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Réflexion commune - Tolkien et la fantasy
#55
Hyarion, tu as bien raison sur beaucoup de points ; notamment sur le fait qu'il y a matière à être méfiant vis-à-vis d'une entreprise qui consisterait à séparer le genre en de multiples cases hermétiques pour tenir les différentes œuvres les unes à l'écart des autres. Quant à la dimension éditoriale de la chose, très saillante et qu'Elendil et moi avions rapidement évoqués en amont de cette conversation, il est évident qu'elle doit nous interpeller, mais non nous guider. C'est justement la volonté, en ce qui me concerne, de m'approprier ces catégories, plutôt que d'en laisser la définition aux mains des directeurs de collection, qui a motivé l'ouverture du présent fuseau.

Et l'objectif, je ne peux m'empêcher de le souligner une fois encore, n'est pas de définir des catégories fermées, des séparatrices, mais plutôt d'identifier des ressorts particuliers, des motifs littéraires (ou plus largement narratifs ; inutile d'argumenter sur l'aspect plurimédiatique mis en avant par Anne Besson et que j'admets plus que volontiers), qui feraient l'intérêt du genre. Ceux qui me connaissent bien savent que je cherche à faire valoir la légitimité, artistique et esthétique, d'un genre qui m'est tout particulièrement cher -comme à toi, je le crois. Il ne s'agit jamais d'établir une hiérarchie, un jugement de valeur, mais de poser, si l'on veut, les coordonnées d'un repère plus vaste où la place de chacune des œuvres s'éclaire. Il y a aussi un peu, pour moi, de cette idée que Tolkien ne définit pas "la" fantasy, que ce n'est qu'une fantasy possible, qui joue selon certains axes choisis, lesquels ne sont pas nécessairement tous définitoires et n'épuisent certainement pas l'immensité du genre. Définir la fantasy, c'est aussi permettre de poser un cadre plus général, dans lequel il deviendrait à la fois possible de définir la spécificité tolkienienne, bien réelle, et à la fois de reconnaître la valeur intrinsèque des productions qui s'en distinguent. Je crois que sur tous ces points, nous partageons des visées communes ! C'est pourquoi j'insistais sur le fait de ne pas nous faire rejoindre trop vite le champ des attitudes et des positions que tu décries.

Au passage je te remercie pour ta définition concise de merveilleux, que j'enregistre et à laquelle je réfléchis.

Beaucoup de choses ont été dites depuis que j'ai mis les pieds ici ! C'est très excitant !

Sur la violence en fantasy, c'est un point dont je n'avais pas conscience, mais il est vrai que je m'attends, en fantasy, à ce qu'il y ait de la castagne. Mais je partage peut-être un peu la perspective de Hyarion : dans la mesure où la fantasy est souvent un roman d'aventures, avec des péripéties, de l'action, on s'attend à y voir de la violence. Mais en même temps, quand je songe aux Tombes d'Atuan de Le Guin, difficile de trouver un seul combat là-dedans : très franchement je crois bien qu'il n'y en a aucun. Pourtant, c'est de la fantasy de premier ordre, et à la lecture de ce livre, j'éprouve très certainement la sensation spécifique que j'associe au genre.

Le rapport au pouvoir est un autre point intéressant. Dans une fantasy d'aventures, du type de certaines nouvelles de Howard, il n'y a pas nécessairement un rapport très prononcé au pouvoir non plus. Mais si les nouvelles de Howard sont très bonnes et que je les apprécie personnellement, je n'y trouve pas forcément cette sensation évoquée plus haut -et qui peut s'associer à la magie, au merveilleux, à une sorte de sensation qu'il y a comme une dimension supplémentaire, une profondeur nouvelle qui infuse tous les aspects de la réalité, et en particulier la nature. Je pense que le rapport particulier au pouvoir ; d'abord, quand on imagine un pays imaginaire, on a souvent tendance à partir "d'en haut" ; c'est plus facile de commencer avec un royaume, qu'avec une anthropologie détaillée des mœurs quotidiennes des habitants. Ensuite, le rapport au pouvoir est généralement présent dans la littérature épique puisque les choses peuvent difficilement advenir sans que les autorités n'interviennent. Dans l'imaginaire même actuel, les clefs de l'action, du pouvoir humain, sont dans les mains des dirigeants. Si donc on veut une dimension d'action inhabituelle, qui dépasse l'ordinaire et le quotidien, il va falloir se mêler au pouvoir, je pense. De même, pas d'armée (et donc pas de bataille) sans un pouvoir permettant de rassembler les combattants, d'établir une stratégie générale, de les armer, etc.

J'aurais envie de suggérer trois "tendances" à la fantasy : la fantasy épique, la fantasy de quête, et la fantasy d'aventures. Là encore, il ne s'agit pas de séparer, et l'une et l'autre peuvent bien se combiner ; ce sont des composantes plus que des catégories. La première fait forcément intervenir une dimension "nationale" ; et donc on s'attendra à trouver des références explicites au pouvoir, des batailles, etc. La fantasy politique se rattache plus volontiers à cette fantasy épique. La fantasy de quête n'a je crois pas besoin de définition : il s'agit de décrire le mouvement d'un groupe de personnages vers un objectif très déterminé présenté comme crucial. Le grand trope de la fantasy tolkienienne, c'est évidemment d'articuler la fantasy épique à la fantasy de quête, mais on peut très bien trouver l'une sans l'autre (Games of Thrones pour la première, on va dire, même si je ne connais pas bien, et Terremer pour la seconde). La troisième est une fantasy qui se centre plutôt sur un individu ou un individu et ses compagnons et qui décrivent les péripéties qui leur adviennent, mais qui ne s'insèrent pas nécessairement le long d'un fil donné. Evidemment, une péripétie peut être une quête, mais la quête suggère malgré tout une succession de péripéties parcourues par un horizon commun et une tension constante vers un objectif qui les dépasse. Cette fantasy d'aventures regrouperait Conan, Kull (malgré son rapport prononcé au pouvoir, Kull n'est jamais vraiment épique au sens où les aventures n'ont pas de dimension nationale), Lankhmar, etc.

Après, aucune de ces trois composantes n'est nécessairement propre à la fantasy (quoique le thème de la quête ne se retrouve pas volontiers ailleurs, il me semble). Et je pense que certaines œuvres de fantasy ne se retrouvent volontiers dans aucune de ces trois perspectives.

Je m'interroge par ailleurs sur le rapport, essentiel ou non, de la fantasy à la nature. Il me semble qu'il ne peut pas y avoir de fantasy sans un monde naturel. Evidemment, il y a des exceptions ; mais je me demande à quel point, pour ces exceptions, la fantasy opère.
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