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Instantané Grands Smials
#1
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Les trois tantes aînées de Peregrin,Haralda, Calla et Mertensia Touque ne s’étaient jamais mariées. Au grand mariage de leur sœur cadette Esmeralda avec Saradoc, héritier du pays de Bouc, et de son déménagement à Château-Brande, elles avaient reçu en cadeau le droit d’occuper un trou à entrée privative aux Grands Smials. C’était en effet d’usage à cette époque, que les mariés fassent des cadeaux à leurs proches, tout comme les invités en faisaient aux nouveaux époux.

Et du côté de la famille du marié, on voyait d'un très bon oeil ce cadeau, hommage quelque peu modernisé aux lointaines traditions matriarcales de leurs origines avant leur installation au pays de Bouc.

Ce trou, qui datait de la deuxième grande excavation du manoir des Touque (à l’époque de Gérontius), avait été attribué aux occupants de l’époque et à leurs descendants pour divers services rendus, probablement liés à une participation importante à l’agrandissement considérable du versant nord dont l’ancêtre reconnaissant avait été le grand ordonnateur.
Gérontius avait des idées très arrêtées quand aux dimensions finales de son domaine familial souterrain : 365 fenêtres, 52 pièces, 30 portes, 12 grands corridors et 7 entrées principales, qu'il envisageait d'atteindre en 100 années, durée de vie qu'il s'était d'ailleurs lui-même attribuée d'autorité. Trois grandes excavations trentenaires avaient permis de réaliser ses voeux si enthousiastes, même si, comme il le disait lui-même, le smial avait eu plus de 365 fenêtres, en comptant aussi celles ayant été remplacées (certaines à plusieurs reprises).
Les habitations de la première génération avaient non seulement été agrandies sous la colline, où des salles et des galeries nouvelles avaient été creusées et reliées, mais certaines avaient aussi vu leur plafond réhaussé, car il était de bon ton d’avoir la possibilité de recevoir aussi des visiteurs de l’extérieur, chose impossible avec les anciennes mesures de creusement traditionnel. Certaines rotondités architecturales, jugées trop archaïques, avaient de même été ovalisées, même si le cercle d'or restait la règle pour tous les corps d'ouvrage, les équipes de fouisseurs, les tunneliers, les charpentiers, les menuisiers-façonneurs et les ebénistes.

Le trou avait cependant été abandonné depuis des lustres, puis on l’avait converti en cellier grâce aux quatre grandes pièces qui le composaient. Un corridor lambrissé avait été creusé jusqu’aux espaces de réception et de cuisines et une porte de séparation en partie vitrée avait été installée à chacune de ses extrémités. Les provisions pouvaient être entreposés de l’extérieur discrètement sans passer par les quatre grandes portes officielles, et il convenait parfaitement aux impératifs des nombreuses activités officielles se déroulant dans l’auguste demeure, parmi lesquels le très important Conseil des Hobbits. Bien plus tard, d’autres entrées furent aussi aménagées et reliées à divers espaces privatifs, d’autres trous privés connurent les mêmes reconversions et il était assez difficile en définitive pour tout étranger aux Grands Smials de savoir par où il fallait rentrer pour faire ceci ou cela si on ne disposait pas de l’adresse exacte. Il arrivait même parfois à un habitant, pensant avoir pris un raccourci par l’intérieur, de se perdre totalement et d’avoir à sortir par une autre issue pour retrouver par le chemin extérieur habituel son domicile personnel.
Le trou avait ensuite servi de débarras aux cérémonies, l’accès intérieur depuis les réceptions permettant de déposer momentanément les cadeaux échangés à l’occasion d’anniversaires, de repas et autres réjouissances. Seulement, au lendemain des agapes, peu se souvenaient de l’endroit où ils avaient remisés les présents, et ceux-ci n’étaient découverts qu’au cours de l’événement qui suivait, lorsque, chargé de nouveaux cadeaux, l’on se rendait dans la remise.

Le problème principal était que lorsque l’on était invité, on faisait des cadeaux à tous les autres invités de même qu’aux hôtes, qui faisaient de même. Aussi, les embrassades, salutations et retrouvailles étaient embouteillées par tout un amalgame de paquets. L’usage voulait qu’on marque sur une étiquette familiale (reconnaissable) le nom du destinataire.

La salle de réception principale des Grands Smials disposait déjà de ces propres dépendances et couloirs contigus, et c’est celui-ci qui finalement avait été retenu comme le plus commode, puisqu’il était situé juste entre le fumoir, le vestibule de service allant vers les cuisines, la partie dînatoire de la salle de réception et l'enfilade de pièces d'apparât, qui donnaient de l’autre côté vers la grande galerie de l’entrée principale nord.
Avec le temps, les oublis accumulés et le nombre de réceptions données, l’endroit avait été plus ou moins négligé et servait maintenant de réserve secondaire à mathoms de réceptions : pièces de forme, rafraichissoirs et services dépareillés, cruches, brocs cruchons et bocs ébréchés, tasses à thé ou a café jaunis, plats étamés, sièges de secours, bougeoirs déglingués et flambeaux à trépied rouillés, bref, tout ce qui ne pouvait plus vraiment être utilisé mais qu’il ne fallait pas non plus jeter. Seules quelques vieilles araignées et des souris égarées trouvaient encore à l’endroit une fonction digne d’intérêt.

Avant l'arrivée des trois soeurs, il avait fallu débarrasser les paquets, dont bon nombre n’avaient même pas été ouverts. Retrouver leurs destinataires ne fût pas une mince affaire car certaines étiquettes avaient été rongées, étaient devenues illisibles ou bien avaient disparu, Une fois copieusement dépoussiéré, ses fenêtres nettoyées, ses boiseries repeintes et son parquet reciré, l’endroit avait repris un air pimpant. On avait laborieusement désobstrué la porte d’accès vers l’extérieur, qui donnait sur le terre-plein, où les herbes folles, les aubépines et les genêts avaient proliféré, dissimulant totalement l’allée qui longeait une haie de topiaires encadrant la partie du jardin attenante à l’entrée principale nord. Cette allée était fermée par un portail à peine visible depuis le chemin, sous un arceau de végétation que l’on taillait de l’extérieur sans se préoccuper de ce qu’il cachait.

Ces traditions d’agencement végétal, qui faisait se côtoyer parterres entretenus au cordeau et massifs simplement élagués dataient de la fondation du pays. Les installations en urgence faisant suite aux creusements des habitations avaient tout d’abord grossièrement domestiqué la végétation sauvage environnante (on ne touchait jamais aux arbres) pour se consacrer prioritairement aux cultures de subsistance et c’est lorsque la prospérité s’était installée pour tous que, sous l’impulsion et la science grandissante des jardiniers, les plates-bandes et les décors ornementaux avaient fait leur apparition devant les entrées les plus prestigieuses. Comme les Grands Smials pouvaient tout aussi bien abriter des hobbits de condition différente, les entrées principales bénéficiaient des soins les plus assidus, et l’on avait simplifié l’entretien des accès secondaires, voire même on les oubliait lorsqu’ils étaient inutilisés ou inoccupés.

Les trois sœurs avaient donc fait de ce trou secondaire une résidence très confortable. On avait découvert quatre autres fenêtres éclairant les pièces du devant, cachées derrière les amoncellements, qu’on avait aussi dû dégager de l’extérieur car elles avaient été comblées par des décennies de sédiments dus aux nivellements successifs de cette partie du versant de la colline. Quatre de ces huit fenêtres originelles avaient été agrandies et remplacées par des modèles modernes ouvrants à meneaux articulés, avec carreaux de couleur sertis et frontons sculptés d’entrelacs dans le style gérontien. Un grand hall d’entrée circulaire pavé de pierre noire et blanche de Scary et au plafond nervuré donnait également sur une cuisine de belle taille abritée dans une portion partiellement maçonnée, dans le prolongement de laquelle se trouvait la grande porte donnant sur un vaste terre-plein légèrement en surplomb du chemin du Tour de la Colline. A gauche un vestibule donnait accès à quatre belles pièces avec alcove, toutes habillée de moulures en bois jusqu'à mi-hauteur et se terminant par des arcades cintrées du plus bel effet. Chaque pièce disposait de son pôele en faïence ainsi que d'alcôves en retrait, le tout donnant sur la façade orientée à l'ouest.

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Un jardin d’agrément, un potager à cloches et une serre contigüe aménagés en terrasse leur permettaient de pourvoir à une table généreuse. Elles avaient également hérité de leur grand-oncle Isengrim dont elles s’étaient occupées avec dévouement dans la fin de sa vie, un joli magot (disait-on) qui leur avait épargné la nécessité de travailler et de cultiver elles-mêmes (comme le faisait certaines veuves moins fortunées) les terres reçues avec le droit d’occupation du dit trou. Tout cela avait fait l’objet d’écritures auprès des notaires Souscolline et Banks.
Certains de leurs premiers visiteurs furent néanmoins assez surpris. En traversant certaines chambres, ici sur un guéridon, là sur une encoignure, plus loin sur un coffre, ils retrouvaient un objet qui leur paraissait vaguement familier : "tiens, la même boîte à herbe à pipe que j’avais offert lors du dîner de Menegilda, oh, on dirait le cadre à ancêtres de l’oncle Hildigrim, et là ce chandelier en cuivre elfique, c’est presque le même que celui qu’on avait acheté pour l’anniversaire de…" mais de qui donc ?

L’autre problème était que, lors des cérémonies familiales, certains hôtes (qui n’avaient pas été invité depuis longtemps) en étaient restés aux mêmes reflexes. Et que cette petite porte de service dans la grande salle de réception était quand même bien utile pour se débarrasser de cadeaux avant d’aller s’assoir à la grande table de réception. Peu d’entre eux faisaient le lien entre l’installation extérieure des trois sœurs connue de tous et ce lien souterrain qui les reliaient secrètement aux espaces nobles.

Aussi leur surprise était-elle grande lorsque, au bout du couloir, ils ouvraient la porte et découvraient tout un intérieur lustré où les napperons, les bibelots, les rideaux à glands et le somptueux tapis couvrant le sol astiqué avaient remplacé le dépôt sombre et encombré sentant le renfermé. Une clé permettait certes de fermer la porte et d’éviter l’intrusion d’importuns, mais elle avait été perdue et la dame de compagnie des trois sœurs, qui occupait la pièce d’où partait l’ancien couloir de service n’avait jamais été directement dérangée et n’avait pas non plus pris la peine de se renseigner sur l’accès en lui-même. Au bout du couloir, il y avait une autre porte qui semblait tout aussi inutilisée. Tout juste entendait-on parfois, lorsqu’on était dans une autre pièce du devant, l’ouverture d’une porte, un brouhaha lointain de voix animées, puis la fermeture et à nouveau le silence. Cet inconvénient de la vie en semi-collectivité (qui n’en était pas vraiment un) était aussi bien connu des habitants des premiers smials, où certaines galeries, avec l’usage et le temps, n’avaient plus forcément une utilisation bien définie, une destination bien précise ou un propriétaire bien identifié. De plus, les trois sœurs étant également devenues dures d’oreille et ne s’étaient jamais réellement plaintes de ces troubles intempestifs. Et comme de toute façon elles étaient elles-mêmes invitées aux dites réceptions, et qu’on les débarrassait de leur cadeau avant même qu’elles ne se soient assises, elles n’avaient jamais remarqué la porte en tant que telle.

L’aînée, Haralda, collectionnait les livres de botanique et de jardinage rares (venus parfois de l'extérieur) et faisait cultiver des plantes à potions, décoctions et onguents qu’on confectionnait dans la cuisine dont un coin avait été reconverti en cabinet d’apothicaire. Cette production, présentée dans de petits flacons en verre taillé se vendait fort cher et contribuait amplement au train de vie des trois demoiselles. Ces vertus avaient même dépassé les frontières du pays, où on les appelait les préparations souveraines de la Comté.

Les deux autres, qui n’avaient qu’une année d’écart, étaient presque sœurs-mêmes tant elles étaient pareilles en tout point et semblaient interchangeables dans tout ce qui concernait la connaissance des histoires de familles. C’était elles que l’on venait consulter pour toute information sur l’histoire de tel ancêtre. Autant l’une pouvait vous renseigner sur votre trisaïeul de la branche cadette, autant l’autre pouvait vous dire qui de ses sept enfants avaient été mariés (et avec qui), tandis que l’autre reprenait immédiatement la suite pour vous donner les descendances de chaque mariage (dans les grandes lignes).

Toutes les trois n’avaient jamais quitté les longues tenues noires à la mode des veuves et vieilles demoiselles de l’ancien temps et que l’on ne voyait plus guère que sur certains portraits poussiéreux entreposés au musée de Grand-Cave, dans le département consacré aux reliques vestimentaires hobbits. Sans doute ce caprice de jeunesse était né de leur désir commun de rester disponibles pour le restant de la famille, être invitées indivisiblement à toute cérémonie, et de marquer ainsi par ce choix de vie indépendante en commun, leur emménagement dans le trou.

Cette indissociabilité allait de pair avec une apparente insensibilité aux modes d’habillement du pays touque qui avaient perdu leur ancienne austérité, au contact du reste de la Comté et du négoce des quartiers frontaliers avec l’extérieur.
Cette excentricité vestimentaire et encore bien d’autres traits de caractère dans le plus pur style Touque leur conféraient, en plus du respect dû aux membres des familles fondatrices, une certaine autorité morale sur les us et coutumes. Laquelle se teintait parfois de cette petite pointe d’ironie qui faisait l’esprit des conversations d’auberge et du quand dira-t-on, surgissant invariablement au détour de toute discussion entre voisins et autres connaissances.

Leur dame de compagnie, à peine moins jeune, était une demoiselle Bravet, Mirma de son prénom, dont la famille était apparentée à une branche cadette désormais éteinte des Sacquet. Ses parents avaient péri suite à l’ingestion de champignons empoisonnés, suite au terrible hiver de 2911. Cet épisode dramatique de la vie de la Comté avait vu de nombreuses familles hobbites souffrir de la faim. Errant dans tous les endroits les plus inhabituels et les plus reculés, certains avaient même été dévorés par des loups, chose inouïe, sans parler d’aventures sans doute moins terrifiantes mais à la conclusion tout aussi fatale. Ainsi donc le père Bravet, dont la mère appartenait à une famille de garde-clôtures du pays de Bouc, était allé, après le dégel du Brandevin, fouiner jusque du côté de Fin de Barrière un endroit assez peu fréquenté.

Il faut dire que lors de l’édification de la Grande Haie, une petite portion de la Forêt Noire, séparée du massif principal par une large anfractuosité naturelle, avait été englobée dans l’enceinte et conservée prudemment telle qu’elle. On l’appelait les Vieux Sylves et rares étaient ceux qui osaient s’y aventurer.
Nul ne sait si c’est parce qu’il était tenaillé par sa propre faim et celle de sa famille qu’il brava le danger, mais c’est dans une clairière en lisière de ces bois que le malheureux avait trouvé ces champignons, et en grande quantité. Une variété qui semblait familière et inoffensive et dont le fumet trompeur avaient séduit ce pauvre hobbit fort amaigri. Il en avait donc ramassé quatre énormes paniers, en laissant un à sa mère et ramenant les trois autres chez lui.
Sa femme en fit immédiatement une fricassée, avec un morceau de lard rance rescapé de l'hiver et le couple se rassasia immédiatement. C’est en rentrant le soir d’une visite chez une voisine que leur fille les découvrit tous les deux le nez dans leur assiette, et le plat à moitié plein encore posé sur la table. Il lui fût inutile de chercher plus loin les responsables. En refroidissant, les coupables avaient pris dans la gamelle une teinte verdâtre peu engageante.
Le lendemain, elle apprenait d’un cousin Bolger le regrettable décès de sa grand-mère Bravet, victime elle aussi à l’âge pourtant encore bien jeune de 87 ans, de la solidarité familiale.

Immédiatement, dans toute la Comté, des mesures furent prises, le thain et le maître du pays de Bouc se réunirent afin de circonscrire le problème et il était demandé à tous de ne cueillir de champignons sauvages sous aucun prétexte et jusqu’à nouvel ordre.

Les champignonnières prirent des mesures drastiques mais le cours du champignon cultivé en souffrit. Cet hiver, de sinistre mémoire, marqua durablement les esprits et l’histoire de la Comté, jusqu’à ce que l’oubli chasse des souvenirs gourmands ce triste épisode.

Touchées par cette histoire et parce qu’elles connaissaient bien la jeune fille, les trois sœurs adoptèrent l’orpheline. Et celle-ci devint non seulement dame de compagnie mais aussi gouvernante, ordonnant les tâches à faire faire dans la maisonnée, tout en continuant de s’assurer de l’origine non-douteuse de tout champignon utilisé dans les plats. Juste histoire de, comme le disait maintenant l'expression hobbite, «se méfier des champignons qui verdissent».
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