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Réflexion sur la traduction.
#18
Bien, la majeure partie des remarques portant sur la traduction de la prose, je vais pouvoir rétablir l'équilibre en parlant de la poésie Smile -- c'est ce qu eje "maîtrise" le mieux, du moins comme sujet.

Je lis "difficile", "presqu'impossible"... c'est vrai que c'est ardu. Il y a des quantités de choses à prendre en compte, la première étant la musicalité de la langue... je pense que l'expression artistique est encore plus sensible avec la poésie qu’avec la prose, parce que la poésie fait plus appel à la sensibilité, à l'intimité, du traducteur -- et du lecteur. Du coup, c’est un peu son âme que l’on met dans la traduction, son ressenti, ses perceptions.
Un temps, le forum de JRRVF fut assez actif du point de vue des traductions poétiques. Ce qui me frappa le plus alors, c’est qu’à partir d’un même texte, on pouvait avoir plusieurs bonnes traductions, dans plusieurs styles différents – et pourtant toute proches du sens de l’original. Ces différences tenaient du choix de la structure (alternance des rimes, nombre de pieds…), du choix du ton (du vocabulaire plus ou moins archaïques, de certains mots qui deviennent « marques de fabrique »…)… et parfois même, de l’accent du traducteur (une plus ou moins grande tendance à faire les diérèses, par exemple… Very Happy).
Cependant, ce qui fait – je parle de mon point de vue – que la traduction poétique est mon exercice préféré (en « opposition » à la traduction… prosaïque Wink), c’est justement cette difficulté là, celle dont vous parlez, de rendre une musicalité, de rendre une forme, une structure, entre deux langues, deux façons de voir le monde, deux univers poétiques – celui de l’auteur, celui du traducteur. La phrase que Tilkalin cite, d’Umberto Eco, s’applique très bien ici aussi.
Certes, l’exercice de la traduction en « forme » (nombre de pieds réguliers, structure…) peut paraître austère. C’est ainsi qu’il me paraissait au début, où une certaine paresse me faisait clamer que les vers libre de toute façon sont mieux Wink Après quelques exercices, on s’aperçoit que finalement, les octosyllabes et les alexandrins ne sont pas si mal que ça, et on prend goût à se plier à cette contrainte. D’abord parce que l’oreille française est habituée à ces rythmes – l’oreille anglaise fonctionne elle en accents forts/faibles, beaucoup moins sensibles en français. Ensuite parce que ça donne un « squelette » à la traduction, lui donne une tenue (c’est un peu comme en dessin : quand on fait un croquis, on peut partir dans tous les sens et se perdre finalement dans ses traits, ou passer par l’étape plus « rébarbative » selon bien des gens, à savoir tracer d’abord les lignes de forces et poser les points d’appui, avant de mettre de la viande Smile Et honnêtement, la deuxième méthode est bien plus satisfaisante). Et enfin, parce que contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas privatif de liberté. Je dirai même que la contrainte oblige à faire appel à sa créativité, soit en inventant des néologismes réalistes, ou en détournant certains sens – avec parcimonie, sans inventer une nouvelle langue, mais à la façon de Gabriel Rebourcet pour le Kalevala, par exemple… le mot qui me vient en tête immédiatement est le « fameux » « chantourner », appliqué à Vaïnamoïnen quant il pratique la magie du chant, alors que « chantourner » est un terme de menuiserie – soit en allant fouiller dans les patois et l’ancien français pour retrouver des mots s’appliquant mieux que nos mots actuels – surtout que Tolkien est friand des archaïsmes. (J’ai ainsi découvert un mot du patois savoyard que je n’ai jamais pu employer encore, « encharmiller », l’équivalent de « enchanter, jeter un sort », avec une très jolie notion arbesque Smile).
Après, avec l’expérience, on se fixe encore d’autres limites, d’autres contraintes – rendre les allitérations, les assonances, ne pas employer de vocabulaire « moderne », apparu après le 18e siècle, ou employer un patois bretonnant pour les poèmes hobbitiques, de la région Rhône-Alpes pour les poèmes des Rohirrims, ou que sais-je.
En fait, je trouve que ce sont ces contraintes qui donnent de l’allure à la traduction. Le modèle pour moi étant celle du Kalevala par Rebourcet, un vrai joyau de créativité, entièrement en octosyllabes, et le refus de l’emploi de termes gréco-latin dans la traduction. Certes, les puristes diront qu’il y a des infidélités au texte (ne connaissant pas le finnois, je suis incapable d’en juger). Mais il y a tellement de plaisir à lire une traduction si bien faite que honnêtement, je m’en moque un peu Smile
Il faut donc, en traduction poétique plus encore qu’en traduction de prose, trouver un juste équilibre entre créativité-structure-respect de l’original. L’exercice est plus périlleux, mais plus stimulant encore Smile

Pour revenir à la citation initiale : "la poésie, c'est ce qui disparaît à la traduction", uniquement si l'on fait une traduction littérale, ou une mauvaise traduction... "l'acte de traduction est l'acte poétique par excellence"... je suis assez d'accord Smile Sauf pour ceci : le plus important reste tout de même l'univers poétique de l'auteur original. Le traducteur doit faire rentrer le sien, d'univers, dans celui de l'auteur... et l'on a ainsi deux univers poétiques en un Smile


S. -- qui n'a pas rouvert un dictionnaire anglais-français depuis bien longtemps... Sad
"[Faerie] represents love: that is, a love and respect for all things, 'inanimate' and 'animate', an unpossessive love of them as 'other'."
J.R.R. Tolkien, Essay on Smith of Wootton Major.
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Réflexion sur la traduction. - par Thrain - 10.09.2007, 18:25

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