04.03.2018, 00:32
(Modification du message : 04.03.2018, 00:41 par Chiara Cadrich.)
.oOo.
Il y eut quelques secondes d’hébétude.
Les Chevaliers se regardèrent, consternés et un peu honteux. Il était douloureux d’être ainsi arraché au confort et à l’attentisme de la position spectatrice. La doyenne en appelait à eux, les apostrophait directement !
Tandis que la salle bruissait de rumeurs inquiètes, Dufimbec s’amusait beaucoup et commentait avec délectation les initiatives, timides, courageuses ou absurdes, qui fleurissaient çà et là, ainsi que les réactions que l’on pouvait observer sur les bancs de l’ancien tribunal. La séance était lancée et semblait déjà sombrer dans le chaos.
- Mais pourquoi donc qu’elle a fait ça, la doyenne ?
- Voyez-vous, mon cousin, il est fort malaisé de louvoyer entre les intérêts et de composer avec les penchants de si nombreux chevaliers. Le consistoire est facilement critiqué, même s’il est le seul à agir véritablement. La doyenne capitoule est particulièrement visée, malgré son grand âge et son éminente sagacité…
Le front plissé de l’astucieux Pathelin témoignait de l’intense réflexion qui agitait ses méninges :
- Oh, alors elle les laisse patauger dans la cuve, avant de les en sortir ? Elle l’a fait « esprès » ?
- C’est probable ! N’ayez crainte ! Nous ne tarderons pas à percevoir le sens des manœuvres qui animent cet apparent désordre ! Tout ceci, laissé au hasard ? Je n’y crois guère… De toute façon, même si ce l’était, quelque ténor du consistoire feindrait d’en être l’instigateur !
- Mais sur quoi donc qu’on la critique, la doyenne ?
- Sur tout et son contraire ! Par exemple, tenez :
Lorsqu’elle prend la parole, elle monopolise l’attention, mais lorsqu’elle la cède, elle s’en débarrasse !
Lorsqu’elle réclame le calme, elle abuse de son pouvoir, mais lorsqu’elle encourage les débats, elle manque d’autorité !
Lorsqu’elle se montre rigoureuse, elle se prend au sérieux, mais lorsqu’elle est débonnaire, elle n’est plus à la hauteur !
Lorsqu’elle expose ses idées, elle les impose, mais en proposant des choix, elle est indécise !
Audacieuse, elle est taxée d’imprudence, mais prudente, elle est jugée incapable !
- Oh ben, je vois ça ! C’est rien que du claque-gueule de fainéant ! La poule qui picore et caquète le plus, c’est jamais celle qui pond l’œuf le plus gros !
Les cousins échangèrent un coup d’œil entendu. Les délibérations de la ville semblaient n’avoir rien à envier, aux commérages de la ferme…
Mais l’assemblée commençait à tourner au vinaigre. Un histrion s’était dressé sur ses ergots, exigeant de remanier la règle des Chevaliers, arguant qu’une sélection plus stricte des postulants, garantirait une fidélité sans faille.
Aussitôt un énergumène le coupa, appelant l’audacieux à justifier de sa propre motivation et des services qu’il avait rendus. Plusieurs protagonistes répondirent en même temps et sur le même ton, et l’assemblée sombra dans une confusion épouvantable.
Les chevaliers les plus récemment armés se sentaient menacés. Les plus anciens, ébranlés dans leurs habitudes, se firent les défenseurs de la tradition. Ceux des membres qui ne fréquentaient la confrérie que pour échapper au quotidien ou à un conjoint encombrant, sentaient que le dessein profond de l’association risquait de leur échapper. Un tohu-bohu s’installa, parcourant la salle comme une bête fabuleuse au dos hérissé de bonnets multicolores, dont l’échine monstrueuse s’ébrouait en ébranlant tour à tour les rangées, l’estrade et les bas-côtés de la salle d’audience.
La Haute Capitoule s’escrimait sur son petit maillet- vestige de l’antique tribunal - frappant vainement le chêne vermoulu du bureau. Le Sénéchal et le Trésorier se toisaient d’un air sombre. Le moindre tabellion trouvait son mot à dire. Bientôt deux clans s’affrontèrent, opposant les tribuns de l’art et des fines études, aux tenants de la ripaille et des chansonnettes grivoises.
Ce désordre impressionna Pathelin, beaucoup plus que l’activité trépidante du marché dans la journée – la ville révélait ici sa véritable nature, complexe et multiple, riche en traditions mais recomposant sans cesse les priorités de ses factions, en équilibres instables du pouvoir. Dufimbec, que ces passes d’arme amusaient beaucoup, reconnut que cette fois, les manœuvres du consistoire n’allaient peut-être pas aboutir au résultat escompté. Cependant il restait confiant, et fit remarquer que l’émotion des belligérants n’empêchait aucun d’eux, de faire honneur aux tourtes et aux chopines.
Et Pathelin se fit la réflexion que ces empoignades semblaient presque partie inhérente des rituels de la confrérie, comme si les chevaliers y prenaient plaisir… Un peu comme les chamailleries incessantes de ses maîtres, à la ferme, dont le couple émaillait immanquablement les veillées…
Les Chevaliers se regardèrent, consternés et un peu honteux. Il était douloureux d’être ainsi arraché au confort et à l’attentisme de la position spectatrice. La doyenne en appelait à eux, les apostrophait directement !
Tandis que la salle bruissait de rumeurs inquiètes, Dufimbec s’amusait beaucoup et commentait avec délectation les initiatives, timides, courageuses ou absurdes, qui fleurissaient çà et là, ainsi que les réactions que l’on pouvait observer sur les bancs de l’ancien tribunal. La séance était lancée et semblait déjà sombrer dans le chaos.
- Mais pourquoi donc qu’elle a fait ça, la doyenne ?
- Voyez-vous, mon cousin, il est fort malaisé de louvoyer entre les intérêts et de composer avec les penchants de si nombreux chevaliers. Le consistoire est facilement critiqué, même s’il est le seul à agir véritablement. La doyenne capitoule est particulièrement visée, malgré son grand âge et son éminente sagacité…
Le front plissé de l’astucieux Pathelin témoignait de l’intense réflexion qui agitait ses méninges :
- Oh, alors elle les laisse patauger dans la cuve, avant de les en sortir ? Elle l’a fait « esprès » ?
- C’est probable ! N’ayez crainte ! Nous ne tarderons pas à percevoir le sens des manœuvres qui animent cet apparent désordre ! Tout ceci, laissé au hasard ? Je n’y crois guère… De toute façon, même si ce l’était, quelque ténor du consistoire feindrait d’en être l’instigateur !
- Mais sur quoi donc qu’on la critique, la doyenne ?
- Sur tout et son contraire ! Par exemple, tenez :
Lorsqu’elle prend la parole, elle monopolise l’attention, mais lorsqu’elle la cède, elle s’en débarrasse !
Lorsqu’elle réclame le calme, elle abuse de son pouvoir, mais lorsqu’elle encourage les débats, elle manque d’autorité !
Lorsqu’elle se montre rigoureuse, elle se prend au sérieux, mais lorsqu’elle est débonnaire, elle n’est plus à la hauteur !
Lorsqu’elle expose ses idées, elle les impose, mais en proposant des choix, elle est indécise !
Audacieuse, elle est taxée d’imprudence, mais prudente, elle est jugée incapable !
- Oh ben, je vois ça ! C’est rien que du claque-gueule de fainéant ! La poule qui picore et caquète le plus, c’est jamais celle qui pond l’œuf le plus gros !
Les cousins échangèrent un coup d’œil entendu. Les délibérations de la ville semblaient n’avoir rien à envier, aux commérages de la ferme…
Mais l’assemblée commençait à tourner au vinaigre. Un histrion s’était dressé sur ses ergots, exigeant de remanier la règle des Chevaliers, arguant qu’une sélection plus stricte des postulants, garantirait une fidélité sans faille.
Aussitôt un énergumène le coupa, appelant l’audacieux à justifier de sa propre motivation et des services qu’il avait rendus. Plusieurs protagonistes répondirent en même temps et sur le même ton, et l’assemblée sombra dans une confusion épouvantable.
Les chevaliers les plus récemment armés se sentaient menacés. Les plus anciens, ébranlés dans leurs habitudes, se firent les défenseurs de la tradition. Ceux des membres qui ne fréquentaient la confrérie que pour échapper au quotidien ou à un conjoint encombrant, sentaient que le dessein profond de l’association risquait de leur échapper. Un tohu-bohu s’installa, parcourant la salle comme une bête fabuleuse au dos hérissé de bonnets multicolores, dont l’échine monstrueuse s’ébrouait en ébranlant tour à tour les rangées, l’estrade et les bas-côtés de la salle d’audience.
La Haute Capitoule s’escrimait sur son petit maillet- vestige de l’antique tribunal - frappant vainement le chêne vermoulu du bureau. Le Sénéchal et le Trésorier se toisaient d’un air sombre. Le moindre tabellion trouvait son mot à dire. Bientôt deux clans s’affrontèrent, opposant les tribuns de l’art et des fines études, aux tenants de la ripaille et des chansonnettes grivoises.
Ce désordre impressionna Pathelin, beaucoup plus que l’activité trépidante du marché dans la journée – la ville révélait ici sa véritable nature, complexe et multiple, riche en traditions mais recomposant sans cesse les priorités de ses factions, en équilibres instables du pouvoir. Dufimbec, que ces passes d’arme amusaient beaucoup, reconnut que cette fois, les manœuvres du consistoire n’allaient peut-être pas aboutir au résultat escompté. Cependant il restait confiant, et fit remarquer que l’émotion des belligérants n’empêchait aucun d’eux, de faire honneur aux tourtes et aux chopines.
Et Pathelin se fit la réflexion que ces empoignades semblaient presque partie inhérente des rituels de la confrérie, comme si les chevaliers y prenaient plaisir… Un peu comme les chamailleries incessantes de ses maîtres, à la ferme, dont le couple émaillait immanquablement les veillées…
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A suivre...