(25.10.2016, 10:59)Druss a écrit :(21.10.2016, 15:37)Hyarion a écrit : Mais de toute façon, Christopher Tolkien a-t-il jamais travaillé pour les "fans" de son père ?
Est-ce qu'il n'a pas fait que ça de toute sa vie d'éditeur ? Je n'en connais pas beaucoup qui aient accepté de passer toute leur vie à étudier le moindre changement de nom, à commenter de façon extensive les travaux de leur parentèle juste pour leur propre plaisir. On peut bien critiquer la manière de faire et targuer le Tolkien Estate de faire du fric, comme certains essayent de le faire croire, mais je doute que tout cela prenne le pas sur un travail fait pour les fans. C'est en tout cas comme cela que je l'ai ressenti quand on a rencontré Adam Tolkien à l'époque à Cerisy.
Tout au long de ces années, rien ne m'a laissé penser, honnêtement, que Christopher Tolkien ai jamais consacré sa vie d'éditeur à satisfaire les "fans" de J. R. R. Tolkien. De mon point de vue, le fils a voulu servir la mémoire du père et l'œuvre de ce dernier. Ni plus, ni moins.
Voila pourquoi je parle de piété filiale. C'est quelque-chose de très personnel, à mon avis, ce qui peut expliquer notamment l'ascèse médiatique, avec ce miroir un brin déformant qu'aura pu finalement être l'article du Monde en 2012 : ce n'est pas parce que l'on prend la parole rarement, que les paroles doivent forcément être accueillies comme un cadeau inestimable pour les "fans".
Après la mort de son père, Christopher Tolkien a consacré sa vie à la mémoire de celui-ci, sans trop se soucier, je pense, de la moindre "fanbase" ou du moindre "fandom" comme on dit aujourd'hui : je peux évidemment toujours me tromper, Druss, mais c'est, en l'état, à peu près tout ce qu'il y a retenir pour moi, le reste n'étant au fond que considérations de spectateurs, que nous sommes tous plus ou moins d'ailleurs, vis-à-vis du travail immense accompli par Christopher Tolkien.
Adam Tolkien a peut-être un point de vue différent de son propre père, mais cela me paraitrait assez naturel puisqu'il appartient à une génération différente, avec une proximité de facto moins immédiate avec la création tolkienienne que ne l'aura été celle de Christopher Tolkien, pour des raisons biographiques évidentes.
Quant au Tolkien Estate, s'il ne me semble évidemment pas avoir jamais agi par mercantilisme, il ne m'en a pas moins souvent paru avoir jusqu'ici une attitude vis-à-vis du public assez sibylline, que seule pourrait peut-être expliquer le propre positionnement personnel de Christopher Tolkien dont je viens de parler...
Il finit ainsi par être difficile, à cette aune, de ne pas se sentir, hélas, un peu étranger à toute cette histoire, qui me parait être celle avant tout d'un fils extraordinairement attaché intimement à son père et à sa mémoire, finalement.
Mais voila que je me surprend encore à radoter... De tout cela, j'ai déjà eu en fait l'occasion de parler, sur JRRVF, dans le cadre d'échanges avec JR (Isengar)... Se citer soi-même est souvent mal vu, mais je crois que tout dépend de l'esprit dans lequel on le fait : ce que j'ai écrit dans le forum d'à côté en février dernier, je ne pourrais pas mieux le dire ici aujourd'hui, je pense.
Il y a quelques mois, sur JRRVF, votre serviteur Hyarion a écrit :Par ailleurs, voila pourquoi, entre autres raisons, vous ne me verrez probablement pas m'exprimer, par exemple, quand Christopher Tolkien partira pour les domaines de Mandos : tout le monde, ici et ailleurs, je n'en doute pas, pourra se sentir obligé de dire (voire de faire) quelque-chose pour rendre hommage, comme cela avait été, un peu curieusement (effet de la rareté de la parole ?), déjà un peu le cas lors de la publication du fameux article du Monde en 2012, mais en dehors du fait de simplement lui souhaiter de reposer en paix, je pense que je n'aurai rien d'autre à dire (ou à faire) personnellement. Christopher Tolkien a été animé par une singulière piété filiale pour accomplir le travail colossal d'édition de la très vaste part posthume de l'œuvre de son père, mais je n'ai jamais éprouvé pour autant cette impression de sacralité quant à son rôle que semblent éprouver d'autres lecteurs. Je n'éprouve pas de proximité particulière avec le fils, comme si cela devait constituer un lien "privilégié" avec le père (il est vrai que je ne sacralise pas non plus ce dernier). Je mesure bien sûr l'immensité du travail accompli, que je salue comme tel, mais je mesure aussi toute la dimension hautement personnelle qu'il y a derrière : je pense que le fils a d'abord travaillé pour son père et l'œuvre de celui-ci telle qu'il l'a conçoit en tant que fils, tout le reste venant après, bien après. En ce sens, contrairement à d'autres peut-être, je ne me sens pas proche de cette histoire, qui n'est tout simplement pas la mienne, même de loin. Bien qu'étudiant l'œuvre du père, je n'attends évidemment pas, ni ne recherche, la moindre reconnaissance de la part du fils s'il devait être encore vivant quand j'en aurais enfin fini avec mon projet actuel : à chacun son parcours et son histoire, en toute indépendance dans la mesure du possible, et à chacun sa façon d'apprécier et de respecter l'œuvre, toutes proportions gardées. Je ne sais si mon discours est compréhensible par des personnes se considérant (éventuellement) comme des "fans", mais je ne peux pas en tenir un autre s'il me faut être honnête (je préfère ne pas parler de bonne ou de mauvaise foi : l'emploi de ce genre d'expression a pris un tour à la fois récurrent et malheureux récemment dans un autre fuseau).
Au fond, donc, ce qui m'intéresse, c'est avant tout la création artistique indépendamment des intermédiaires, des filtres, des grilles de lecture, même si j'en tiens compte par ailleurs : cela peut sans doute paraître bien vague aux yeux de certains, mais c'est ce qui explique notamment pourquoi je tiens à cette nuance dans le regard, et à cette recherche de l'équilibre ou du point d'équilibre, dont je parle souvent...
Amicalement,
Hyarion.
P. S. :
Que l'on ne se méprenne pas, même si j'ai déjà eu l'occasion de le préciser : le fait que je mette le mot "fan" entre guillemets ne doit pas être interprété comme un signe de condescendance vis-à-vis des personnes qui peuvent éventuellement le revendiquer pour elles-mêmes. J'ai juste un problème avec ce terme, qui renvoie notamment sémantiquement à un autre mot, "fanatisme", et qui de facto ne fait pas partie des mots que j'aime. Plutôt que de parler de "fans", je préfèrerai que l'on parle plus d'amateurs, de passionnés, d'admirateurs, voire tout simplement de lecteurs puisque dans notre cas, il s'agit de littérature. Mais bon, tout cela m'est certainement très personnel, et je n'ai jamais prétendu être parfaitement à l'aise avec mon époque.
All night long they spake and all night said these words only : "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish." "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish," all night long.
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)