La prescience d'Aragorn

[Hofnarr Felder]

Juste avant d'entrer dans la Moria, Aragorn manifeste des capacités de précognition surprenantes ; tout porte à croire en effet qu'il est parfaitement conscient du péril qui menace Gandalf -à quoi l'on pourrait rattacher son obstination à passer par le Caradhras, malgré les risques évidents.

Vous m'avez suivi dans la neige sans jamais un mot de reproche, alors que nous courrions vers la catastrophe. Je vous suivrai à présent - si ce dernier avertissement ne réussit pas à vous ébranler. Ce n'est pas à l'Anneau, ni à nous autres que je pense en ce moment, mais à vous, Gandalf. Et je vous dis : si vous passez les portes de la Moria, prenez garde !

Sam ne s'y trompe pas, d'ailleurs :

Je sais pas ce qui attend le vieux Gandalf, mais je parie que c'est pas le ventre d'un loup.

Et plus loin, Aragorn suggère encore :

Il nous a emmenés ici en dépit de nos craintes, mais il nous mènera à la lumière quoiqu'il puisse lui en coûter.

Et il insiste, le bougre :

Laissez le guide aller en premier pendant que vous en avez un.

Comment expliquer ce pressentiment ? Cela fait-il partie des dons des Númenóréens de connaître certains brefs aperçus de l'avenir ?

[Tikidiki]

Cela fait partie des capacités de certains Dùnedain, oui. Il y a le cas exceptionnel de Malbeth le Voyant au temps de la fin de l'Arnor en 1974 T.A. ; mais aussi, dans le Seigneur des Anneaux, celui de Halbarad à l'entrée du Chemin des Morts (un leitmotiv donc), qui déclare "Ma mort est inscrite au-delà".

[Hofnarr Felder]

Alors pourquoi le reste de la compagnie ne manifeste pas plus d'émoi face à ces prédictions funestes ? Est-ce parce qu'ils ne souhaitent pas considérer qu'elles pourraient s'avérer véridiques ? La mort de Gandalf leur paraissant somme toute, comme au lecteur qui découvre le livre, trop inimaginable, pour qu'ils y accordent plus d'attention ?

[Tikidiki]

J'ai envie de dire que c'est même pire pour Halbarad : qui s'en fout ?

Dans le cas de Gandalf, je n'ai plus les passages sous les yeux, mais conjointement aux avertissements d'Aragorn (qui ont aussi un but narratif) il est possible que Gandalf entrevoie aussi ce qui l'attend, mais comme c'est le meneur, c'est lui qui décide. Il y a aussi de multiples présages dans le Silmarillion, souvent à l'heure de la fin : voir les adieux de Hurin et Huor à Turgon.

On pourrait faire une typologie, mais plutôt clairement les prédictions ne sont pas toujours entendues ou elles sont carrément outrepassées, comme dans les prédictions des Valar à l'encontre des Noldor : Vous pleurerez des larmes sans nombre. Mais on a au contraire celle de Gandalf à Frodon : Mon coeur me dit que Gollum a encore un rôle à jouer. Ce qui touche Frodon. Donc on ne peut pas dire qu'on se situe dans la même attitude que celle aux prédictions de Cassandre.

[Elendil]

Pour Gandalf, hormis l'intéressé, sans doute le premier à considérer qu'il peut avoir à se sacrifier pour le succès de la mission de Frodo, je soupçonne que nul n'envisage vraiment la disparition de Gandalf. Même Aragorn, avec sa prescience, n'a pas vraiment prévu le cas de figure, comme la suite le montre.

Quant à Halbarad, chaque membre de la Compagnie Grise sait ce qu'est la guerre. Nul ne le force vraiment à poursuivre. Mais c'est un féal qui suit son roi, fut-ce vers une mort certaine : selon la mentalité féodale, ici clairement à l'œuvre, c'est dans l'ordre des choses.

[Aragorn88]

Des trois passage cités, seul le premier me parait évoquer ce "don" d'Aragorn, les autres ne me paraissent pas vraiment relever d'un sixième sens mais plutôt du fait qu'Aragorn connait bien Gandalf. Quand il dit que Gandalf les fera sortir de la Moria quoi qu'il lui en coute, je n'y vois aucun sous entendu sur sa mort prochaine, c'est plutôt une façon de dire qu'il sait ce qu'il fait et qu'il ne les emmène pas à l'aveuglette vers une voie sans issue.

Quant au "Suivez le guide tant que vous en avez un", je vois pas du tout le rapport avec un don quelconque, ou alors c'est qu'Aragorn est vraiment cynique si le sous entendu est "profitez avant qu'il meure" et c'est pas le genre du personnage...

Par ailleurs je ne crois pas qu'il faille sur-interpréter les propos d'Aragorn : il pressent en effet que la Moria est à éviter, que quelque chose de néfaste pourrait arriver si ils y entrent, mais il ne sait pas pour autant qu'il va arriver malheur à Gandalf, sinon jamais ils ne seraient passés par ce chemin. C'est ainsi que les autres membres de la compagnie le sente je pense, d'ailleurs aucun à part Gimli ne veut aller dans la Moria, tous ressentent le danger, pas seulement Aragorn.

Gandalf lui même le sentait, il connaissait l'histoire du fléau de Durin, peut-être même avait-il déjà imaginé qu'il puisse s'agir d'un balrog, mais comme le dit Aragorn lui même, les choix de Gandalf ne sont pas guidés par une certitude de sécurité, ni pour lui même ni pour les autres. En passant par la Moria il y avait après tout une chance réelle de passer inaperçu, et ça a failli être le cas.

[Hofnarr Felder]

Un autre extrait peut-être ? Juste au sortir de la Moria :

Adieu, Gandalf ! dit-il à haute voix. Ne vous avais-je pas dit : si vous passez les portes de la Moria, prenez garde ? Las ! je disais vrai !

La première citation surtout d'adresse trop explicitement à Gandalf pour qu'il soit difficile d'écarter qu'Aragorn, sans avoir préconscience de la mort prochaine de son ami, ressent tout de même quelque chose de très spécifique.

Quant à l'avertissement à Merry, je ne sais pas, c'est tout de même un peu étrange. Il laisse sous entendre qu'ils vont perdre leur guide. De manière isolée, je ne dis pas, mais en résonance avec ce réseau de références et d'avertissements spécifiques, j'ai tout de même l'impression que l'interprétation que je propose est assez appuyée par le texte. C'est tout de même une réplique un peu bizarre. Je pense plutôt qu'il cherche à préparer tout doucement les Hobbits à accepter que Gandalf puisse les laisser -de quelque manière que ce soit. Il ne s'agit donc pas de cynisme.

Quant à 'sinon jamais ils ne seraient passés par ce chemin', il est bien clair dans tout le passage, et même avant l'ascension ratée du Caradhras, qu'Aragorn ne veut surtout pas passer par la Moria. C'est Gandalf qui insiste. Aragorn lui répond :

Mais n'en parlons pas davantage ! Pas pour le moment. Ne dites rien aux autres, je vous prie, tant qu'il n'apparaît pas clairement que c'est le seul moyen.

[Tikidiki]

Autre exemple, quand Aragorn prédit à Eomer, au moment où ils se séparent devant les Chemins des Morts, qu'ils se retrouveront ; et il le lui rappelle devant Minas Tirith : "Did I not say so at the Hornburg?".

Plus qu'une confiance en soi, c'est bien une clairvoyance qui est à l'oeuvre.

[Agmar]

Il ne le dis pas à toute la compagnie mais juste a Gandalf un des êtres les plus puissant de l'époque c'est pas pareil avec ou sans voix caverneuse

[Tikidiki]

Voici les passages entre Eomer et Aragorn. L'exactitude de sa prédiction et la mention "forsighted" me laissent penser qu'il s'agit d'un exemple de clairvoyance dùnadane.

La prédiction :

...but if you seek the Paths of the Dead, then our parting is come, and it is little likely that we shall ever meet again under the Sun.'
'That road I will take, nonetheless,' said Aragorn. 'But I say to you, Éomer, that in battle we may yet meet again, though all the hosts of Mordor should stand between.'

Si vous empruntez le Chemin des Morts, il est très improbable que nous nous revoyons jamais sous le Soleil.
C'est pourtant le chemin que j'emprunte, dit Aragorn. Mais je vous le dis, Eomer, nous pourrions bien nous revoir au coeur de la bataille, même si toutes les armées de Mordor se trouvent entre nous.

SdA V.2 (trad. libre)

La réalisation :

'Thus we meet again, though all the hosts of Mordor lay between us,' said Aragorn. 'Did I not say so at the Hornburg?'
'So you spoke,' said Éomer, 'but hope oft deceives, and I knew not then that you were a man foresighted.

- Voilà donc que nous nous retrouvons en dépit de toutes les armées de Mordor qui s'étendaient entre nous, dit Aragorn. Ne l'avais-je pas annoncé à Fort-le-Cor?
- Oui, vous le dîtes, répondit Eomer ; mais l'espoir est souvent trompeur, et je ne savais pas alors que vous étiez un voyant. Mais doublement bénie est une aide inattendue, et jamais rencontre d'amis ne fut plus joyeuse.

SdA V.6 (trad. Ledoux)

[Peredhel]

Et puis ce n'est pas comme si la clairvoyance n'était pas un trait partagé au sein des Dúnedain comme par exemple Gilraen : « Mais bien qu'elle posséda dans une certaine mesure le don de clairvoyance propre à ceux de sa race... » (dans le conte d'Aragorn et Arwen qui contient plusieurs passages où des Dúnedain font des prédictions qui s'avèrent exactes).

[Agmar]

N'y a t il pas une prédiction sur la mort prématuré d'Arathorn le pére d'Aragorn ( je n'ai pas les livres sous la main)

[Tikidiki]

Si :

Dirhael was opposed; for Gilraen was young and had not reached the age at which the women of the Dunedain were accustomed to marry.
'"Moreover," he said, "Arathorn is a stern man of full age, and will be chieftain sooner than men looked for; yet my heart forebodes that he will be shortlived."
'But Ivorwen, his wife, who was also foresighted, answered: "The more need of haste! The days are darkening before the storm, and great things are to come. If these two wed now, hope may be born for our people; but if they delay, it will not come while this age lasts."

Trad. maison :

Dirhael était opposé au mariage, car Gilraen était jeune et n'avait pas encore atteint l'âge auquel les femmes des Dùnedain étaient amenées à se marier. "De plus", dit-il "Arathorn est un homme d'âge mur, qui sera chef plus tôt que l'on ne l'attend, et mon coeur me dit qu'il ne vivra pas longtemps"
"Mais Ivorwen, sa femme, qui était également voyante, répondit..

App. A, I, V.

Modération : messages de Lomelinde supprimés à sa demande.