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L'otage du Harad
#12
.oOo.

À bord, le caïd eut l’occasion de mûrir son dessein. La colère en lui s’était mue en froide détermination. Il avait perdu toute foi en ce Roi. Il avait découvert les turpitudes et les petitesses de son immense empire. Il avait été trompé, l’honneur de sa lignée exigeait réparation. Voilà la conviction, l’illusion que son pèlerinage avait révélée…

Il savait, à présent, qu’on n’avait pas l’intention de lui rendre son fils. Alors à quoi bon espérer ? Bien sûr, sa rébellion risquait de précipiter la mort de son enfant, on allait l’exécuter en représailles. Mais mieux valait cela que s’avilir à quémander quelqu’un qui était déjà perdu ! Khandar et ses compagnons avaient certainement été incarcérés dans une prison secrète, imprenable au cœur du Gondor…

À moins que le caïd ne parvienne à tromper l’ennemi…
Il allait le combattre avec ses propres armes ! Avec l’aide de sa fille, il enverrait des dépêches aux armes de Gondor, contradictoires et trompeuses. Il aurait suffisamment d’otages gondoriens entre ses mains, avant que la nouvelle de sa révolte ne parvienne à Osgiliath ! Alors il serait en position de force !

Longuement, Hadhar imagina des ruses de guerre, des alliances audacieuses, des chevauchées victorieuses.

Et le caïd priait la Déesse d’appeler sur lui la chance et le pouvoir de persuasion.

Mais la Déesse restait sourde à ses appels.

Oh, il le savait bien, au fond de lui, qu’il noyait son échec dans une fuite en avant meurtrière. Sa folie vengeresse augurait bien des morts. Après avoir perdu le conflit précédent, les gens du douar, son épouse, sa fille, sa mère, ses sœurs, ses neveux, allaient être à nouveau plongés dans la guerre…

Mais il refoulait ses remords. Il était tellement mortifié, que tout lui paraissait préférable à une résignation déshonorante. La gloire couronnerait ses éclatantes actions, emportant les sacrifices et les méprisables atermoiements du passé…

.oOo.

En arrivant au Ramlond, Hadhar s’enfuit du cotre qu’il avait guidé dans l’estuaire de la Harnen. Puis il se mit en route, faisant profil bas, se nourrissant de peu et sa cachant dans la garrigue. Son maigre pécule ne lui permettait pas de mener grand train…

Il vécut d’aumônes, parcourant le long chemin à pied, aux heures fraîches, et se terrant au plus fort de la chaleur. Lorsque des cavaliers surgissaient au bout du chemin, il se cachait sous les palétuviers flamboyant de couleurs éclatantes au bord des ruisseaux.

À mesure qu’il approchait de son douar, son cœur se serrait. Le vieux renard sentait la terre lui parler. Quelque chose n’allait pas. Les troupeaux avaient regagné leurs pâtures. On avait réparé l’irrigation. Une main sévère avait repris la maîtrise des richesses des hommes. Les moissons de printemps étaient rentrées et celles d’automne dardaient leurs vigoureuses pousses vert tendre. On avait remblayé certains chemins, que des caravanes et des cavaliers parcouraient comme en pays conquis. Le mutisme de la Déesse lui laissait entrevoir l’affliction. Un malheur planait sur lui !

Devinant quelque mainmise d’une tribu voisine, Hadhar se hâta, se cachant toujours, pour rejoindre son village.
Lorsqu’il parvint enfin aux abords des champs aimés, il eut un coup au cœur !

Les gourbis familiers avaient été repeints, les clôtures refaites à neuf, les haies de figuiers taillées de frais. Partout l’on sentait le nouveau propriétaire, la main du conquérant, qui porte sa mâle marque sur chacun des biens autrefois tendrement chéris.

Le caïd, pressentant un malheur, s’approcha prudemment.
Toute la tribu semblait réunie sur la grand-place, autour des feux d’une fête. Les odeurs entêtantes de mouton grillé montaient tristement dans le soir.

Mais ce qui glaça le sang du caïd, fut la profusion d’hommes en armes. Et les tambours qui résonnaient lentement, de l’air faux d’une fête sans joie. Les cavaliers alignés semblaient défiler devant une foule inerte, à laquelle manquait toute raison de se féliciter de cette opulence nouvelle. Un clan rival avait pris possession de son bien en son absence !

Le caïd s’avança lentement, caché comme un voleur sous les citronniers de sa propre demeure. Désespérément, il cherchait ses proches des yeux.
Et soudain il les vit : son épouse voilée comme en jour de deuil, voûtée par le chagrin. Et sa fille, éclatante dans ses habits de fête, grande et royale, mais triste et silencieuse. Il les reconnaissait entre mille, faisant courageusement face aux soudards qui se pavanaient !

Mais non loin de ces deux femmes, plus chères à son cœur que sa propre vie, se tenait un homme, grand et de large carrure, qui se comportait en vainqueur. Et le gaillard dirigeait les manœuvres des cavaliers. Et l’usurpateur faisait parader les conquérants. Et le scélérat célébrait le rite à la Déesse sur la terre des Assadhini ! Et il ordonnait en maître au village prostré !

Hadhar pensa à Khayin-Agha. Maudits soient ses restes, qu’ils soient livrés aux chacals ! Son neveu avait dû rameuter cousins et alliés… Le caïd blêmit. C’était fini ! Il avait failli ! Il avait livré en pâture son épouse et sa fille, prunelles de ses deux yeux, à ces félons, à ces démons sans foi ni loi ! Il avait laissées sans protection les veuves de sa tribu, à présent forcées à des épousailles indignes ! Voilà en vérité le renoncement qu’avait annoncé la prophétie de l’Oncle !

Un moment atterré par l’ampleur de son échec, le caïd se redressa. Il tira son sabre, adressa une courte oraison à la Déesse, et sortant de sous les arbres, il s’avança d’un air résolu. Il allait châtier l’impudent ou périr !

Mais avant qu’il puisse atteindre le scélérat, une clameur s’éleva parmi les villageois. On l’avait reconnu ! On se tournait vers lui, on accourait en louant la Déesse. Son épouse et sa fille furent sur lui les premières, l’embrassant, l’enlaçant, le submergeant de leurs attentions, se lamentant de son absence si longue, de sa barbe si blanche, de ses traits tirés, de ses habits souillés. Tout le village se pressait autour de lui, à présent, comme pour le cacher ou l’empêcher d’aller au-devant de sa mort.

Alors les cavaliers, alertés, mirent pied à terre et se rangèrent derrière leur chef, qui s’avança lentement.

Un grand silence se fit. Le vent du désert gémit de son souffle rauque et brûlant.

Hadhar mit quelques instants à reconnaître ses hommes – la captivité les avait tellement changés !

Il lâcha son sabre et une larme roula sur sa joue.

Son fils était enfin de retour !

Et il portait encore la barbe !

.oOo.

Tard dans la nuit, chacun conta son périple.
Hadhar fit rire toute la tribu avec ses farces de coche gondorien, où s’entassaient des caricatures si attachantes du genre humain.

Jiradia vanta la sagacité des maître-soigneurs gondoriens, mais rapporta aussi, avec fierté, leur immense intérêt pour les simples et recettes médicinales de la Harnen.

Khandar les fit frémir d’orgueil en racontant comment les braves de la tribu, libérés par le Gondor puis envoyés dans les montagnes, y avaient mis au pas les derniers rebelles, privés de leur chef clandestin Khayin-Agha.

L’Oncle, lui, ne dit rien. Il écoutait les siens en souriant comme un bienheureux, ses yeux voilés tournés vers les étoiles…

Les sages nous enseignent que, lorsque la Déesse bénit la terre en versant ses larmes, c’est pour pleurer un juste et honorer sa mémoire.
Voilà pourquoi il ne pleut pas très souvent.

Mais cette année-là, il y eut de douces pluies, aux périodes propices, en justes proportions.

L’âme de l’Oncle s’envola au petit matin, rejoindre ses ancêtres au firmament.
.oOo.

Fin !
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L'otage du Harad - par Chiara Cadrich - 29.04.2019, 17:17

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