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Bientôt 80 ans, quelle bonne nouvelle !
#5
- Où Isabelle Morgil s'excuse pour le retard, maudit un perfectionnisme tatillon et part se flageller.

Melilot

La vieille pie pérorait sans pitié, mettant l'emphase sur les mots les plus blessants ; coincés dans la file qui s'étendait sur toute la longueur du champ dans la rue du Jette-Sac, deux douzaines de Hobbit n'avaient d'autre choix que de subir.
« Encore heureux que nous soyons invités à la réception restreinte. Le vieux fou accepte vraiment n'importe qui. Regarde devant nous, si ce n'est pas le vieux Magotte et sa fille adoptive ! Des paysans qui ne nettoient jamais la boue d'entre leurs doigts de pieds, si vous voulez mon avis » ; personne ne le voulait, mais tout le monde y avait droit quand même.
On jetait des regards désolés au père Magotte, qui piétinait juste devant Lobelia, avec sa jolie Melilot.
« Ne l'écoute pas, petite. Tout le monde sait que Bilbo déteste ces arrivistes de B. D., disait le fermier sans se démonter. Et rappelle-toi ce que disait le Nain : les Hobbits de Brie valent bien ceux du Comté ! »

***

La barbe l'avait fascinée : elle n'avait pu en décrocher les yeux, malgré ses efforts pour paraître polie. Mais Melilot Magotte était aussi spontanée et vive qu'une adolescente de la Marêche peut l'être. « Elle est bien de l'Extérieur, cette gamine », commentait Mrs Magotte. « Celles du Comté n'ont jamais éprouvé le besoin de monter aux arbres ou de se bagarrer contre les chiens. On raconte qu'à l'Extérieur, les Hobbits doivent lutter à mains nues contre les loups ! » Elle le disait avec autant de fierté que d'inquiétude : dans la Marêche, on aime les débrouillards, mais l'Aventure est trop proche pour être un sujet de plaisanterie. Tous les soirs, le fermier ferme le lourd portail de bois. Mais dans la ferme de briques le feu brille, les enfants jouent sur le tapis et Mr Magotte tète sa pipe près de l'âtre. Dans le fauteuil d'en face sa femme reprise les épaisses chaussettes qu'il glisse sur ses pieds velus, quand la pluie le force à sortir ses bottes de nains. Le nid est douillet.

C'est ainsi que le 20 septembre de l'an 1401 (CC), peu avant la tombée de la nuit, les coups portés contre la porte les avaient tous surpris. Le fermier était prudent, mais n'avait rien contre les réceptions inattendues : il avait rappelé ses chiens, ouvert la porte avec précaution – en laissant la chaîne, vous voyez – et, sur une exclamation, fait entrer le Nain qui se tenait sur le seuil, le capuchon à la main.

***

Le Nain avait eu beau dire, Melilot gardait une ombre inquiète sur le cœur en voyant les autres jeunes Hobbits s'amuser déjà dans le champ. Un jeune Touc était monté sur un tonneau et brandissait une chope de bière en chantant avec gaieté ; son père fendait la foule en bougonnant. Tout le monde s’esclaffa lorsqu'il chassa du perchoir sa progéniture. Pendant ce temps, Bilbo accueillait les Magottes à l'entrée de la fête.
« Vous avez laissé la ferme se débrouiller seule, s'esclaffa Bilbo. C'est une très heureuse surprise ! Je crains de n'avoir plus le temps pour une bonne conversation, je le regrette, père Magotte, avec tous ces chers amis à saluer. »
Il coula un long regard en biais vers les Bessac Descarcelle. « Si j'avais pu prévoir, je vous aurais invité au dîner de tout-à-l'heure. Mais il y aura peut-être des désistements... Espérons, espérons. » ajouta-t-il avec un clin d'oeil.

***

Le Nain était comme un géant qui la dominait d'au-moins trois têtes. « Comme tu es grande, Melilot ! Quand je t'ai amenée ici, tu tenais presque assise sur ma main. Une toute petite perle de fillette perdue dans la Sauvagerie. Tu n'étais pas impressionnable pour deux sous : tu as même ri, quand j'ai assommé les méchants gobelins, » dit-il comme on s'adresse à un enfant de deux ans.
Melilot en fut agacée. Il n'avait pas assommé les gobelins, il les avaient étripés. Et ce n'était pas une belle aventure. On taisait la tombe de sa mère, au bord de la vieille route, et le corps de son père qu'on n'avait jamais retrouvé.
« Quand je t'ai prise dans mes bras, tu t'es cramponnée à ma barbe. Ma barbe ! dit-il en caressant avec attachement sa longue barbe grise cerclée d'argent. Et tu trouvais particulièrement drôle que je proteste. Pauvre petit bout de Hobbit ! »

***

Le vieux Mr Bilbo jetta un regard perçant à Melilot. « Joli bout de fillette, dit-il, puis, revenant au fermier : Vous étiez à Brie le mois dernier ? »
« Le Poney Frinquant est le lieu de tous les ragots... »
Bilbo approuva par un bref éclat de rire. Après un rapide remerciement pour l'invitation, Melilot tourna vivement les talons. De jeunes Touc, Sonnecornet et Brandibouc s'étaient disposés près de la cuisine extérieure, dans le coin nord du terrain, et opéraient un savant prélèvement sur les plateaux qui en sortaient.

***

Le Nain et le fermier fumaient dans la cuisine en devisant. Melilot débarassait le couvert avec sa mère, mais tendait l'oreille. La conversation était confuse : ils parlaient de l'Extérieur, des routes qui n'étaient pas toujours sures, de la menace des Arbres et de l'automne qui descendait des montagnes.
« Et donc, vous n'avez rien trouvé sur sa famille ? » disait le Nain.
« Rien. Vous serez à la fête demain, alors ?
« Je suis venu pour l'anniversaire, mais je resterais discret chez Bilbo. 
« Inutile de faire jaser, c'est cela ? » questionna le fermier.
Un silence avait suivi.
« Gardez donc vos secrets ! Mais Gandalf est là, ce qui signifie que les jaseries iront bon train de toutes façons. Tout ce que je veux, pour ma part, c'est du beau spectacle. 
« Je crois que vous ne serez pas déçu... »

***

Melilot s'est approché avec hésitation. « Salut », dit-elle timidement. « Salut ! » lui répond-on avec assurance. Les jeunes l'accueillent sans méchanceté, mais sans enthousiasme. La connaissant peu, ils se croient tenu de l'inspecter des pieds à la tête. Une apparition soudaine fait diversion.
« Oyez ! Marmadas est là ! » s'exclame un tout petit Boffin, qui arrive essouflé de l'autre côté du champs. « Chouette, Hourra ! Mentha et Merimas seront des nôtres ce soir ! »
Et une ribambelle d'adolescents pleins de vie serpente dans la foule pour entourer deux jeunes hobbits dans leurs années intermédiaires. Ils s'écartent de leur père, occupé à saluer Bilbo. Melilot suit le mouvement, quelques pas en arrière.
« Je ne les ai jamais vus », demande-t-elle à son voisin le plus proche, l'audacieux chevaucheur de tonneau.
« Non, Marmadas ne sort pour ainsi dire plus, depuis que sa femme est morte. Mais les cousins ont habité Castel-Brandy pendant quelques années... » Le garçon baisse la voix et ajoute d'un ton confidentiel. « C'était quand leur mère était malade, et dans les mois qui ont suivi le décès. Le père Marmadas ne voit plus grand monde depuis. »
Melilot jette un regard d'amitié vers les deux Brandibouc orphelins qui serrent les mains à tour de bras. Peut-être n'est-elle pas si seule ce soir – et peut-être même n'est-elle pas la plus étrange.
« Comment tu t'appelles, déjà ? » demande-t-elle en offrant son premier sourire de la journée. « Everard Touc, mad'moiselle. A ton service ! » lance le jeune homme, les yeux brillants de rire.

***

Le départ devait être matinal ; ils dormiraient au Dragon Vert le soir même, et ne voulaient pas être gênés par la foule. Mais Melilot n'était pas prête.
« Je n'irais pas.
« Ma fille, tu viendras. Tu vis comme une sauvage, et c'est pas bon. Il y aura plein de gars et de filles de ton âge. Le jeune Mr Frodo, qui fête son anniversaire, est un gars charmant et un fin gastronome, eh ! Qui sait, hein, peut-être qu'il te fera danser ? »
Melilot dansait très bien quand elle voulait. Mais Frodo était un étranger, et il avait le double de son âge.
« Et puis lui aussi a perdu ses parents. »
Frodo n'avait rien de commun avec elle. Quoi qu'en disent les racontars, lui savait très bien ce qu'il en était de ses parents. Et son oncle était fabuleusement riche, si l'on en croyait les rumeurs.

***

Parlant de rumeurs, voilà que Lobelia frappe à nouveau. Elle n'a pas laché Bilbo d'une semelle (malgré ses tentatives de la distancer). Everard dit qu'un de ces quatre, le vieux fou va quitter le Comté pour de bon, juste pour ne plus jamais revoir sa face de chouette. La chouette hulule à présent dans l'oreille de son mari des confidences particulièrement bruyantes : Otho Bessac Descarcelle devient un peu sourd en vieillissant, et surtout, il faut bien contenter la petite cour assoiffée de commérages qui s'est formée.
« Et maintenant, il discute avec Marmadas Brandibouc. Marmadas Brandibouc, tu sais bien ! Celui qui a disparu pendant deux ans avec sa femme malade, et qui a réapparu seul ? »
Sablonnier, le meunier de Hobbiteville, n'en a pas perdu une miette. Il croit malin d'enfoncer le clou en murmurant assez fort pour être entendu alentours : « Mais vous en savez pas la moitié, si vous croyez qu'il s'est juste cloîtré chez lui ! Un de mes fournisseurs qui a ses champs dans l'Quartier Est, près du bac, m'a dit qu'il l'avait vu passer le Brandivin, et que sa femme était avec lui, et même qu'elle était enceinte. Et moi, j'dis qu'il l'a emmenée chez ces sauvages de Brie et qu'il l'a abandonnée là-bas, malade qu'elle était, avec le bébé. »
Même les plus gourmants de ragots se sentent gênés à présent, et un jeune gars de Hobbiteville, qui écoutait avec une désapprobation croissante, se dresse face au meunier avec les poings sur les hanches : « Ou p't-être ben qu'y sont partis à Brie pour trouver un guérisseur, assure-t-il, et peut-être ben que s'il a réapparu seul, c'est seulement que ça n'a pas marché au final. Qu'est-ce qu'on en sait, d'abord ? »

Les yeux du Père Magotte sont comme deux billes qui voudraient rebondir jusqu'à Marmadas, toujours en train de causer à l'entrée ; et le voilà qui referme la bouche dans un claquement de mâchoires et se rue sur le nouvel arrivant, quitte à couper la parole à Bilbo dont la voix couvrait les médisances voisines. Bilbo, dont les yeux pétillent de joie. Bilbo, qui se dirige vers Melilot et lui assène une petite tape sur l'épaule .
« Mon enfant, ça va être une nuit que l'on n'oubliera pas ! » dit-il, avant de s'évanouir dans la fête.
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