17.06.2018, 11:47
J'avais envie d'essayer de me frotter aux hobbits. Je me suis d'ailleurs rendu compte que mes connaissances à leur sujet étaient assez limitées. Bref, j'avais envie d'essayer d'écrire une nouvelle à mon tour sur les 111 ans de ce cher Bilbo (même si la deadline est dépassée depuis un moment). J'ai pris Pimprenelle comme personnage, je ne la connais absolument pas, mais j'aimais bien son prénom alors je me suis lancée avec ma propre interprétation du personnage.
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Il faisait beau le jour de la grande fête organisée par Bilbo Bessac, que tout le monde appelait plus communément Monsieur Bilbo. Nous avions craint que le mauvais temps ne perdure après un mercredi sous la pluie, mais le soleil était de retour. Nous longeâmes avec bonne humeur et beaucoup de curiosité la route jusqu‘à la clairière où se dérouleraient les réjouissances. Peregrin, que nous surnommions tous Pippin, était déjà parti. À onze ans, il était encore bien trop turbulent pour que mes parents, fatigués, lui fassent la moindre remarque. C’était un tort que je tentais de réparer aussi souvent que possible. Sans doute trop selon lui et pas assez dans mon cas.
J’admirais l’herbe encore bien verte pour un mois de septembre qui contrastait avec le ciel d’un bleu presque surnaturel tandis que mes parents devisaient tranquillement sur les festivités à venir.
En ce qui me concernait, j’avais du mal à croire que le vieux Bilbo soit si âgé. Et quand je disais « âgé », ce n’était pas soixante-dix ans ou même quatre-vingts, pas du tout. Ce cher vieux monsieur avançait joyeusement sur ses cent onze printemps. Ses cheveux blancs étaient fournis et son visage, toujours éclairé par un sourire rêveur, était peu marqué par le temps. À croire qu’il avait du sang d’immortel. J’aurais aimé discuter de cette passionnante théorie avec mon frère mais Peregrin ne m’écoutait jamais. Il préférait courir, toujours par monts et par vaux, dès que nous avions le dos tourné.
Quand nous fûmes arrivés, j’écarquillai les yeux devant l’immense trouée aménagée pour l’occasion. Des tréteaux supportaient de grandes et longues planches au-dessus desquelles des ballons suspendus égayaient de leurs couleurs les nappes blanches. Des banderoles avaient été accrochées un peu partout, dont une gigantesque et où l’on pouvait lire : « Joyeux anniversaire Bilbo Bessac ». Il y avait beaucoup de monde : la plupart des cousins, des tantes ou des oncles à un degré plus ou moins éloigné, mais aussi des amis, des voisins.
— Il a invité tout Hobbiteville, souffla ma mère, choquée, la main devant la bouche.
— C’est certain, approuva mon père d’un signe de tête bourru. Ça promet d’être une fête inoubliable.
En tant que Thain de la Comté, mon père était l’un des hobbits les plus importants des environs et nous devions faire honneur à notre famille.
Pour ma part, j’espérais surtout que Pippin ne nous ferait pas trop remarquer. Mes sœurs, quant à elles, ne dirent rien, trop occupées à se faire des messes-basses entre elles.
Pippin dut entendre bien malgré lui ma prière, car il ne fit aucune bêtise notable. Toutefois, la fête était loin d’être finie ; elle avait même à peine commencé. J’avais passé l’après-midi à regarder autour de moi. Le vieux Bilbo avait fait les choses en grand. En plus des différents soupers, il y avait tellement de jeux pour tous les goûts que j’étais certaine de ne pas pouvoir tous les faire. Pourtant, quelques convives n’avaient pas l’air très heureux et il y avait fort à parier que la longévité de notre hôte n’y était pas pour rien. D’ailleurs, lesdits convives étaient de sa proche famille. J’en étais là de mes réflexions quand j’aperçus la tête de Pippin dépasser d’un chariot. Je gonflai les joues, prête à invectiver ce sale petit chenapan. Ne lui avais-je pas ordonné de m’attendre près du grand buffet où étaient entreposés plus de mets qu’il n’en fallait pour nourrir tout notre village en un mois ? Autant de nourriture me tournait la tête mais ce n’était pas moins de cent quarante-quatre invités qui se marchaient sur les pieds dans une joyeuse cacophonie.
Assurément, cela faisait du monde à nourrir.
Je vis plusieurs groupes (d’autres Touc, des Brandibouc, Belpied et j’en passe) deviser entre eux et je fronçai les sourcils aussitôt. J’étais quasiment certaine qu’ils parlaient de l’héritage du vieil hobbit. Cela me rappela que j’avais croisé, à peine quelques minutes auparavant, les Bessac-Descarcelle qui cherchaient avidement ce qu’ils pourraient emporter. Lobelia avait même pourchassé tous les éventuels héritiers et avait fini par mettre la main sur ce pauvre Frodo qui avait eu bien du mal à se défaire de la mégère. À croire que nous ne fêtions pas un anniversaire mais la fin du vieux Bilbo. Tout avait des allures d’adieu. Non pas juste des « au revoir », mais bel et bien ce genre de cérémonie qui signifie « vous ne me reverrez plus jamais ». J’en eus mal au cœur pour le cousin de Frodo.
Étais-je la seule à le ressentir ? Je connaissais bien monsieur Bessac. Quand j’étais encore toute petite, il passait beaucoup de temps à nous raconter ses incroyables aventures mais malgré cela, il avait toujours aimé la solitude, comme si son meilleur ami n’était autre que lui-même.
Plus de la moitié des hobbits réunis aujourd’hui ne le connaissait pas vraiment, même ceux qui se prétendaient de sa famille. Un jour, j’avais donné mon avis sur la question et, même si maman n’aimait pas que j’en parle ouvertement, j’avais eu bien envie qu’ils sachent tous ce que j’en pensais. J’inspirai l’air frais de la soirée qui n’allait pas tarder à tomber et aperçus, sur une des tables, des pieds qui gesticulaient dans tous les sens. Ces derniers appartenaient à quelques Hobbits un peu trop joyeux. Ils manquèrent de faire tomber une cruche de vin. Danser au milieu de la victuaille ne semblait pas les déstabiliser plus que cela.
— C’est dégoûtant, murmurai-je, mécontente, en croisant les bras.
— Qu’est-ce qui est dégoûtant ? répéta Sancho Belpied.
Il observait avec curiosité le couple qui balançait maintenant les jambes, évitant de peu les cuisses de poulet rôti. Affreux ! Puis il mit un doigt dans son nez pour… Écœurée, je détournai aussitôt la tête.
Sancho avait le même âge que mon frère mais il était encore plus espiègle que lui. Hobbiteville n’avait qu’à bien se tenir avec ces deux-là.
— Rien, finis-je par dire, légèrement agacée. Va t’amuser et laisse-moi tranquille ! ajoutai-je avec humeur.
Malgré lui, Sancho me rappela ce que je cherchais, comme si je pouvais l’oublier ne serait-ce que quelques heures. Où était donc passé ce satané gamin ? Il me gâchait la fête ! Je regardai autour de moi et finis par repérer Meriadoc. Il se trouvait près d’un grand bac en bois où étaient entreposés les artifices du magicien Gandalf. Sans plus attendre, je relevai mes jupes à deux mains et rejoignis mon cousin au pas de course. Malheureusement, je fus arrêtée à mi-chemin par monsieur Bilbo lui-même que je percutai un peu brutalement. J’eus néanmoins le réflexe de le retenir avant qu’il ne chute à terre.
— Monsieur Bilbo, balbutiai-je, je suis désolée, je ne voulais pas vous bousculer, terminai-je en jetant des coups d’œil en direction de Meriadoc.
— Allons, allons, mon enfant ce n’est rien, me rassura-t-il avant de faire mine de s’en aller.
Nous fîmes deux pas dans la même direction, puis deux autres dans le sens inverse avant de nous excuser une nouvelle fois. Je finis par le laisser passer puis courus jusqu’au baquet. Malheureusement, c’était trop tard. Mon cousin avait disparu.
Je soupirai avant de trouver un banc sur lequel m’asseoir. Pourquoi étais-je incapable de faire confiance à Peregrin ? J’étais certaine qu’il était parti faire de nouvelles bêtises. Je me triturai les ongles en essayant de deviner où je pourrais le trouver.
— Tiens donc, mais ne serait-ce pas cette chère Pimprenelle Touc ? déclara une voix amusée aux accents mélodieux. Vous ne dansez pas avec vos sœurs ?
Je me retournai vivement vers elle et reconnus aussitôt Gandalf. Ce dernier vint prendre place à mes côtés.
— Je me souviens de vous, ma petite, continua-t-il tout en récupérant une longue pipe qu’il alluma dans un même mouvement.
Je reconnus l’odeur de l’herbe à pipe comme aimait en fumer mon père le soir après une dure journée de labeur. Cela me renvoya à un souvenir auquel je n’avais plus pensé depuis plusieurs années.
— Je rêvais d’être comme vous, dis-je dans un demi-sourire. Je voulais savoir faire des tours de magie et voir la joie éclairer les yeux des autres enfants.
Le magicien avait toujours su apporter le bonheur avec lui, comme si sa tâche la plus importante était de nous rendre tous heureux.
Je me revis toute petiote, attendant Gandalf avec l’exubérance qui sied à un âge si tendre. J’étais alors coiffée de deux longues nattes et ce jour-là, je portais même une couronne de fleurs, tressée par ma chère maman, qui penchait dangereusement sur ma tête. Mes robes bleu ciel étaient souvent salies avant midi par trop de vagabondages et quant à mon tablier, il était toujours taché par les fruits que je transportais dans mes poches. J’avais voulu rencontrer le magicien qui venait à cette époque nous raconter des histoires et faire des tours de magie. Je l’avais regardé faire, répétant ses gestes sous ma blouse, essayant de comprendre comment il s’y prenait. Je me souvins également m’être tenue devant lui quand tout le monde était parti. « Quand je serai plus grande, je serai comme vous ! » lui avais-je alors déclaré avec conviction.
Le vieil homme m’avait regardée d’un œil attendri, un grand sourire éclairant son visage aux traits marqués.
— Comment, ma petite ? Tu veux devenir comme moi ? Et qu’entends-tu exactement par « comme moi » ? Veux-tu prendre ma place ? Ou souhaites-tu mes vêtements ? Ma barbe peut-être ? termina-t-il tout en se grattant le front, ce qui avait fait se relever son chapeau pointu à large bord d’une étrange manière.
— Mais non ! avais-je objecté en riant. Moi aussi, je serai une hobbite magicienne.
Puis les années avaient passé avec leur lot de joies et de peines. J’avais gardé espoir et, avec le temps, j’avais fini par renoncer à développer un jour de tels dons.
Les hobbites magiciennes n’existaient pas. Tout simplement.
— Et donc ? demanda-t-il me ramenant au présent. L’êtes-vous devenue ?
Il tira sur sa pipe qui grésilla avant qu’il ne souffle d’étranges nuages de fumée blanche.
L’odeur des feuilles de Longoulet était vraiment agréable. L’idée farfelue me prit de vouloir m’y essayer quand je serai majeur. Serais-je la première femme hobbite à tirer la pipe ? Rien n’était moins sûr et cela me fit sourire.
— Non, j’ai grandi, maintenant, répondis-je fièrement tout en donnant un petit coup de pied dans un caillou. Je ne crois plus en la magie. Du moins pour les hobbits.
— Vraiment ?
Il me contempla quelques instants avant de se redresser. Ses articulations craquèrent sèchement.
— Bien, dit-il, la nuit est tombée, je vais pouvoir sortir le grand jeu.
Il fit quelques pas, puis se retourna vers moi.
— Allons donc, jeune Pimprenelle Touc, ne restez pas plantée là et suivez-moi !
Je scrutai le magicien, tout à coup méfiante. Que me voulait-il ?
— Pour quoi faire ? le questionnai-je, un peu anxieuse.
Il marmonna dans sa barbe, les yeux levés au ciel. Vexée, je me levai à mon tour et lui emboîtai le pas jusqu’aux artifices qu’il récupéra pour les transporter jusqu’à la lisière de la clairière où la fête avait lieu.
De là, il planta les fusées dans le sol et commença à les allumer. D’un geste ferme, il me fit reculer et les fusées s’élevèrent dans le ciel à une vitesse ahurissante. Une fois bien en haut chacune explosa pour délivrer des milliers d’étoiles multicolores.
— C’est magnifique, soufflai-je, admirative.
Au loin, je pouvais entendre les rires et les applaudissements des invités.
— Tenez, c’est à vous, me dit Gandalf en me tendant deux petites pierres qui crépitaient quand on les frottait l’une contre l’autre.
Je les contemplai un moment avant de m’en saisir.
— Et que suis-je censée faire avec ? demandai-je avec perplexité.
— Il suffit de tendre votre main vers la mèche.
Il me guida puis me lâcha quand la pierre produisit une petite flammèche qui enflamma le bout de la ficelle de la plus grosse fusée.
— Et maintenant, jeune fille, formulez dans votre tête ce que vous aimeriez voir dans le ciel.
C’était ridicule mais je ne pus m’empêcher de faire ce qu’il me demandait. Je fermai les yeux et me remémorai ce récit que le vieux Bilbo nous contait quand nous étions encore petits. L’histoire de ce dragon qui…
Des hurlements retentirent me faisant ouvrir brusquement les yeux. Au loin, tous les invités couraient en tous sens, se bousculaient et tombaient les uns sur les autres. Levant la tête, j’écarquillai les yeux en découvrant le dragon tel que je l’avais imaginé. Celui dont monsieur Bilbo nous avait parlé.
— Comment est-ce possible ?!
Paniquée, j’abandonnai le vieux magicien et courus pour rejoindre ma famille. Au même moment, le dragon se mit à scintiller avant d’exploser en une myriade de petites étincelles. C’est là que je compris qu’il s’agissait de la fusée que j’avais lancée.
Le souffle court, je regardai le ciel inondé de lumière avant de reprendre mon chemin d’un pas plus léger. C’est alors que Meriadoc en compagnie de Pippin – tiens donc – arrivèrent vers moi.
— Pimprenelle ! s’écrièrent-ils de concert, tu as vu ça ?!
J’acquiesçai en leur jetant un coup d’œil menaçant.
— Je peux savoir où tu étais passé, Peregrin Touc ? Je t’ai cherché partout, le grondai-je d’une voix que je voulais sévère.
— Oh, ça ! Je n’étais nulle part, enfin si, j’étais avec les autres… Enfin, tu sais bien, marmotta-t-il dans un bafouillage incompréhensible.
J’allais lui faire la leçon quand le vieux Bilbo monta sur l’estrade pour entamer un discours. Mon frère et mon cousin se turent et tournèrent la tête vers lui après m’avoir fait signe de me taire. Ils ne perdaient rien pour attendre, ces deux-là. C’est alors que Gandalf réapparut à mes côtés. Il me fixait avec intensité.
— Vous voyez, Pimprenelle Touc, ce soir, vous avez réalisé votre rêve.
Et il me laissa là sans un mot de plus. Je l’observai se diriger vers la colline de Cul-de-sac avant de comprendre ce qu’il avait voulu me dire.
Finalement, il y avait bien des Hobbites magiciennes…
C’est alors que des exclamations retentirent de part et d’autre.
Le vieux Bilbo venait de disparaître devant toute une foule.
…
Et des hobbits magiciens…
Certainement !
J’admirais l’herbe encore bien verte pour un mois de septembre qui contrastait avec le ciel d’un bleu presque surnaturel tandis que mes parents devisaient tranquillement sur les festivités à venir.
En ce qui me concernait, j’avais du mal à croire que le vieux Bilbo soit si âgé. Et quand je disais « âgé », ce n’était pas soixante-dix ans ou même quatre-vingts, pas du tout. Ce cher vieux monsieur avançait joyeusement sur ses cent onze printemps. Ses cheveux blancs étaient fournis et son visage, toujours éclairé par un sourire rêveur, était peu marqué par le temps. À croire qu’il avait du sang d’immortel. J’aurais aimé discuter de cette passionnante théorie avec mon frère mais Peregrin ne m’écoutait jamais. Il préférait courir, toujours par monts et par vaux, dès que nous avions le dos tourné.
Quand nous fûmes arrivés, j’écarquillai les yeux devant l’immense trouée aménagée pour l’occasion. Des tréteaux supportaient de grandes et longues planches au-dessus desquelles des ballons suspendus égayaient de leurs couleurs les nappes blanches. Des banderoles avaient été accrochées un peu partout, dont une gigantesque et où l’on pouvait lire : « Joyeux anniversaire Bilbo Bessac ». Il y avait beaucoup de monde : la plupart des cousins, des tantes ou des oncles à un degré plus ou moins éloigné, mais aussi des amis, des voisins.
— Il a invité tout Hobbiteville, souffla ma mère, choquée, la main devant la bouche.
— C’est certain, approuva mon père d’un signe de tête bourru. Ça promet d’être une fête inoubliable.
En tant que Thain de la Comté, mon père était l’un des hobbits les plus importants des environs et nous devions faire honneur à notre famille.
Pour ma part, j’espérais surtout que Pippin ne nous ferait pas trop remarquer. Mes sœurs, quant à elles, ne dirent rien, trop occupées à se faire des messes-basses entre elles.
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Pippin dut entendre bien malgré lui ma prière, car il ne fit aucune bêtise notable. Toutefois, la fête était loin d’être finie ; elle avait même à peine commencé. J’avais passé l’après-midi à regarder autour de moi. Le vieux Bilbo avait fait les choses en grand. En plus des différents soupers, il y avait tellement de jeux pour tous les goûts que j’étais certaine de ne pas pouvoir tous les faire. Pourtant, quelques convives n’avaient pas l’air très heureux et il y avait fort à parier que la longévité de notre hôte n’y était pas pour rien. D’ailleurs, lesdits convives étaient de sa proche famille. J’en étais là de mes réflexions quand j’aperçus la tête de Pippin dépasser d’un chariot. Je gonflai les joues, prête à invectiver ce sale petit chenapan. Ne lui avais-je pas ordonné de m’attendre près du grand buffet où étaient entreposés plus de mets qu’il n’en fallait pour nourrir tout notre village en un mois ? Autant de nourriture me tournait la tête mais ce n’était pas moins de cent quarante-quatre invités qui se marchaient sur les pieds dans une joyeuse cacophonie.
Assurément, cela faisait du monde à nourrir.
Je vis plusieurs groupes (d’autres Touc, des Brandibouc, Belpied et j’en passe) deviser entre eux et je fronçai les sourcils aussitôt. J’étais quasiment certaine qu’ils parlaient de l’héritage du vieil hobbit. Cela me rappela que j’avais croisé, à peine quelques minutes auparavant, les Bessac-Descarcelle qui cherchaient avidement ce qu’ils pourraient emporter. Lobelia avait même pourchassé tous les éventuels héritiers et avait fini par mettre la main sur ce pauvre Frodo qui avait eu bien du mal à se défaire de la mégère. À croire que nous ne fêtions pas un anniversaire mais la fin du vieux Bilbo. Tout avait des allures d’adieu. Non pas juste des « au revoir », mais bel et bien ce genre de cérémonie qui signifie « vous ne me reverrez plus jamais ». J’en eus mal au cœur pour le cousin de Frodo.
Étais-je la seule à le ressentir ? Je connaissais bien monsieur Bessac. Quand j’étais encore toute petite, il passait beaucoup de temps à nous raconter ses incroyables aventures mais malgré cela, il avait toujours aimé la solitude, comme si son meilleur ami n’était autre que lui-même.
Plus de la moitié des hobbits réunis aujourd’hui ne le connaissait pas vraiment, même ceux qui se prétendaient de sa famille. Un jour, j’avais donné mon avis sur la question et, même si maman n’aimait pas que j’en parle ouvertement, j’avais eu bien envie qu’ils sachent tous ce que j’en pensais. J’inspirai l’air frais de la soirée qui n’allait pas tarder à tomber et aperçus, sur une des tables, des pieds qui gesticulaient dans tous les sens. Ces derniers appartenaient à quelques Hobbits un peu trop joyeux. Ils manquèrent de faire tomber une cruche de vin. Danser au milieu de la victuaille ne semblait pas les déstabiliser plus que cela.
— C’est dégoûtant, murmurai-je, mécontente, en croisant les bras.
— Qu’est-ce qui est dégoûtant ? répéta Sancho Belpied.
Il observait avec curiosité le couple qui balançait maintenant les jambes, évitant de peu les cuisses de poulet rôti. Affreux ! Puis il mit un doigt dans son nez pour… Écœurée, je détournai aussitôt la tête.
Sancho avait le même âge que mon frère mais il était encore plus espiègle que lui. Hobbiteville n’avait qu’à bien se tenir avec ces deux-là.
— Rien, finis-je par dire, légèrement agacée. Va t’amuser et laisse-moi tranquille ! ajoutai-je avec humeur.
Malgré lui, Sancho me rappela ce que je cherchais, comme si je pouvais l’oublier ne serait-ce que quelques heures. Où était donc passé ce satané gamin ? Il me gâchait la fête ! Je regardai autour de moi et finis par repérer Meriadoc. Il se trouvait près d’un grand bac en bois où étaient entreposés les artifices du magicien Gandalf. Sans plus attendre, je relevai mes jupes à deux mains et rejoignis mon cousin au pas de course. Malheureusement, je fus arrêtée à mi-chemin par monsieur Bilbo lui-même que je percutai un peu brutalement. J’eus néanmoins le réflexe de le retenir avant qu’il ne chute à terre.
— Monsieur Bilbo, balbutiai-je, je suis désolée, je ne voulais pas vous bousculer, terminai-je en jetant des coups d’œil en direction de Meriadoc.
— Allons, allons, mon enfant ce n’est rien, me rassura-t-il avant de faire mine de s’en aller.
Nous fîmes deux pas dans la même direction, puis deux autres dans le sens inverse avant de nous excuser une nouvelle fois. Je finis par le laisser passer puis courus jusqu’au baquet. Malheureusement, c’était trop tard. Mon cousin avait disparu.
Je soupirai avant de trouver un banc sur lequel m’asseoir. Pourquoi étais-je incapable de faire confiance à Peregrin ? J’étais certaine qu’il était parti faire de nouvelles bêtises. Je me triturai les ongles en essayant de deviner où je pourrais le trouver.
— Tiens donc, mais ne serait-ce pas cette chère Pimprenelle Touc ? déclara une voix amusée aux accents mélodieux. Vous ne dansez pas avec vos sœurs ?
Je me retournai vivement vers elle et reconnus aussitôt Gandalf. Ce dernier vint prendre place à mes côtés.
— Je me souviens de vous, ma petite, continua-t-il tout en récupérant une longue pipe qu’il alluma dans un même mouvement.
Je reconnus l’odeur de l’herbe à pipe comme aimait en fumer mon père le soir après une dure journée de labeur. Cela me renvoya à un souvenir auquel je n’avais plus pensé depuis plusieurs années.
— Je rêvais d’être comme vous, dis-je dans un demi-sourire. Je voulais savoir faire des tours de magie et voir la joie éclairer les yeux des autres enfants.
Le magicien avait toujours su apporter le bonheur avec lui, comme si sa tâche la plus importante était de nous rendre tous heureux.
.
Je me revis toute petiote, attendant Gandalf avec l’exubérance qui sied à un âge si tendre. J’étais alors coiffée de deux longues nattes et ce jour-là, je portais même une couronne de fleurs, tressée par ma chère maman, qui penchait dangereusement sur ma tête. Mes robes bleu ciel étaient souvent salies avant midi par trop de vagabondages et quant à mon tablier, il était toujours taché par les fruits que je transportais dans mes poches. J’avais voulu rencontrer le magicien qui venait à cette époque nous raconter des histoires et faire des tours de magie. Je l’avais regardé faire, répétant ses gestes sous ma blouse, essayant de comprendre comment il s’y prenait. Je me souvins également m’être tenue devant lui quand tout le monde était parti. « Quand je serai plus grande, je serai comme vous ! » lui avais-je alors déclaré avec conviction.
Le vieil homme m’avait regardée d’un œil attendri, un grand sourire éclairant son visage aux traits marqués.
— Comment, ma petite ? Tu veux devenir comme moi ? Et qu’entends-tu exactement par « comme moi » ? Veux-tu prendre ma place ? Ou souhaites-tu mes vêtements ? Ma barbe peut-être ? termina-t-il tout en se grattant le front, ce qui avait fait se relever son chapeau pointu à large bord d’une étrange manière.
— Mais non ! avais-je objecté en riant. Moi aussi, je serai une hobbite magicienne.
Puis les années avaient passé avec leur lot de joies et de peines. J’avais gardé espoir et, avec le temps, j’avais fini par renoncer à développer un jour de tels dons.
Les hobbites magiciennes n’existaient pas. Tout simplement.
— Et donc ? demanda-t-il me ramenant au présent. L’êtes-vous devenue ?
Il tira sur sa pipe qui grésilla avant qu’il ne souffle d’étranges nuages de fumée blanche.
L’odeur des feuilles de Longoulet était vraiment agréable. L’idée farfelue me prit de vouloir m’y essayer quand je serai majeur. Serais-je la première femme hobbite à tirer la pipe ? Rien n’était moins sûr et cela me fit sourire.
— Non, j’ai grandi, maintenant, répondis-je fièrement tout en donnant un petit coup de pied dans un caillou. Je ne crois plus en la magie. Du moins pour les hobbits.
— Vraiment ?
Il me contempla quelques instants avant de se redresser. Ses articulations craquèrent sèchement.
— Bien, dit-il, la nuit est tombée, je vais pouvoir sortir le grand jeu.
Il fit quelques pas, puis se retourna vers moi.
— Allons donc, jeune Pimprenelle Touc, ne restez pas plantée là et suivez-moi !
Je scrutai le magicien, tout à coup méfiante. Que me voulait-il ?
— Pour quoi faire ? le questionnai-je, un peu anxieuse.
Il marmonna dans sa barbe, les yeux levés au ciel. Vexée, je me levai à mon tour et lui emboîtai le pas jusqu’aux artifices qu’il récupéra pour les transporter jusqu’à la lisière de la clairière où la fête avait lieu.
De là, il planta les fusées dans le sol et commença à les allumer. D’un geste ferme, il me fit reculer et les fusées s’élevèrent dans le ciel à une vitesse ahurissante. Une fois bien en haut chacune explosa pour délivrer des milliers d’étoiles multicolores.
— C’est magnifique, soufflai-je, admirative.
Au loin, je pouvais entendre les rires et les applaudissements des invités.
— Tenez, c’est à vous, me dit Gandalf en me tendant deux petites pierres qui crépitaient quand on les frottait l’une contre l’autre.
Je les contemplai un moment avant de m’en saisir.
— Et que suis-je censée faire avec ? demandai-je avec perplexité.
— Il suffit de tendre votre main vers la mèche.
Il me guida puis me lâcha quand la pierre produisit une petite flammèche qui enflamma le bout de la ficelle de la plus grosse fusée.
— Et maintenant, jeune fille, formulez dans votre tête ce que vous aimeriez voir dans le ciel.
C’était ridicule mais je ne pus m’empêcher de faire ce qu’il me demandait. Je fermai les yeux et me remémorai ce récit que le vieux Bilbo nous contait quand nous étions encore petits. L’histoire de ce dragon qui…
Des hurlements retentirent me faisant ouvrir brusquement les yeux. Au loin, tous les invités couraient en tous sens, se bousculaient et tombaient les uns sur les autres. Levant la tête, j’écarquillai les yeux en découvrant le dragon tel que je l’avais imaginé. Celui dont monsieur Bilbo nous avait parlé.
— Comment est-ce possible ?!
Paniquée, j’abandonnai le vieux magicien et courus pour rejoindre ma famille. Au même moment, le dragon se mit à scintiller avant d’exploser en une myriade de petites étincelles. C’est là que je compris qu’il s’agissait de la fusée que j’avais lancée.
Le souffle court, je regardai le ciel inondé de lumière avant de reprendre mon chemin d’un pas plus léger. C’est alors que Meriadoc en compagnie de Pippin – tiens donc – arrivèrent vers moi.
— Pimprenelle ! s’écrièrent-ils de concert, tu as vu ça ?!
J’acquiesçai en leur jetant un coup d’œil menaçant.
— Je peux savoir où tu étais passé, Peregrin Touc ? Je t’ai cherché partout, le grondai-je d’une voix que je voulais sévère.
— Oh, ça ! Je n’étais nulle part, enfin si, j’étais avec les autres… Enfin, tu sais bien, marmotta-t-il dans un bafouillage incompréhensible.
J’allais lui faire la leçon quand le vieux Bilbo monta sur l’estrade pour entamer un discours. Mon frère et mon cousin se turent et tournèrent la tête vers lui après m’avoir fait signe de me taire. Ils ne perdaient rien pour attendre, ces deux-là. C’est alors que Gandalf réapparut à mes côtés. Il me fixait avec intensité.
— Vous voyez, Pimprenelle Touc, ce soir, vous avez réalisé votre rêve.
Et il me laissa là sans un mot de plus. Je l’observai se diriger vers la colline de Cul-de-sac avant de comprendre ce qu’il avait voulu me dire.
Finalement, il y avait bien des Hobbites magiciennes…
C’est alors que des exclamations retentirent de part et d’autre.
Le vieux Bilbo venait de disparaître devant toute une foule.
…
Et des hobbits magiciens…
Certainement !