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Réflexion commune - Tolkien et la fantasy
#9
Merci à tous pour vos réponses toutes très enrichissantes ! J'ai maintenant le beau rôle de venir un peu après la bataille et de pouvoir commenter tranquillement ce qui s'est dit, ce dont je n'ai pas l'intention de me priver.

- Dwayn : Je suis d'accord pour distinguer, a priori, les œuvres médiévales, antiques, modernes, des œuvres de fantasy telles qu'on commence à les voir apparaître au dix-neuvième ou au vingtième. Pour ce qui est de Chrétien de Troyes, des récits mythologiques, la distinction est assez facile : le premier parle d'une société qui lui est contemporaine (pour transformée qu'elle soit !), les seconds rentrent dans une conception plus large du monde, qu'ils illustrent autant qu'ils prolongent. Mais pour ce qui est des grandes épopées à la Roland furieux, il me semble que la question est beaucoup moins claire. Disons que j'ai envie de les exclure, mais que je ne suis pas certain d'être en mesure d'énoncer un critère me permettant de le faire.

Ta définition "au pif" correspond à peu de choses près à celle que propose Anne Besson, qui je pense est parmi les rares à avoir vraiment réfléchi de manière approfondie à la question. Selon elle, la fantasy repose avant tout sur un "monde secondaire", ce qui la distingue justement de la science-fiction où les choses, pour exotiques et étranges qu'elles soient, sont très clairement de notre univers. C'est une définition simple et efficace, qui permet d'ailleurs d'exclure, d'office, Roland furieux, les récits médiévaux, les récits mythologiques. De même, Star Wars, par sa petite phrase traditionnelle d'ouverture, s'exclut du champ de la fantasy et se rattache à la science-fiction (et, oui, ça ne tient qu'à ça !).

Pour autant je ne suis pas satisfait par cette définition, peut-être parce que j'ai envie de ne pas pouvoir être mis en défaut pour avoir inclus Lovecraft à la liste des auteurs de fantasy... Mais aussi pour d'autres raisons, bien meilleures, que j'exposerai plus loin.

- Tikidiki : je dois dire que j'ai été ravi par cet angle d'approche que je n'avais jamais considéré. Il y a clairement, dans la fantasy, surtout dans la fantasy tolkienienne (amont et aval), une dimension de "pastiche" de l'épopée médiévale. Mais cette fois, que faire, par exemple, de la sword and sorcery, qui ne rentre pas du tout dans cette logique ? Conan ne rentre pas dans un rapport de miroir littéraire déformant avec l'épopée médiévale. Je trouve que c'est un concept efficace, en tout cas, ce rapport à l'épopée médiévale. C'est clairement une idée que je serais heureux de te voir creuser (toi ou quelqu'un d'autre, d'ailleurs !).

- Widor : la distinction que tu mentionnes, et qui je crois est imputable à Tzvetan Todorov, me semble surtout concerner le fantastique et le merveilleux. Il me semble que ceci ne capture pas suffisamment précisément la fantasy. Par ailleurs, il me semble que dans Lovecraft, même s'il y a des relents de l'ancienne littérature fantastique à la Edgar Allan Poe, le pas est clairement franchi : toutes ces entités sont d'une certaine manière réelle, et si les protagonistes peuvent douter, les lecteurs, qui connaissent les connexions entre les différentes nouvelles, ne sont pas dupes.

De manière générale, je ne suis pas entièrement emporté par cette proposition. Les deux consensus que tu proposes (et qu'Irwin me semble plus ou moins reprendre) me paraissent tous deux faire problème. A partir de quel moment un univers est-il imaginaire ? L'univers de Conan, l'univers de Tolkien, correspondent à notre univers et le prolongent plus qu'ils ne s'en distinguent (c'est d'autant plus saisissant dans Conan, avec les Pictes, l'Atlantide, etc. ; et dans les Contes Perdus plus encore) ; de même qu'Harry Potter, Lovecraft, etc. Je fatigue un peu et je n'ai plus trop l'énergie d'argumenter ici, mais un univers est rapidement imaginaire à partir du moment où il est alternatif. Une uchronie, par exemple, correspondrait assez bien à un univers imaginaire ; pas sûr pour autant qu'on puisse y reconnaître de la fantasy.

La magie me préoccupe également. On peut très bien imaginer une fantasy sans magie. Je n'ai pas lu Robin Hobb, mais je crois que ça s'en approche. Chez David Eddings, que j'ai beaucoup lu à une époque, on n'en est pas très loin non plus ; de même pour Gemell. Par ailleurs la magie peut prendre des formes nombreuses : s'il s'agit de la voyance, par exemple, il y a quantité de récits où on trouverait une composante de magie. Mais je crois surtout que la magie n'est pas nécessaire à la fantasy.

D'ailleurs, on pourrait risquer d'entrer dans de dangereux abîmes : si la fantasy se caractérise par un univers où la magie est acceptée, alors pourquoi s'agit-il de magie ? Si le rapport aux possibilités de la nature n'est lus le même, alors la définition même de magie s'estompe. Ce que je veux dire par là, c'est que la définition de magie me paraît trop compliquée ; et que, si cette définition se trouve faire référence aux règles physiques de notre univers, alors il me semble que nous ne pouvons plus discerner ce qui relève ou non de la magie dans un univers imaginaire. En bref : je pense qu'un des deux critères brouille forcément l'autre.

Ce à quoi je réfléchis depuis quelques jours, c'est à la possibilité de définir la fantasy non pas tant en termes de contenu, qu'en termes de procédés littéraires. Pourquoi la fantasy se caractériserait-il par une sorte de liste d'items qu'on devrait successivement cocher pour assurer le rattachement d'une œuvre particulière au genre ? Elfes ; on a ; épées ; on a ; magie ; on a ; univers parallèle, caché ou inaccessible ; on a. Je caricature, évidemment, mais cela me semble un peu étrange.

J'avais proposé, dans ma discussion avec Elendil, que la fantasy se caractérise par un rapport inversé entre le cadre imaginaire et la trame narrative ; c'est-à-dire qu'un roman se caractérise par des procédés de fantasy lorsque les éléments imaginés ne servent plus simplement de prétexte à l'intrigue, mais qu'au contraire l'intrigue sert de prétexte à leur découverte (ça rejoint assez ce que disait Dwayn, je m'en rends compte). C'est évidemment le cas pour Tolkien (la définition est presque taillée pour). Et cela me semble exclure, par exemple, les écrits du type Lord Dunsany, où les éléments merveilleux sont là pour créer une ambiance, une atmosphère, et même, j'en ai peur, pour Howard, où le médiéval fantastique se substitue confortablement à l'Afrique équatoriale ou au Far West pour servir de cadre à des aventures exotiques et pleines de panache. (J'aime beaucoup Howard, et ce n'est pas une critique.)

En ce cas, des romans comme Star Wars, Dune, malgré leur composante S-F, seraient clairement de la fantasy. Je ne crois pas qu'ils le sont ; mais ils emploient des procédés littéraires communs, et il n'est donc pas étonnant qu'ils se créent des sortes de liens de parenté entre ces mondes. D'ailleurs, les univers duels de Warhammer / Warhammer 40K, dont je connais très mal les rapports, montrent bien qu'entre la SF et la fantasy médiéval fantastique, il n'y a qu'une différence de vaisseaux spatiaux. Mes vues sur la question ont donc très certainement besoin d'être affinées.

Bon, il est tard, je continue à réfléchir, en tout cas je suis déjà très content de toutes vos contributions ! J'espère que nous discuterons pour longtemps !
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