et enchaîné à d'autres, à présent viscérales.
Gandalf avait goûté la complicité des regards, les soirs de fête à Fornost Erain, sous la fragile lueur des étoiles. Il avait partagé l’espoir et la fraternité des veillées d’arme, avec des hommes modestes et fiers. Il avait prêché courage et bienveillance aux foyers des peuples libres, ressentant une curieuse affinité pour leurs grandeurs et leurs faiblesses.

Non, il n’en avait pas fini avec cette vie. Ses souvenirs tendres et doux-amer puisaient leur beauté dans l’éphémère – dans l’incertain et la persévérance. Accroché à l’épave de son corps terrestre, Gandalf s’accorda à lui-même, avec une étrange humanité, de renoncer aux fastes de l’Ouest, et de gagner sa renaissance en Terre du Milieu.

Il replongea dans la douleur.

.oOo.

Le Prince avait rassemblé ses troupes et fouillé les ruines, forcé les catacombes de Gilgalen, et purifié par le feu les horreurs qu'il y avait débusquées.

Ses preux n'avaient pas retrouvé le corps du magicien.

Mais en dépit de toute logique, Celepharn n'était pas en deuil.

Le matin radieux, le ramage des alouettes et la glorieuse floraison qui avaient regagné les ruines perdues de Gilgalen, lui chantaient que le magicien s'en était tiré, après tout.

Le Prince en était sûr, le vieux pèlerin bourru reparaîtrait un jour pour rappeler aux hommes que le mal ne dort point, et raviverait la flamme de la dignité et du courage. Son ami nourrissait un espoir tout particulier pour la lignée d'Isildur. Jamais il ne les abandonnerait.

Et peut-être même, Gandalf, qui avait à présent vécu défaillance, peur et souffrance, se montrerait-il plus indulgent, plus persévérant, par la grâce de l’espoir et de l’amour qui, chez les humains, compensent les épreuves.

Et sans doute serait-il aussi un peu plus prudent…

.oOo.

NOTES
1- Le champ à l’étoile, invention de Tikidiki. Une tour fortifiée édifiée à la fin du second âge, à la lisière des forêts de sapin, à mi-chemin entre Forochel et Carn Dûm. La voûte étoilée était si claire au-dessus des étendues sans fin de toundra, que le sage de Nùmenor avait bâti là son observatoire. Qu’avait-il découvert à veiller le regard perdu dans les étoiles ? Etait-ce son descendant qui hantait les catacombes de la forteresse de Gilgalen ?
2- Celepharn était le fils de Mallor d'Arthedain. Il monta sur le trône de l'Arthedain en 1110. Il est mis en scène ici, comme le premier capitaine ayant institué et dirigé un corps d’éclaireurs du roi, chargé de garder les frontières septentrionales contre les créatures mauvaises qui commençaient à s’y multiplier. Voilà sans doute l’origine la plus lointaine de la tradition des rôdeurs, gardiens sillonnant les marches clairsemées du royaume.
3- Charpente en encorbellement au sommet d'une tour ou d'une muraille.
4- Olorin était le nom de Gandalf à Valinor.
Répondre
#27
(31.05.2018, 22:43)Chiara Cadrich a écrit : C'est décidé, je vais écrire des nouvelles sur les labeurs des Dunedain d'Arnor.

J'ai tenté d'écrire deux ou trois choses là dessus, mais j'attends avec impatience ta version.

Quelques éléments de réflexion, si tu ne les connais pas déjà:
"In the latter days of the last age ... before the War of the Ring, there was a man named Dirhael ... and they dwelt in a hidden fastness in the wilds of Eriador ..."[HoME 12, part one, IX,(ii)]
* Dirhael, père de Gilrain (transformé en Gilraen plus tard) la mère d'Aragorn.
"La mention des refuges secrets dans HoME XII est précieuse en effet, et Tolkien en dit un peu plus dans un texte non publié figurant dans les archives de la Marquette University : ces refuges se situeraient dans l’Angle, entre les rivières Mitheithel et Bruinen (région qui semble propice à une vie cachée, car c’est là que vivaient nombre de Hobbits avant de s’installer plus à l’ouest ou au sud)" [citation de Léo sur le forum La cour d'Obéron]
La lumière n'indique pas le bout du tunnel, c'est la lanterne de celui qui comme toi, cherche à sortir.
Répondre
#28
(31.05.2018, 22:43)Chiara Cadrich a écrit : C'est décidé, je vais écrire des nouvelles sur les labeurs des Dunedain d'Arnor. Et je tâcherai de vous montrer qu'un groupe, aussi exalté soit-il, ne peut survivre culturellement pendant plus d'un millénaire et en gardant intact son idéal, sans une organisation quasi-monastique, qui cultive toutes les qualités d'une haute civilisation. Après tout, les Dunedain sont l'élite.

Superbe idée, j'ai également l'ambition d'écrire des nouvelles sur les chefs des Dunedain du nord (donc après la chute des royaumes), ça sera probablement après la saga que j'écrits actuellement. Je pense que je vais m'inspirer de l'Ancien Testament, les Livres des Rois et les Chroniques.
Répondre
#29
Je me réjouis de cet enthousiasme collectif. Je sens que nous allons écrire des scénarios dignes d'être mis en images dans la série à venir sur Aragorn ! Razz

Pour ma part, j'imagine quelques points naturellement protégés :
- quelques manoirs situés sur les arrières, le long du fleuve Lhûn. L'un d'entre eux serait l'endroit où l'essentiel des richesses intellectuelles de la fameuse bibliothèque d'Annuminas aurait été préservé.
- des hâvres légués par les elfes, dans la zone tampon entre Cardolan et Lindon, Siragalë, pour les afficionados d'ICE. Il faut bien un endroit où l'on fait se rencontrer les Dunedain en âge de trouver une compagne/un compagnon, pour éviter que la "veine" de l'Ouïstrenesse ne s'épuise.
- une mention particulière pour les collines du crépuscule au nord-ouest du lac Nenuial : un endroit où s'attardent encore des esprits de la nature, moins sociables et plus farceurs que Bombadil.
- des villages de pêcheurs et de cultivateurs le long du Gwathlô, dans la plaine alluviale.
- un reste d'agglomération à Tharbad, avec des hauts et des bas selon la prééminence politique du moment entre les confédérations de tribus de Daen émigrés du sud, les cultivateurs du Gwathlo, les descendant des mercenaires et les baronnets s'accrochant aux ruines de leurs manoirs.

Et puis il y a bien sûr les hypothèses de lignes de défense au nord :
- des points d'observation et bases pour les rangers allant espionner les nids d'orcs
- une chaine de villages fortifiés, parfois habilement cachés, établis suivant un arc allant du nord d'Arthedain aux déserts séparant l'Arthedain de Rhudaur, et peut-être prolongé le long du Men Romen, en protégeant l'Angle comme vous le suggérez (cf les ruines que Aragorn commente en parlant des guerres de Rhudaur). J'imagine ces villages comme des oppidums gaulois, placés de façon qu'un incendie dans l'un soit visible de ses voisins, un peu comme les fortins du mur d'Hadrien. Ces villages seraient plus ou moins abandonnés selon la période.
- plus au sud quelques villages non-dunedain, en gros surtout le long des routes (Chemin vert et route de l'est)


Enfin bref tout ce fatras n'est que quelques idées à mûrir au fil des histoires.

A bientôt !
Répondre


Atteindre :


Utilisateur(s) parcourant ce sujet : 1 visiteur(s)