04.09.2010, 18:17
Je suis désolé de le poster aussi en retard, je ne parvenais plus à le retrouver.
"Entends la céleste antienne"
"Jour Quint de l'Âge du Mythe, An Nonante.
A vous qui me lisez, je vous transmets mon savoir. Par la Grâce des Valar eus-je été réincarné et pour ceci me voilà à vous offrir les Chroniques du Passé. Mon nom ? Je n'en ai point, et pour dire vrai, vous n'aurez besoin de le connaître, pour ce que mon rôle dans ces temps derniers ne fut point grand. Je ne suis le porteur d'aucune force, sinon celle de la Sagesse, et en cela pourrais-je prétendre être parmi les plus Forts de tous ceux qui vivent encore Aujourd'hui. Cela fait plusieurs ans déjà que le Monde est né, un siècle presque, si peu dans l'Histoire entière de ce monde. Aujourd'hui il est étrange pour moi d'écrire ceci, si jeune pourtant ma main est frêle. Malgré la Sagesse, je fus condamné à la Mort. Sans doute vous demandez-vous qui suis-je, sinon ce que je suis. Voyez-vous, il est dans une Vie de faire certains choix et certaines sont et se doivent d'être choisies pour ce qu'ainsi fonctionne l'Existence. D'autres choisirent le Pouvoir, et en sont réduits à ruminer dans une sombre et froide tour, désormais perdue au cœur des Murailles de la Nuit. Certains toutefois acceptèrent la force et ne devinrent rien d'autre sinon quelques mercenaires en quête de quelques sous afin de pouvoir entretenir leur si précieuse lame. D'autres encore eurent choisi la richesse et Aujourd'hui dépérissent, comme tous autres, dans leurs palais de marbre poli. Mais moi. J'eus choisi la Sagesse. Et voyez ! La Sagesse amène l'Immortalité de l'Esprit, mais l'Immortalité de l'Esprit ne retarde point celle de l'Âme et ne protège en rien des affres de l'Âge. Voyez !
Mes yeux se font aussi blancs que l'opale et n'ont d'utilité sinon celle d'effrayer celui qui me regarde. Ma peau jadis aussi belle que l'airain est désormais hâve et rongée par une étrange mort. Mes jambes ne me servent qu'à me tenir debout telles les racines d'un arbre mort ne lui servent qu'à tenter de garder le plus faible éclat de la Gloire dont il se parait antan. Ma chevelure est grisonnante alors que jadis chatoyait t-elle d'Or et d'éclairs d'Argent. Et pourtant suis-je un Sage. Beaucoup sont ignares et ne savent que frapper et boire et manger, ces ignares que j'envie autant que je méprise. Tous eurent l'Amour et la Vie, pour ce qu'avec l'Amour vient le Bonheur. Oh ! La chose est que les Pauvres, qu'ils soient d'or ou d'Esprit sans doute sont plus heureux que nous ne le sommes, pour ce qu'ils sont bien trop Insouciants pour se rendre compte des horreurs de la Vie, et bien trop Pauvres pour se soucier de toutes ces verroteries inutiles, de tous ces attirails, de tous ces mathoms dont on pare nos demeures peintes d'Or. Sans doute ces gens là seront plus heureux dans leur vie que nous ne le serons jamais dans la nôtre, pour ce qu'ils ne souhaitent aucune de ces choses dont ils ne connaissent l'existence et se contentent de si peu. Si peu ! Et pourtant ils sont heureux. L'Or corrompt ? Je ne saurais le dire, bien qu'il fut vrai que l'Or aura toujours corrompu les Âmes des Hommes. Sans doute le suis-je aussi pour ma part, Corrompu, et il est bien trop tard pour faire quoique ce soit pour changer cette morbide situation.
Aurais-je jeté mon Or dans les mers, me serais-je lesté de ces sacs d'argent pour m'élever que resterais-je Corrompu. Corrompu et d'autant plus Malheureux qu'ayant touché au Bonheur que procurait l'Or, une fois libre de ce dernier sombrerais-je dans une Dépression bien plus horrible que toute autre. Et quand j'entends ces militants, ces activistes se disant défenseurs de l'Homme et de son bien être prier et crier et polémiquer et harceler afin que nous fassions crouler les terres sous les ors, je pleure. Je pleure la Bêtise Humaine.
Heureux sont les Pauvres et les Pauvres d'Esprit ! Et je ne peux guère souhaiter me trouver à leur place toutefois, pour ce qu'ayant goûté à la Sagesse, il me serait impossible d'y renoncer pour simplement goûter au Bonheur. Là est la pire des conditions, dont les Inhumains eux-mêmes sont aussi les victimes. Tant d'attirails, tant de Sagesse, tant de Superficialité. Si appréciables qualités que l'on ne saurait s'en passer, prêts à renoncer au Bonheur même pour la simple possibilité de continuer à vivre sous de telles arches d'or. Toutefois, lorsque l'on y pense, il n'existe de notion de Bonheur. Non. Le Bonheur est propre à chacun. L'on ne peut dire d'un Homme cupide venant de trouver les Cités d'Or qu'il n'est point heureux. L'on ne peut dire d'un enfant s'amusant, et jouant, et riant qu'il n'est pas heureux. La vérité est que le Bonheur est propre à l'Individu, plutôt qu'une notion générale. Certains nécessitent pour être heureux de vivre dans d'immenses palais aux murs couverts d'or et aux colonnes couvertes de joyaux tandis que certains ne demanderont qu'une chaumière de bois. Pour certains même, le Monde ne suffirait tandis que pour d'autre une humble chaumière sera bien assez. Ainsi, l'on dit de certaines personnes qu'elles sont malheureuses, pour ce qu'elles n'ont pas ce que nous souhaitons, pour ce qu'elles ne possèdent pas les richesses et les mathoms que nous avons. Mais sans doute ces personnes ci sont plus heureuses, pour ce qu'elles possèdent ce qu'elles souhaitent. Ainsi, l'Homme le plus heureux sera aussi le plus Humble et le plus Modeste.
Ainsi, Heureux sont les Pauvres et les Pauvres d'Esprit. Pour ce que celui qui ne nécessite que trop pour être Heureux sera condamné à la Tristesse, pour ce qu'il ne peut se permettre d'obtenir tous ces magnifiques et scintillants joyaux. Et pourtant, suis-je heureux. Etrange sensation pour l'Inhumain qui ne rêve que de Royaumes de Gloire, de Sacres, de sceptres et de diadèmes sertis des joyaux les plus étincelants. Sans doute fut-ce pour ce que la Mort rend tout individu, aussi Humain que Divin plus Humble que quiconque. Si Humble même que le simple fait de savoir que l'on continuera à vivre provoque en lui la plus belle et incommensurable des Joies. Et voyez mon Destin ! Jadis fus-je grand et élancé, glorieux et lauré d'argent. Fier porteur des Epées des Seigneurs de l'Ouest que l'on me nommait, harpiste de renom. Je portais la condition de mon peuple entier en moi-même. L'on me vénérait pour mon infini savoir et désormais l'on me craint pour l'Apparence que j'arbore. Oh ! Comme je souhaite être autant Pauvre d'Esprit que d'Or ! Mais voyez ! Voyez comment le plus grand des Êtres peut aisément tomber du piédestal de Gloire qu'il se bâtit. Tout le savoir d'Ëa rassemblé en une personne, qui désormais ne souhaite que l'heure de sa Mort, si seulement viendra t-elle un jour. J'envie ces Hommes. J'envie cette race qui demeure auprès d'Eru désormais, dans l'attente de leur libération. Oui. Je les envie. Je suis pris de cette Malédiction, emprisonné par ma propre condition. Comme tous ceux des miens je vivais en Valinor, mais Aujourd'hui il me faut couvrir ce visage d'un Masque d'or afin de n'attirer la Peur parmi les Beaux, pour ce qu'un ladre tel que moi ne peut montrer sa face au Monde. Quel autre désastre viendra si tôt me faucher ? Mes jambes ne me portent guère plus, mes yeux n'ont plus d'utilité. Mon corps semble en lui-même annoncer ma fin bien que je sache qu'elle est bien lointaine. Est-ce un don si enviable que de devoir vivre une éternité dans telle enveloppe de chair ? Non. Ce n'est point un don.
Vous qui me lisez, vous voilà prêt à entendre les Confessions les plus noires de l'Âge du Mythe, pour ce qu'un Mythe il restera, enveloppant de son enveloppe de Mystères ces folklores et légendes. La Vérité ? Non. Je ne peux vous la dévoiler, pour ce qu'il est connu que la Vérité est plus perçante que n'importe quelle autre lame qu'Ëa porte en son sein. Ecoute bien cette histoire, toi qui me lit Aujourd'hui, et entends son Savoir afin de le transmettre à ceux de ta Lignée.
Il m'est impossible de parler de cet Âge sans te relater l'histoire d'une douce Reine, qui de folie alla briser tous les miroirs de son propre Palais. Sa naissance fut marquée par le serpent mangé par l'épervier, signe lui présageant déjà une funeste destinée, en accord bien évidemment avec les folklores de sa reculée contrée. La voyant, les plus cruelles des Valie allaient riant, mais celle qui trône encore sur ce Monde pleurait des larmes d'argent. Elle n'avait, il me faut le dire, à sa naissance, ni les traits de sa douce mère, ni sa doucereuse voix, ni sa chevelure soyeuse ; ni les traits de son père, ni sa vaillance légendaire, ni sa beauté statuaire. En tout points fut elle l'héritière sans doute d'Aulë, tant et si bien qu'isolée fut elle envoyée au sommet de l'Eryaniquetilë. Son palais ne fut autre qu'une prison de nacre et d'or, et il n'y avait miroir où elle aurait pu voir son visage ravagé, et l'écho du Palais fut par les Valie éloigné, afin que, sa voix ne puisse t-elle écouter. Et tous ses servants durent garder le silence sous peine d'être passés par les lances. Vint alors qu'à sa Haute Jeunesse, elle ne connaissant d'elle que les faux portraits que l'on avait réalisés. Elle décida un crépuscule, de quitter sa prison, mais ses ancêtres, avertis à temps prièrent les habitants du pied du mont de se faire masquer, tant et si bien qu'ennuyée la jeune femme alla dans ses appartements retourner. Ses parents alors venant de frôler leur fin, blâmèrent-ils les Divins pour ce qu'ils les avaient précipités vers leur Destin. Si courroucé les Dieux furent-ils d'une telle offense qu'envoyèrent-ils leur héraut apporter leur sentence : "Ne sois donc trop gourmand ! Nous t'offrons, or, nacre et diamants mais ne soit point si demandant ! Sache garder ta descendance en sûreté pour ce que tu en es le seul géniteur et nous n'avons point de temps à accorder à l'élaboration futile de tes leurres !" L'homme ainsi se tut, se pliant à la volonté des dieux, mais sa Princesse avait fini par connaître les lieux de sorte qu'au crépuscule encore elle berna les gardiens et s'échappa par les souterrains. Son père, affolé prévint alors toute la garde et se hâta de lancer une battue dans la proche forêt. Ils retrouvèrent bien vite la fugitive dans une grotte abritée, la dernière n'avait point vue la rivière qui coulait à ses pieds. La ramenant alors au Palais, son père fit payer cinquante gardes pour que sur elle cent yeux soient rivés. Mais à mesure que le temps passait, l'Orgueilleux redoublait d'offenses envers les dieux alors que la jeune fille attirait la Pitié à leurs yeux. Afin de faire payer au Seigneur son affront, il est dit qu'un des Divins alla un soir se présenter aux gardes tout en empoisonnant leurs boissons. "Va ! Cours ! eut-il dit à la jeune fille, "Le mot de ta fuite ne sera pas donné pour ce que l'écho dans tes appartements ira demeurer". La jeune fille, allègre alla en courant, souhaitant plus que tout surprendre ses parents. Mais la demeure familiale avait en son sein mille et mille miroirs, et s'y voyant la Princesse entra dans une fureur noire. Elle brisa alors toutes les glaces, ne supportant son propre reflet, mais son cri était tel que même les plus noires créatures fuyaient. De rage, elle assassina son propre père et en pleurs elle étouffa alors sa propre mère. Mais pourtant les Dieux n'avaient que faire de leur mort, pour ce que bien avant ce jour ils leur avaient causés bien grands torts. Dans cette confusion, un miroir n'était brisé, et bien qu'elle tenta, il ne pouvait être brisé. Elle finit par mourir, de chagrin autant que d'épuisement, n'ayant plus alors aucun déguisement.
Comprenez par cela que la Vérité heurte, et blesse et tue, mais le Mensonge parfois sait faire tout autant, pour ce qu'il hisse parfois à hauteur d'Astre celui qui empli d'audace finit par prendre flamme. En cela ne puis-je vous offrir la Vérité dans sa Nature la plus pure, et par mon silence sans doute ne vous mentirais-je, mais cacher la Vérité n'est point mentir cependant.
Je sais bien que nombreux seront ceux qui souhaiteront connaître l'Histoire de notre Monde. Je suis certain que nombreux seront ceux qui voudront connaître les derniers jours du Quatrième Âge. Mais la Patience est de mise, de nombreux évènements encore se sont produits, bien avant comme bien après, et la fin d'un monde apporte beaucoup moins que le commencement d'un autre. A vrai dire, nous étions bien conscients, tant Immortels qu'Humains, qu'un Mal finirait par venir couvrir d'Ombre ce monde que nous chérissions tant. Les Hommes avaient observé un long et lent déclin. Endor fut dépeuplée de tous ses Elfes, qui finissaient par rejoindre le Royaume Bienheureux. A vrai dire, les Elfes vivaient avec allégresse sous la protection des Pelori et ils semblaient faire renaître leur peuple, de sorte que nous assistions à un véritable Âge d'Or. Les armes furent comme délaissées, mais l'art de la Forge ne fut point oublié pour ce que tous savaient qu'ils auraient à affronter une fois dernière le Noir Ennemi. Mais les Hommes se faisaient noirs. Depuis la mort d'Eldarion les Temps avaient changés. Les Seigneurs féodaux commençaient à se livrer des batailles, qui bien que petites finirent par affaiblir l'Empire Réunifié. Nùmenor semblait renaître, du moins, l'Akallabêth. Les Elfes ne se souciaient que peu du destin des Hommes et cela fut une grande erreur. Peu à peu l'Empire d'Eldarion s'effrita. L'Arnor, encore fidèle aux Valar semblait combattre la noirceur de l'Âme des Suderons. Et ce que nous pensions être un fort bastion de résistance s'avéra être le premier à tomber.
Le Gondor sombra dans les sciences occultes et la sorcellerie devint une pratique acceptée. Et à mesure que le Gondor s'adonnait à de telles pratiques, les esprits encore maléfiques demeurant au Harad et dans les sombres temples de Nurn finirent par user de leur influence de telle sorte que, si le culte de Sauron ne revint pas, d'autres divinités plus maléfiques encore furent célébrées. Ceux qui restaient fidèles aux Valar quittaient par Dol Amroth les côtes du Gondor et fuyaient jusqu'en Arnor, qui ne savait demeurer fort et puissant face à la maléfique influence du Royaume du Sud.
Et que dire des Rois ? Ils finirent par sombrer dans l'opulence et la luxure et leur amour de l'argent et du faste finit par faire sombrer le Royaume dans la pauvreté. La Cité des Rois devint bien vite un repaire de bandits, un lieu malfamé et les pierres blanchâtres finirent par se couvrir d'une végétation noirâtre, les demeures ruinées. Rath Dinen fut recouvert par un Mal étrange et la Tour d'Echtelion fut comme au bord des ruines. Et l'Arbre Blanc du Gondor qui jusqu'alors fleurissait commençait à dépérir et ses racines se mourraient dans les eaux acides de la Fontaine. Minas Tirith ne fut plus que l'ombre de ce qu'elle fut jadis et son éclat finit par sombrer dans l'Oubli.
Les Cieux devinrent vieux et grisâtre, la Terre devint vieille, mais l'Océan restait rempli de monstres harmonieux et d'autres récifs florissants bien que le flot laborieux batte aveuglement des terres devenues vides. Et lentement des Ombres monta la moisissure tenace des lichens, peu à peu s'accrochant aux fentes de la roche, et le souffle du vent fixa le premier sol au fond de ces fissures. Et le long des estrans, sur les plages de vase, là où les fleuves gris chassaient le bleu des vagues, et de plus en plus loin parmi les plaines basses, la mousse aux longs doigts noirs poussa ses frondaisons. Les Hommes finirent par sombrer dans la Corruption, et leur Âme noircie en oublia jusqu'à l'existence même des Valar.
Plusieurs Rois alors se succédèrent, de maladies en morts prématurées, ce fut là le signe de l'Avènement du Noir Ennemi, pour ce que nous comprîmes bien vite de ces signes étranges que le Noir Ennemi gagnait en influence. Les Hommes d'Arnor réunirent leurs armées et se préparèrent à toute éventualité, prêts à faire face à une guerre quelconque. Et les Elfes à l'Ouest faisaient de même, et les forges de Valinor fumaient de jour comme de nuit, le bruit des armes résonnait dans la Vallée Fortifiée et ce durant des mois entiers. Les Valar savaient que Morgoth revenait et nous étions prêts à faire face à ses armées. Désormais les Hommes n'avaient plus d'espoir et nous n'avions plus d'espoir en eux pour ce qu'ils furent trop noirs, leurs Âmes trop corrompues pour qu'ils puissent désormais avoir quelconque volonté.
Mais savions-nous qu'il viendrait si promptement ? Je ne saurais point vous en donner l'exacte date, pour ce qu'en ces jours déjà les Elfes tant que les Hommes avaient stoppés de conter les jours, trop sûrs de leur Destin. Je me souviens.
Nous étions là, tous réunis sous une obscure clarté. Nos Rois s'étaient vêtus de soie et de chair et n'apparaissaient point en formes dévastatrices, mais si belles, si rayonnantes. Il y avait quelque chose d'auguste en eux, et la lumière dans laquelle ils baignaient nous indiquait qu'Eru veillait du haut de ses Palais célestiels. Face à nous ? Je ne saurais dire ce qu'il y avait. Une immense masse mouvante, noire et effrayante, couvrant les landes d'Or dans lesquelles nous nous tenions d'une pourriture noirâtre, d'une odeur si âcre que certains sauraient en mourir. Une horde, des légions d'immondices, avec à leur tête le Noir Ennemi, chatoyant d'un éclat sordide, tremblant d'une gloire éphémère. Il portait en son visage les balafres de son séjour derrière les Portes de la Nuit, et son apparence était si effrayante qu'il tentait de la cacher au moyen d'un heaume altier, comme dernier vestige de sa Couronne passée. Humilié se sentait-il pour ce que nous voyions les stigmates d'Angainor, rayonner sous ses cottes de plomb. Nous voyions qu'il avait grand peine à se hisser sur sa monture, pour ce qu'il n'avait plus de jambes. Sa main seule savait commander ces armées d'immondices. Et son cri fut si horrible que beaucoup d'entre nous faillirent en succomber.
Et de cette terrible exhortation naquirent ces bêtes ailées, héritiers de Scatha et de Smaug, répondant à appel par une série de hurlements stridents, et dans leur suite vinrent des souterrains les noirs Balrogs, sortis de leur ténébreuse hibernation, ils n'étaient pas aussi nombreux que Jadis et Gothmog n'était pas présent, mais pourtant ils savaient insuffler des vents de terreur parmi nos rangs.
Mais nous restâmes immobiles face à leurs provocations, aussi froids et solides que le roc, pour ce que les Valar furent avec nous. Nous étions tous vêtus de blanches armures, et portions tous des armes d'argent. Nos épées toutefois étaient d'un métal glacial mais robuste, plus scintillant que l'argent néanmoins. Nos légions s'étendaient sur des kilomètres entiers, étrange pourtant pour ce que nous étions si peu. Nos bannières flottaient dans le vent qui soufflait, tandis que derrière nous brillaient Isil et Anar. Pourtant, bien que les Valar soient présents pour nous guider, nous étions certains de notre imminente défaite. Et, alors que le combat allait s'engager, retentirent depuis les Cieux le son de trompes d'argent, et une clameur vint depuis l'arrière garde, se propageant tel un vent d'espoir jusque nos rangs. Nous n'entendions point leurs paroles, sinon quelques mots.
"Soroni !" criaient t-ils tous. Ainsi nous entendîmes. Les Aigles. Et il sembla qu'avec eux vinrent tous les Maiar qu'Arda eut porté, certains chevauchant les nobles créatures tandis que les autres prenaient place dans ces vaisseaux qui savaient survoler les routes des Cieux, guidés par Ëarendil, flamboyant d'un éclat arrogant tant qu'éblouissant. "Soroni" criâmes-nous alors. Et ainsi, nous sûmes qu'il restait de l'Espoir. Et Nienna eut stoppée ses larmes et entonna un chant, non pas de tristesse, mais d'une beauté impressionnante, aussi mélancolique qu'il n'était épique. Et chacun de nous alors sut trouver en lui la force de tenir face à ses légions.
Et Manwë était vêtu d'une tunique de soie bleue, portant son sceptre de saphirs et avec lui toute la puissance d'Arda. Et à ses côtés se tenait Elbereth, toute vêtue de blancheur, accompagnée de Kementari, non pas vêtu d'une robe verte, mais d'un gris d'hiver, tandis que Nienna avait une robe d'un gris de soir aux reflets moirés. Et Tulkas avait revêtu son armure, et lorsque Morgoth fit retentir son cri une seconde fois, il fut le premier parmi tous à tirer l'épée, freinant le Noir Ennemi dans son élan. A ses côtés se tenait son suppôt, Sauron, encore plus horrible que son Maître tant son Âme fut corrompue. Et parmi tous il fut le premier à souhaiter notre Mort, pour ce que Morgoth savait voir la noblesse que nous portions. Et alors que le son des trompes sonnait, Ulmo fit retentir sa Conque qui n'attira aucun des Eldar vers les côtes mais nous fit tirer les épées. Et de tous les Belain, Oromë restait en retrait et nous ne vîmes Nahar.
Mais les hordes de Morgoth avançaient, et nous décidâmes alors de nous lancer dans la bataille, comme si nous étions voués à une mort certaine, ce qui était pourtant vrai. Et jusque dans les Cieux le combat se poursuivait, pour ce que les panaches de fumée noirâtre, d'acides poussières et de nuages épais tentaient d'effacer la clarté argentine d'Isil et le flamboyant éclat d'Anar. Et les sols eux-mêmes s'affrontaient. Nos pas furent si lourds que nous en détachâmes une partie de Valinor, qui alla se perdre dans Ekkaia. Nous nous engouffrâmes ainsi dans cette bouche béante à l'haleine fétide et nauséabonde. Et Tulkas en brave alla se frayer un passage jusqu'au Noir Ennemi, mais Morgoth ne se leva point, et nous vîmes tous Sauron se lever avec orgueil et se saisir de sa masse. Mais il ne put qu'érafler l'armure de Tulkas que ce dernier lui transperça le corps de sa lame encore blanche et froide, et nous vîmes tous Sauron tomber du haut de ce pic. Morgoth alors tenta de s'échapper, mais dut affronter sa plus grande frayeur. Bien qu'il fut rancunier, Tulkas resta magnanime, et en honnête combattant, il offrit à Morgoth ses bottes afin qu'ils puissent chacun combattre à force égale.
Et cet affrontement épique fut bien plus terrible que celui qui opposa Glorfindel au Balrog à Gondolin. Chaque fois que l'épée de Tulkas rencontrait le marteau de Morgoth se déchiraient les Cieux, et la terre tremblait tandis que nous nous battions avec ardeur. Les Aigles affrontaient les Dragons, les Ents se levaient contre les Trolls et nous fûmes engloutis dans un maelstrom effroyable, dans un chaos insoutenable.
Et lorsque nous perdîmes Espoir et que les trompes turent leur chant, alors nous ouïmes le son Valaróma et Oromë, sur Nahar, comme aux jours Jadis vint irradier la plaine de son flamboiement. Alors les Cieux se déchirèrent plus encore en un tonnerre assourdissant qui pourtant ne savait surpasser le son de la trompe d'Oromë. Et le Vala souffla alors huit fois dans sa trompe, faisant fuir les Orques qui s'étaient amassés face à nous. "Entends l'antienne céleste ! ". Et Morgoth prit de terreur et épuisé par son combat incessant contre Tulkas finit alors par fléchir, et sa chute fut telle qu'elle ébranla les fondations de la Montagne, si bien que cette dernière alors finit par s'écrouler, lentement, réduisant à néant le trône noir que s'était façonné Morgoth.
Le pic entama une longue chute, entraînant avec lui le reste de la Muraille. Nous nous précipitâmes alors vers l'Ouest plus encore, là où il fut dit qu'Eru demeurait. Face à nous les Orques fuyaient, et les Dragons mourraient en gerbes de flammes. Je vis ce regard qu'avait Morgoth. La peur, le désespoir. La Fin de Tout. Il avait entendu l'antienne céleste. Et alors il s'éteignit en un long râle d'agonie, terrible et strident, bien que puissant et terrifiant, entraînant avec lui la Mort de tous les Balrogs et du reste de ceux qui le suivaient. Alors la Muraille s'effondra ébranla la terre elle-même, allant jusqu'à ravager l'enceinte entière de Valmar, qui sombrait tragiquement sous le bruit de ses mille cloches d'or et d'argent.
Alors, à mesure que s'écroulait la Muraille, nous vîmes l'Océan s'engouffrer dans les terres, comme aux Temps de Jadis, et au loin nous pûmes apercevoir le Mur de la Nuit qui s'affaissait et qui laissait entrevoir les immensités célestes dans laquelle baignait Arda. Alors Ulmo tenta de retenir les Eaux, et les Valar prièrent Eru et implorèrent son aide. Ainsi, le monde sembla se figer, et nous vîmes se dérouler à l'Ouest de nouvelles terres et à mesure que nous y avançâmes nous perdîmes notre enveloppe charnelle et tout en nous élevant, nous ouïmes une céleste musique retentir. Fut-ce cette antienne que Morgoth entendit ? Je ne le sais, je ne saurais l'admettre.
Ce que je sais, c'est que nous fûmes dans les Palais d'Iluvatar, et que comme aux Temps Jadis, notre Vue nous fût ôtée, et notre Odorat nous fut ôté, et tous nos autres sens, ne nous laissant que l'ouïe. Et alors nous entendîmes les mélodies des embruns, nous ouïmes la puissance magistrale de l'Océan. Nous ouïmes la légèreté du vent, le bruissement des feuilles. Nous ouïmes le Roc glissant contre la Terre, et la Terre elle-même se fissurant tantôt. A vrai dire, il n'est de bruit que nous n'ouïmes, et tous confondus recréaient cette douce mélodie qu'était l'Ainulindalë. Alors nous obtînmes le Don de Parole, et nos voix s'élevèrent en chœurs, tantôt rauques, tantôt argentins. Les voix virevoltent comme la mélodie dénuée de notes d'une flûte intemporelle, de celle qui insufflerait le vent de vie à l'intérieur de tous les corps, émanations de la belle nature, hors d'un champ de velours, saupoudré par les matinales rosées. Les humaines respirations ralentissent et se font plus douces, voire se métamorphosent en un simple effleurement sonore, comme les pas d'une créature si timide que son pas survole le sol, plus qu'il ne s'y pose.
Terre ferme promise à ceux qui sous les cieux se sont vus naître, pour humblement les parcourir, plaines de verre, forêts d'éclats indivisés ! Les lignes d'horizon soulignent sans jamais lasser La géométrie des justes choses. Qu'elles naissent d'elles-mêmes ou sous la flamme de l'homme ; en elles, le dévoilement transparent d'un avenir soupiré ; sous elles, les joies d'un simple vivre qui s'étalent comme belles pétales qu'il suffirait de recueillir ! Ainsi Arda nous apparut, vierge de tout mal pour ce qu'aucune voix dissidente, ni mélodie non accordée ne vint résonner dans les voûtes célestes, de sorte que l'Ainulindalë fut plus beau et pur encore qu'il ne le fut dans les Temps Anciens.
La Bataille que nous remportâmes nous ouvrit les portes d'un monde plus vaste et beau encore qu'Autrefois. Et en ce jour, les Pelori n'étaient plus libérant la lumière des Deux Arbres, qui alla se répandre sur toutes les landes, aussi éloignées soient-elles. Alors les Valar offrirent aux Peuples la liberté de quitter ces rivages, et Ulmo fit s'élever la fosse océane au cœur de l'Océan afin de créer un isthme étroit, reliant le Pays Bienheureux au reste des Terres du Milieu. Les Elfes demeurèrent auprès des Dieux, les Hommes empruntèrent l'isthme. Jamais nous ne crûmes voir ici tous les Peuples réunis. Et ainsi, lorsque le Premier Homme posa pied sur les Terres du Milieu, le Soleil se leva et cet Homme fut promis à une longue vie et est encore Aujourd'hui, Seigneur des Edain. Les Elfes et les Valar bâtirent alors ensemble les demeures dans lesquelles ils vivraient. Ulmo s'en retourna en Ulmonan, et Sulimo et Elbereth créèrent leur Palais de Lumière, au bord d'Ekkaia.
Là, leur demeure fut couverte d'embruns et de lapis, et Elbereth la faisait rayonner. Les Tatyar et les Minyar vécurent dans les mêmes cités, si grandes et si prospères qu'elles couvraient la largeur du continent, tandis que les Nelyar quant à eux préférèrent rester au bord de l'embrun, couvrant leurs palais d'écume. Là, sous l'ombrage des Deux Arbres les Elfes se réunirent en une immense Assemblée. Le son des carillons sonna durant des heures et il semblait que le Temps s'arrêta. Les Tatyar étaient vêtus de vêtements d'un blanc d'argent, de soieries et de broderies opulentes et certains d'entre eux qui s'étaient distingués par leur bravoure et leur vertu portaient des tiares d'argent. Les Minyar en revanche paraissaient bien moins lumineux et à l'opulence des Tatyar s'opposa leur sobriété. Ils étaient pour tous vêtus de tuniques de velours d'un bleu marin, et les plus puissants parmi eux ne portaient point de tiares mais avaient en leur index gauche un anneau d'or serti d'un saphir éclatant. Parmi eux étaient quelques femmes, à la chevelure de jais qui se distinguaient par leurs amples robes leur offrant une allure angélique et les plus belles parmi elles accompagnaient leurs chevelures de multiples joyaux et fils d'or en tresses tissés. Enfin, les Nelyar paraissaient plus austères encore. Vêtus de gris ou de tissus bleutés, ils apparaissaient comme des figures fantomatiques, de véritables sculptures de pierre. Leurs vêtements furent amples et possédaient de nombreux plis, et nombreux furent ceux qui rabattaient une partie de leur manteau sur leur épaule. Ceux là furent parmi les plus nobles, et de nombreux rubans venaient égayer leurs habits. Quelques femmes parmi eux siégeaient, mais elles se faisaient silencieuses et étaient pour toutes revêtues de tuniques grisâtres et d'un voile d'organdi qui glissait sur leur chevelure.
Tous s'assirent alors dans un théâtre de verdure adossé au flanc d'une colline. Autour des bancs d'albâtre se lovaient les plantes et roses et les colonnes qui soutenaient le portail étaient parcourues de plantes dont les fleurs tombaient en grappes d'or. Nàmo quant à lui siégeait face à l'assemblée, sur un trône fait d'argent, d'airain et d'or, massif et colossal sur lequel étaient inscrites en langue des Ainur, les lettres "Ici trônera le Juste, au cœur même du Conflit, afin que de son épée donne t-il Quittance en tant que Juge des Divins, et Divin Juge".
Ainsi, durant trois jours et trois nuits consécutives les Elfes débattirent afin de trouver le Roi qui les mènerait, pour ce que nul ne suivit en premier les Valar. Les voix ne s'élevaient point et l'on assista à une démonstration de calme et de sérénité. Chacun des Elfes était proposé comme Roi, et l'assemblée ainsi décidait de sa légitimité à devenir Roi de tous les Elfes. Et, lorsque l'aube du quatrième jour se montra, les Elfes avaient choisi pour Roi, Finwë, pour ce qu'il fut le seul à rester là où tous les autres avaient fui. Nàmo alors accepta tel Jugement et les Valar en furent contentés.
Depuis ce jour, une harmonie régnait entre les Peuples, et nul Mal ne fut à déplorer. Il n'était pas rare de voir des Hommes venir de l'Est à pied, franchissant l'étroit isthme qui séparait le Pays Bienheureux des Terres du Milieu. Pour ce que les Ainur et tous les Peuples se souvinrent du Désastre de Nùmenor, nul Homme depuis ce jour ne navigua jamais dans les eaux du Rindairë. Ainsi certains Elfes allaient vers l'Est afin de dispenser leurs enseignements aux Hommes, et des Royaumes Elfiques naquirent de l'autre côté des eaux, bien que tous les Elfes restaient proches de la Mer afin de toujours pouvoir entendre les cloches de la Cité de Calèmar, dont le son se propageait disait-on sur deux centaines de lieues aux alentours.
Les Valar ne furent point inquiétés par ces départs et ces nouveaux Royaumes pour ce que les Hommes et les Elfes oublièrent l'art de la Forge. Ainsi, seules de magnifiques gemmes furent taillées autant que de magnifiques anneaux. Tant de tiares, de sceptres, de couronnes, de diadèmes représentant la gloire des Elfes autant que celle des Hommes. Les Seigneurs des Edain par ailleurs devinrent de grands savants et leur soif de connaissance n'avait de limites. Ils ne cessaient d'observer les étoiles et les Cieux et se plaisaient à voguer sur toutes les Mers, sauf une. Leurs bibliothèques recelaient de savoirs sur la faune autant que la flore de ce monde qui fut nouveau et leurs outils perfectionnés leur permettaient de créer des cités pouvant rivaliser avec les Cités des Elfes du Pays Bienheureux; qui en revanche se concentraient sur l'étude des langues plus que sur celle de ce qui vit, pour ce qu'ils entretenaient ce rapport avec la Nature si intense qu'ils savaient entendre ses ressentis et qui, pour beaucoup d'entre eux, parlaient le langage des choses muettes.
Me voilà, parmi les Belain. J'étais parmi eux Jadis et je suis toujours parmi eux Aujourd'hui, mais ma forme se change, tels les reflets d'un tissu moiré. Entends l'antienne céleste. Il vous est possible d'en entendre les chœurs et les mélodies si toutefois vous prêtez attention aux choses qui vous baignent. Le bruit de la vague qui échoue sur la grève, de la lame qui se brise contre le roc, de la brise caressant les feuilles, de l'onde ridée par le souffle du vent. Entends l'antienne céleste. Aujourd'hui je t'en fais l'aveu solennel. Je me nomme Nolmo. Pour ceux qui connaissent encore les contes et les histoires de Jadis, mon nom est Mithrandir. Et pour ceux qui vécurent durant les Âges des Arbres, je me nomme Olorin. Entends l'antienne céleste.
"Entends la céleste antienne"
"Jour Quint de l'Âge du Mythe, An Nonante.
A vous qui me lisez, je vous transmets mon savoir. Par la Grâce des Valar eus-je été réincarné et pour ceci me voilà à vous offrir les Chroniques du Passé. Mon nom ? Je n'en ai point, et pour dire vrai, vous n'aurez besoin de le connaître, pour ce que mon rôle dans ces temps derniers ne fut point grand. Je ne suis le porteur d'aucune force, sinon celle de la Sagesse, et en cela pourrais-je prétendre être parmi les plus Forts de tous ceux qui vivent encore Aujourd'hui. Cela fait plusieurs ans déjà que le Monde est né, un siècle presque, si peu dans l'Histoire entière de ce monde. Aujourd'hui il est étrange pour moi d'écrire ceci, si jeune pourtant ma main est frêle. Malgré la Sagesse, je fus condamné à la Mort. Sans doute vous demandez-vous qui suis-je, sinon ce que je suis. Voyez-vous, il est dans une Vie de faire certains choix et certaines sont et se doivent d'être choisies pour ce qu'ainsi fonctionne l'Existence. D'autres choisirent le Pouvoir, et en sont réduits à ruminer dans une sombre et froide tour, désormais perdue au cœur des Murailles de la Nuit. Certains toutefois acceptèrent la force et ne devinrent rien d'autre sinon quelques mercenaires en quête de quelques sous afin de pouvoir entretenir leur si précieuse lame. D'autres encore eurent choisi la richesse et Aujourd'hui dépérissent, comme tous autres, dans leurs palais de marbre poli. Mais moi. J'eus choisi la Sagesse. Et voyez ! La Sagesse amène l'Immortalité de l'Esprit, mais l'Immortalité de l'Esprit ne retarde point celle de l'Âme et ne protège en rien des affres de l'Âge. Voyez !
Mes yeux se font aussi blancs que l'opale et n'ont d'utilité sinon celle d'effrayer celui qui me regarde. Ma peau jadis aussi belle que l'airain est désormais hâve et rongée par une étrange mort. Mes jambes ne me servent qu'à me tenir debout telles les racines d'un arbre mort ne lui servent qu'à tenter de garder le plus faible éclat de la Gloire dont il se parait antan. Ma chevelure est grisonnante alors que jadis chatoyait t-elle d'Or et d'éclairs d'Argent. Et pourtant suis-je un Sage. Beaucoup sont ignares et ne savent que frapper et boire et manger, ces ignares que j'envie autant que je méprise. Tous eurent l'Amour et la Vie, pour ce qu'avec l'Amour vient le Bonheur. Oh ! La chose est que les Pauvres, qu'ils soient d'or ou d'Esprit sans doute sont plus heureux que nous ne le sommes, pour ce qu'ils sont bien trop Insouciants pour se rendre compte des horreurs de la Vie, et bien trop Pauvres pour se soucier de toutes ces verroteries inutiles, de tous ces attirails, de tous ces mathoms dont on pare nos demeures peintes d'Or. Sans doute ces gens là seront plus heureux dans leur vie que nous ne le serons jamais dans la nôtre, pour ce qu'ils ne souhaitent aucune de ces choses dont ils ne connaissent l'existence et se contentent de si peu. Si peu ! Et pourtant ils sont heureux. L'Or corrompt ? Je ne saurais le dire, bien qu'il fut vrai que l'Or aura toujours corrompu les Âmes des Hommes. Sans doute le suis-je aussi pour ma part, Corrompu, et il est bien trop tard pour faire quoique ce soit pour changer cette morbide situation.
Aurais-je jeté mon Or dans les mers, me serais-je lesté de ces sacs d'argent pour m'élever que resterais-je Corrompu. Corrompu et d'autant plus Malheureux qu'ayant touché au Bonheur que procurait l'Or, une fois libre de ce dernier sombrerais-je dans une Dépression bien plus horrible que toute autre. Et quand j'entends ces militants, ces activistes se disant défenseurs de l'Homme et de son bien être prier et crier et polémiquer et harceler afin que nous fassions crouler les terres sous les ors, je pleure. Je pleure la Bêtise Humaine.
Heureux sont les Pauvres et les Pauvres d'Esprit ! Et je ne peux guère souhaiter me trouver à leur place toutefois, pour ce qu'ayant goûté à la Sagesse, il me serait impossible d'y renoncer pour simplement goûter au Bonheur. Là est la pire des conditions, dont les Inhumains eux-mêmes sont aussi les victimes. Tant d'attirails, tant de Sagesse, tant de Superficialité. Si appréciables qualités que l'on ne saurait s'en passer, prêts à renoncer au Bonheur même pour la simple possibilité de continuer à vivre sous de telles arches d'or. Toutefois, lorsque l'on y pense, il n'existe de notion de Bonheur. Non. Le Bonheur est propre à chacun. L'on ne peut dire d'un Homme cupide venant de trouver les Cités d'Or qu'il n'est point heureux. L'on ne peut dire d'un enfant s'amusant, et jouant, et riant qu'il n'est pas heureux. La vérité est que le Bonheur est propre à l'Individu, plutôt qu'une notion générale. Certains nécessitent pour être heureux de vivre dans d'immenses palais aux murs couverts d'or et aux colonnes couvertes de joyaux tandis que certains ne demanderont qu'une chaumière de bois. Pour certains même, le Monde ne suffirait tandis que pour d'autre une humble chaumière sera bien assez. Ainsi, l'on dit de certaines personnes qu'elles sont malheureuses, pour ce qu'elles n'ont pas ce que nous souhaitons, pour ce qu'elles ne possèdent pas les richesses et les mathoms que nous avons. Mais sans doute ces personnes ci sont plus heureuses, pour ce qu'elles possèdent ce qu'elles souhaitent. Ainsi, l'Homme le plus heureux sera aussi le plus Humble et le plus Modeste.
Ainsi, Heureux sont les Pauvres et les Pauvres d'Esprit. Pour ce que celui qui ne nécessite que trop pour être Heureux sera condamné à la Tristesse, pour ce qu'il ne peut se permettre d'obtenir tous ces magnifiques et scintillants joyaux. Et pourtant, suis-je heureux. Etrange sensation pour l'Inhumain qui ne rêve que de Royaumes de Gloire, de Sacres, de sceptres et de diadèmes sertis des joyaux les plus étincelants. Sans doute fut-ce pour ce que la Mort rend tout individu, aussi Humain que Divin plus Humble que quiconque. Si Humble même que le simple fait de savoir que l'on continuera à vivre provoque en lui la plus belle et incommensurable des Joies. Et voyez mon Destin ! Jadis fus-je grand et élancé, glorieux et lauré d'argent. Fier porteur des Epées des Seigneurs de l'Ouest que l'on me nommait, harpiste de renom. Je portais la condition de mon peuple entier en moi-même. L'on me vénérait pour mon infini savoir et désormais l'on me craint pour l'Apparence que j'arbore. Oh ! Comme je souhaite être autant Pauvre d'Esprit que d'Or ! Mais voyez ! Voyez comment le plus grand des Êtres peut aisément tomber du piédestal de Gloire qu'il se bâtit. Tout le savoir d'Ëa rassemblé en une personne, qui désormais ne souhaite que l'heure de sa Mort, si seulement viendra t-elle un jour. J'envie ces Hommes. J'envie cette race qui demeure auprès d'Eru désormais, dans l'attente de leur libération. Oui. Je les envie. Je suis pris de cette Malédiction, emprisonné par ma propre condition. Comme tous ceux des miens je vivais en Valinor, mais Aujourd'hui il me faut couvrir ce visage d'un Masque d'or afin de n'attirer la Peur parmi les Beaux, pour ce qu'un ladre tel que moi ne peut montrer sa face au Monde. Quel autre désastre viendra si tôt me faucher ? Mes jambes ne me portent guère plus, mes yeux n'ont plus d'utilité. Mon corps semble en lui-même annoncer ma fin bien que je sache qu'elle est bien lointaine. Est-ce un don si enviable que de devoir vivre une éternité dans telle enveloppe de chair ? Non. Ce n'est point un don.
Vous qui me lisez, vous voilà prêt à entendre les Confessions les plus noires de l'Âge du Mythe, pour ce qu'un Mythe il restera, enveloppant de son enveloppe de Mystères ces folklores et légendes. La Vérité ? Non. Je ne peux vous la dévoiler, pour ce qu'il est connu que la Vérité est plus perçante que n'importe quelle autre lame qu'Ëa porte en son sein. Ecoute bien cette histoire, toi qui me lit Aujourd'hui, et entends son Savoir afin de le transmettre à ceux de ta Lignée.
Il m'est impossible de parler de cet Âge sans te relater l'histoire d'une douce Reine, qui de folie alla briser tous les miroirs de son propre Palais. Sa naissance fut marquée par le serpent mangé par l'épervier, signe lui présageant déjà une funeste destinée, en accord bien évidemment avec les folklores de sa reculée contrée. La voyant, les plus cruelles des Valie allaient riant, mais celle qui trône encore sur ce Monde pleurait des larmes d'argent. Elle n'avait, il me faut le dire, à sa naissance, ni les traits de sa douce mère, ni sa doucereuse voix, ni sa chevelure soyeuse ; ni les traits de son père, ni sa vaillance légendaire, ni sa beauté statuaire. En tout points fut elle l'héritière sans doute d'Aulë, tant et si bien qu'isolée fut elle envoyée au sommet de l'Eryaniquetilë. Son palais ne fut autre qu'une prison de nacre et d'or, et il n'y avait miroir où elle aurait pu voir son visage ravagé, et l'écho du Palais fut par les Valie éloigné, afin que, sa voix ne puisse t-elle écouter. Et tous ses servants durent garder le silence sous peine d'être passés par les lances. Vint alors qu'à sa Haute Jeunesse, elle ne connaissant d'elle que les faux portraits que l'on avait réalisés. Elle décida un crépuscule, de quitter sa prison, mais ses ancêtres, avertis à temps prièrent les habitants du pied du mont de se faire masquer, tant et si bien qu'ennuyée la jeune femme alla dans ses appartements retourner. Ses parents alors venant de frôler leur fin, blâmèrent-ils les Divins pour ce qu'ils les avaient précipités vers leur Destin. Si courroucé les Dieux furent-ils d'une telle offense qu'envoyèrent-ils leur héraut apporter leur sentence : "Ne sois donc trop gourmand ! Nous t'offrons, or, nacre et diamants mais ne soit point si demandant ! Sache garder ta descendance en sûreté pour ce que tu en es le seul géniteur et nous n'avons point de temps à accorder à l'élaboration futile de tes leurres !" L'homme ainsi se tut, se pliant à la volonté des dieux, mais sa Princesse avait fini par connaître les lieux de sorte qu'au crépuscule encore elle berna les gardiens et s'échappa par les souterrains. Son père, affolé prévint alors toute la garde et se hâta de lancer une battue dans la proche forêt. Ils retrouvèrent bien vite la fugitive dans une grotte abritée, la dernière n'avait point vue la rivière qui coulait à ses pieds. La ramenant alors au Palais, son père fit payer cinquante gardes pour que sur elle cent yeux soient rivés. Mais à mesure que le temps passait, l'Orgueilleux redoublait d'offenses envers les dieux alors que la jeune fille attirait la Pitié à leurs yeux. Afin de faire payer au Seigneur son affront, il est dit qu'un des Divins alla un soir se présenter aux gardes tout en empoisonnant leurs boissons. "Va ! Cours ! eut-il dit à la jeune fille, "Le mot de ta fuite ne sera pas donné pour ce que l'écho dans tes appartements ira demeurer". La jeune fille, allègre alla en courant, souhaitant plus que tout surprendre ses parents. Mais la demeure familiale avait en son sein mille et mille miroirs, et s'y voyant la Princesse entra dans une fureur noire. Elle brisa alors toutes les glaces, ne supportant son propre reflet, mais son cri était tel que même les plus noires créatures fuyaient. De rage, elle assassina son propre père et en pleurs elle étouffa alors sa propre mère. Mais pourtant les Dieux n'avaient que faire de leur mort, pour ce que bien avant ce jour ils leur avaient causés bien grands torts. Dans cette confusion, un miroir n'était brisé, et bien qu'elle tenta, il ne pouvait être brisé. Elle finit par mourir, de chagrin autant que d'épuisement, n'ayant plus alors aucun déguisement.
Comprenez par cela que la Vérité heurte, et blesse et tue, mais le Mensonge parfois sait faire tout autant, pour ce qu'il hisse parfois à hauteur d'Astre celui qui empli d'audace finit par prendre flamme. En cela ne puis-je vous offrir la Vérité dans sa Nature la plus pure, et par mon silence sans doute ne vous mentirais-je, mais cacher la Vérité n'est point mentir cependant.
Je sais bien que nombreux seront ceux qui souhaiteront connaître l'Histoire de notre Monde. Je suis certain que nombreux seront ceux qui voudront connaître les derniers jours du Quatrième Âge. Mais la Patience est de mise, de nombreux évènements encore se sont produits, bien avant comme bien après, et la fin d'un monde apporte beaucoup moins que le commencement d'un autre. A vrai dire, nous étions bien conscients, tant Immortels qu'Humains, qu'un Mal finirait par venir couvrir d'Ombre ce monde que nous chérissions tant. Les Hommes avaient observé un long et lent déclin. Endor fut dépeuplée de tous ses Elfes, qui finissaient par rejoindre le Royaume Bienheureux. A vrai dire, les Elfes vivaient avec allégresse sous la protection des Pelori et ils semblaient faire renaître leur peuple, de sorte que nous assistions à un véritable Âge d'Or. Les armes furent comme délaissées, mais l'art de la Forge ne fut point oublié pour ce que tous savaient qu'ils auraient à affronter une fois dernière le Noir Ennemi. Mais les Hommes se faisaient noirs. Depuis la mort d'Eldarion les Temps avaient changés. Les Seigneurs féodaux commençaient à se livrer des batailles, qui bien que petites finirent par affaiblir l'Empire Réunifié. Nùmenor semblait renaître, du moins, l'Akallabêth. Les Elfes ne se souciaient que peu du destin des Hommes et cela fut une grande erreur. Peu à peu l'Empire d'Eldarion s'effrita. L'Arnor, encore fidèle aux Valar semblait combattre la noirceur de l'Âme des Suderons. Et ce que nous pensions être un fort bastion de résistance s'avéra être le premier à tomber.
Le Gondor sombra dans les sciences occultes et la sorcellerie devint une pratique acceptée. Et à mesure que le Gondor s'adonnait à de telles pratiques, les esprits encore maléfiques demeurant au Harad et dans les sombres temples de Nurn finirent par user de leur influence de telle sorte que, si le culte de Sauron ne revint pas, d'autres divinités plus maléfiques encore furent célébrées. Ceux qui restaient fidèles aux Valar quittaient par Dol Amroth les côtes du Gondor et fuyaient jusqu'en Arnor, qui ne savait demeurer fort et puissant face à la maléfique influence du Royaume du Sud.
Et que dire des Rois ? Ils finirent par sombrer dans l'opulence et la luxure et leur amour de l'argent et du faste finit par faire sombrer le Royaume dans la pauvreté. La Cité des Rois devint bien vite un repaire de bandits, un lieu malfamé et les pierres blanchâtres finirent par se couvrir d'une végétation noirâtre, les demeures ruinées. Rath Dinen fut recouvert par un Mal étrange et la Tour d'Echtelion fut comme au bord des ruines. Et l'Arbre Blanc du Gondor qui jusqu'alors fleurissait commençait à dépérir et ses racines se mourraient dans les eaux acides de la Fontaine. Minas Tirith ne fut plus que l'ombre de ce qu'elle fut jadis et son éclat finit par sombrer dans l'Oubli.
Les Cieux devinrent vieux et grisâtre, la Terre devint vieille, mais l'Océan restait rempli de monstres harmonieux et d'autres récifs florissants bien que le flot laborieux batte aveuglement des terres devenues vides. Et lentement des Ombres monta la moisissure tenace des lichens, peu à peu s'accrochant aux fentes de la roche, et le souffle du vent fixa le premier sol au fond de ces fissures. Et le long des estrans, sur les plages de vase, là où les fleuves gris chassaient le bleu des vagues, et de plus en plus loin parmi les plaines basses, la mousse aux longs doigts noirs poussa ses frondaisons. Les Hommes finirent par sombrer dans la Corruption, et leur Âme noircie en oublia jusqu'à l'existence même des Valar.
Plusieurs Rois alors se succédèrent, de maladies en morts prématurées, ce fut là le signe de l'Avènement du Noir Ennemi, pour ce que nous comprîmes bien vite de ces signes étranges que le Noir Ennemi gagnait en influence. Les Hommes d'Arnor réunirent leurs armées et se préparèrent à toute éventualité, prêts à faire face à une guerre quelconque. Et les Elfes à l'Ouest faisaient de même, et les forges de Valinor fumaient de jour comme de nuit, le bruit des armes résonnait dans la Vallée Fortifiée et ce durant des mois entiers. Les Valar savaient que Morgoth revenait et nous étions prêts à faire face à ses armées. Désormais les Hommes n'avaient plus d'espoir et nous n'avions plus d'espoir en eux pour ce qu'ils furent trop noirs, leurs Âmes trop corrompues pour qu'ils puissent désormais avoir quelconque volonté.
Mais savions-nous qu'il viendrait si promptement ? Je ne saurais point vous en donner l'exacte date, pour ce qu'en ces jours déjà les Elfes tant que les Hommes avaient stoppés de conter les jours, trop sûrs de leur Destin. Je me souviens.
Nous étions là, tous réunis sous une obscure clarté. Nos Rois s'étaient vêtus de soie et de chair et n'apparaissaient point en formes dévastatrices, mais si belles, si rayonnantes. Il y avait quelque chose d'auguste en eux, et la lumière dans laquelle ils baignaient nous indiquait qu'Eru veillait du haut de ses Palais célestiels. Face à nous ? Je ne saurais dire ce qu'il y avait. Une immense masse mouvante, noire et effrayante, couvrant les landes d'Or dans lesquelles nous nous tenions d'une pourriture noirâtre, d'une odeur si âcre que certains sauraient en mourir. Une horde, des légions d'immondices, avec à leur tête le Noir Ennemi, chatoyant d'un éclat sordide, tremblant d'une gloire éphémère. Il portait en son visage les balafres de son séjour derrière les Portes de la Nuit, et son apparence était si effrayante qu'il tentait de la cacher au moyen d'un heaume altier, comme dernier vestige de sa Couronne passée. Humilié se sentait-il pour ce que nous voyions les stigmates d'Angainor, rayonner sous ses cottes de plomb. Nous voyions qu'il avait grand peine à se hisser sur sa monture, pour ce qu'il n'avait plus de jambes. Sa main seule savait commander ces armées d'immondices. Et son cri fut si horrible que beaucoup d'entre nous faillirent en succomber.
Et de cette terrible exhortation naquirent ces bêtes ailées, héritiers de Scatha et de Smaug, répondant à appel par une série de hurlements stridents, et dans leur suite vinrent des souterrains les noirs Balrogs, sortis de leur ténébreuse hibernation, ils n'étaient pas aussi nombreux que Jadis et Gothmog n'était pas présent, mais pourtant ils savaient insuffler des vents de terreur parmi nos rangs.
Mais nous restâmes immobiles face à leurs provocations, aussi froids et solides que le roc, pour ce que les Valar furent avec nous. Nous étions tous vêtus de blanches armures, et portions tous des armes d'argent. Nos épées toutefois étaient d'un métal glacial mais robuste, plus scintillant que l'argent néanmoins. Nos légions s'étendaient sur des kilomètres entiers, étrange pourtant pour ce que nous étions si peu. Nos bannières flottaient dans le vent qui soufflait, tandis que derrière nous brillaient Isil et Anar. Pourtant, bien que les Valar soient présents pour nous guider, nous étions certains de notre imminente défaite. Et, alors que le combat allait s'engager, retentirent depuis les Cieux le son de trompes d'argent, et une clameur vint depuis l'arrière garde, se propageant tel un vent d'espoir jusque nos rangs. Nous n'entendions point leurs paroles, sinon quelques mots.
"Soroni !" criaient t-ils tous. Ainsi nous entendîmes. Les Aigles. Et il sembla qu'avec eux vinrent tous les Maiar qu'Arda eut porté, certains chevauchant les nobles créatures tandis que les autres prenaient place dans ces vaisseaux qui savaient survoler les routes des Cieux, guidés par Ëarendil, flamboyant d'un éclat arrogant tant qu'éblouissant. "Soroni" criâmes-nous alors. Et ainsi, nous sûmes qu'il restait de l'Espoir. Et Nienna eut stoppée ses larmes et entonna un chant, non pas de tristesse, mais d'une beauté impressionnante, aussi mélancolique qu'il n'était épique. Et chacun de nous alors sut trouver en lui la force de tenir face à ses légions.
Et Manwë était vêtu d'une tunique de soie bleue, portant son sceptre de saphirs et avec lui toute la puissance d'Arda. Et à ses côtés se tenait Elbereth, toute vêtue de blancheur, accompagnée de Kementari, non pas vêtu d'une robe verte, mais d'un gris d'hiver, tandis que Nienna avait une robe d'un gris de soir aux reflets moirés. Et Tulkas avait revêtu son armure, et lorsque Morgoth fit retentir son cri une seconde fois, il fut le premier parmi tous à tirer l'épée, freinant le Noir Ennemi dans son élan. A ses côtés se tenait son suppôt, Sauron, encore plus horrible que son Maître tant son Âme fut corrompue. Et parmi tous il fut le premier à souhaiter notre Mort, pour ce que Morgoth savait voir la noblesse que nous portions. Et alors que le son des trompes sonnait, Ulmo fit retentir sa Conque qui n'attira aucun des Eldar vers les côtes mais nous fit tirer les épées. Et de tous les Belain, Oromë restait en retrait et nous ne vîmes Nahar.
Mais les hordes de Morgoth avançaient, et nous décidâmes alors de nous lancer dans la bataille, comme si nous étions voués à une mort certaine, ce qui était pourtant vrai. Et jusque dans les Cieux le combat se poursuivait, pour ce que les panaches de fumée noirâtre, d'acides poussières et de nuages épais tentaient d'effacer la clarté argentine d'Isil et le flamboyant éclat d'Anar. Et les sols eux-mêmes s'affrontaient. Nos pas furent si lourds que nous en détachâmes une partie de Valinor, qui alla se perdre dans Ekkaia. Nous nous engouffrâmes ainsi dans cette bouche béante à l'haleine fétide et nauséabonde. Et Tulkas en brave alla se frayer un passage jusqu'au Noir Ennemi, mais Morgoth ne se leva point, et nous vîmes tous Sauron se lever avec orgueil et se saisir de sa masse. Mais il ne put qu'érafler l'armure de Tulkas que ce dernier lui transperça le corps de sa lame encore blanche et froide, et nous vîmes tous Sauron tomber du haut de ce pic. Morgoth alors tenta de s'échapper, mais dut affronter sa plus grande frayeur. Bien qu'il fut rancunier, Tulkas resta magnanime, et en honnête combattant, il offrit à Morgoth ses bottes afin qu'ils puissent chacun combattre à force égale.
Et cet affrontement épique fut bien plus terrible que celui qui opposa Glorfindel au Balrog à Gondolin. Chaque fois que l'épée de Tulkas rencontrait le marteau de Morgoth se déchiraient les Cieux, et la terre tremblait tandis que nous nous battions avec ardeur. Les Aigles affrontaient les Dragons, les Ents se levaient contre les Trolls et nous fûmes engloutis dans un maelstrom effroyable, dans un chaos insoutenable.
Et lorsque nous perdîmes Espoir et que les trompes turent leur chant, alors nous ouïmes le son Valaróma et Oromë, sur Nahar, comme aux jours Jadis vint irradier la plaine de son flamboiement. Alors les Cieux se déchirèrent plus encore en un tonnerre assourdissant qui pourtant ne savait surpasser le son de la trompe d'Oromë. Et le Vala souffla alors huit fois dans sa trompe, faisant fuir les Orques qui s'étaient amassés face à nous. "Entends l'antienne céleste ! ". Et Morgoth prit de terreur et épuisé par son combat incessant contre Tulkas finit alors par fléchir, et sa chute fut telle qu'elle ébranla les fondations de la Montagne, si bien que cette dernière alors finit par s'écrouler, lentement, réduisant à néant le trône noir que s'était façonné Morgoth.
Le pic entama une longue chute, entraînant avec lui le reste de la Muraille. Nous nous précipitâmes alors vers l'Ouest plus encore, là où il fut dit qu'Eru demeurait. Face à nous les Orques fuyaient, et les Dragons mourraient en gerbes de flammes. Je vis ce regard qu'avait Morgoth. La peur, le désespoir. La Fin de Tout. Il avait entendu l'antienne céleste. Et alors il s'éteignit en un long râle d'agonie, terrible et strident, bien que puissant et terrifiant, entraînant avec lui la Mort de tous les Balrogs et du reste de ceux qui le suivaient. Alors la Muraille s'effondra ébranla la terre elle-même, allant jusqu'à ravager l'enceinte entière de Valmar, qui sombrait tragiquement sous le bruit de ses mille cloches d'or et d'argent.
Alors, à mesure que s'écroulait la Muraille, nous vîmes l'Océan s'engouffrer dans les terres, comme aux Temps de Jadis, et au loin nous pûmes apercevoir le Mur de la Nuit qui s'affaissait et qui laissait entrevoir les immensités célestes dans laquelle baignait Arda. Alors Ulmo tenta de retenir les Eaux, et les Valar prièrent Eru et implorèrent son aide. Ainsi, le monde sembla se figer, et nous vîmes se dérouler à l'Ouest de nouvelles terres et à mesure que nous y avançâmes nous perdîmes notre enveloppe charnelle et tout en nous élevant, nous ouïmes une céleste musique retentir. Fut-ce cette antienne que Morgoth entendit ? Je ne le sais, je ne saurais l'admettre.
Ce que je sais, c'est que nous fûmes dans les Palais d'Iluvatar, et que comme aux Temps Jadis, notre Vue nous fût ôtée, et notre Odorat nous fut ôté, et tous nos autres sens, ne nous laissant que l'ouïe. Et alors nous entendîmes les mélodies des embruns, nous ouïmes la puissance magistrale de l'Océan. Nous ouïmes la légèreté du vent, le bruissement des feuilles. Nous ouïmes le Roc glissant contre la Terre, et la Terre elle-même se fissurant tantôt. A vrai dire, il n'est de bruit que nous n'ouïmes, et tous confondus recréaient cette douce mélodie qu'était l'Ainulindalë. Alors nous obtînmes le Don de Parole, et nos voix s'élevèrent en chœurs, tantôt rauques, tantôt argentins. Les voix virevoltent comme la mélodie dénuée de notes d'une flûte intemporelle, de celle qui insufflerait le vent de vie à l'intérieur de tous les corps, émanations de la belle nature, hors d'un champ de velours, saupoudré par les matinales rosées. Les humaines respirations ralentissent et se font plus douces, voire se métamorphosent en un simple effleurement sonore, comme les pas d'une créature si timide que son pas survole le sol, plus qu'il ne s'y pose.
Terre ferme promise à ceux qui sous les cieux se sont vus naître, pour humblement les parcourir, plaines de verre, forêts d'éclats indivisés ! Les lignes d'horizon soulignent sans jamais lasser La géométrie des justes choses. Qu'elles naissent d'elles-mêmes ou sous la flamme de l'homme ; en elles, le dévoilement transparent d'un avenir soupiré ; sous elles, les joies d'un simple vivre qui s'étalent comme belles pétales qu'il suffirait de recueillir ! Ainsi Arda nous apparut, vierge de tout mal pour ce qu'aucune voix dissidente, ni mélodie non accordée ne vint résonner dans les voûtes célestes, de sorte que l'Ainulindalë fut plus beau et pur encore qu'il ne le fut dans les Temps Anciens.
La Bataille que nous remportâmes nous ouvrit les portes d'un monde plus vaste et beau encore qu'Autrefois. Et en ce jour, les Pelori n'étaient plus libérant la lumière des Deux Arbres, qui alla se répandre sur toutes les landes, aussi éloignées soient-elles. Alors les Valar offrirent aux Peuples la liberté de quitter ces rivages, et Ulmo fit s'élever la fosse océane au cœur de l'Océan afin de créer un isthme étroit, reliant le Pays Bienheureux au reste des Terres du Milieu. Les Elfes demeurèrent auprès des Dieux, les Hommes empruntèrent l'isthme. Jamais nous ne crûmes voir ici tous les Peuples réunis. Et ainsi, lorsque le Premier Homme posa pied sur les Terres du Milieu, le Soleil se leva et cet Homme fut promis à une longue vie et est encore Aujourd'hui, Seigneur des Edain. Les Elfes et les Valar bâtirent alors ensemble les demeures dans lesquelles ils vivraient. Ulmo s'en retourna en Ulmonan, et Sulimo et Elbereth créèrent leur Palais de Lumière, au bord d'Ekkaia.
Là, leur demeure fut couverte d'embruns et de lapis, et Elbereth la faisait rayonner. Les Tatyar et les Minyar vécurent dans les mêmes cités, si grandes et si prospères qu'elles couvraient la largeur du continent, tandis que les Nelyar quant à eux préférèrent rester au bord de l'embrun, couvrant leurs palais d'écume. Là, sous l'ombrage des Deux Arbres les Elfes se réunirent en une immense Assemblée. Le son des carillons sonna durant des heures et il semblait que le Temps s'arrêta. Les Tatyar étaient vêtus de vêtements d'un blanc d'argent, de soieries et de broderies opulentes et certains d'entre eux qui s'étaient distingués par leur bravoure et leur vertu portaient des tiares d'argent. Les Minyar en revanche paraissaient bien moins lumineux et à l'opulence des Tatyar s'opposa leur sobriété. Ils étaient pour tous vêtus de tuniques de velours d'un bleu marin, et les plus puissants parmi eux ne portaient point de tiares mais avaient en leur index gauche un anneau d'or serti d'un saphir éclatant. Parmi eux étaient quelques femmes, à la chevelure de jais qui se distinguaient par leurs amples robes leur offrant une allure angélique et les plus belles parmi elles accompagnaient leurs chevelures de multiples joyaux et fils d'or en tresses tissés. Enfin, les Nelyar paraissaient plus austères encore. Vêtus de gris ou de tissus bleutés, ils apparaissaient comme des figures fantomatiques, de véritables sculptures de pierre. Leurs vêtements furent amples et possédaient de nombreux plis, et nombreux furent ceux qui rabattaient une partie de leur manteau sur leur épaule. Ceux là furent parmi les plus nobles, et de nombreux rubans venaient égayer leurs habits. Quelques femmes parmi eux siégeaient, mais elles se faisaient silencieuses et étaient pour toutes revêtues de tuniques grisâtres et d'un voile d'organdi qui glissait sur leur chevelure.
Tous s'assirent alors dans un théâtre de verdure adossé au flanc d'une colline. Autour des bancs d'albâtre se lovaient les plantes et roses et les colonnes qui soutenaient le portail étaient parcourues de plantes dont les fleurs tombaient en grappes d'or. Nàmo quant à lui siégeait face à l'assemblée, sur un trône fait d'argent, d'airain et d'or, massif et colossal sur lequel étaient inscrites en langue des Ainur, les lettres "Ici trônera le Juste, au cœur même du Conflit, afin que de son épée donne t-il Quittance en tant que Juge des Divins, et Divin Juge".
Ainsi, durant trois jours et trois nuits consécutives les Elfes débattirent afin de trouver le Roi qui les mènerait, pour ce que nul ne suivit en premier les Valar. Les voix ne s'élevaient point et l'on assista à une démonstration de calme et de sérénité. Chacun des Elfes était proposé comme Roi, et l'assemblée ainsi décidait de sa légitimité à devenir Roi de tous les Elfes. Et, lorsque l'aube du quatrième jour se montra, les Elfes avaient choisi pour Roi, Finwë, pour ce qu'il fut le seul à rester là où tous les autres avaient fui. Nàmo alors accepta tel Jugement et les Valar en furent contentés.
Depuis ce jour, une harmonie régnait entre les Peuples, et nul Mal ne fut à déplorer. Il n'était pas rare de voir des Hommes venir de l'Est à pied, franchissant l'étroit isthme qui séparait le Pays Bienheureux des Terres du Milieu. Pour ce que les Ainur et tous les Peuples se souvinrent du Désastre de Nùmenor, nul Homme depuis ce jour ne navigua jamais dans les eaux du Rindairë. Ainsi certains Elfes allaient vers l'Est afin de dispenser leurs enseignements aux Hommes, et des Royaumes Elfiques naquirent de l'autre côté des eaux, bien que tous les Elfes restaient proches de la Mer afin de toujours pouvoir entendre les cloches de la Cité de Calèmar, dont le son se propageait disait-on sur deux centaines de lieues aux alentours.
Les Valar ne furent point inquiétés par ces départs et ces nouveaux Royaumes pour ce que les Hommes et les Elfes oublièrent l'art de la Forge. Ainsi, seules de magnifiques gemmes furent taillées autant que de magnifiques anneaux. Tant de tiares, de sceptres, de couronnes, de diadèmes représentant la gloire des Elfes autant que celle des Hommes. Les Seigneurs des Edain par ailleurs devinrent de grands savants et leur soif de connaissance n'avait de limites. Ils ne cessaient d'observer les étoiles et les Cieux et se plaisaient à voguer sur toutes les Mers, sauf une. Leurs bibliothèques recelaient de savoirs sur la faune autant que la flore de ce monde qui fut nouveau et leurs outils perfectionnés leur permettaient de créer des cités pouvant rivaliser avec les Cités des Elfes du Pays Bienheureux; qui en revanche se concentraient sur l'étude des langues plus que sur celle de ce qui vit, pour ce qu'ils entretenaient ce rapport avec la Nature si intense qu'ils savaient entendre ses ressentis et qui, pour beaucoup d'entre eux, parlaient le langage des choses muettes.
Me voilà, parmi les Belain. J'étais parmi eux Jadis et je suis toujours parmi eux Aujourd'hui, mais ma forme se change, tels les reflets d'un tissu moiré. Entends l'antienne céleste. Il vous est possible d'en entendre les chœurs et les mélodies si toutefois vous prêtez attention aux choses qui vous baignent. Le bruit de la vague qui échoue sur la grève, de la lame qui se brise contre le roc, de la brise caressant les feuilles, de l'onde ridée par le souffle du vent. Entends l'antienne céleste. Aujourd'hui je t'en fais l'aveu solennel. Je me nomme Nolmo. Pour ceux qui connaissent encore les contes et les histoires de Jadis, mon nom est Mithrandir. Et pour ceux qui vécurent durant les Âges des Arbres, je me nomme Olorin. Entends l'antienne céleste.