01.08.2007, 15:21
(Modification du message : 02.08.2007, 00:30 par Bragelonne.)
De temps à autre "démarché" par une des instances supérieures du patelin appelé Tolkiendil.com, il fallait bien que j'y échoue un jour, et me voilà ! Point trop mécontent du naufrage, en espérant que vous ne le serez pas non plus de mon débarquement...
Je vous propose d'entrée un morceau de prose, d'un genre un peu spécial ; l'enjeu de départ étant le suivant : quel visage présenterait notre oeuvre fétiche si le point de vue changeait ? Enjeu qui ouvre de multiples possibilités : au lieu de "La Chute Du Seigneur Des Anneaux et Le Retour Du Roi (tels que les ont vus les Petites Personnes)", quid d'un "tel que les a vus Prosper Poiredebeurré, aubergiste", d'un récit de la guerre d'après un Suderon ou d'après un obscur paysan du Gondor ?
Suivant cette idée, voici donc un passage de la Communauté de l'Anneau, raconté par un protagoniste des plus discrets, mais qui apparaît néanmoins dans l'oeuvre, au point que c'est le Professeur qui est l'auteur des premières lignes qui vont suivre...
Note : le texte commence quelque part dans le chapitre 3, Livre I. Vous pouvez comparer le texte, et donc les points de vue, avec l'oeuvre originale, jusqu'au chapitre 4.
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« Des Hobbits ! pensa-t-il. Qu'est ce que cela veut dire ? J'ai entendu parler d'étranges faits dans ce pays, mais j'ai rarement ouï parler d'un Hobbit dormant dehors sous un arbre. Et ils sont trois ! Il y a quelque chose de bien extraordinaire là-derrière. »
L'histoire dit qu'il n'en sut jamais davantage, mais c'est là bien mal connaître la curiosité de ces êtres, rusés de surcroît, que sont les renards. Il vint à l'idée de celui-ci de se rendre compte, par lui-même, de ce qui se tramait derrière les rondes figures des Hobbits. Ainsi il aurait lui aussi de quoi discuter, et ferait un peu d'ombre à ces pies jacassantes, qui non contentes d'ennuyer toutes les forêts avec des louanges ininterrompues à l'adresse de leur « Maître Saroumane », se trouvaient également porteuses de la majeure partie de ce qui se racontait de bec à oreille. Du reste, notre renard pensait bien découvrir promptement le fin mot de cette histoire, et repartir à ses affaires le lendemain, ce en quoi d'ailleurs il se trompait fortement, nous le verrons par la suite.
Se glissant silencieusement dans un buisson qui se trouvait en face de l'arbre des endormis, il put les observer à son aise, et s'endormit après un moment, pour se remettre à guetter dès le point du jour – ce qui était peut-être un peu tôt, étant donné les habitudes Hobbites concernant le sommeil, et sa durée en particulier. Après ce qui lui sembla une bien longue attente, un des Hobbits ouvrit enfin les yeux et s'étira. Le son de sa voix fit sursauter l'animal, habitué au silence des bois de la Comté. Contrairement aux corbeaux ou même aux arbres, les renards ne furent jamais initiés aux secrets du langage. Ils avaient le leur bien-sûr, mais le Westron ne leur était pas connu. Le renard comprit néanmoins que ce que disait le Hobbit devait être une sorte d'ordre, car les deux autres remuèrent bientôt.
Observant toujours les trois compères avec attention, il étudia la hiérarchie qui était instaurée entre eux. Le dominant du groupe était le premier levé. L'attitude soumise d'un des Hobbits ne faisait aucun doute. Le dernier était plus compliqué à cerner. il n'avait pas obéi immédiatement aux injonctions du dominant, et avait par la suite crié à son tour sur le ton de l'ordre. Après réflexion, l'animal en conclut que ce devait être un jeune non encore soumis, et qui peut-être même songeait à prendre la place du chef.
Notre renard prenait amplement son temps pour parvenir à ses conclusions, car il savait que, tout naturellement, les Hobbits sitôt levés se consacraient à la recherche de nourriture. Du point de vue animal, les Semi Hommes étaient certainement les êtres parlants aux actes les plus compréhensibles. Leurs terriers, leurs raisonnements lourds et lents, leurs petites habitudes réglées ainsi que la continuelle quête de victuailles, objectif de tout animal voulant survivre un tant soit peu, tout cela les rapprochait étrangement. D'où l'intérêt de notre espion : des Hobbits aventureux, cela était inconnu, et comme aurait convenu tout Hobbit respectable, l'inconnu était potentiellement dangereux, quand il n'était pas positivement désagréable.
Le départ vint tout de même. D'un pas alerte, le renard les suivit à bonne distance. Ils descendirent une pente, et passèrent un ruisseau ou l'animal but un moment. Il avait là encore tout son temps : rien n'était plus simple que de flairer la piste des Hobbits, avec toutes les provisions qu'ils emmenaient ! Il regarda, moqueur, les petites personnes, chargées de tout leur bric-à-brac. A quoi tout cela leur servait-il ?
La journée était chaude ; le renard en profita pour se repaître des lézards qui tous se prélassaient sur les pierres le long d'une route en zigzags. Cette chasse ne lui fit prendre aucun retard : il retrouva les trois compagnons, dormant à nouveau. « Quels paresseux ! Et ça voyage... »
Ils repartirent contre toute logique (pour le renard du moins) alors que l'après-midi touchait à sa fin. Lui connaissait cette région, et savait que les Hobbits seraient seuls à vagabonder à cette heure. Aussi les suivit-il sur la route, assez ouvertement, reniflant de temps à autre une piste quelconque. On approchait des bois.
Soudain, la fourrure de l'animal se hérissa. « Fuir, fuir à tout prix ! » Son esprit ne s'encombrait pas de ces sortes d'hésitations qu'on appelle « raisonnement ». Il ne pensait pas que la voie était peu usitée, il ne craignait pas d'ennemis précis, ne sentait pas de prédateurs, d'ailleurs rares en Comté. Non, il fallait fuir, c'était tout. En un éclair, il avait disparu, caché dans un bosquet, la queue repliée. Il jeta un oeil sur les Hobbits. Eux aussi semblaient inquiets. Le soumis s'était arrêté, interpellant les autres. Quelle lenteur ! Le renard s'était toujours demandé comment le premier Semi-Homme avait pu survivre hors de son terrier. Laborieusement, le dominant eut l'air de donner un ordre, auquel les deux autres obéirent sans tarder, se cachant si maladroitement que l'animal se demanda d'abord ce qu'ils faisaient. Le dominant quant à lui resta sur la route un moment qui parut éternité à la bête sauvage, pour qui la vie n'était que secondes de sursis. Sa cachette cependant, meilleure que les autres, conforta l'animal dans l'idée qu'il était le plus important du groupe. Lui avait au moins un peu d'instinct, sinon de l'expérience.
Mais tout en observant, le renard tremblait toujours. Et c'est alors qu'il le vit. Sur un cheval noir, assez peu inquiétant en lui-même du fait qu'il sentait lui aussi comme un animal terrifié, un monstre humain s'avançait. Car pour le renard, aucun doute n'était possible sur le caractère monstrueux de l' « Homme ». Il ne dégageait aucune odeur : il n'était rien, il était mort. La Mort en mouvement, c'était la terreur du prédateur, qui misait sa vie sur le meurtre.
Du reste, on en avait parlé dans les bois, de ces monstres. Ils étaient arrivés depuis quelques mois dans le Nord, semant la terreur à leur approche. Les animaux réfugiés en Comté parlaient des « Hommes Vides » ou des « Cadavres à cheval ». En un sens, le renard était plus au fait sur les Cavaliers Noirs que Frodon, qui restait dans l'ignorance malgré sa peur.
L'animal se détendit légèrement lorsque le monstre passa devant lui. D'instinct, il s'était placé contre le vent. Aucune chance d'être senti par le cheval, et surtout par le Mort. D'étranges histoires couraient sur leur flair, mieux valait être prudent.
Il vit bientôt que cette précaution n'était pas inutile. Arrivé à l'arbre sous lequel se cachait le dominant, il l'entendit renifler distinctement. « S'il a au moins le flair d'un lapereau nouveau-né, ils sont pris ». Tout cela l'intriguait ; en général les Deux Pattes sans plumes ne se mangeait pas entre eux, mais l'Homme Mort avait toutefois un comportement de prédateur sur lequel on ne pouvait se tromper. Piètre prédateur cependant, car il partit bientôt, alors qu'il se trouvait juste au-dessus de sa proie ; l'aura redoutable du monstre diminua singulièrement dans l'esprit du renard.
Il ne se déshérissa tout de même qu'un peu après son départ ; jamais il n'avait eu peur aussi longtemps. Mais avec l'insouciance propre à son espèce, il oublia vite le Cavalier, et contempla les trois miraculés qui parlaient maintenant, et semblaient assez agités. Ils repartirent finalement comme les ombres commençaient de s'étendre, et quittèrent la route.
Le renard hocha la tête. « Idiots ». Un prédateur ne revient jamais sur une piste déjà explorée, c'était connu. Et sur la route on ne pouvait suivre leurs empreintes que difficilement. En revanche, aisément repérables étaient leurs traces là où ils allaient : l'herbe était piétinée, pliée, les branches brisées, les buissons écartés...Il les regardait avec une certaine pitié s'efforcer de passer inaperçus et silencieux. Un souriceau peu futé aurait pu les suivre tout du long, sans problème aucun.
Le soir tombait, et la petite troupe, qui avait repris la route, continuait son petit bonhomme de chemin, suivie par l'animal. Ils arrivèrent à une forêt de chênes, qu'il connaissait bien pour y avoir autrefois vécu. Les Hobbits se glissèrent dans un énorme tronc creux. « Une bonne idée, pour une fois ». C'était évidemment une chose impensable d'un Hobbit respectable, mais si (comme il commençait à le croire), ils étaient l'objet d'une recherche, cet abri représentait un « premier bon réflexe de proie ». Il y avait encore cette sacrée manie de piailler à tout va, mais cela leur passerait vite, peut-être au prix de quelques déconvenues.
Lorsqu'ils repartirent, le renard avait eu le temps de trouver à dîner, ainsi que d'effectuer une rapide reconnaissance des lieux. Il était en fait assez inquiet. Personne, ni bête, ni homme, dans les parages. Anormal. Et, malgré lui, il était préoccupé par les trois insouciants. Et non sans raison :il les retrouva sur le chemin, chantant bruyamment.
Ne perdant toutefois pas de temps à juger une fois de plus leur folle conduite, il fila dans le sens inverse et colla une oreille au sol, usage fort peu répandu parmi les siens (leur intérêt pour les chevaux et autres montures étant très limité), mais dont il avait cependant connaissance. Des grondements sourds se rapprochaient, et la terreur le prit de nouveau ; il s'élança à la suite des trois Hobbits. Ces derniers s'étaient arrêtés eux aussi, et sentaient la peur. Le renard entendait désormais distinctement les sabots, et reniflait le vent, chargé des effluves redoutées : un cheval, apparemment seul. sans plus tarder, il se terra dans un buisson, et guetta.
Cette fois les Hobbits se décidèrent plus rapidement, ce qui prouvait que leurs caboches pouvaient encore retenir des leçons, à l'occasion. Le choix de leur cachette était par contre pitoyable. Le dominant revenait même sur le chemin, alors que le Monstre arrivait, et s'arrêtait...
Pour Frodon, c'était une forme sombre se détachant sur la nuit. Pour la bête sauvage, le Cavalier luisait désormais dans l'obscurité, d'une couleur verdâtre, spectrale ; le coeur de l'animal battait follement.
Le Monstre devait être une créature nocturne, car il semblait plus utile que tantôt, se dirigeant droit vers le dominant. Celui-ci avait une main dans sa poche, cherchant quelque objet. « Tiens, tiens, serait-ce une quelconque proie que le dominant aurait dérobée au Monstre ? »
Cette réflexion, bien proche de la réalité, fut néanmoins interrompue par des sons de voix et de chants. Le renard fut immédiatement rassuré : à n'en pas douter, des Elfes venaient de ce côté, et le Monstre, au dire de tous, ne tenait pas devant eux (d'ailleurs bien peu d'êtres, doués de raison, s'y opposaient à sa connaissance).
L'Ombre verdâtre confirma la rumeur, et s'enfuit devant l'arrivée de ce prédateur plus imposant qu'elle. Tout tranquillisé qu'il fût, le renard ne sortit pas de son buisson : la prudence restait de rigueur. Bien que terminées depuis des millénaires, les grandes chasses menées par les Elfes étaient restées légendaires chez tout habitant des bois quelque peu comestible. L'habituelle balourdise des Hommes n'existait pas chez ces prédateurs-là, qui disposaient de plus de sens aussi développés que leurs proies.
Le chant s'approchait. Une voix survolait les autres, et captivé malgré sa méfiance, le renard avança le museau. Nous avons déjà mentionné le fait que le Parler commun était inconnu de la plupart des bêtes sauvages d'Eriador, ainsi que les autres langages humains. Toutefois, sans que personne - sauf peut-être la Grande Yavanna – puisse l'expliquer, ces mêmes animaux (sauf ceux chez qui la noirceur prévalait sur le simple instinct), comprenait les langues elfiques, dans le sens où ils « voyaient » ce qui était dit, comme un songe fugitif. Et en ce moment, le renard éberlué « voyait » effectivement : une blanche Dame semant les étoiles sur le firmament, et une étendue d'eau mouvante sous les constellations...
Il avait déjà rencontré nombre d'Elfes, Gris, et leurs chants l'avaient toujours séduit, mais pas à un point tel. L'animal aimait cependant à rencontrer ces vagabonds, quoiqu'il se persuadait toujours que cette rêverie était dangereuse, et qu'en fait de chant, l'amour de la gente elfique pourrait lui valoir un trait en plein coeur.
Fidèles à leur habitude, les Hobbits s'étaient quant à eux mis à papoter avec les Premiers Nés. Très près d'eux, toujours dans son buisson, le renard écoutait. Les mots dits par les Elfes, il ne les interprétait que vaguement, car c'était du Parler Commun. Le peu qu'il comprit est qu'ils étaient aussi étonnés que lui de tomber sur trois Hobbits dans les bois, en pleine nuit. Il se demanda si les Elfes allaient eux aussi se mettre à suivre les Semi Hommes. Il y aura d'ici peu un véritable cortège derrière les trois voyageurs s'ils n'étaient pas plus discrets.
A ce qui semblait être une question du dominant, les Belles Gens se concertèrent un moment dans leur langue, aubaine pour l'espion roux.
- Vous voyez Seigneur Gildor, commença l'un, je vous l'avait dit : la forêt est trop silencieuse, le péril du Noir Ennemi n'est pas loin.
Une masse sombre et enveloppé de nuées, dominant de noires montagnes apparut un instant au renard, qui se figea.
- Nous ne craignons rien nous-mêmes, mais les Periannath pourchassés par les Neuf, cela ne me dit rien qui vaille.
La peur du pauvre animal ne diminua que peu, celui-ci subissant désormais l'image de Neuf Monstres Montés, lancés au grand galop à travers bois.
- Nous enverrons des messagers, dit Gildor, à Iarwain d'abord, et si nous le trouvons, au Dúnadan. Pour cette nuit, gardons les Periannath nous-mêmes. Il serait par trop dangereux de les abandonner à leur sort, surtout si l'un d'eux porte ce que je crois qu'il porte.
La course folle des Monstres s'effaça dans l'esprit du renard, et toute frayeur disparut. Au détour d'un chemin, se tenait un étrange vieux monsieur en bottes jaunes et veste bleu vif, au chapeau à plume ; une mélodie passa, et un sourire naquit sur les lèvres du jovial vieillard, qui réchauffa le coeur de l'espion transi. Puis se fut un Homme tout de vert vêtu, traversant seul une lande brune et venteuse.
Les dernières paroles n'évoquèrent aucune image ; qu'il se méfia ou non des oreilles forestières, Gildor Inglorion cachait sa pensée au sujet du fardeau par des mots qui ne pouvaient trahir.
L'animal comprit néanmoins qu'il était question d'un objet. « Eh bien, j'avais raison. Il a volé ou repris quelque chose, et les Monstres le veulent. Les niais ! Ils n'ont qu'à s'en débarasser, quitte à le détruire ! » Son jugement sur les Hobbits et leur esprit pratique devint plus sévère, si cela était encore possible.
Mais les Elfes s'étaient retournés vers leurs futurs invités, et avaient repris la discussion en un Westron rapide qu'il ne put suivre; Il comprit seulement une phrase du dominant, ce qui l'étonna fort : il avait parlé en haut-elfique. « Une étoile brille sur l'heure de notre rencontre. » Pragmatique, le renard leva la tête vers le ciel. « Et pas n'importe laquelle, se dit-il, que diantre vient faire la Grande Etoile ici et à cette heure ? » (la Grande Etoile est le nom, simple mais affectueux, donné par les animaux à celle que les Quendi nomment Gil-Estel)
Cependant le groupe avait repris la marche, et le renard, se coulant de fourré en fourré, était pris de ce qui ressemblait à des fous rires, avisant sans cesse la face hagarde et pourtant réjouie du Hobbit soumis. Arrivés à une clairière, ils stoppèrent, et les Semi Hommes s'assoupirent bien vite. L'animal en fit autant, non sans garder une oreille continuellement sur le qui-vive, guettant le son de sabots quelconques ou le chant bref et mortel d'une corde tendue...
Mais rien ne le dérangea durant son sommeil. Il dormit paisiblement jusqu'à ce qu'il renifle une odeur de feu. Sautant sur ses pattes, il trotta vers la « salle d'arbres » qu'il avait repérée en arrivant, et observa le dominant, qui désormais l'intéressait fort. Celui-ci parlait quelquefois en langue elfe, avec une voix qui faisait sourire intérieurement le renard. Un canard parlant le rossignol, voilà à quoi ressemblait le pauvre Frodon à ses yeux. L'animal, très critique, aurait été du reste incapable d'émettre le moindre son se rapprochant un tant soit peu du quenya.
Les dominants, Elfe et Hobbit, discutèrent un long moment. Le son régulier et calme de la voix elfique finit par faire plonger l'espion dans une paisible torpeur ; il fut au début quelque peu troublé par la voix criarde du mortel, qui bientôt s'éteignit, et le sommeil le prit tout entier.
A l'aube, chatouillé par les rayons de Soleil, le renard s'éveilla bien vite. Son ventre criait famine. Aucun Hobbit n'était encore levé, mais cela ne le surprit pas ; il en profita pour fouiner dans la « salle d'arbres », et fit bombance avec les restes de la nourriture des Elfes. il s'en trouva bientôt plus en forme que jamais, et sa fourrure était brillante. Repus, il sortit de la salle, et attendit. Le soumis sortit en premier. Puis ce fut le jeune. Enfin le dominant.
Leurs éternelles conversations reprirent ; ce qu'ils pouvaient bien avoir à se dire à longueur de journée échappait totalement à leur compagnon insoupçonné. Soudain, le dominant haussa le ton : il y avait semble-t-il confrontation avec le jeune. Intéressé, l'animal en attendit les conséquences, mais fut déçu ; il n'y aurait pas de changement dans le groupe, car le jeune se soumit rapidement et partit vers le côté opposé, chantant et ne semblant pas contrarié le moins du monde. « Ce n'est pas encore son heure »
Le dominant et son fidèle restèrent quelque temps seuls, puis le premier appela l'« exilé » qui revient, tout guilleret. Le chef donna ses ordres et ils partirent enfin, non sans avoir encore tergiversé.
La journée était chaude quoique le renard sentît la pluie approcher. Ils descendirent un glacis vert et s'enfoncèrent dans un autre bois. Lui s'arrêta soudain. Les voix des oiseaux s'étaient à nouveau éteintes ; il trotta à travers les buissons, tous ses sens aux aguets, et stoppa devant un ruisseau aux berges couvertes de ronces.
Toujours sans hésitation aucune, il plongea dans un bosquet touffu au son des sabots.
Le soumis avait hélé ses compagnons. Tout comme lui, il avait vu : le cheval, et l'ombre noire qui se penchait à côté. Ni une ni deux, les Hobbits s'engouffrèrent à leur tour dans des buissons; « Mieux, beaucoup mieux » Cette fois, ils n'avaient pas perdu de temps à causer, et leur cachette n'était pas mauvaise. Sans s'en rendre compte, il commençait à les juger comme un maître juge ses élèves, avec à la clef, non pas une note, mais la survie.
D'abord immobiles, les Hobbits traversèrent les ronces, et finirent écorchés dans l'air étouffant. Le renard suivait, ils lui ouvraient le chemin et il trouvait cela fort pratique : sa fourrure n'en pâtirait pas. Après ce passage difficile, ils atteignirent un terrain découvert, où les rives du ruisseau étaient plus basses. Un peu plus loin, il s'élargissait tout à fait pour devenir moins profond.
Le renard laissait son « escorte » le précéder. Il voulait prendre son temps. Après tout, pour lui ce n'était qu'une promenade qui l'avait bien nourri et occupé : il était satisfait. Passant le ruisseau à la nage, et se rafraichissant à cette occasion, il vagabonda à sa guise dans la prairie, furetant de part et d'autre. les oiseaux piaillaient, mais dans l'air flottait un relent de cheval qui le troublait. Mettant à profit sa forme éblouissante, il fila à nouveau, à travers les joncs ; un aigle survolant la région eut cru voir une flamme traversant la plaine. Arrivé dans une petite forêt de chênes, il fut rassuré par la demi pénombre, mais continua de trotter assez rapidement. Sans avoir de certitude, il ressentait une légère angoisse.
Il ne s'arrêta pas lorsque le vent commença de souffler, non plus que lorsque la pluie arriva, faible puis torrentielle. Il souhaitait rejoindre les Hobbits ; il avait pris du retard et eux avaient semble-t-il accéléré.
La pauvre bête était trempée des pieds au museau lorsque le Soleil brilla de nouveau. Enfin, il retrouva les trois voyageurs au pied d'un arbre, et demeura non loin, reprenant peu à peu son souffle. Eux buvaient, presque fous (ils ne sentaient pourtant pas l'alcool, chose dont le renard connaissait et le goût et les effets). Finalement, devenus complètement inconscients, ils chantèrent. « Trop fort, beaucoup trop fort » Il avait à peine formulé sa pensée qu'un cri plaintif et prolongé parvint jusqu'au petit groupe. Un autre répondit, aussi affreux. Tous bondirent.
Pour les Hobbits, c'était tout simplement les Cavaliers, c'était une menace ; mais le renard, rompu à cette sorte de langage, comprenait plus précisément ce qu'il y avait dans ce cri : il lui révélait qu'ils étaient des proies, et que leur piste avait été retrouvée ; il suggérait également un ralliement rapide de leurs poursuivants. La menue bestiole ne songeait pas qu'elle-même ne faisait certainement pas l'objet d'une recherche par les émissaires de Sauron ; se voir au beau milieu d'une traque suffisait à sa frayeur.
Celle-ci se dissipa quelque peu, lorsque le renard vit que d'une part le Soleil n'allait pas tarder à être haut dans le ciel, et que d'autre part, l'on sortait du bois vers les plaines de Châteaubouc. En effet, généralement, les Humains ne se chassaient pas en terrain découvert, sauf s'ils étaient nombreux et recouverts de fer brillant, du moins c'est ce qu'on disait, de tels événements remontant bien loin dans la mémoire animale...
Il suivit le groupe des Hobbits à quelque distance, à mesure que les cachettes se raréfiaient. ils longeaient des champs, et l'animal recommençait à s'inquiéter quelque peu. Arrivé en vue d'une forte barrière, devant un chemin qui partait au loin, il se figea littéralement.
Les Cadavres Montés, les Elfes, le vent, la pluie, ce n'était rien. Suivre les trois compères était un jeu distrayant, mais aucune distraction ne vaudrait jamais la peine de traverser les terres du Fermier Terrible. Dans toute la Comté, et au-delà, le père Magotte était craint par tout animal à quatre, deux, ou sans pattes. Une fois, étant jeune, il avait eu maille à partir avec les trois fauves de l'endroit, et la leçon retenue lui suffisait amplement.
Abandonnant les Hobbits à leur sort, il traversa à grande allure un champ de navets, vers ce qu'il croyait être Hobbitebourg, le doux foyer dont l'Anneau l'avait écarté.
EDIt : Phrase rituelle oubliée : n'hésitez pas à commenter, critiquer, décrypter, déplorer et autres !
Je vous propose d'entrée un morceau de prose, d'un genre un peu spécial ; l'enjeu de départ étant le suivant : quel visage présenterait notre oeuvre fétiche si le point de vue changeait ? Enjeu qui ouvre de multiples possibilités : au lieu de "La Chute Du Seigneur Des Anneaux et Le Retour Du Roi (tels que les ont vus les Petites Personnes)", quid d'un "tel que les a vus Prosper Poiredebeurré, aubergiste", d'un récit de la guerre d'après un Suderon ou d'après un obscur paysan du Gondor ?
Suivant cette idée, voici donc un passage de la Communauté de l'Anneau, raconté par un protagoniste des plus discrets, mais qui apparaît néanmoins dans l'oeuvre, au point que c'est le Professeur qui est l'auteur des premières lignes qui vont suivre...
Note : le texte commence quelque part dans le chapitre 3, Livre I. Vous pouvez comparer le texte, et donc les points de vue, avec l'oeuvre originale, jusqu'au chapitre 4.
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« Des Hobbits ! pensa-t-il. Qu'est ce que cela veut dire ? J'ai entendu parler d'étranges faits dans ce pays, mais j'ai rarement ouï parler d'un Hobbit dormant dehors sous un arbre. Et ils sont trois ! Il y a quelque chose de bien extraordinaire là-derrière. »
L'histoire dit qu'il n'en sut jamais davantage, mais c'est là bien mal connaître la curiosité de ces êtres, rusés de surcroît, que sont les renards. Il vint à l'idée de celui-ci de se rendre compte, par lui-même, de ce qui se tramait derrière les rondes figures des Hobbits. Ainsi il aurait lui aussi de quoi discuter, et ferait un peu d'ombre à ces pies jacassantes, qui non contentes d'ennuyer toutes les forêts avec des louanges ininterrompues à l'adresse de leur « Maître Saroumane », se trouvaient également porteuses de la majeure partie de ce qui se racontait de bec à oreille. Du reste, notre renard pensait bien découvrir promptement le fin mot de cette histoire, et repartir à ses affaires le lendemain, ce en quoi d'ailleurs il se trompait fortement, nous le verrons par la suite.
Se glissant silencieusement dans un buisson qui se trouvait en face de l'arbre des endormis, il put les observer à son aise, et s'endormit après un moment, pour se remettre à guetter dès le point du jour – ce qui était peut-être un peu tôt, étant donné les habitudes Hobbites concernant le sommeil, et sa durée en particulier. Après ce qui lui sembla une bien longue attente, un des Hobbits ouvrit enfin les yeux et s'étira. Le son de sa voix fit sursauter l'animal, habitué au silence des bois de la Comté. Contrairement aux corbeaux ou même aux arbres, les renards ne furent jamais initiés aux secrets du langage. Ils avaient le leur bien-sûr, mais le Westron ne leur était pas connu. Le renard comprit néanmoins que ce que disait le Hobbit devait être une sorte d'ordre, car les deux autres remuèrent bientôt.
Observant toujours les trois compères avec attention, il étudia la hiérarchie qui était instaurée entre eux. Le dominant du groupe était le premier levé. L'attitude soumise d'un des Hobbits ne faisait aucun doute. Le dernier était plus compliqué à cerner. il n'avait pas obéi immédiatement aux injonctions du dominant, et avait par la suite crié à son tour sur le ton de l'ordre. Après réflexion, l'animal en conclut que ce devait être un jeune non encore soumis, et qui peut-être même songeait à prendre la place du chef.
Notre renard prenait amplement son temps pour parvenir à ses conclusions, car il savait que, tout naturellement, les Hobbits sitôt levés se consacraient à la recherche de nourriture. Du point de vue animal, les Semi Hommes étaient certainement les êtres parlants aux actes les plus compréhensibles. Leurs terriers, leurs raisonnements lourds et lents, leurs petites habitudes réglées ainsi que la continuelle quête de victuailles, objectif de tout animal voulant survivre un tant soit peu, tout cela les rapprochait étrangement. D'où l'intérêt de notre espion : des Hobbits aventureux, cela était inconnu, et comme aurait convenu tout Hobbit respectable, l'inconnu était potentiellement dangereux, quand il n'était pas positivement désagréable.
Le départ vint tout de même. D'un pas alerte, le renard les suivit à bonne distance. Ils descendirent une pente, et passèrent un ruisseau ou l'animal but un moment. Il avait là encore tout son temps : rien n'était plus simple que de flairer la piste des Hobbits, avec toutes les provisions qu'ils emmenaient ! Il regarda, moqueur, les petites personnes, chargées de tout leur bric-à-brac. A quoi tout cela leur servait-il ?
La journée était chaude ; le renard en profita pour se repaître des lézards qui tous se prélassaient sur les pierres le long d'une route en zigzags. Cette chasse ne lui fit prendre aucun retard : il retrouva les trois compagnons, dormant à nouveau. « Quels paresseux ! Et ça voyage... »
Ils repartirent contre toute logique (pour le renard du moins) alors que l'après-midi touchait à sa fin. Lui connaissait cette région, et savait que les Hobbits seraient seuls à vagabonder à cette heure. Aussi les suivit-il sur la route, assez ouvertement, reniflant de temps à autre une piste quelconque. On approchait des bois.
Soudain, la fourrure de l'animal se hérissa. « Fuir, fuir à tout prix ! » Son esprit ne s'encombrait pas de ces sortes d'hésitations qu'on appelle « raisonnement ». Il ne pensait pas que la voie était peu usitée, il ne craignait pas d'ennemis précis, ne sentait pas de prédateurs, d'ailleurs rares en Comté. Non, il fallait fuir, c'était tout. En un éclair, il avait disparu, caché dans un bosquet, la queue repliée. Il jeta un oeil sur les Hobbits. Eux aussi semblaient inquiets. Le soumis s'était arrêté, interpellant les autres. Quelle lenteur ! Le renard s'était toujours demandé comment le premier Semi-Homme avait pu survivre hors de son terrier. Laborieusement, le dominant eut l'air de donner un ordre, auquel les deux autres obéirent sans tarder, se cachant si maladroitement que l'animal se demanda d'abord ce qu'ils faisaient. Le dominant quant à lui resta sur la route un moment qui parut éternité à la bête sauvage, pour qui la vie n'était que secondes de sursis. Sa cachette cependant, meilleure que les autres, conforta l'animal dans l'idée qu'il était le plus important du groupe. Lui avait au moins un peu d'instinct, sinon de l'expérience.
Mais tout en observant, le renard tremblait toujours. Et c'est alors qu'il le vit. Sur un cheval noir, assez peu inquiétant en lui-même du fait qu'il sentait lui aussi comme un animal terrifié, un monstre humain s'avançait. Car pour le renard, aucun doute n'était possible sur le caractère monstrueux de l' « Homme ». Il ne dégageait aucune odeur : il n'était rien, il était mort. La Mort en mouvement, c'était la terreur du prédateur, qui misait sa vie sur le meurtre.
Du reste, on en avait parlé dans les bois, de ces monstres. Ils étaient arrivés depuis quelques mois dans le Nord, semant la terreur à leur approche. Les animaux réfugiés en Comté parlaient des « Hommes Vides » ou des « Cadavres à cheval ». En un sens, le renard était plus au fait sur les Cavaliers Noirs que Frodon, qui restait dans l'ignorance malgré sa peur.
L'animal se détendit légèrement lorsque le monstre passa devant lui. D'instinct, il s'était placé contre le vent. Aucune chance d'être senti par le cheval, et surtout par le Mort. D'étranges histoires couraient sur leur flair, mieux valait être prudent.
Il vit bientôt que cette précaution n'était pas inutile. Arrivé à l'arbre sous lequel se cachait le dominant, il l'entendit renifler distinctement. « S'il a au moins le flair d'un lapereau nouveau-né, ils sont pris ». Tout cela l'intriguait ; en général les Deux Pattes sans plumes ne se mangeait pas entre eux, mais l'Homme Mort avait toutefois un comportement de prédateur sur lequel on ne pouvait se tromper. Piètre prédateur cependant, car il partit bientôt, alors qu'il se trouvait juste au-dessus de sa proie ; l'aura redoutable du monstre diminua singulièrement dans l'esprit du renard.
Il ne se déshérissa tout de même qu'un peu après son départ ; jamais il n'avait eu peur aussi longtemps. Mais avec l'insouciance propre à son espèce, il oublia vite le Cavalier, et contempla les trois miraculés qui parlaient maintenant, et semblaient assez agités. Ils repartirent finalement comme les ombres commençaient de s'étendre, et quittèrent la route.
Le renard hocha la tête. « Idiots ». Un prédateur ne revient jamais sur une piste déjà explorée, c'était connu. Et sur la route on ne pouvait suivre leurs empreintes que difficilement. En revanche, aisément repérables étaient leurs traces là où ils allaient : l'herbe était piétinée, pliée, les branches brisées, les buissons écartés...Il les regardait avec une certaine pitié s'efforcer de passer inaperçus et silencieux. Un souriceau peu futé aurait pu les suivre tout du long, sans problème aucun.
Le soir tombait, et la petite troupe, qui avait repris la route, continuait son petit bonhomme de chemin, suivie par l'animal. Ils arrivèrent à une forêt de chênes, qu'il connaissait bien pour y avoir autrefois vécu. Les Hobbits se glissèrent dans un énorme tronc creux. « Une bonne idée, pour une fois ». C'était évidemment une chose impensable d'un Hobbit respectable, mais si (comme il commençait à le croire), ils étaient l'objet d'une recherche, cet abri représentait un « premier bon réflexe de proie ». Il y avait encore cette sacrée manie de piailler à tout va, mais cela leur passerait vite, peut-être au prix de quelques déconvenues.
Lorsqu'ils repartirent, le renard avait eu le temps de trouver à dîner, ainsi que d'effectuer une rapide reconnaissance des lieux. Il était en fait assez inquiet. Personne, ni bête, ni homme, dans les parages. Anormal. Et, malgré lui, il était préoccupé par les trois insouciants. Et non sans raison :il les retrouva sur le chemin, chantant bruyamment.
Ne perdant toutefois pas de temps à juger une fois de plus leur folle conduite, il fila dans le sens inverse et colla une oreille au sol, usage fort peu répandu parmi les siens (leur intérêt pour les chevaux et autres montures étant très limité), mais dont il avait cependant connaissance. Des grondements sourds se rapprochaient, et la terreur le prit de nouveau ; il s'élança à la suite des trois Hobbits. Ces derniers s'étaient arrêtés eux aussi, et sentaient la peur. Le renard entendait désormais distinctement les sabots, et reniflait le vent, chargé des effluves redoutées : un cheval, apparemment seul. sans plus tarder, il se terra dans un buisson, et guetta.
Cette fois les Hobbits se décidèrent plus rapidement, ce qui prouvait que leurs caboches pouvaient encore retenir des leçons, à l'occasion. Le choix de leur cachette était par contre pitoyable. Le dominant revenait même sur le chemin, alors que le Monstre arrivait, et s'arrêtait...
Pour Frodon, c'était une forme sombre se détachant sur la nuit. Pour la bête sauvage, le Cavalier luisait désormais dans l'obscurité, d'une couleur verdâtre, spectrale ; le coeur de l'animal battait follement.
Le Monstre devait être une créature nocturne, car il semblait plus utile que tantôt, se dirigeant droit vers le dominant. Celui-ci avait une main dans sa poche, cherchant quelque objet. « Tiens, tiens, serait-ce une quelconque proie que le dominant aurait dérobée au Monstre ? »
Cette réflexion, bien proche de la réalité, fut néanmoins interrompue par des sons de voix et de chants. Le renard fut immédiatement rassuré : à n'en pas douter, des Elfes venaient de ce côté, et le Monstre, au dire de tous, ne tenait pas devant eux (d'ailleurs bien peu d'êtres, doués de raison, s'y opposaient à sa connaissance).
L'Ombre verdâtre confirma la rumeur, et s'enfuit devant l'arrivée de ce prédateur plus imposant qu'elle. Tout tranquillisé qu'il fût, le renard ne sortit pas de son buisson : la prudence restait de rigueur. Bien que terminées depuis des millénaires, les grandes chasses menées par les Elfes étaient restées légendaires chez tout habitant des bois quelque peu comestible. L'habituelle balourdise des Hommes n'existait pas chez ces prédateurs-là, qui disposaient de plus de sens aussi développés que leurs proies.
Le chant s'approchait. Une voix survolait les autres, et captivé malgré sa méfiance, le renard avança le museau. Nous avons déjà mentionné le fait que le Parler commun était inconnu de la plupart des bêtes sauvages d'Eriador, ainsi que les autres langages humains. Toutefois, sans que personne - sauf peut-être la Grande Yavanna – puisse l'expliquer, ces mêmes animaux (sauf ceux chez qui la noirceur prévalait sur le simple instinct), comprenait les langues elfiques, dans le sens où ils « voyaient » ce qui était dit, comme un songe fugitif. Et en ce moment, le renard éberlué « voyait » effectivement : une blanche Dame semant les étoiles sur le firmament, et une étendue d'eau mouvante sous les constellations...
Il avait déjà rencontré nombre d'Elfes, Gris, et leurs chants l'avaient toujours séduit, mais pas à un point tel. L'animal aimait cependant à rencontrer ces vagabonds, quoiqu'il se persuadait toujours que cette rêverie était dangereuse, et qu'en fait de chant, l'amour de la gente elfique pourrait lui valoir un trait en plein coeur.
Fidèles à leur habitude, les Hobbits s'étaient quant à eux mis à papoter avec les Premiers Nés. Très près d'eux, toujours dans son buisson, le renard écoutait. Les mots dits par les Elfes, il ne les interprétait que vaguement, car c'était du Parler Commun. Le peu qu'il comprit est qu'ils étaient aussi étonnés que lui de tomber sur trois Hobbits dans les bois, en pleine nuit. Il se demanda si les Elfes allaient eux aussi se mettre à suivre les Semi Hommes. Il y aura d'ici peu un véritable cortège derrière les trois voyageurs s'ils n'étaient pas plus discrets.
A ce qui semblait être une question du dominant, les Belles Gens se concertèrent un moment dans leur langue, aubaine pour l'espion roux.
- Vous voyez Seigneur Gildor, commença l'un, je vous l'avait dit : la forêt est trop silencieuse, le péril du Noir Ennemi n'est pas loin.
Une masse sombre et enveloppé de nuées, dominant de noires montagnes apparut un instant au renard, qui se figea.
- Nous ne craignons rien nous-mêmes, mais les Periannath pourchassés par les Neuf, cela ne me dit rien qui vaille.
La peur du pauvre animal ne diminua que peu, celui-ci subissant désormais l'image de Neuf Monstres Montés, lancés au grand galop à travers bois.
- Nous enverrons des messagers, dit Gildor, à Iarwain d'abord, et si nous le trouvons, au Dúnadan. Pour cette nuit, gardons les Periannath nous-mêmes. Il serait par trop dangereux de les abandonner à leur sort, surtout si l'un d'eux porte ce que je crois qu'il porte.
La course folle des Monstres s'effaça dans l'esprit du renard, et toute frayeur disparut. Au détour d'un chemin, se tenait un étrange vieux monsieur en bottes jaunes et veste bleu vif, au chapeau à plume ; une mélodie passa, et un sourire naquit sur les lèvres du jovial vieillard, qui réchauffa le coeur de l'espion transi. Puis se fut un Homme tout de vert vêtu, traversant seul une lande brune et venteuse.
Les dernières paroles n'évoquèrent aucune image ; qu'il se méfia ou non des oreilles forestières, Gildor Inglorion cachait sa pensée au sujet du fardeau par des mots qui ne pouvaient trahir.
L'animal comprit néanmoins qu'il était question d'un objet. « Eh bien, j'avais raison. Il a volé ou repris quelque chose, et les Monstres le veulent. Les niais ! Ils n'ont qu'à s'en débarasser, quitte à le détruire ! » Son jugement sur les Hobbits et leur esprit pratique devint plus sévère, si cela était encore possible.
Mais les Elfes s'étaient retournés vers leurs futurs invités, et avaient repris la discussion en un Westron rapide qu'il ne put suivre; Il comprit seulement une phrase du dominant, ce qui l'étonna fort : il avait parlé en haut-elfique. « Une étoile brille sur l'heure de notre rencontre. » Pragmatique, le renard leva la tête vers le ciel. « Et pas n'importe laquelle, se dit-il, que diantre vient faire la Grande Etoile ici et à cette heure ? » (la Grande Etoile est le nom, simple mais affectueux, donné par les animaux à celle que les Quendi nomment Gil-Estel)
Cependant le groupe avait repris la marche, et le renard, se coulant de fourré en fourré, était pris de ce qui ressemblait à des fous rires, avisant sans cesse la face hagarde et pourtant réjouie du Hobbit soumis. Arrivés à une clairière, ils stoppèrent, et les Semi Hommes s'assoupirent bien vite. L'animal en fit autant, non sans garder une oreille continuellement sur le qui-vive, guettant le son de sabots quelconques ou le chant bref et mortel d'une corde tendue...
Mais rien ne le dérangea durant son sommeil. Il dormit paisiblement jusqu'à ce qu'il renifle une odeur de feu. Sautant sur ses pattes, il trotta vers la « salle d'arbres » qu'il avait repérée en arrivant, et observa le dominant, qui désormais l'intéressait fort. Celui-ci parlait quelquefois en langue elfe, avec une voix qui faisait sourire intérieurement le renard. Un canard parlant le rossignol, voilà à quoi ressemblait le pauvre Frodon à ses yeux. L'animal, très critique, aurait été du reste incapable d'émettre le moindre son se rapprochant un tant soit peu du quenya.
Les dominants, Elfe et Hobbit, discutèrent un long moment. Le son régulier et calme de la voix elfique finit par faire plonger l'espion dans une paisible torpeur ; il fut au début quelque peu troublé par la voix criarde du mortel, qui bientôt s'éteignit, et le sommeil le prit tout entier.
A l'aube, chatouillé par les rayons de Soleil, le renard s'éveilla bien vite. Son ventre criait famine. Aucun Hobbit n'était encore levé, mais cela ne le surprit pas ; il en profita pour fouiner dans la « salle d'arbres », et fit bombance avec les restes de la nourriture des Elfes. il s'en trouva bientôt plus en forme que jamais, et sa fourrure était brillante. Repus, il sortit de la salle, et attendit. Le soumis sortit en premier. Puis ce fut le jeune. Enfin le dominant.
Leurs éternelles conversations reprirent ; ce qu'ils pouvaient bien avoir à se dire à longueur de journée échappait totalement à leur compagnon insoupçonné. Soudain, le dominant haussa le ton : il y avait semble-t-il confrontation avec le jeune. Intéressé, l'animal en attendit les conséquences, mais fut déçu ; il n'y aurait pas de changement dans le groupe, car le jeune se soumit rapidement et partit vers le côté opposé, chantant et ne semblant pas contrarié le moins du monde. « Ce n'est pas encore son heure »
Le dominant et son fidèle restèrent quelque temps seuls, puis le premier appela l'« exilé » qui revient, tout guilleret. Le chef donna ses ordres et ils partirent enfin, non sans avoir encore tergiversé.
La journée était chaude quoique le renard sentît la pluie approcher. Ils descendirent un glacis vert et s'enfoncèrent dans un autre bois. Lui s'arrêta soudain. Les voix des oiseaux s'étaient à nouveau éteintes ; il trotta à travers les buissons, tous ses sens aux aguets, et stoppa devant un ruisseau aux berges couvertes de ronces.
Toujours sans hésitation aucune, il plongea dans un bosquet touffu au son des sabots.
Le soumis avait hélé ses compagnons. Tout comme lui, il avait vu : le cheval, et l'ombre noire qui se penchait à côté. Ni une ni deux, les Hobbits s'engouffrèrent à leur tour dans des buissons; « Mieux, beaucoup mieux » Cette fois, ils n'avaient pas perdu de temps à causer, et leur cachette n'était pas mauvaise. Sans s'en rendre compte, il commençait à les juger comme un maître juge ses élèves, avec à la clef, non pas une note, mais la survie.
D'abord immobiles, les Hobbits traversèrent les ronces, et finirent écorchés dans l'air étouffant. Le renard suivait, ils lui ouvraient le chemin et il trouvait cela fort pratique : sa fourrure n'en pâtirait pas. Après ce passage difficile, ils atteignirent un terrain découvert, où les rives du ruisseau étaient plus basses. Un peu plus loin, il s'élargissait tout à fait pour devenir moins profond.
Le renard laissait son « escorte » le précéder. Il voulait prendre son temps. Après tout, pour lui ce n'était qu'une promenade qui l'avait bien nourri et occupé : il était satisfait. Passant le ruisseau à la nage, et se rafraichissant à cette occasion, il vagabonda à sa guise dans la prairie, furetant de part et d'autre. les oiseaux piaillaient, mais dans l'air flottait un relent de cheval qui le troublait. Mettant à profit sa forme éblouissante, il fila à nouveau, à travers les joncs ; un aigle survolant la région eut cru voir une flamme traversant la plaine. Arrivé dans une petite forêt de chênes, il fut rassuré par la demi pénombre, mais continua de trotter assez rapidement. Sans avoir de certitude, il ressentait une légère angoisse.
Il ne s'arrêta pas lorsque le vent commença de souffler, non plus que lorsque la pluie arriva, faible puis torrentielle. Il souhaitait rejoindre les Hobbits ; il avait pris du retard et eux avaient semble-t-il accéléré.
La pauvre bête était trempée des pieds au museau lorsque le Soleil brilla de nouveau. Enfin, il retrouva les trois voyageurs au pied d'un arbre, et demeura non loin, reprenant peu à peu son souffle. Eux buvaient, presque fous (ils ne sentaient pourtant pas l'alcool, chose dont le renard connaissait et le goût et les effets). Finalement, devenus complètement inconscients, ils chantèrent. « Trop fort, beaucoup trop fort » Il avait à peine formulé sa pensée qu'un cri plaintif et prolongé parvint jusqu'au petit groupe. Un autre répondit, aussi affreux. Tous bondirent.
Pour les Hobbits, c'était tout simplement les Cavaliers, c'était une menace ; mais le renard, rompu à cette sorte de langage, comprenait plus précisément ce qu'il y avait dans ce cri : il lui révélait qu'ils étaient des proies, et que leur piste avait été retrouvée ; il suggérait également un ralliement rapide de leurs poursuivants. La menue bestiole ne songeait pas qu'elle-même ne faisait certainement pas l'objet d'une recherche par les émissaires de Sauron ; se voir au beau milieu d'une traque suffisait à sa frayeur.
Celle-ci se dissipa quelque peu, lorsque le renard vit que d'une part le Soleil n'allait pas tarder à être haut dans le ciel, et que d'autre part, l'on sortait du bois vers les plaines de Châteaubouc. En effet, généralement, les Humains ne se chassaient pas en terrain découvert, sauf s'ils étaient nombreux et recouverts de fer brillant, du moins c'est ce qu'on disait, de tels événements remontant bien loin dans la mémoire animale...
Il suivit le groupe des Hobbits à quelque distance, à mesure que les cachettes se raréfiaient. ils longeaient des champs, et l'animal recommençait à s'inquiéter quelque peu. Arrivé en vue d'une forte barrière, devant un chemin qui partait au loin, il se figea littéralement.
Les Cadavres Montés, les Elfes, le vent, la pluie, ce n'était rien. Suivre les trois compères était un jeu distrayant, mais aucune distraction ne vaudrait jamais la peine de traverser les terres du Fermier Terrible. Dans toute la Comté, et au-delà, le père Magotte était craint par tout animal à quatre, deux, ou sans pattes. Une fois, étant jeune, il avait eu maille à partir avec les trois fauves de l'endroit, et la leçon retenue lui suffisait amplement.
Abandonnant les Hobbits à leur sort, il traversa à grande allure un champ de navets, vers ce qu'il croyait être Hobbitebourg, le doux foyer dont l'Anneau l'avait écarté.
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