19.10.2019, 10:36
La variation Dígol / Déagol vient réellement de l'existence de ces deux variantes en vieil anglais. J'incline vers l'idée que Tolkien a finalement retenu la variante Déagol parce qu'elle est plus proche phonétiquement de Sméagol, rapprochant ainsi les noms des deux cousins.
Il n'existe pas de variation semblable avec Sméagol, qui est, ainsi que l'a rappelé Elendil, une création de Tolkien à partir de l'adjectif sméah "s'insinuant, pénétrant". Il est amusant de voir que les mots immédiatement apparentés (cf. sur la même page du dictionnaire Bosworth & Toller) tournent autour de l'idée de chercher, d'investiguer... de fouiner, ce qui convient bien au caractère du personnage !
Je ne connais pas assez les détails phonétiques des dialectes vieil-anglais pour savoir s'il y a quelque chose à trouver. Mais je ne sache pas qu'il y ait une seule forme de vieil anglais où ea, éa se soit prononcé [i:]. De plus, quand il y avait des variantes phonétiques, elles s'écrivaient alors distinctement, l'écriture restait proche de la prononciation (c'est même à cela que l'on reconnaît l'origine dialectale des textes). Tolkien utilise d'ailleurs le procédé : il écrit par exemple Edoras là où la forme saxonne occidentale (plus usuelle dans les études du vieil anglais) aurait plutôt été Eodoras.
En revanche, [i:] est l'aboutissement moderne le plus courant de la diphtongue vieil anglaise éa. Elle était devenue d'abord un simple [ɛ:] en moyen anglais (écrit soit simplement e, soit ea par conservation des usages du vieil anglais), qui est ensuite devenue [e:] pis |i:] à l'issue du grand changement vocalique qui aboutit à la prononciation actuelle. Exemples : beat, cheap, leaf. Dans un nombre substantiel de cas, le [ɛ:] du moyen anglais s'est abrégé en [ɛ] et, n'ayant alors pas subi le grand changement vocalique, survit jusqu'à ce jour. Exemples : bread, death, threat. (D'autres évolutions plus rares ont pu avoir lieu, de sorte que le digramme ea a d'autres valeurs encore en anglais moderne, mais cela sort du sujet.)
Je pense donc plutôt que Tolkien opte là délibérément pour une prononciation modernisée, fondée sur ce que suggère orthographe pour l'anglais d'aujourd'hui. Le fait qu'il prononce le g comme une occlusive [g] et non une fricative [ɣ] (requise par la phonologie du vieil anglais en cette position, mais disparue de l'anglais moderne) va dans le même sens.
La raison de ce choix linguistiquement anachronique n'est pas évidente. Tolkien utilise pourtant, globalement, une prononciation historiquement exacte pour le noms en vieil anglais des Rohirrim (l'écouter sur Glǽmscrafu ). Il s'agit peut être d'un reflet du statut du personnage de Sméagol, lui-même un fantôme du passé dans la narration (il serait mort depuis des siècles sans l'Anneau) mais pourtant très proche des protagonistes que sont les hobbits... eux-même sans doute plus proches du lecteur que n'importe quel autre personnage. Tolkien n'a peut-être pas voulu l'éloigner symboliquement par la résonance de son nom. En effet, la prononciation historique ['smæ:ɑɣoɫ] est à plusieurs égards étrange vis-à-vis de l'anglais moderne, alors que la forme modernisée ['smi:gɫ̩] ne présente pas de difficulté.
Cela dit, les prononciations anachroniques de noms du passé sont plutôt la règle que l'exception. Il suffit de penser à la façon dont nous disons les noms des grandes figures de l'histoire antique... Je serais d'ailleurs curieux de savoir comment les historiens anglophones traient les noms en vieil anglais (hors d'un cours de linguistique historique, bien entendu !). Je ne serait pas surpris d'apprendre que les prononciations à la ['smi:gɫ̩] sont monnaie courante !
Il n'existe pas de variation semblable avec Sméagol, qui est, ainsi que l'a rappelé Elendil, une création de Tolkien à partir de l'adjectif sméah "s'insinuant, pénétrant". Il est amusant de voir que les mots immédiatement apparentés (cf. sur la même page du dictionnaire Bosworth & Toller) tournent autour de l'idée de chercher, d'investiguer... de fouiner, ce qui convient bien au caractère du personnage !
Je ne connais pas assez les détails phonétiques des dialectes vieil-anglais pour savoir s'il y a quelque chose à trouver. Mais je ne sache pas qu'il y ait une seule forme de vieil anglais où ea, éa se soit prononcé [i:]. De plus, quand il y avait des variantes phonétiques, elles s'écrivaient alors distinctement, l'écriture restait proche de la prononciation (c'est même à cela que l'on reconnaît l'origine dialectale des textes). Tolkien utilise d'ailleurs le procédé : il écrit par exemple Edoras là où la forme saxonne occidentale (plus usuelle dans les études du vieil anglais) aurait plutôt été Eodoras.
En revanche, [i:] est l'aboutissement moderne le plus courant de la diphtongue vieil anglaise éa. Elle était devenue d'abord un simple [ɛ:] en moyen anglais (écrit soit simplement e, soit ea par conservation des usages du vieil anglais), qui est ensuite devenue [e:] pis |i:] à l'issue du grand changement vocalique qui aboutit à la prononciation actuelle. Exemples : beat, cheap, leaf. Dans un nombre substantiel de cas, le [ɛ:] du moyen anglais s'est abrégé en [ɛ] et, n'ayant alors pas subi le grand changement vocalique, survit jusqu'à ce jour. Exemples : bread, death, threat. (D'autres évolutions plus rares ont pu avoir lieu, de sorte que le digramme ea a d'autres valeurs encore en anglais moderne, mais cela sort du sujet.)
Je pense donc plutôt que Tolkien opte là délibérément pour une prononciation modernisée, fondée sur ce que suggère orthographe pour l'anglais d'aujourd'hui. Le fait qu'il prononce le g comme une occlusive [g] et non une fricative [ɣ] (requise par la phonologie du vieil anglais en cette position, mais disparue de l'anglais moderne) va dans le même sens.
La raison de ce choix linguistiquement anachronique n'est pas évidente. Tolkien utilise pourtant, globalement, une prononciation historiquement exacte pour le noms en vieil anglais des Rohirrim (l'écouter sur Glǽmscrafu ). Il s'agit peut être d'un reflet du statut du personnage de Sméagol, lui-même un fantôme du passé dans la narration (il serait mort depuis des siècles sans l'Anneau) mais pourtant très proche des protagonistes que sont les hobbits... eux-même sans doute plus proches du lecteur que n'importe quel autre personnage. Tolkien n'a peut-être pas voulu l'éloigner symboliquement par la résonance de son nom. En effet, la prononciation historique ['smæ:ɑɣoɫ] est à plusieurs égards étrange vis-à-vis de l'anglais moderne, alors que la forme modernisée ['smi:gɫ̩] ne présente pas de difficulté.
Cela dit, les prononciations anachroniques de noms du passé sont plutôt la règle que l'exception. Il suffit de penser à la façon dont nous disons les noms des grandes figures de l'histoire antique... Je serais d'ailleurs curieux de savoir comment les historiens anglophones traient les noms en vieil anglais (hors d'un cours de linguistique historique, bien entendu !). Je ne serait pas surpris d'apprendre que les prononciations à la ['smi:gɫ̩] sont monnaie courante !
Le langage a à la fois renforcé l'imagination et a été libéré par elle. Qui saura dire si l'adjectif libre a créé des images belles et bizarres ou si l'adjectif a été libéré par de belles et étranges images de l'esprit ? - J. R. R. Tolkien, Un vice secret