01.07.2019, 13:00
(Modification du message : 01.07.2019, 13:04 par Hofnarr Felder.)
Je rejoins Druss ; à divers égards. D'abord, j'ai également trouvé la scène avec le Père Morgan très juste ; comme je le disais plus haut, pour moi le personnage ressort de manière brillante, malgré le faible nombre de ses apparitions. A ce point de vue la critique assassine de Michaël Devaux, qui sonne plus comme un défouloir, me paraît inappropriée.
Ensuite, je pense que ce film fait certainement plus de tort que de bien. Certes, c'est un film agréable, et je ne sais trop pourquoi, mais c'est typiquement le film que je m'imagine très bien regarder dans un avion. Mais le problème dans ce film, ce n'est pas qu'il prend ses libertés avec les faits, ce qui est légitime et même, désirable, c'est que tout est faux ; qu'il fournit comme une sorte de "menu" à emporter essentiellement composé de clichés, de raccourcis, de lieux communs et de fantasmes. La preuve, c'est qu'on peut voir un journaliste s'interroger au sujet de Chistopher Wiseman, et de la possible source d'inspiration qu'il a pu être pour Boromir.
Premier cliché du film : le petit nouveau, tout juste orphelin, qui arrive dans une école de riches, où ses camarades lui sont d'emblée hostiles et cherchent à l'intimider. C'est oublier que Tolkien est arrivé au début de l'année scolaire, alors que sa mère était encore en vie. Certes il a fait un passage par une autre école entre temps, mais il est revenu à King Edward par la suite. Ce passage en-dehors de l'école a pu être à l'origine d'une humiliation (l'étudiant trop pauvre pour faire toute sa scolarité là), mais ce n'est pas le même type d'humiliation, et ç'aurait été autrement plus intéressant (double malaise de Tolkien qui n'appartient à aucun monde : trop bien éduqué et trop intelligent pour Saint Phillip, trop pauvre pour King Edward).
Deuxième cliché du film : Tolkien, à X ans (on ne sait pas son âge et on n'a aucun moyen de le savoir dans le film), connaît Chaucer en moyen anglais, par coeur à la ligne près. Tolkien était un génie, eh oui. Sauf que Tolkien a appris à lire Chaucer en moyen anglais... lors de sa scolarité à King Edward. Et sans doute était-il doué, mais connaître par cœur une œuvre aussi conséquente, c'est un peu difficile à croire.
Troisième cliché : l'homosexualité de GB Smith. En soi ce n'est pas un problème, mais la justification proposée par le réalisateur me met beaucoup plus mal à l'aise : "notre scénariste est gay, et quand il a lu les poèmes de GB Smith, il a tout de suite su qu'il était gay". Parce que d'abord, pour pouvoir "reconnaître" les gays, il faut être gay, ensuite, on peut catégoriser la sexualité de quelqu'un sur la base de ses poèmes, juste comme ça. Ce sont deux clichés extrêmement simplificateurs, et que je trouve même oppressifs pour cette raison.
Quatrième cliché : le TCBS qui "accueille" Tolkien. En fait Tolkien a fondé le TCBS avec Wiseman, lors de sa dernière année à Kig Edward, alors qu'il était déjà une sorte de "caïd" de la bibliothèque. C'est bien plutôt Smith qui a été "accueilli" par le TCBS. Mais là encore, on veut forcer sur le trait du fantasme : le petit Tolkien, solitaire et malheureux, que vient secourir l'affable GB Smith.
Cinquième cliché : Wagner. Oh ! Voilà une histoire qui parle d'un anneau magique ! Forcément, Tolkien s'en est inspiré. Un cliché qui a la vie dure depuis la parution du Seigneur des Anneaux peut-être, et dont on aurait aimé que le film ne l'alimente pas aussi lourdement et abondamment.
Sixième cliché : Tolkien qui supplie la mère de Smith de publier ses poèmes. Eh oui, les parents, ça ne comprend pas l'importance de la poésie... En fait, c'est la mère de Smith qui est à l'origine de cette publication, souhaitant respecter les dernières volontés de son fils.
Septième cliché : Wright qui donne un devoir absurde et presque impossible à Tolkien, à rendre pour le lendemain, comme un test pour l'accueillir dans ses cours. Mais voilà, Tolkien, Oxford, c'est l'élite, il s'assoit à son bureau et paf ! c'est pondu. Si cela avait été une anecdote avérée, pourquoi pas, mais sachant que Tolkien a suivi les cours de Wright avant de changer de filière et que c'est son prof de grec ancien qui a magouillé pour lui, on a simplement là affaire à un fantasme, encore un, qui colle bien à nos préjugés.
Je m'arrête ici, car la liste est longue et je pourrai la continuer trop longtemps. L'essentiel, c'est que ce film ne fait que véhiculer ce qu'on VEUT croire sur Tolkien, ce qu'on aurait envie de voir, ce qu'un public américain a envie d'y voir. Sur la base de trois ou quatre postulats véridiques, le film nous sert une belle assiette de clichés sur l'école, l'élite, l'inspiration, et même l'homosexualité. Ce sont des clichés qui sont confortables, douillets, qui nous sont familiers, qui résonnent bien avec notre imaginaire bien calibré par notre exposition intensive à la production culturelle américaine (à cet égard je pense être largement pire que d'autres d'ailleurs !), mais qui, finalement, enlèvent toute substance, toute spécificité du sujet traité, pour le remplacer par ces avatars plus reconnaissables, plus prépondérants dans notre image du monde.
Il y a une forme de violence particulièrement intense dans cette entreprise. En fait, en ne gardant que la coquille des événements (TCBS, guerre, Seigneur des Anneaux, Oxford, orphelin, Edith), et en la vidant de sa substance pour la remplacer par un "package" de scènes exemplaires tirées d'une sorte d'imagier collectif, le film nie toute individualité à la vie de Tolkien, lui enlève tout ce qu'elle a de personnel et d'unique.
Alors, maintenant, qu'en penser, en tant qu'association ? Je pense que ma critique publique était plutôt équilibrée : oui allez le voir, mais attention c'est plutôt faux, voire trompeur. Ma critique personnelle, c'est que je peux certes le regarder sans déplaisir, mais ce film est une enfilade de petites scènes complètement factices qui ne font qu'entretenir une nichée d'idées reçues et de raccourcis sur la quasi-totalité des sujets qu'il aborde.
PS : Je complète à l'instant mon message écrit pour sa majeure partie à 10 heures, s'il y a eu des interventions entre temps, je suis désolé de les ignorer.
Dans The History of the Hobbit, Rateliff m'avait semblé assez catégorique pour dater cette page de 1930 -en tout cas certainement pas avant.
Dans le film, il n'est absolument pas évident de savoir à quel moment de la vie de Tolkien cette "panne d'inspiration" est censée se situer. On sait juste que c'est "plusieurs années après la guerre".
Ensuite, je pense que ce film fait certainement plus de tort que de bien. Certes, c'est un film agréable, et je ne sais trop pourquoi, mais c'est typiquement le film que je m'imagine très bien regarder dans un avion. Mais le problème dans ce film, ce n'est pas qu'il prend ses libertés avec les faits, ce qui est légitime et même, désirable, c'est que tout est faux ; qu'il fournit comme une sorte de "menu" à emporter essentiellement composé de clichés, de raccourcis, de lieux communs et de fantasmes. La preuve, c'est qu'on peut voir un journaliste s'interroger au sujet de Chistopher Wiseman, et de la possible source d'inspiration qu'il a pu être pour Boromir.
Premier cliché du film : le petit nouveau, tout juste orphelin, qui arrive dans une école de riches, où ses camarades lui sont d'emblée hostiles et cherchent à l'intimider. C'est oublier que Tolkien est arrivé au début de l'année scolaire, alors que sa mère était encore en vie. Certes il a fait un passage par une autre école entre temps, mais il est revenu à King Edward par la suite. Ce passage en-dehors de l'école a pu être à l'origine d'une humiliation (l'étudiant trop pauvre pour faire toute sa scolarité là), mais ce n'est pas le même type d'humiliation, et ç'aurait été autrement plus intéressant (double malaise de Tolkien qui n'appartient à aucun monde : trop bien éduqué et trop intelligent pour Saint Phillip, trop pauvre pour King Edward).
Deuxième cliché du film : Tolkien, à X ans (on ne sait pas son âge et on n'a aucun moyen de le savoir dans le film), connaît Chaucer en moyen anglais, par coeur à la ligne près. Tolkien était un génie, eh oui. Sauf que Tolkien a appris à lire Chaucer en moyen anglais... lors de sa scolarité à King Edward. Et sans doute était-il doué, mais connaître par cœur une œuvre aussi conséquente, c'est un peu difficile à croire.
Troisième cliché : l'homosexualité de GB Smith. En soi ce n'est pas un problème, mais la justification proposée par le réalisateur me met beaucoup plus mal à l'aise : "notre scénariste est gay, et quand il a lu les poèmes de GB Smith, il a tout de suite su qu'il était gay". Parce que d'abord, pour pouvoir "reconnaître" les gays, il faut être gay, ensuite, on peut catégoriser la sexualité de quelqu'un sur la base de ses poèmes, juste comme ça. Ce sont deux clichés extrêmement simplificateurs, et que je trouve même oppressifs pour cette raison.
Quatrième cliché : le TCBS qui "accueille" Tolkien. En fait Tolkien a fondé le TCBS avec Wiseman, lors de sa dernière année à Kig Edward, alors qu'il était déjà une sorte de "caïd" de la bibliothèque. C'est bien plutôt Smith qui a été "accueilli" par le TCBS. Mais là encore, on veut forcer sur le trait du fantasme : le petit Tolkien, solitaire et malheureux, que vient secourir l'affable GB Smith.
Cinquième cliché : Wagner. Oh ! Voilà une histoire qui parle d'un anneau magique ! Forcément, Tolkien s'en est inspiré. Un cliché qui a la vie dure depuis la parution du Seigneur des Anneaux peut-être, et dont on aurait aimé que le film ne l'alimente pas aussi lourdement et abondamment.
Sixième cliché : Tolkien qui supplie la mère de Smith de publier ses poèmes. Eh oui, les parents, ça ne comprend pas l'importance de la poésie... En fait, c'est la mère de Smith qui est à l'origine de cette publication, souhaitant respecter les dernières volontés de son fils.
Septième cliché : Wright qui donne un devoir absurde et presque impossible à Tolkien, à rendre pour le lendemain, comme un test pour l'accueillir dans ses cours. Mais voilà, Tolkien, Oxford, c'est l'élite, il s'assoit à son bureau et paf ! c'est pondu. Si cela avait été une anecdote avérée, pourquoi pas, mais sachant que Tolkien a suivi les cours de Wright avant de changer de filière et que c'est son prof de grec ancien qui a magouillé pour lui, on a simplement là affaire à un fantasme, encore un, qui colle bien à nos préjugés.
Je m'arrête ici, car la liste est longue et je pourrai la continuer trop longtemps. L'essentiel, c'est que ce film ne fait que véhiculer ce qu'on VEUT croire sur Tolkien, ce qu'on aurait envie de voir, ce qu'un public américain a envie d'y voir. Sur la base de trois ou quatre postulats véridiques, le film nous sert une belle assiette de clichés sur l'école, l'élite, l'inspiration, et même l'homosexualité. Ce sont des clichés qui sont confortables, douillets, qui nous sont familiers, qui résonnent bien avec notre imaginaire bien calibré par notre exposition intensive à la production culturelle américaine (à cet égard je pense être largement pire que d'autres d'ailleurs !), mais qui, finalement, enlèvent toute substance, toute spécificité du sujet traité, pour le remplacer par ces avatars plus reconnaissables, plus prépondérants dans notre image du monde.
Il y a une forme de violence particulièrement intense dans cette entreprise. En fait, en ne gardant que la coquille des événements (TCBS, guerre, Seigneur des Anneaux, Oxford, orphelin, Edith), et en la vidant de sa substance pour la remplacer par un "package" de scènes exemplaires tirées d'une sorte d'imagier collectif, le film nie toute individualité à la vie de Tolkien, lui enlève tout ce qu'elle a de personnel et d'unique.
Alors, maintenant, qu'en penser, en tant qu'association ? Je pense que ma critique publique était plutôt équilibrée : oui allez le voir, mais attention c'est plutôt faux, voire trompeur. Ma critique personnelle, c'est que je peux certes le regarder sans déplaisir, mais ce film est une enfilade de petites scènes complètement factices qui ne font qu'entretenir une nichée d'idées reçues et de raccourcis sur la quasi-totalité des sujets qu'il aborde.
PS : Je complète à l'instant mon message écrit pour sa majeure partie à 10 heures, s'il y a eu des interventions entre temps, je suis désolé de les ignorer.
(01.07.2019, 12:12)Zelphalya a écrit : J'avoue que j'ai trouvé le passage du manque d'inspiration plutôt inapproprié.
Je ne me souviens plus si on connait la date (ou du moins l'année) de cette fameuse page blanche avec la première phrase du Hobbit ?
Dans The History of the Hobbit, Rateliff m'avait semblé assez catégorique pour dater cette page de 1930 -en tout cas certainement pas avant.
Dans le film, il n'est absolument pas évident de savoir à quel moment de la vie de Tolkien cette "panne d'inspiration" est censée se situer. On sait juste que c'est "plusieurs années après la guerre".