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Essais - Utilisation d'un thème mythologique
#2
Bonjour,
Mon nom de naissance est Matthieu Bobin, mais j'avais le désir de m'appeler Matëanor pour mes discussions sur ce forum. Je suis un fan du Seigneur des Anneaux et j'ai eu l'occasion de lire d'autres ouvrages de J.R.R. Tolkien : Bilbot le Hobbit, Le Silmarion et Les enfants de Hurin. J'ai lu également l'essai de M. Bruno Delorme, que j'ai la chance de connaître à titre personnel, « sur l'utilisation d'un thème mythologique dans le Seigneur des Anneaux » que vous avez mis en ligne sur votre site. J'avais le désir de vous partager mes réactions à ce sujet et serais intéressé d'avoir votre avis à ce propos, autant que celui de l'auteur de l'article.

Le travail de M. Delorme m'a semblé mettre en lumière des composantes essentielles du Seigneur des Anneaux. L'analyse comparée des deux fonds, chrétiens et mythologiques, qui s'entrecroisent tout au long du roman, m'apparaît être une piste de lecture aussi probante qu'intéressante.
Je note d'abord que cette double matière n'entre pas en contradiction avec la pensée de J.R.R. Tolkien, qui était à la fois un chrétien convaincu et ce génie qui créa le monde mythologique que nous connaissons.
Pour ce qui est du travail approfondi de mise en relation des éléments du Seigneur des Anneaux avec les deux matières, chrétienne et mythologique, si un certain nombre de détails sont critiquables, comme le montre M. Damien Bador, il me semble cependant que la thèse générale ne s'en trouve pas invalidée. Pour ma part, n'étant pas qualifié pour juger de la matière mythologique, je ne peux évaluer l'apport véritable des différentes cultures dont Tolkien a pu s'inspirer. En revanche, je suis un lecteur relativement assidu de l'œuvre de Tolkien et possède quelques connaissances en ce qui concerne la matière chrétienne. A ce double titre, je pense que les commentaires de M. Bador peuvent servir de base à un affinement de la thèse de M. Delorme.
Je me propose de partir de la première remarque de M. Bador pour exposer pour exprimer ma pensée à ce sujet.

"Introduction
« la strate païenne [...] se déploie à partir de sa propre logique basée sur un affrontement entre forces du bien et puissances du mal en vue d’une victoire heureuse »
Commentaire de Damien Bador : Pourtant de tels affrontements sont également le thème des grandes épopées chrétiennes."

A mon sens, les grandes épopées chrétiennes, comme Perceval de Chrétien de Troyes, sont précisément construites sur la même problématique que le Seigneur des Anneaux. En effet, Perceval est d'abord un homme orgueilleux qui vainc par une force violente le chevalier Vermeil. Ce n'est que peu à peu au cours du roman que vont lui être inculquées les vertus évangéliques que sont le respect, la patience ou l'abnégation. Pour toucher des lecteurs, il faut partir de ce qu'ils sont pour les amener à une certaine compréhension chrétienne de la vie et montrer peu à peu les points de contradiction avec leur vie présente et les points qui se correspondent déjà tout-à-fait. Perceval va évoluer peu à peu vers un mieux chrétien, ou tout au moins conçu comme tel pour l'époque, et cela passe notamment par l'apprentissage de la courtoisie.
« Le salut d'un roi n'est pas dans son armée, ni la victoire d'un guerrier dans sa force. Illusion que des chevaux pour la victoire : une armée ne donne pas le salut » (Psaume 33(32), versets 16-17). Du point de vue de la matière chrétienne, ce que l'on peut retenir, c'est que l'homme ne se sauve pas à la force des poignets. « Le » symbole des chrétiens est la croix du Christ : c'est le signe de l'impuissance totale de Jésus-Christ. Jésus, qui est Dieu, s'est fait homme pour rejoindre l'homme et il choisit d'assumer cette condition jusqu'au bout, jusqu'à la mort. Il aurait pu manifester sa toute-puissance aux hommes au moment de la croix, mais il choisit de se placer définitivement du côté de la faiblesse humaine, par amour pour les hommes et pour abandonner à Dieu son Père la gloire de le ressusciter après les trois jours au tombeau. Le véritable héros chrétien est un anti-héros mythologique : la mort du Christ, qui a prêché l'amour toute sa vie, est un échec. Seule la résurrection, qu'il reçoit du Père, le révèle aux hommes comme le sauveur.
En ce sens, Frodon et Sam ont quelque chose de proprement christique. Ce ne sont pas les forts qui détruisent l'anneau, mais les petits. Ce n'est pas le glaive qui triomphe, mais les mains vides. Et encore, cette destruction leur échappe. En définitive, ils ne sont pas les sauveurs, puisque c'est bien Gollum qui détruit, bien malgré lui, l'anneau de pouvoir. C'est comme si le salut venait d'ailleurs. Et Gandalf l'avait comme prophétisé quand il empêcha dans la Moria de porter la main sur Gollum, ne sachant quelle part il aurait à jouer dans cette histoire.
Les interprétations que je livre ici me semblent notamment pouvoir être mises en rapport avec la partie de M. Delorme intitulé « Signification et destinée des deux groupes ».
On voit cependant que la détermination de Frodon et Sam pour apporter l'anneau jusqu'à la montagne du destin, ainsi que celle de leurs compagnons pour faire diversion devant les portes noires sont absolument nécessaires à cette victoire finale. En cela, on peut voir que la matière mythologique est évangélisée : les hommes servent le Bien en combattant le mal de toutes leurs forces, mais ce n'est pas dans ces forces que réside leur victoire, pourrait-on dire, mais plutôt dans l'espoir, souvent évoqué par ce fou de Gandalf, qu'un salut est possible, qu'il faut y croire. Enfin, c'est bien l'amour et la réconciliation qui permettent aux peuples du milieu de faire tomber Sauron : la fidélité des membres de la communauté les uns envers les autres, l'abnégation de Sam pour Frodon, le secours que les hommes du pays des chevaux apportent à ceux de Numénor alors que ces derniers ne leurs étaient pas venu en aide par le passé... Espérance, foi et amour sont pour les chrétiens les trois vertus théologales, c'est-à-dire les vertus qui procèdent directement de Dieu et que les hommes ne peuvent vivre que parce qu'ils sont en lien avec Dieu d'une manière ou d'une autre.
A l'inverse, le groupe qui représenterait davantage la partie chrétienne, Frodon et Sam, ne sont pas exempts de matière mythologique. Frodon et Sam se battront tous deux avec Dard, l'épée de Bilbon. Ils vivront les mêmes expériences que le reste de la communauté de l'anneau avant que celle-ci ne se divise. Il semble donc donc bien y avoir interaction entre les deux matières.

Pour conclure, j'aimerais nuancer ce propos en redonnant son autonomie à l'œuvre de Tolkien. Si je reconnais avec M. Delorme les apports mythologiques et chrétiens, il reste que la part de l'un et celle de l'autre sont difficiles à déterminer et qu'une œuvre littéraire ne peut se réduire à ses sources, même si elles sont de précieuses clés pour entrer dans leur compréhension.
En vous remerciant de votre attention et en vous félicitant pour la qualité de votre site,

Matëanor
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