Note de ce sujet :
  • Moyenne : 3.75 (4 vote(s))
  • 1
  • 2
  • 3
  • 4
  • 5
Devoir de vacances...
#55
Ouf! Après des partiels sportifs, je vais enfin regrouper les chapitres, et rajouter les derniers.
Ca ne se voit peut-être pas, mais j'ai essayé de prendre en compte la plupart de vos remarques; mais je continuerai à peaufiner le texte, alors n'hésitez pas à faire d'autres commentaires!

J'ai aussi rajouté un petit passage sur la Salle du Feu, mais je ne le trouve pas génial.


[quote=manthanoménos]


[quote]

Elle était parsemée de taches d’un blanc si éclatant que la neige semblait grise: ici, malgré le froid encore vif, les nieninqë* avaient déjà déroulé leurs pétales immaculés. Un des soldats déblaya la neige du pied, puis, se penchant, il gratta le sol gelé pour en détacher des mottes de terre brune qu’il écrasa entre ses doigts.

[/quote]
Dans le texte originel, j'avais mis "piquetée" à la place de "parsemée"; mais je pense garder le premier terme, qui fait allusion à la longue tige des perce-neiges, littéralement piquées dans la neige.
Donc merci pour ta suggestion, mais je crois que je ne vais rien changer...



Prologue
Confortablement assis dans un profond fauteuil artistement sculpté, Elrond était penché sur un vieux livre relié d’or. Il contenait le récit de la construction de la Cité-Refuge, ainsi que de nombreux plans ; car, comme tous les étés depuis des siècles, les habitants d’Imladris vérifiaient l’état de leur demeure, réparant au besoin les charpentes ou les murs qui s’affaiblissaient. Les plans d’architecture renfermés dans les archives étaient alors d’un grand secours pour mener à bien ces travaux.
On était au milieu de l’après-midi ; haut dans le ciel, le soleil envoyait impitoyablement sa morsure brûlante sur la Cité-Refuge d’Imladris, cachée en pleine montagne. Pourtant, la cascade qui tombait non loin n’avait pas diminué son débit, car elle était alimentée par les neiges blanches des plus hauts sommets, qui ne disparaissaient jamais totalement.
Il faisait une chaleur torride dans les jardins qui entouraient la belle demeure. Personne n’osait s’y attarder quand le soleil atteignait le zénith. Les Elfes avaient pris l’habitude de se rassembler dans la Salle Commune durant les heures brûlantes, car c’était la salle la plus fraîche grâce à son orientation vers le nord. Mais, en ce mois d’août, la température y restait tout de même péniblement élevée.
Quelques Elfes, assis par petits groupes, chantaient à mi-voix en pinçant les cordes de leurs harpes, et un groupe d’enfants jouait tranquillement avec deux jeunes femmes sur le tapis qui recouvrait les dalles du sol; mais la plupart des adultes lisaient ou écrivaient, puisant leur savoir dans la riche bibliothèque de Fondcombe où d’innombrables livres s’étaient accumulés au fil des âges, preuves et gardiens du savoir ancestral de la race elfique.
Le Semi-Elfe feuilletait lentement le livre. Chaque page lui rappelait des heures de labeur, de peine, mais aussi d’entraide et de fierté quand la Cité avait enfin été achevée.
Des images repassaient devant ses yeux : c’était plus de dix-sept siècles auparavant…



Chapitre 1 : Ordre de mission
Le soleil venait de se lever sur la cité de Mithlond quand Elrond arriva au palais. Iràl, le deuxième héraut du Roi, était venu le trouver au milieu de la nuit, chez lui, à quelques kilomètres de Mithlond, disant que Gil-Galad le mandait d'urgence. Ils s'étaient rendus ensemble à la Cité, chevauchant en hâte à travers les ombres grises, et l'inquiétude au coeur: le Roi n'avait pas donné plus de détails à son messager.

Elrond descendit de cheval et le confia à Iràl. Un serviteur le guida dans les longs couloirs ornés de tapisseries. Ils arrivèrent devant une haute porte, que le Semi-Elfe connaissait bien pour l'avoir franchie de nombreuses fois: celle de la salle où travaillait le Roi. Le serviteur s'inclina devant Elrond et s'en alla sans bruit.
Elrond eut juste le temps d'épousseter son manteau couvert de poussière quand la porte s'ouvrit sans aucun grincement. Il entra dans la pièce claire.
Gil-Galad était assis derrière une table, et compulsait d’anciennes cartes avec un air soucieux.

Le Semi-Elfe se rapprocha en faisant résonner ses pas contre le dallage coloré, mais le roi, absorbé par ses réflexions, gardait la tête penchée.
Elrond s’arrêta devant la table, et, s’inclinant, il dit :
-Tu m’as appelé, mon seigneur ? Que puis-je faire pour te servir ?
Gil-Galad releva brusquement la tête, et son visage tiré par les préoccupations s’éclaira d’un sourire quand il vit son héraut debout devant lui. Il l’appréciait beaucoup, non seulement grâce à ses nobles origines et le destin de ses parents, désormais présents dans chaque chant et chaque légende, mais aussi pour son courage et sa grande habileté à mener des hommes.

-Merci d’être venu aussi vite, Elrond ! Assieds-toi, je t'ai fait chevaucher une bonne partie de la nuit, tu dois être las.
Il lui désigna un siège confortable, puis se leva et servit lui-même deux verres d'une boisson rafraîchissante. Elrond ne put s'empêcher de ressentir une légère gêne en le voyant faire, mais il connaissait suffisamment le Roi pour savoir qu'il ne devait pas protester: Gil-Galad tenait à se conduire souvent comme l'un de ses sujets, sans devoir appeler un serviteur chaque fois qu'il avait besoin de quelque chose.
Il donna un verre à Elrond, retourna s'assoir et but une gorgée de vin. Son visage devint plus grave, comme s'il appréhendait de mettre Elrond au courant.

Il y eut un instant de silence que le Semi-Elfe n'osa troubler, bien qu'une ombre tombât sur son coeur tandis qu'il regardait le visage de son souverain.
Gil-Galad rompit enfin le silence, d'une voix saccadée et douloureuse, mais volontaire:
-J’ai une mission urgente et dangereuse à te confier. Des messagers m’ont appris que Sauron remontait l’Eriador avec de grandes troupes, dans le but de conquérir le pays. Il a déjà ravagée bien des cités, et beaucoup de familles pleurent un proche ou un ami. L'hiver n'est pas loin et la famine risque d'apparaître dans ces contrées.
-Souhaiterais-tu que j'apporte des vivres à cette population? demanda Elrond, croyant comprendre.
Gil-Galad eut un faible sourire, puis son visage fut encore plus triste.
-Non, Elrond, répondit-il avec douceur. Cela est à la portée de tout chef de guerre. Mais toi, tu es un officier de grande valeur, comme j'en ai rarement eu sous mes ordres.

Il prit une large inspiration avant de continuer:
-Celebrimbor sera bientôt assiégé en Eregion, dit-il en lui montrant une carte suspendue au mur. Je voudrais que tu lui viennes en aide. C'est une mission dangereuse, dont certains ne reviendront pas. Mais j'ai suffisamment confiance en ton expérience et ton courage pour penser que tu pourras mener cette mission à bien. Es-tu prêt à faire cela?

Elrond se leva et alla consulter la carte. Les armées ennemies étaient représentées par des croix noires, les alliées, par des croix rouges.
Il prit un moment de réflexion puis se retourna vers le Roi:
-Bien ; je me chargerai de venir en aide à Celebrimbor.
-Pars le plus tôt possible, avec dix mille soldats parmi ceux que tu souhaiteras, dit Gil-Galad, qui avait écarté toute émotion et dont le ton était net et posé.Quant à moi, je vais demander l’aide de Tar-Minastir, roi de Númenor, car je pressens que Sauron ne pourra être arrêté par nos simples forces, et marchera vers ce rivage de la Terre du Milieu.

Il leva la main ; deux éclairs jaillirent à son doigt, l’un rouge flamboyant, l’autre bleu comme la mer qu’on apercevait par la fenêtre.
-Voici Vilya et Narya, forgés par Celebrimbor lui-même, expliqua-t-il devant l’étonnement d’Elrond. Ils donnent force et autorité à leurs gardiens, leur apportant aussi le pouvoir d’enflammer les cœurs et de chasser toute maladie. Celebrimbor les a envoyés ici pour les soumettre à l’avidité de Sauron. Mais celui-ci l’apprendra tôt ou tard, et il viendra les chercher si personne ne l’en empêche. Les posséder décuplerait ses forces, et il recouvrirait de ténèbres toute la Terre du Milieu…

Il fixa Elrond de son regard perçant et ajouta :
-Si ta venue devenait une débâcle, je veux que tu battes en retraite et que tu te caches dans les montagnes en attendant la défaite de Sauron. Car si tu vois que notre cause est perdue en Eregion, à quoi bon laisser encore périr des soldats valeureux?
-Il sera fait selon ton désir, répondit le Semi-Elfe après un moment de silence, même si aucun de nous n’aime tourner le dos à l’ennemi.
Mais une lueur d’incompréhension persistait dans son regard.

Le Roi posa sa main sur l’épaule de son héraut et l’attira près de la fenêtre. Dehors, malgré l’heure matinale, les rues commençaient à être bruyantes : les commerçants ouvraient leurs boutiques, des ménestrels commençaient à se rassembler sur les places, quelques jeunes guérisseuses, un panier sous le bras, sortaient vers la forêt voisine…
-Regarde-les, Elrond ! Ils sont heureux et libres, chacun accomplit paisiblement sa tâche. Nous en sommes responsables, nous sommes les garants de leur quiétude ; il est de notre devoir de les protéger de l’Ombre, quelles que soient les réticences dont notre orgueil et notre fierté peuvent nous emplir.
Il avait parlé très doucement, comme pour lui-même. Ces paroles étaient dures à entendre pour le Semi-Elfe, mais Gil-Galad se les répétait depuis son couronnement pour trouver la force de remplir dignement son rôle.
Elrond comprit que le Roi ne le blâmait pas personnellement et inclina respectueusement la tête devant sa sagesse. Sans rien ajouter d’autre, il prononça les habituelles salutations et s’en alla, laissant Gil-Galad contempler Mithlond depuis sa fenêtre.

Un fois seul, le Roi soupira:
-Mais pourquoi la paix doit-elle toujours s'obtenir par la guerre? Pourquoi la joie de la victoire est-elle toujours entachée par des pleurs de deuil? Pourquoi dois-je laisser partir pour un labeur incertain celui que je considère comme mon propre fils?



Chapitre 2 : Départ pour la guerre
Le Semi-Elfe alla d’abord dans les quatre casernes qui entouraient le palais royal et choisit les meilleurs soldats qu’il put trouver. Il en connaissait beaucoup pour avoir souvent guerroyé avec eux contre les Orques. Malgré son haut poste auprès du Roi, il aimait leur rude et joyeuse compagnie, et les traitait plus en frères d’armes qu’en subordonnés. Ceux-ci le surnommaient Thindolt, le Chef Gris, à cause de la couleur de ses yeux.
Dans l’heure de midi, il s’arrêta à une taverne de la ville pour se reposer un peu ; il avait à peine eu le temps de s’asseoir qu’une voix l’interpella :
-‘dolt !
Il leva les yeux et vit une cinquantaine d’Elfes s’avancer vers lui, menés par Erestor, un gai luron et courageux soldat qu’Elrond appréciait beaucoup. Ils se tassèrent tant bien que mal autour de la table du Semi-Elfe, remplissant presque la taverne à eux seuls ; heureusement, peu de personnes s’y trouvaient. Erestor se détacha du groupe et s’empara d’une chaise. Il s’assit sans vergogne devant Elrond puis lui sourit jusqu’aux oreilles :
-Le bruit court dans la ville que tu recrutes des hommes ?demanda-t-il en affectant un ton de reproche. Nous n’étions pas en faction aujourd’hui et nous venons de l’apprendre. Nous réquisitionnons une place parmi ton armée !
-Ce n’est pas la mienne, mais celle du Roi, rectifia Elrond lui rendant son sourire. Et la rumeur dit-elle que cette mission est dangereuse, et qu’aucun de nous peut-être ne reviendra ?
Erestor redevint sérieux, mais la joie resta imprégnée sur son visage- tels étaient son don et sa force-.
-Elle le dit, mais nous voulions l’entendre par ta bouche. Nous n’avons pas peur de te suivre, même si la mort est probable !
Un murmure d’approbation parcourut les Elfes massés devant eux.
-Dit-elle aussi que ce n’est pas tant nos vies que nous pourrions perdre, mais aussi notre fierté en reculant devant l’Ennemi ?
Disant cela, il parcourut du regard les visages qui lui faisaient face. Il y vit l’angoisse de la souffrance et de la mort, que les Elfes portent en eux beaucoup plus profondément que les Hommes ; pourtant, cette peur bien compréhensible était peu de chose devant l’idéal qui guidait ces soldats.
-Si telle doit être notre tâche, nous le ferons pour sauvegarder la paix en Terre du Milieu, répondit Erestor, résumant la pensée commune.
Elrond sourit à nouveau et hocha la tête avec satisfaction: derrière leurs visages ardents à l’idée du combat, ils avaient compris l’importance de leur rôle et étaient prêts à faire tout ce qui était en leur pouvoir pour servir leur peuple.

Les quatre jours qui suivirent, il y eut une affluence exceptionnelle chez les forgerons et les maréchaux-ferrants, heureusement très nombreux à Mithlond. Elrond imita les soldats; mais sa fonction lui permettait de jouir du savoir-faire du forgeron du Roi, ce qui lui épargnait les longues attentes auprès des fours surchauffés.
Ayant fini tous ses préparatifs, il partit flâner dans la ville inondée de soleil. Ses pas le menèrent sur la place du marché. Il avait toujours aimé cet endroit : le poissonnier vantait à grands cris le produit de son étal, un scintillement d’écailles et de nageoires semblant venir tout droit du palais d’Ulmo ; une marchande de fleurs trônait au milieu de pétales colorés dont la fragrance recouvrait quasiment toute la place ; plus loin, le vendeur d’oiseaux exposait ses bêtes, aussi agréables à regarder qu’à écouter. Tout se faisait en un désordre indescriptible de bruits, d’odeurs et de couleurs qui étourdissait.
Elrond marchait lentement à travers la place. Les souvenirs affluaient à chaque pas : cette boucherie, d’où était venu ce succulent sanglier du Nouvel An, ce marchand de tissus, où ses amis lui avaient fait confectionner en secret une magnifique cape… Une bouffée de tristesse le saisit soudain, et il prit conscience qu’il pourrait ne jamais revenir à Mithlond. Le souvenir des paroles d’Erestor ne parvenait pas à l’apaiser.
-Après tout, pourquoi avoir peur ? se dit-il enfin. Je suis un soldat, et j’obéis aux ordres du Roi, quelles que soit leurs conséquences. Mon destin et celui de tous reposent entre les mains d’Elbereth !
Ayant un peu repris courage, il s’éloigna du brouhaha, traversa deux rues et franchit le seuil d’un édifice tout construit de marbre. Dans une vaste pièce claire se trouvaient quatorze statues sur piédestal, sept de chaque côté, représentant les Valar.
Oromë et Nienna encadraient la porte; leurs représentations semblaient presque s'affronter, tant elles étaient différentes. Chevauchant Nahar, son destrier d'un blanc de neige, accompagné d'une meute de chiens hurlants, Oromë se dressait, les yeux flamboyants, la chevelure en désordre, et s'apprêtait à lancer un puissant appel dans son cor.
En face de lui se tenait Nienna, agenouillée dans l'herbe. Enveloppée dans son manteau gris, la tête penchée avec douleur vers la terre, elle laissait ses longs cheveux s'y dérouler comme pour lui apporter un quelconque réconfort. Comme tous les guérisseurs, Elrond avait une affinité particulière pour cette dernière, et il se recueillit un instant silencieux auprès d'elle, implorant sa compassion et son pouvoir de ranimer l'espérance.

Puis ses pas le portèrent vers Mandos le Juge. A son côté se trouvaient les parchemins où étaient écrits tous les faits et gestes de toutes les créatures dotées de vie, et une balance pour décider de leur destin. Un aigle se tenait près de lui, rappelant que Mandos ne prenait aucune décision par lui-même, mais uniquement sur ordre de son seigneur Manwë.
Enlrond resta là un moment, se demandant combien des siens se tiendraient devant Mandos avant la venue du printemps. Il finit par se retourner vers Ulmo, le Valar qui aimait le plus le peuple des Elfes, et qui était jadis apparu à son ancêtre Tuor. Le Valar portait un long manteau serti de saphirs et d'opales. Ses yeux flamboyaient à travers son heaume noir. Malgré son apparence terrible, les Elfes aimaient ce Valar; car, au mépris de la prophétie énoncée par Mandos, Ulmo était resté près des Terres du Milieu, et il avait aidé maintes fois les Hommes et les Elfes en leur promulguant de sages conseils et en les aidant dans leurs quêtes.

Plus loin se trouvaient ensemble le mari et la femme, Aulë le Forgeron et Yavanna Reine de la Terre. De ses doigts habiles, Aulë façonnait un bijou orné de pierreries chatoyantes, tandis que Yavanna, les bras tendus vers le ciel, en faisait descendre une lumière dorée qui redonnait vie à la terre infertile.

Les pas d'Elrond résonnèrent dans la longue allée, et il arriva à son extrémité. Devant lui se tenait Elbereth, revêtue d'une longue robe étoilée. Grâce à l'art du sculpteur, où que se plaçait le visiteur, la reine des étoiles le fixait de son doux regard. A ses côtés, assis sur un haut trône, Manwë envoyait ses aigles porter des messages de par le monde. La statue était plus grande que les autres, mais le Valar avait le front intelligent et le visage aimable, si bien qu'il dégageait un inexprimable effet de bonté.

Au fond de l’allée formée par les statues, il y avait un espace vide, symbolisant Eru, que nul art ne saurait représenter. Des lustres suspendus éclairaient le haut plafond de mosaïque, et dans l’air flottait la fraîche odeur des fleurs apportées en offrande devant le piédestal inoccupé. Le Semi-Elfe s’arrêta dans l’ombre d’une colonne, rabattit son capuchon sur sa tête et pria.

Enfin, à l’aube du quatrième jour, Elrond franchit les portes de la cité de Mithlond. Gil-Galad avait tenu une dernière réunion avec Elrond et les Elfes qu’il avait choisi pour le seconder –Erestor s’était vu remettre la tâche d’aide de camp-. Il leur avait longuement parlé, enracinant le courage dans leurs cœurs par la vertu de ses anneaux.
Et avec le Semi-Elfe partit un grand nombre d’Elfes à cheval et puissamment armés ; et tous, de leur chef au plus humbles des soldats, ils se demandaient qui de l’Ombre ou de la Lumière allait remporter le duel, et s’ils reverraient jamais la belle terre du Lindon.


Chapitre 3 : Soir d’hiver
Erestor jeta quelques bûches à côté du feu allumé devant la tente des officiers. Il était allé les chercher, avec mille précautions, dans la forêt qui bordait le campement de l’armée en déroute. Mais les Orques étaient encore loin ; Elrond avait forcé l’allure vers le nord, afin de laisser une nuit de repos à ses soldats avant le retour du soleil et des combats.
Comme Gil-Galad l’avait craint, l’aide apportée par Elrond s’était révélée insuffisante face aux armées de Sauron : Celebrimbor avait été tué, et seuls quelques Elfes avaient réussi à rejoindre l’armée d’Elrond. Obéissant à Gil- Galad, le Semi-Elfe avait ordonné le repli de ses troupes ; pressés par les Orques qui les poursuivaient, ils s’étaient dirigés vers les montagnes. Le massacre était proche, mais Sauron avait appris la présence de Varya et Vilya au Lindon. Il avait alors marché vers l’ouest, ne laissant qu’une petite troupe traquer les Elfes, troupe pourtant assez importante pour les écraser jusqu’au dernier en cas d’attaque.
Le Semi-Elfe n’était pas dans la tente ; seuls s’y trouvaient Limtal* et Sadorhen**, les deux Elfes envoyés par Celebrimbor avant l’attaque de Sauron pour mettre les trois plus beaux anneaux en sécurité à Mithlond. Ils en avaient confiés deux à Gil-Galad, puis étaient repartis avec Elrond et son armée, même si la situation leur semblait désespérée en Eregion. Ils installaient leurs affaires et s’interrogeaient sur l’itinéraire du lendemain.
Erestor resserra son manteau autour de lui et se rapprocha du feu. La nuit tombait. Au bout d’un moment, les premières étoiles s’allumèrent au firmament et la lune se leva, faisant scintiller d’un éclat blanc et froid la neige qui recouvrait le sol. On n’entendait dans l’air glacé qu’un doux bourdonnement irrégulier : le murmure des Elfes qui discutaient dans leur tente, finissant de manger avant de prendre un peu de repos.
Des pas firent soudain crisser la neige. Erestor se retourna, mais il savait déjà que c’était Elrond : aucun Elfe, plus léger, n’aurait fait autant de bruit en marchant ! Mais ses soldats lui pardonnaient volontiers ce défaut; c’était un bon chef, avisé et courageux, qui n’abusait jamais de son autorité. Chaque soir, il avait pris l’habitude de se promener dans le camp et de discuter avec les Elfes, afin de connaître l’état et le moral de ses troupes. De plus, c’était un excellent médecin, enseigné par Gil-Galad lui-même. En cas de blessures graves, les Elfes n’hésitaient jamais à venir le voir. Pourtant, ils murmuraient entre eux depuis qu’il avait ordonné la retraite, car l’idée d’une déroute les humiliait profondément.
Elrond s’arrêta près du feu, aux côtés d’Erestor. Les flammes se reflétaient dans ses yeux gris, éclairant étrangement son visage soucieux et préoccupé. Erestor n’osa pas le questionner.
Après quelques instants de silence, Elrond parla enfin :
-Cette situation ne peut plus durer. Nous fuyons depuis des jours, et à présent les troupes préféreraient mourir sur place plutôt que montrer leur dos à l’ennemi une fois de plus.
-C’est toi qui nous l’as ordonné, et nous t’avons obéi, répliqua Erestor, tentant de refouler la colère qui montait en lui.
Malgré l’orgueil qu’il partageait avec les troupes, il s’était comme elles soumis à l’ordre de retraite, bien qu’il eût de loin préféré mourir au combat.
-Les Orques sont trop nombreux ; à quoi une guerre ouverte nous servirait-elle ? répondit calmement Elrond. J’espérais que l’hiver aurait eu raison d’eux plus vite que de nous. Mais je me suis trompé, car ils ont de nombreux alliés dans cette région, des trolls et des géants qui leur fournissent assez de vivres et de combustibles pour vaincre le froid. A cela, il y a une solution : si nous trouvions un refuge dans un endroit caché et difficile d’accès, nous pourrions résister à un siège jusqu’à l’arrivée de ceux de Númenor.
Erestor avait écouté sans rien dire. Après tout, le Semi-Elfe avait raison : soit ils continuaient à fuir, ce à quoi ils ne pouvaient se résoudre ; soit ils revenaient combattre, et se faisaient tuer jusqu’au dernier ; soit ils résistaient dans un lieu adéquat, comme le proposait Elrond.
-Tu as raison, dit-il. Mais sais-tu où nous nous installerons pour faire face à l’ennemi ?
-Je l’ignore encore. C’est pour l’instant ma première préoccupation. Nous devons invoquer la bienveillance toute-puissante des Valar, afin qu’ils nous guident vers un lieu propice ! soupira-t-il en tournant son regard vers l’Ouest. Je pense que les Orques ne se déplaceront plus à présent, persuadés que nous ne passerons pas les montagnes ; ils attendront que, affaiblis par le froid et sans courage, nous soyons faciles à retrouver et à faire disparaître. Va informer les troupes : dès demain, nous chercherons un endroit où regrouper nos forces.
Erestor le salua avec joie et s’éloigna. Le Semi-Elfe n’avait pas voulu prévenir les soldats avant de soumettre son idée à son second et ami ; c’était une chose de plus qu’Erestor appréciait.

Malgré l’heure tardive, la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre ; Elrond le réalisa en écoutant les chuchotements qui circulaient d’une tente à l’autre. Il s’enroula dans sa couverture et se prépara à dormir, comme ses officiers le faisaient déjà. Les Elfes n’aiment pas dormir trop près du sol ; les lits de camp étaient donc constitués de quatre bâtons droits plantés dans le sol, tendant entre eux un rectangle de toile. Une fois plié au fond du sac, ce matériel était léger et peu volumineux, et les soldats pouvaient l’emmener partout sans difficulté. Après avoir fait le tour du camp, Erestor rentra dans la tente, se faufila silencieusement entre les lits et se coucha près de celui de son chef. Tous deux se murmurèrent un bonsoir fatigué et s’endormirent presque aussitôt.

*Limtal : en sindarin, Pied Rapide
**Sadorhen : en sindarin, Œil Fidèle

Chapitre 4 : Le don de Yavanna
Beaucoup de gens croient que les Elfes ne connaissent pas le sommeil comme nous l’entendons, se contentant de laisser leur esprit errer sur les sentiers des rêves elfiques. Mais en réalité, il leur arrive de dormir véritablement, après un long labeur ou un dur effort physique. Certains prétendent même qu’ils ont le sommeil plus lourd que les Hommes, et qu’il est difficile de réveiller un Elfe endormi ; mais personne n’a jamais pu confirmer ces dires.
Les soldats étaient épuisés, car la journée avait été rude. Peu d’entre eux avaient déjà foulé cette contrée si éloignée de Mithlond. Chez eux, l’hiver était le frais repos de la nature, la paisible méditation de toute chose ; ici, la morte saison était sauvage, cruelle, prête à arracher la vie par ses griffes gelées. De plus, ils devaient se contenter de l’air rare des montagnes, auquel ils n’étaient pas habitués. Hormis les sentinelles, ils dormaient donc tous profondément, et Elrond et Erestor ne faisaient pas exception à cette règle.
Alors qu’il sommeillait, le Semi-Elfe vit soudain, montant de l’est et dépassant la cime des hautes montagnes, une étoile plus brillante que toutes celles qui piquetaient le ciel. Un aigle se dirigea vers elle ; il survola un bois de pins sombres, puis vint se percher sur le haut d’une falaise qui surplombait un gouffre vertigineux. Un torrent bondissait au fond, en cascades d’écume blanche. De l’autre côté, le sol remontait doucement, couvert d’un foisonnant tapis herbeux. Quasiment tout en haut, il y avait un orifice dans la paroi, comme l’entrée d’une grotte. L’aigle s’envola et y pénétra ; après quelques dizaines de mètres dans la galerie, il se retrouva à l’air libre, dans une immense vallée presque plane, encerclée de falaises. Et au milieu, une femme svelte, revêtue de vert et couronnée de fleurs dorées, dansait gracieusement. Sous ses pas, et à chaque endroit que frôlait un pan de sa robe, la terre devenait fertile, les fleurs éclosaient et les arbres donnaient du fruit. Elrond ne l’avait jamais vue, mais son cœur lui dicta son nom : Yavanna Kementari, la Valar Reine de la Terre, dont la danse faisait jaillir la vie.
Elrond se réveilla en sursaut. Il sauta à bas de son lit et sortit précipitamment de la tente. Un éclat blanc l’aveugla à moitié : Ëarendil, l’Etoile de l’Espoir, s’était levé sur le camp des Elfes, fidèle aux sentinelles du début de la nuit.
Le Semi-Elfe baissa les yeux ; il reconnut la forêt de pins de son rêve, mais son regard ne portait pas au-delà. Il bondit en avant, le cœur battant, sans se soucier de l’étonnement des sentinelles qui le virent sortir du camp en toute hâte. Il s’engagea dans le bois sombre. L’épaisse couche d’aiguilles qui recouvrait le sol étouffait le bruit de ses pas tandis qu’il s’enfonçait entre les arbres. Il avait perdu tout notion du temps, se demandant de temps à autre si cette forêt obscure et sans fin n’était pas la suite de son rêve ; il courait, courait sans s’arrêter, et son souffle haletant s’envolait en nuages blancs dans l’air glacé des premières heures du matin. Il voyait l’étoile qui le guidait se rapprocher de plus en plus de l’horizon, tandis que le ciel pâlissait devant lui, prémisse de l’aube toute proche.
Arrivant enfin à la limite des arbres, il ralentit l’allure, n’osant croire à ce qu’il allait découvrir. Il s’avança jusqu’au bord de la corniche : la vallée était exactement celle dont il avait rêvé, hormis qu’elle était toute blanchie par la neige des montagnes. Face à lui, le soleil levant teintait la roche de reflets dorés, tandis que l’Etoile pâlissait devant son éclat avant de disparaître à l’horizon. La falaise du haut de laquelle il se tenait semblait à pic à première vue, mais la roche ressortait par endroits, formant grossièrement un sentier en saillie jusqu’en bas. La rivière était gelée. Le regard d’Elrond se porta devant lui : sur la pente opposée, il vit le large plateau, recouvert de buissons touffus enfouis dans la neige, qui de loin formaient de grosses sphères blanches. Il repéra ensuite l’entrée de la faille qui menait à la vallée voisine, avec une bouffée d’émotion en pensant que Yavanna l’avait bénie.
Etrangement, la vallée était orientée d’ouest en est, presque perpendiculairement à l’orientation de la chaîne de montagnes. Cela lui permettait de recevoir la lumière du soleil jusqu’au lit du torrent. C’était un lieu magnifique, idéal, quasiment imprenable en cas d’attaque et de siège. Elrond murmura un nom, Imladris, la Profonde Vallée de la Faille, puis un chant jaillit de ses lèvres pour remercier Yavanna qui lui offrait ainsi le lieu où il pourrait fonder la Cité-Refuge.

Chapitre 5 : L’installation dans la vallée
Le camp des Elfes s’était réveillé aux premières lueurs de l’aube. En quelques minutes, le paisible village de toile s’était transformé en une fourmilière active : les soldats ranimaient les feux, rangeaient leurs affaires et pliaient les tentes en prévision d’un proche départ. Ceux qui avaient fini de se préparer se regroupaient autour des feux pour partager un rapide repas en attendant les ordres de leur chef. La nouvelle de la veille avait accru leurs forces et leur courage, bien amoindris par l’humiliation de la fuite dans les montagnes. Ils reprenaient espoir, sûrs maintenant de ne plus avoir à fuir comme du gibier devant le chasseur qui le rabat.
Les officiers aussi se préparaient à partir ; mais sans rien dire aux soldats, ils se demandaient avec étonnement où était Elrond.

Alors qu’une des sentinelles s’approchait d’Erestor pour lui raconter ce qui s’était passé dans la nuit, des bruits de pas se firent entendre près du camp. Elrond apparut à l’orée du bois, tout haletant, le visage rendu écarlate par sa course.
Au bout d’un moment, après avoir repris son souffle, il raconta ce qu’il avait vu aux soldats rassemblés autour de lui; le camp redoubla alors d’activité et d’excitation, et l’armée put rapidement se mettre en route. Disparue, la fatigue, finies, la crainte et l’humiliation de la fuite ! Tous retrouvèrent des forces nouvelles pour repartir. Malgré la forte probabilité que les Orques ne les poursuivraient plus, des veilleurs aux yeux perçants furent placés en arrière-garde, car la montagne recelait des loups et des trolls en grand nombre. Elrond marchait en tête ; comme tous les soldats qui lui restaient, il avait perdu son cheval lors d’une bataille. Il avançait à grandes enjambées, enfonçant parfois dans la neige molle jusqu’au-dessus des chevilles, impatient de montrer le lieu qu’il avait découvert. Il portait un long manteau noir, exactement de la même teinte que ses cheveux; il produisait un bruissement très doux quand il ondulait autour de son porteur, et avait la faculté d’apporter l’apaisement où on le déposait; c’était celui que Luthien avait tissé avec ses cheveux, avant de s’évader d’Hisilorn pour partir à la recherche de Beren. Ce précieux vêtement avait été conservé et transmis par ses descendants, qui le portaient comme symbole de leur appartenance aux deux races à la fois.

Ils cheminèrent sans encombre jusqu’au soir ; fortifiés par une nuit de repos, ils voyagèrent toute la nuit à travers la forêt obscure. La température était un peu remontée durant la journée, et le ciel s’était couvert d’épais nuages blancs. Au petit matin, atteignant enfin sa limite, les soldats durent se contraindre à ne pas se précipiter vers le bord de la falaise, tant ils avaient hâte de connaître enfin l’endroit que leur chef avait décrit avec tant d’enthousiasme.

Quand ils accueillirent la vision qui s’offrait à eux, il y eut de nombreux murmures d’étonnement joyeux et de louange des Valar.
-Ca alors ! s’écria Erestor, qui ne pouvait détacher son regard de la magnifique vallée. Jamais je n’aurais imaginé un lieu plus propice !
Quant à Elrond, après avoir vérifié d’un coup d’œil que tous partageaient son opinion sur le choix de l’endroit, il commença à descendre vers le torrent, se frayant précautionneusement un chemin entre les arbustes épineux et les rochers. L’un après l’autre, les soldats le suivirent. Le sentier était étroit et irrégulier. Par endroits, il fallait enjamber des failles, où la roche était absente ; le regard plongeait alors jusqu’au fond du ravin, laissant imaginer à chacun ce que serait une chute malencontreuse. Mais tous étaient des Elfes, habiles et aguerris, et ils avaient l’équilibre inné et la légèreté de leur race.

Une fois en bas, ils traversèrent la rivière gelée en sautant sur des pierres qui émergeaient de la glace et gravirent l’autre versant. Cette partie du voyage se fit sans mal car le sol remontait en pente douce. Ils arrivèrent enfin sur un large plateau où la neige s’était accumulée en grande quantité, à mi-hauteur du flanc de la montagne, non loin de l’entrée de la grotte qui menait à la vallée fertile. Là, ils déposèrent leurs affaires, puis Elrond se jucha sur une pierre qui sortait du sol, et tous se mirent en formation autour de lui pour l’écouter. Il balaya ses troupes du regard, et fut saisi d’orgueil en voyant ses hommes, las mais fiers, les prunelles ardentes, prêts à lui obéir jusqu’au bout de leurs forces.

« Ce lieu sera désormais celui où nous vivrons ! dit-il d’une voix vibrante. Et il sera comme un nid de rapace, dont nous serons les aigles. Nous le rendrons inaccessible, et jamais les Orques ne pourront nous y vaincre ! Ce sera une cité-refuge, où tous les ennemis de l’Ombre noire pourront obtenir aide et conseil. Notre force ne résidera pas dans une puissante armée, mais dans cette citadelle imprenable ! »
Un murmure d’approbation parcourut les rangs. Jamais les soldats n’auraient accepté de s’installer dans un endroit si dissimulé qu’aucun ennemi ne le découvrirait ; mais ils savaient qu’ils auraient à la fois un rôle d’accueil de ceux qui partageaient leur cause et de résistance face aux troupes ennemies.

Elrond répartit alors leurs tâches à ceux qui les secondaient :
«Lindir, prends quelques soldats avec toi pour faire un tour de reconnaissance dans la vallée. Sadorhen et Erestor, retournez en arrière et observez ce que font les Orques. Si ils nous surveillent, ils réaliseront que nous sommes partis ; soit ils resteront dans leur camp, soit ils suivront nos traces, que la neige a conservées. Quant à toi, Inglor, je crois me souvenir que tu es doué en architecture (l’interpellé baissa modestement la tête avec un grand sourire); va m’attendre dans ma tente, et nous réfléchirons aux constructions à prévoir.
Et vous, Aiglons ! Vous avez été courageux ces derniers jours, plus que je ne l’espérais. Vous avez obéi à tous mes ordres sans les remettre en question, vous fiant à moi dans une situation périlleuse, et je vous en remercie. A présent, notre errance est finie, et notre rôle dans la lutte contre l’Ennemi va changer. Je vous ferai part du labeur à entreprendre ; pour l’instant, je vous laisse vous installer.
Il sauta à bas de la pierre imposante, et les troupes se dispersèrent.

Avant de rejoindre Inglor, Elrond fit le tour du campement, aussi bien pour connaître réellement ce que pensaient ses soldats que pour prendre des nouvelles des nombreux Elfes blessés dans les batailles contre les Orques. Hors des rassemblements militaires, les Elfes s’entretenaient plus familièrement avec lui ; sous le fragile abri de leurs tentes, ils osaient dévoiler leurs espérances et leurs craintes, sachant trouver compréhension et sagesse dans les yeux gris de leur chef.
La visite se révéla plutôt positive : aucune blessure ne s’était compliquée grâce au froid qui empêchait les infections de se développer, et les soldats étaient optimistes sur la sécurité du lieu face à une prévisible attaque d’Orques. Ils étaient impatients de commencer la construction de leur cité, qu’ils appelaient déjà Fondcombe, la signification d’Imladris, le nom jailli des lèvres du Semi-Elfe.
« Car, disaient-ils, nous allons habiter au cœur des montagnes, pour résister à la volonté de l’Ennemi de toutes nos forces! »
Mais un doute persistait : si les troupes de Númenor n’arrivaient pas avant le printemps, la famine était à craindre en cas de siège, car les Orques mettraient en fuite ce qui restait du gibier, et aucune plante n’aurait encore donné son fruit sur les pentes de la vallée fertile.
« Nous n’avons pas le choix, répondait Elrond à leurs interrogations inquiètes. Mais j’ai bon espoir : cela fait trois mois que Gil-Galad a demandé des renforts, et peut-être les bateaux des Hommes ont-ils déjà atteint les rivages du pays de Lun. Ils arriveront à temps. »

Enfin, le Semi-Elfe pénétra dans sa tente, qu’Inglor avait montée avec quelques soldats. L’officier l’attendait ; il avait déjà esquissé des plans de bâtiments. Il était en train de les soumettre à son chef quand Lindir revint de sa mission. Jusqu’au soir, tous trois discutèrent des constructions à mener en priorité, s’appuyant sur le savoir d’Inglor et l’expérience militaire d’Elrond ; et Lindir y ajouta ce qu’il avait pu observer de la roche, de la disposition de la vallée et des bois environnants. Durant ce temps, les soldats s’installaient : ils montaient leurs tentes, faisaient fondre de la glace et amassaient de grandes réserves de bois mort pour alimenter les feux qui brûlaient devant leurs abris. Certains partirent chasser dans la montagne et ramenèrent des bouquetins, un mouflon et quelques perdrix blanches qui, engourdies par le froid, n’avaient pas eu le temps de se dérober aux chasseurs.

Le soir venu, les Elfes se rassemblèrent autour du grand feu qui flambait au centre du camp. Ce lieu fut désormais choisi pour les conseils et les rassemblements ; et là fut construite la salle où se déroulèrent le Grand Conseil Blanc et le Conseil d’Elrond, durant lesquels se joua le destin de la Terre du Milieu.
Inglor exposa ce qu’il projetait de faire :
« Le plus urgent est de bâtir une muraille autour du plateau où nous nous trouvons. La falaise au nord est inaccessible ; le danger ne peut donc venir que du sud. Au printemps, le torrent sera une barrière efficace, mais pour le moment, il nous faut résister sans son aide.
Nous commencerons demain à extraire des blocs de pierres dans un lieu situé non loin d’ici. A l’aube nous pourrons nous mettre au travail; mais nous aurons une tempête de neige durant la nuit. »
En effet, le ciel qui s’assombrissait était couvert de nuages voilant déjà les plus hauts sommets, et une bise glacée soufflait par rafales en soulevant la porte des tentes. Chacun rentra dans son frêle abri de toile, après avoir resserré les cordes qui le rivaient au sol. Les officiers et leur chef firent de même, mais Elrond était inquiet et il refusa qu’on barricadât l’entrée : Sadorhen et Erestor n’étaient toujours pas rentrés.

Chapitre 6 : L’attente dans la tente
Le soleil se coucha, caché sous les épais nuages menaçants. Le vent redoubla de violence tandis que la neige se mettait à tomber en gros flocons tourbillonnants. On n’entendait au-dehors que le bruit feutré de la neige qui tombait ; quelquefois, un grand souffle naissait de nulle part, gagnait en puissance, puis venait s’abattre sur les tentes avec fureur. Il leur semblait que la montagne elle-même, après une grande inspiration, soufflait de toutes ses forces sur les fragiles abris, qui se mettaient à claquer comme des étendards. Dans la tente des officiers, une lampe posée au sol projetait les ombres des soldats sur les parois mouvantes. Tous étaient allongés sur leurs couchettes ; malgré leurs couvertures, le froid les tenaillait autant que la pensée des deux absents. Quelquefois, l’un d’eux se levait, pour tuer le temps, essayer de se réchauffer en bougeant, et secouer la neige qui alourdissait le toit de l’abri. Ils se posaient mille questions : que faisaient les Orques ? Sadorhen et Erestor avaient-ils été capturés par eux, ou avaient-ils péri dans la tempête ?
Lindir à l’ouïe fine fut le premier à sauter de son lit. Au-dehors, enfin ! des pas hésitants et irréguliers venaient de rompre le bruit monotone de la tempête.
Tandis que les autres sortaient avec peine de leur engourdissement anxieux, Elrond s’assit sur le rebord de son lit et s’empara de la lampe. Lindir entrouvrit un pan de la toile. Une bourrasque s’y engouffra, déposant des paquets de neige sur les lits, et faillit éteindre la flamme vacillante, mais les Elfes n’y prêtèrent aucune attention : ils s’avancèrent juste à temps pour recevoir dans leurs bras les deux formes titubantes et couvertes de neige.

Chapitre 7 : Retour des éclaireurs
Chancelants, transis de froid, les arrivants furent happés à l’intérieur de la tente et transportés par des bras robustes jusqu’à leurs couchettes. Leurs beaux visages étaient gris de fatigue, et dans leurs yeux se lisait la peur rétrospective de ceux qui ont échappé de justesse à un grave danger. Sadorhen avait le poignet droit serré dans un bandage taché de sang.
Elrond leur fit boire un cordial qui, après une bonne quinte de toux, colora leurs joues pâlies par le froid.
Après quelques minutes de repos, ils purent enfin répondre aux interrogations muettes de ceux qui les entouraient. Sadorhen fut le premier à rompre le silence :
-Les Orques ne se sont pas déplacés. En les épiant, nous avons pu entendre des conversations : ils pensent nous vaincre aisément dès le dégel, mais ils attendront d’ici-là.
-Cela nous laisse environ deux mois pour renforcer nos positions, répondit Elrond, agenouillé devant lui pour soigner sa blessure. Et cela laisse aussi deux mois à Gil-Galad pour arriver jusqu’ici.
Erestor but une longue gorgée de cordial et laissa sa chaleur se propager dans son corps, puis il ajouta :
-Ce ne sera pas aussi simple. Des loups sont descendus des plateaux du nord pour renforcer les rangs ennemis. Ignorant cela, nous nous sommes approchés trop près du camp, et ils nous ont repérés. Nous en avons tué quatre avant de nous éloigner ; mais ils nous suivaient de près, et l’un d’eux a réussi à mordre Sadorhen. Nous avons alors traversé une rivière gelée, et trois autres sont morts en voulant nous suivre, la glace trop fine se brisant sous leurs pas. Le reste a fait demi-tour en sentant la tempête arriver, et nous sommes rentrés ici en toute hâte.
-Mais cela n’a pas suffi, dit amicalement Limtal en leur apportant chacun une couverture supplémentaire.
Elrond acheva de panser la large entaille de l’Elfe. Elle avait peu saigné grâce au froid, mais était empoisonnée, comme le sont trop souvent les morsures de loup. Gil-Galad avait découvert quelle plante permettait de neutraliser l’effet du poison, et avait transmis ce précieux savoir à son héraut, qui emportait toujours avec lui quelques plantes séchées susceptibles de sauver la vie de nombreux soldats. Elrond ne craignait donc rien pour Sadorhen.
Ils se couchèrent encore un peu plus tard, car les deux éclaireurs avaient des renseignements à donner à leur chef sur le nombre, l’armement et le moral des troupes d’Orques. Ils étaient toujours beaucoup plus nombreux que leur propre armée, mais l’hiver les avaient affaiblis tout de même, et rendus maussades, si bien qu’ils étaient à la fois moins dangereux et plus irascibles. Quand Elrond éteignit précautionneusement la lampe au milieu des Elfes endormis, le soleil commençait à faire pâlir le ciel à l’Est.
Répondre


Messages dans ce sujet
Devoir de vacances... - par Tinakë - 30.12.2007, 17:48

Atteindre :


Utilisateur(s) parcourant ce sujet : 2 visiteur(s)