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La confrérie du Taste-Moût
#2
.oOo.
Deux silhouettes furtives cheminaient dans la ruelle. Aux aguets, le plus grand progressait de la démarche élastique et prudente de l’aristocrate égaré dans les bas quartiers. A chaque bruit suspect qui s’élevait dans la nuit tombée, il brandissait sa lanterne pour percer la brume. Le plus bedonnant des deux suivait, clopinant du pas tranquille et cadencé du paysan au milieu de ses champs.

Les compères arpentaient la rue, que bordaient les échoppes de petits artisans. Le menu peuple s'était entassé là, dans la ville basse à l'abri de la palissade, mêlant au fil des siècles, leurs modestes chaumières aux ruines des bâtiments royaux et des anciens ateliers.

Soudain la gueule d’un molosse rugit au défaut d’une porte cochère, manquant de peu, de happer Dufimbec au mollet. Un solide hobbit parut à l’œil-de-bœuf, inspectant la rue, son bougeoir à la main.

- Bien le bonsoir, Maître Leronchon !, lança Dufimbec d’un air enjoué, en tâchant de surpasser les furieux aboiements.

Le volet rond se referma dans des grommellements indistincts. La joviale cordialité du breelandais n’avait d’égale que sa méfiance à la nuit tombée. Les sombres légendes du Chemin Vert et des Hauts des Galgals avaient la vie dure…

La ruelle s'élargissait. Des fourches patibulaires surgirent dans la brume. Les poutres de chêne avaient depuis longtemps disparu ; ne subsistait qu'une douzaine de sinistres colonnes de pierre mangées par la mousse, preuve posthume de la puissance des seigneurs du bourg. Dérangée, la hulotte perça la nuit de son appel fantomatique, avant de quitter le maître-pilier dans un froissement d’ailes.

Pathelin frissonna en passant sous le gibet, dressé au milieu d’une vaste place, comme si les masures alentours s’écartaient de ces piliers maudits. L'ancien tribunal était érigé tout à côté, retranché derrière les fers de lances de son portail austère. Les figures sculptées de rachimbourgs sévères, drapés dans leurs robes démodées, soutenaient son fronton de leurs faisceaux usés.

.oOo.

Dufimbec, après maints regards de conspirateur, poussa la grille qui s’entrouvrit dans un grincement désagréable. Il s'engagea de son pas feutré sous le cortège des magistrats, le long d'une imposante voûte, où gambadait l'écho désinvolte des sabots de Pathelin.

Parvenu au bout du couloir - combien de condamnés avaient quitté les lieux par ce boyau lugubre ? - Dufimbec s'arc-bouta sur la porte, en vain. Pathelin la décoinça d'un coup d'épaule bien ajusté.
Les compères se glissèrent alors dans le sanctuaire et repoussèrent la porte. Les marbres de l'avant-salle renvoyèrent longuement le claquement solennel, comme des huissiers se répètent en chuchotant, l'arrivée de personnages éminents.

Dufimbec éleva sa lanterne ; des ors fatigués s'allumèrent un instant sur les stucs des linteaux. Pathelin s'avança, plus impressionné qu'il ne se l'avouait, par l'imposante hauteur de plafond et la grandiose rectitude des colonnades.

Pourtant, des meubles étaient entassés dans un coin, couverts de toiles d'araignées. De hauts paravents un peu mités, serrés entre les colonnes, dépeignaient pêle-mêle des décors de rivages exotiques ou de campagnes familières. De grandes malles débordaient d'accessoires hétéroclites.

Fouinant dans ce bric-à-brac, Pathelin découvrit des penderies mobiles, où attendaient sagement, dans leurs housses aux senteurs de lavande, les garde-robes passées de princesses de théâtre et les panoplies clinquantes de chevaliers d'opérette.

Dufimbec commentait avec le détachement du citadin blasé :
- ... Oh, ce ne sont là qu’oripeaux et décors des troupes de théâtre qui terminent leur tournée en ville !

En réalité, la dernière compagnie itinérante avait péri, corps et âmes perdus une nuit de brume dans le dédale des Hauts des Galgals. Les bagages de la troupe, retrouvés éventrés sur la route au petit matin, avaient fini dans l'ancien tribunal, où ils servaient parfois lors des festivités estivales.

Mais Dufimbec poursuivait ses péroraisons :
- Quelle ironie, n'est-il pas ? Il n’y a qu'un pas, de la toge du magistrat, au déguisement du comédien ! Après tout, le rituel judiciaire met en scène son autorité, tout comme la scène dramatique exerce un authentique pouvoir incantatoire...

Le valet de ferme n'écoutait plus les divagations savantes de Dufimbec. L'instinct pratique du cousin l'avait attiré plus loin, vers les lueurs qui tremblotaient là-bas.

.oOo.
A suivre...
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