Frank Frazetta a effectivement été très influent, notamment dans les années 1970 et 1980.
Il faut dire que les tableaux représentant Conan le Cimmérien qu'il a peint pour neuf des douze couvertures des recueils howardiens de chez Lancer Books (recueils contenant des récits originaux de Robert E. Howard, mais aussi de forts discutables éléments de "collaboration posthume" signés Lyon Sprague de Camp et Lin Carter, rappelons-le tout de même) ont marqué les esprits dès la publication (à partir de 1966, mais prévue dès 1964) de cette série d'ouvrages.
Ce succès a quelque-chose d'ironique quand on pense au dédain que les éditeurs de la série (De Camp et Carter) éprouvaient à l'égard du travail de Frazetta et à leur incompréhension du rapport entre le succès de cette publication howardienne et l'iconographie frazettienne des illustrations des couvertures (il faut dire que De Camp éprouvait aussi un dédain marqué pour Howard, en pensant "améliorer" sa série de récits post-mortem pour ensuite faire ce qu'il estimait être une bonne affaire pour... De Camp). La collaboration de Frazetta avec Lancer Books s'est en tout cas brutalement interrompue avec le dépôt de bilan de la maison d'édition en 1973.
Toujours est-il que Boris Vallejo, par exemple, au début de sa carrière dans les années 1970, a été largement tributaire de Frazetta pour ce qui est représenter Conan le Cimmérien en peinture (pour des couvertures de comics), car à partir de là, évidemment, tout le monde voulait quelque-chose ressemblant au style de Frazetta. Mais on pourrait sans doute citer bien d'autres noms de suiveurs de Frazetta actifs à cette époque, avec des résultats de qualité variable... Si le maître ne fut guère égalé, il est possible que cela soit en partie dû notamment au fait que Frazetta a pratiqué le dessin d'après modèle vivant : il y a en tout cas chez lui une vivacité de la représentation des figures et des corps que l'on ne retrouve pas forcément chez d'autres artistes, dans la mouvance fantasy du temps, s'inspirant de lui. Les artistes précédemment cités dans ce fuseau font, eux, évidemment partie du haut du panier, mais de facto, ils ne doivent pas tout à Frazetta, et on peut distinguer leurs styles du sien.
En ce qui concerne le travail de Frazetta pour ce fameux portfolio Tolkien commandé par un éphémère éditeur de Denver nommé Middle Earth, il fut très fortement critiqué par les "Rings fans" tolkieniens américains de l'époque (1975), apparemment scandalisés par l'interprétation que Frazetta a fait du récit de Tolkien : trop "libérale" pour eux ! Personnellement, j'aime beaucoup cette interprétation (eh oui, Eowyn montre ses jambes et ses fesses : so what ?), ce qui ne m'empêche pas d'aimer d'autres visions, par d'autres artistes, qui passent pour être des interprétations davantage "canoniques" de cet univers : à chacun son style, et l'artiste doit pouvoir faire ce qu'il veut, quoiqu'en pensent des "gardiens du temple" autoproclamés. Il n'empêche que cette réception contrariée marqua Frazetta, plus fortement que la réception, apparemment déjà discutée, de son interprétation du personnage de Tarzan créé par Edgar Rice Burroughs, et alors que l'artiste était habitué à faire définitivement référence avec ses visions de personnages de fantasy : « Waouh, je pensais que les fans de Burroughs étaient exigeants, mais les fans de Tolkien furent vraiment difficiles [were really picky] », raconte-t-il dans l'artbook Testament. Le fait est qu'aucune interprétation d'aucun artiste d'un personnage ou d'un univers de fantasy (ou autre) n'a vocation à être "définitive", pas même le Conan de Frazetta, qui a certes beaucoup influencé la réception du personnage de Howard, mais sans pour autant l'enfermer dans cette vision, liée à une certaine époque (qui n'était déjà pas celle de Howard, mort en 1936).
À noter qu'un dessin préparatoire au crayon d'une des illustrations à l'encre de Frazetta pour ce calendrier Tolkien (celle précisément où l'on voit les fesses d'Eowyn) fait partie de la collection tolkienienne du musée Greisinger, en Suisse.
Ce dessin, avec d'autres travaux sur le sujet du portfolio, est reproduit dans le Frazetta Sketchbook volume II, compilé et édité par J. David Spurlock et Patrick K. Hill (Vanguard Publishing, 2014). Cet ouvrage consacre en fait tout un (court) chapitre au sujet du présent fuseau : il semble que Frazetta et l'éditeur Middle Earth aient d'abord envisagé de réaliser un calendrier en couleurs, à partir de peintures à l'huile sur toile de l'artiste ; Frazetta avait commencé semble-t-il le travail en ce sens, ainsi que paraissent en témoigner deux toiles inachevées du maître (représentant respectivement l'arbre devant lequel passent les Hobbits, et le tronc d'arbre servant de pont où passent Gandalf et les Nains), mais de vraisemblables raisons de coût pour l'éditeur semblent avoir amené Frazetta à réaliser, in fine, les dessins à l'encre sur papier du portfolio que nous connaissons.
Le livre évoque également, enfin, un dessin préparatoire et une étude à l'aquarelle, longtemps restés inédits, pouvant tous deux rappeler Gandalf sur le pont de Khazad-dûm, mais qui ne font en fait que préluder à une peinture de Frazetta destinée à illustrer la couverture d'un roman de Lin Carter paru en 1973, The Black Star (peinture où l'on voit aussi un pont qui s'écroule et un magicien barbu, mais dans une mise en scène qui n'est tolkienesque que de loin (ce qui pouvait toutefois être suffisant aux yeux de l'éditeur, Dell Books, de l'auteur et du public, pour faire ce que l'on appelle aujourd'hui le "buzz").
Cordialement,
B.
[EDIT: correction > c'est un portfolio et non un calendrier que l'éditeur Middle Earth commanda à Frazetta.]
Il faut dire que les tableaux représentant Conan le Cimmérien qu'il a peint pour neuf des douze couvertures des recueils howardiens de chez Lancer Books (recueils contenant des récits originaux de Robert E. Howard, mais aussi de forts discutables éléments de "collaboration posthume" signés Lyon Sprague de Camp et Lin Carter, rappelons-le tout de même) ont marqué les esprits dès la publication (à partir de 1966, mais prévue dès 1964) de cette série d'ouvrages.
Ce succès a quelque-chose d'ironique quand on pense au dédain que les éditeurs de la série (De Camp et Carter) éprouvaient à l'égard du travail de Frazetta et à leur incompréhension du rapport entre le succès de cette publication howardienne et l'iconographie frazettienne des illustrations des couvertures (il faut dire que De Camp éprouvait aussi un dédain marqué pour Howard, en pensant "améliorer" sa série de récits post-mortem pour ensuite faire ce qu'il estimait être une bonne affaire pour... De Camp). La collaboration de Frazetta avec Lancer Books s'est en tout cas brutalement interrompue avec le dépôt de bilan de la maison d'édition en 1973.
Toujours est-il que Boris Vallejo, par exemple, au début de sa carrière dans les années 1970, a été largement tributaire de Frazetta pour ce qui est représenter Conan le Cimmérien en peinture (pour des couvertures de comics), car à partir de là, évidemment, tout le monde voulait quelque-chose ressemblant au style de Frazetta. Mais on pourrait sans doute citer bien d'autres noms de suiveurs de Frazetta actifs à cette époque, avec des résultats de qualité variable... Si le maître ne fut guère égalé, il est possible que cela soit en partie dû notamment au fait que Frazetta a pratiqué le dessin d'après modèle vivant : il y a en tout cas chez lui une vivacité de la représentation des figures et des corps que l'on ne retrouve pas forcément chez d'autres artistes, dans la mouvance fantasy du temps, s'inspirant de lui. Les artistes précédemment cités dans ce fuseau font, eux, évidemment partie du haut du panier, mais de facto, ils ne doivent pas tout à Frazetta, et on peut distinguer leurs styles du sien.
En ce qui concerne le travail de Frazetta pour ce fameux portfolio Tolkien commandé par un éphémère éditeur de Denver nommé Middle Earth, il fut très fortement critiqué par les "Rings fans" tolkieniens américains de l'époque (1975), apparemment scandalisés par l'interprétation que Frazetta a fait du récit de Tolkien : trop "libérale" pour eux ! Personnellement, j'aime beaucoup cette interprétation (eh oui, Eowyn montre ses jambes et ses fesses : so what ?), ce qui ne m'empêche pas d'aimer d'autres visions, par d'autres artistes, qui passent pour être des interprétations davantage "canoniques" de cet univers : à chacun son style, et l'artiste doit pouvoir faire ce qu'il veut, quoiqu'en pensent des "gardiens du temple" autoproclamés. Il n'empêche que cette réception contrariée marqua Frazetta, plus fortement que la réception, apparemment déjà discutée, de son interprétation du personnage de Tarzan créé par Edgar Rice Burroughs, et alors que l'artiste était habitué à faire définitivement référence avec ses visions de personnages de fantasy : « Waouh, je pensais que les fans de Burroughs étaient exigeants, mais les fans de Tolkien furent vraiment difficiles [were really picky] », raconte-t-il dans l'artbook Testament. Le fait est qu'aucune interprétation d'aucun artiste d'un personnage ou d'un univers de fantasy (ou autre) n'a vocation à être "définitive", pas même le Conan de Frazetta, qui a certes beaucoup influencé la réception du personnage de Howard, mais sans pour autant l'enfermer dans cette vision, liée à une certaine époque (qui n'était déjà pas celle de Howard, mort en 1936).
À noter qu'un dessin préparatoire au crayon d'une des illustrations à l'encre de Frazetta pour ce calendrier Tolkien (celle précisément où l'on voit les fesses d'Eowyn) fait partie de la collection tolkienienne du musée Greisinger, en Suisse.
Ce dessin, avec d'autres travaux sur le sujet du portfolio, est reproduit dans le Frazetta Sketchbook volume II, compilé et édité par J. David Spurlock et Patrick K. Hill (Vanguard Publishing, 2014). Cet ouvrage consacre en fait tout un (court) chapitre au sujet du présent fuseau : il semble que Frazetta et l'éditeur Middle Earth aient d'abord envisagé de réaliser un calendrier en couleurs, à partir de peintures à l'huile sur toile de l'artiste ; Frazetta avait commencé semble-t-il le travail en ce sens, ainsi que paraissent en témoigner deux toiles inachevées du maître (représentant respectivement l'arbre devant lequel passent les Hobbits, et le tronc d'arbre servant de pont où passent Gandalf et les Nains), mais de vraisemblables raisons de coût pour l'éditeur semblent avoir amené Frazetta à réaliser, in fine, les dessins à l'encre sur papier du portfolio que nous connaissons.
Le livre évoque également, enfin, un dessin préparatoire et une étude à l'aquarelle, longtemps restés inédits, pouvant tous deux rappeler Gandalf sur le pont de Khazad-dûm, mais qui ne font en fait que préluder à une peinture de Frazetta destinée à illustrer la couverture d'un roman de Lin Carter paru en 1973, The Black Star (peinture où l'on voit aussi un pont qui s'écroule et un magicien barbu, mais dans une mise en scène qui n'est tolkienesque que de loin (ce qui pouvait toutefois être suffisant aux yeux de l'éditeur, Dell Books, de l'auteur et du public, pour faire ce que l'on appelle aujourd'hui le "buzz").
Cordialement,
B.
[EDIT: correction > c'est un portfolio et non un calendrier que l'éditeur Middle Earth commanda à Frazetta.]
All night long they spake and all night said these words only : "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish." "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish," all night long.
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)