01.11.2016, 23:37
(26.10.2016, 09:14)Druss a écrit : C'est oublier un peu vite qu'une œuvre vit essentiellement par son public, parce qu'elle est lue.
Qui a dit le contraire, Druss ? S'il y a édition, il y aura a priori lecture par un public, bien entendu. Les motivations essentielles de Christopher Tolkien ne me paraissent tout simplement pas être de donner satisfaction à un public, qu'il soit ou non constitué d'admirateurs inconditionnels. S'il cherchait vraiment à communiquer avec le public, il s'y serait pris autrement qu'en pratiquant la rareté de la parole pendant toutes ces années. À l'occasion de la toute récente attribution à Christopher Tolkien de la Bodley Medal à laquelle tu as consacré un autre fuseau, suite à l'annonce de la nouvelle par Vincent sur son site et ailleurs, on a pu lire une réaction du lauréat qui me parait être à l'image de la parole qui a plus ou moins toujours été la sienne : sobre, assez laconique, sans attente de reconnaissance particulière, et uniquement concentrée sur l'œuvre de son père et le travail (que l'on sait colossal) qui a été le sien pendant quarante ans pour servir cette œuvre et la mémoire de son auteur. Nulle référence à un lectorat, pas même une allusion, aujourd'hui comme par le passé. Du moins à ce qu'il me semble. Libre à chaque lecteur de Tolkien, donc, de s'accommoder de cette situation de manière générale, en y donnant éventuellement un sens positif pour son propre positionnement.
(26.10.2016, 09:14)Druss a écrit : Personnellement, je ne vois pas en quoi le fait qu'il y ait un attachement va à l'encontre d'un travail pour le reste du monde.
Je ne crois pas qu'il y ait factuellement contradiction. Mais il y a, je crois, adaptation, et celle-ci me parait être moins du fait de Christopher Tolkien que des lecteurs de Tolkien, pour certains toujours en attente de précieux "inédits" par exemple. Ce sont les admirateurs qui adaptent leur positionnement, bien plus que ne m'a paru le faire Christopher Tolkien durant toutes ces années. Mais peut-être est-ce aussi une question de pudeur de sa part, je ne sais pas... Quand quelqu'un ne vous dit rien et ne semble guère se soucier de ce que vous pouvez éventuellement penser, généralement vous ne pouvez que vous poser des questions face à cela... Restent toutefois les livres publiés, à destination de qui voudra, ce qui est heureusement l'essentiel. Et je note que des publications comme celle, passée, des Enfants de Húrin et celle, à venir, de Beren et Lúthien, témoignent d'un souci de mise en disponibilité spécifique de certains récits tolkieniens sans avoir à passer par le Silmarillion, les volumes de HoME et autres, même si tout cela apparaît in fine évidemment par nature comme une convergence d'intérêts avec les éditeurs... qui, eux, s'adressent incontestablement au public en priorité, et n'hésitent pas à communiquer et à laisser parler du "dernier Tolkien" sortie en librairie, comme si le travail de Christopher Tolkien était loin de toucher à sa fin, ce qui semble pourtant bien être le cas.
(26.10.2016, 09:28)Crayon Volant a écrit : Oui, c' est le genre de choses qui me paraissent appréciables sans avoir besoin de la voir disséquer. Ce n' est pas une critique, mais j' ai cru observer à la volée cette tendance dans certaines approches, au lieu de "laisser être". D' aucuns voudraient construire leur "expérience" sur des études de ce genre... Parfois au point de me rappeler cette fable de "la poule aux oeufs d' or".
Je dis pour ma part ici simplement ce que je pense en m'appuyant sur mes modestes impressions et intuition de lecteur, dans le cadre d'une discussion informelle dont je ne tirerai pas matière pour quelque étude analytique, voire psychanalytique, si c'est ce que tu avais éventuellement en tête, Crayon Volant. C'est là juste l'occasion pour moi d'exprimer ponctuellement le décalage que je peux ressentir, par exemple, face à certaines manifestations d'effusion à l'égard du fils comme si c'était quelque part un moyen d'atteindre le père... Christopher Tolkien me parait se situer à mille lieues de cela, pour des raisons que je crois être très personnelles pour le peu que j'en sais. Ni plus, ni moins.
(26.10.2016, 12:50)Tikidiki a écrit : Qu'il le fasse par piété filiale ne m'intéresse pas, nous ne sommes pas dans sa tête. C'est le premier spécialiste de Tolkien, historiquement, et encore maintenant.
Oui, bien sûr, on peut toujours s'en tenir strictement aux faits et aux certitudes qui peuvent aller avec... Personnellement, je t'avoue que ce qui ne m'intéresse pas, c'est de s'enfermer là-dedans comme d'autres peuvent s'enfermer dans la logique de leur seule intuition et/ou de certitudes ne s'appuyant pas, elles, sur des faits. C'est une question d'équilibre, entre prise en compte des faits et impressions personnelles, entre démarche analytique et démarche intuitive (nous en avons déjà parlé, je crois). J'ai déjà dit moi même plus haut que je ne savais pas au juste ce qui se passe dans la tête de Christopher Tolkien ni non plus dans les têtes des gens de chez HarperCollins : pourquoi donc réagir ainsi, Tikidiki ? Par "protectionnisme" envers la rationalité ? Par historicisme ? Les admirateurs de Tolkien, dont tu fais partie, se situent-ils donc dans une démarche parfaitement rationnelle vis-à-vis de la passion ou même simplement de l'intérêt qu'ils lui portent ? Permettez-moi d'avoir un doute là-dessus...
Lorsque Vincent a diffusé publiquement hier, sur le réseau de Mark Z., l'information à propos de la récompense reçu dernièrement par Christopher Tolkien, j'ai noté qu'en commentaire de cette annonce, Jean-Philippe Jaworski a parlé, lui aussi, entre autres, de piété filiale à propos du lauréat : je ne sais pas si J.-P. Jaworski lit les forums/fora tolkieniens et ce que nous pouvons y écrire, mais dans un sens, me voila rassuré : si d'autres emploient certaines expressions que j'emploie moi-même, c'est donc je ne dois pas penser que des bêtises, après tout...
(26.10.2016, 12:50)Tikidiki a écrit : Ceci pour dire que je pense que Christopher s'est investi d'une mission, en tant que spécialiste et fils, pour livrer l'évangile de son père. Et que c'est une mission qui ne se soucie pas des critiques, ni de l'adulation, contemporaines.
Je ne crois pas, au fond et à peu de choses près, avoir dit autre chose. Je n'aurai certes pas employé le mot "évangile", ni celui de "mission", qui vont un peu trop avec le mot "fan" pour moi dans le sens que j'ai indiqué précédemment dans le P.S. à mon message du 25 octobre, mais il est vrai que j'ai moi-même aussi parlé de piété, alors... Ceci dit, c'est précisément cette tentation régulière de tomber dans l'analogie religieuse qui m'incite à la prudence et en tout cas à ne guère me sentir a priori concerné par cette importance, quasi-transcendentale si j'ose dire, semblant devoir être accordée au fils pour (peut-être) éventuellement mieux se sentir en connexion avec le père (?) : j'avoue que cela me dépasse quelque peu... mais bon, ce n'est que mon point de vue personnel, encore une fois !
(01.11.2016, 10:19)Crayon Volant a écrit : Cette oeuvre demeure un divertissement qui n' ateindra jamais la valeur d' enseignement de certains mythes et traditions dont elle s' inspire (et qui pour cause ont souvent été réabsorbés par les religions du livre, et non l' inverse). Tolkien n' aurait certainement pas prétendu le contraire en tant qu' humble chercheur.
Je suis d'accord sur le principe, et je repense à cette idée, qui est peut-être celle de certains lecteurs, selon laquelle l'œuvre de Tolkien aurait en quelque sorte vocation à atteindre un jour la même valeur mythique que les grands récits sacrés fondateurs du passé. Si cela devait arriver, ce ne serait déjà pas de notre vivant à tous, et cela poserait en tout cas question sur la valeur que l'on accorde à une œuvre proprement littéraire, eût-elle un contenu mythographique, en ces temps post-modernes où la notion même de mythe est devenue à certains égards passablement galvaudée. À cette aune, il ne me parait pas déraisonnable de penser que J. R. R. Tolkien lui-même n'aurait pas désapprouvé le postulat que son œuvre, en l'état, n'a pas le même statut que les mythes anciens.
(01.11.2016, 10:19)Crayon Volant a écrit : On pourrait simplement observer, et je ne serai pas le premier, que Christopher Tolkien a toujours été quelqu' en soit la mesure, "co-réalisateur" de cette oeuvre, en même temps - et en tant - que 1er "public".
Tout ce travail est à la racine même de son éducation. Plutôt que de se faire envier et d' enterrer son passé, il en fait profiter le public de son père davantage, animé de la même passion. C' est un beau "sacrifice" tant ce divertissement d' échappatoire s' est transformé pour lui en travail, c' est certain.
Il est fort probable que le succès "grand public" de l' oeuvre soit très secondaire devant une telle passion, comme pour beaucoup d' auteurs sincères. Mais elle a l' accueil qu' elle mérite.
Là encore, je suis d'accord. L'œuvre de J. R. R. Tolkien, ne l'oublions pas, n'était même pas destinée à l'origine à un quelconque public de librairie, et si le père est parfois décrit comme un "passeur", il me semble que c'est surtout le fils qui en a été un, en association avec son père ceci dit, mais le fait qu'il soit également le premier public peut renvoyer peut-être à une forme d'"auto-suffisance" en matière de création comme de réception, ce qui pourrait expliquer le caractère très secondaire pour lui d'un succès "grand public" pour l'œuvre du père, ce succès fût-il mérité (et il l'est, évidemment).
Amicalement à tous,
Hyarion.
All night long they spake and all night said these words only : "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish." "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish," all night long.
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)