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Réflexion commune - Tolkien et la fantasy
#19
Comme vous l'avez compris, ce qui m'intéresse ce n'est pas tant de donner une définition de la fantasy et de dessiner un critère de démarcation dont je ne verrais pas franchement l'utilité, mais de dégager des composantes. Qu'on en vienne déjà à devoir distinguer deux types de fantasy ne me paraît pas anodin.

Concernant la distinction low fantasy/high fantasy, même si les termes ne m'évoquent pas grand-chose (il y a une sorte de jugement hiérarchique latent dans cette terminologie, que je ne te prête absolument pas pour autant faerestel), il y a je crois une ide fondamentale : le référentiel culturel est-il le nôtre, ou non ? Autrement dit, est-ce que nos propres connaissances peuvent nous aider à comprendre le monde de la fantasy, ou vaut-il mieux les laisser à la porte, car elles ne sont plus utiles ?

Ceci me semble poser les bases d'une nouvelle polarité fructueuse. Harry Potter, Lovecraft, Dune, se retrouveront rangés de leur côté (ce sont des œuvres qui sont engagées dans un dialogue avec la culture telle que nous la connaissons) et Tolkien, Conan, le Trône de Fer, etc., d'un autre. La science-fiction (et je pense ici à Hypérion, par exemple) suppose presque toujours une mise en rapport avec le monde tel que nous le connaissons, puisqu'il s'agit d'une projection de notre culture humaine dans un avenir distant (je parle ici d'une certaine science-fiction, évidemment) ; mais toujours, le cas de Star Wars rentrerait, là encore, du côté du "noyau dur", ce qui a quelque chose d'un peu curieux.

Ce sur quoi je voulais insister avec ma première proposition, c'est que cette ouverture vers une cohérence inconnue et nouvelle, dont la matière littéraire n'offre que des bribes entr'aperçues, est quelque chose qui, dans l'histoire littéraire, me paraît assez nouveau, et que c'est quelque chose qui se retrouve de manière récurrente dans la fantasy ou certaines œuvres affiliées. Il ne s'agit en effet probablement pas d'un critère définitoire, mais d'une dynamique propre, qui fait de la fantasy un genre littéraire réellement nouveau, non pas seulement pour sa contenu, que pour le nouveau rapport à l'œuvre qu'il établit. C'est un rapport qui n'est d'ailleurs pas propre à la littérature, mais à quelque chose qu'on pourrait plus généralement désigner comme "l'art narratif" (ce qui inclurait les films, les bande-dessinées, par exemple). En somme, avec la fantasy (du moins selon cette composante), on a envie d'en savoir plus, non pas tant sur des personnages, mais sur un monde ; raison aussi pour laquelle il s'agit d'un genre qui s'accommode aussi bien des suites et des cycles (et, oui, il faudrait que je lise le bouquin de Besson que Tikidiki mentionne !).

Pour préciser aussi ce que je disais, je ne voulais pas poser une dichotomie : univers-prétexte, intrigue prépondérante -> pas fantasy vs. intrigue-prétexte, univers prépondérant -> fantasy ; car le fait que l'intrigue soit un prétexte n'est clairement pas un signe distinctif de la fantasy ! C'est plutôt le fait qu'il y a, en quelque sorte, fantasy, quand l'univers ne sert pas que de cadre à l'intrigue, mais le déborde largement. C'est ce que je disais plus haut, d'une manière plus fine, j'espère.

La Horde du Contrevent, que je n'ai pas réussi à lire, me paraît aussi être une sorte d'univers prétexte pour développer des considérations philosophiques. En le commençant, je n'ai jamais eu l'impression que ce monde faisait sens. Il n'a pas de logique en-dehors de ce qui est seulement nécessaire à l'intrigue. Or pour moi, comme je viens de le dire, la fantasy doit pouvoir dire "regarder, nous prenons ce chemin et nous vivons cette aventure, mais si au dernier carrefour on avait tourné à gauche, ç'aurait été une toute autre aventure" ; caractéristique poussé à l'extrême chez Tolkien, qui se plaît précisément à souligner cette pluralité d'horizons à chaque croisement.

L'idée enfin que la fantasy puisse être définie à partir de considérations génétiques, en suivant les modes littéraires qui lui ont donné naissance, est évidemment plus qu'intéressante, et je vois que vous la développez avec beaucoup de succès. Mais ce qui me pose problème ici, c'est que la fantasy naît justement de deux courants. Qu'on pense ce qu'on veut d'Howard ; Hyarion a raison lorsqu'il distingue deux parentés à la fantasy, la parenté anglaise d'une part, la parenté américaine d'une autre. Or l'une et l'autre sont les héritières de traditions littéraires différentes, sans rapport entre elles. On peut dire que la fantasy naît de leur convergence ; qu'elle naît en tant que genre lorsqu'une affinité est reconnue entre ces deux courants qui s'étaient développés l'un largement indépendamment de l'autre.

Cette convergence, c'est pour moi la recherche d'un autre monde, qui ne nous est pas accessible autrement que par l'esprit, que par la faculté d'imagination. La SF suggère que l'autre monde pourrait être accessible par le voyage, par des technologies nouvelles. Il me paraît d'ailleurs significatif, à cet égard, que CS Lewis et Tolkien, lors de leur petit concours où chacun devait écrire un roman, l'un sur le voyage spatial, l'autre sur le voyage temporel, aient inégalement réussi ; justement parce que le légendaire tolkienien, qui devait être la destination du voyage temporel qu'il décrivait, restait inaccessible. Ce qui rejoint finalement l'idée de "référent culturel propre" comme l'une des marques possibles d'une certaine fantasy.
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