Une lune bleutée traversait un ciel chargé, jetant une lueur hivernale sur le Riddermark. La brume épaisse des nuits d’Egereoh montait des pâturages à l’assaut des collines, bordant de volutes menaçantes, les tumulus des rois du Rohan.
Ces nuits-là, les villages alentours se vidaient – hommes et bêtes trouvaient refuge derrière la palissage d’Edoras. La rumeur des cavales de bruine, horreurs sanguinaires qui dévoraient maîtres et montures, les chassaient de leurs foyers. Fuyant la brume glacée de ces soirs maudits, les cavaliers rassemblaient familles et troupeaux, et s’entassaient chez leurs parents, dans les granges et les écuries de la capitale.
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Au sommet de la colline, le Château d’Or radiait de vermeil, illuminant d’une douce lueur protectrice, les chaumes qui se blottissaient autour de lui.
Le palais accueillait, en ces temps de détresse, les Thegn des villages tributaires et leurs familles, qui dormaient dans la grande salle. Enfants et parents, entassés sur des fourrures ou roulés dans des couvertures, jonchaient les dalles de Meduseld, comme la grande moisson d’un peuple aux cheveux d’or, engrangée jusqu’aux jours meilleurs.
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Vieillard bienveillant quoique sur le déclin, le roi leur avait laissé ouvrir sa Maison et déférer ses huissiers pour leur venir en aide. La princesse avait œuvré tout le jour, réconfortant les enfants, distribuant des vivres, trouvant des logements. Au crépuscule, les derniers réfugiés avaient été abrités sous des tentes, disposées sur la terrasse de gazon autour du château.
A présent, tous reposaient dans la torpeur maligne des nuits d’Egereoh.
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La princesse avait regagné sa chambre. Alanguie sur sa couche de lin, elle glissait en songe vers les étendues sauvages, elle se réfugiait dans son dernier espace de liberté, elle chevauchait en rêve par le vaste Riddermark, appelant de ses vœux les coursiers Mearas de jadis. Loin des obligations de la cour, loin de l’agonie déshonorante de son tuteur chéri, loin enfin des insinuations insistantes de conseillers mielleux et horripilants.
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La lune à son zénith couronnait le dôme du château assoupi. Les dormeurs dans la grande salle gisaient sous les bannières ternies, qui retombaient des poutres comme les lambeaux d’une gloire passée. A l’ombre des formidables piliers de chêne, fourmillaient les souvenirs du peuple d’Eorl, dont les ancêtres avaient vécu à l’orée de la forêt noire et du mont Gundabad. Nourrie de leurs cauchemars, la peur séculaire d’Egereoh répandait son frisson glacé. Une silhouette s’avançait parmi eux, dressée dans sa robe claire-obscure, des replis de laquelle sourdait l’éclat d’une force cachée.
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Dans les âpres limbes du songe, chevauchait la princesse, sa monture flottant comme un navire sur la houle verte de la prairie. Libre fille d’Eorl, elle éperonnait son coursier sous la lune. Mais les vents du septentrion envahissaient sa chimère, portant le cri lugubre des cavales en maraude. Oppressée par un sombre pressentiment, elle tourna bride vers les tertres des rois aux portes d’Edoras.
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Une ombre furtive glissait, le long des couloirs de Meduseld, de la démarche équivoque du lâche. Sa face blême de courtisan jetait des regards éperdus, de convoitise déçue. Depuis des lustres l’intriguant hantait les coulisses du pouvoir, achetant les consciences, perçant les secrets, répandant le fiel de ses harangues, pour étendre sa toile.
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Du fond de son cauchemar, la princesse accourait au galgal. Ployant sous ses ensorcellements méphitiques, le roi chenu et hagard inclinait déjà sa couronne pour en passer le seuil et s’étendre sous les symbelmynes . Vive comme un éclair, l’implacable vierge guerrière brandit son épée sous la lune froide. Frappant de taille et d’estoc, elle disputait son parent bien-aimé aux spectres du tombeau.
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Le masque blafard du conseiller, sa pupille exaltée par un espoir impie, épiait sa victime, aspirant déjà son souffle de rose haletant sur sa couche.
Sa main flagorneuse repoussait lentement la porte de la chambre tiède, quand soudain se dressa derrière lui un cheval de grande taille, qui poussa un hennissement formidable.
Le puissant Meara se cabra, sa robe étincelant dans l'ombre. D’un coup de sabot, l'étalon jeta à terre l’obséquieux scélérat.
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La princesse poussa un cri, tirée de son cauchemar par un hennissement d'outre-monde. La garde accourut, mais l’on ne retrouva trace d'aucun agresseur, ni d'aucune monture dans le château d’or.
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Pourtant l’on raconte que depuis cette nuit, un étalon royal, à la robe gris-argent, surgit des plaines lorsque le royaume du Rohan est en danger, poursuivant ses ennemis comme un fantôme en furie. Son hennissement vainqueur surpasserait même l’ignoble ricanement des terribles cavales de bruine, lors des nuits d’Egereoh.
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