11.05.2015, 11:17
(09.05.2015, 12:52)Morinehtar a écrit :Citation :Comme le sindarin était une langue vivante pendant tout ce temps, il est difficile d'imaginer qu'il soit resté inchangé.L'immortalité des Elfes et leur faible taux de natalité doivent tout de même pas mal freiner l'évolution à mon avis (pas l'empêcher complètement, hein, mais tout de même la ralentir sérieusement) .
C'est exact, mais il y a d'autres facteurs compliquant l'affaire. Tolkien aborde précisément ce sujet du changement dans les langues des Elfes à la fin de The Peoples of Middle-earth, dans dans la Dangweth Pengoloð : the Answer of Pengoloð to Ælfwine who asked him how came it that the tongues of the Elves changed and were sundered.
Il y est dit que la longévité des Elfes a bien un effet dépresseur sur le changement linguistique, mais que l'impermanence de toute chose dans le temps d'Eä n'en est pas supprimée. Et il existe un facteur important poussant au contraire au changement : l'instinct créateur et artistique des Elfes, qui les pousse à modifier délibérément leur langage pour l'adapter à l'évolution de leurs préférences. (Je soupçonne que Tolkien parle un peu là d'expérience, pensant à l'évolution constante de ses propres langues inventées au cours de sa vie.)
Autre point intéressant : la mémoire des Elfes les plus anciens ne joue pas de rôle de frein, parce que le souvenir des paroles anciennes, dès qu'elles dépassent la simple exclamation pour prendre la forme du discours, est sans cesse "remis au goût du jour" dans la forme linguistique présente de leur esprit, qui évolue sans cesse. Pengoloð l'appelle coirea quenya "le langage vivant" (quenya est à prendre ici au sens large de "langage"). Les Elfes se souviennent donc de ce qui est dit, mais l'imaginent dans la forme linguistique du présent. Et s'ils ont une bonne connaissance des langues du passé et des langues étrangères, elle est de l'ordre de la science est non du souvenir vivant. La conclusion est que le changement linguistique chez les Elfes est finalement du même ordre que chez les Hommes :
Citation :Wherefore, Ælfwine, if thou wilt consider well all that I have said to thee at this time, not only what is plainly expressed, but also what is therein to be discovered by thought, thou wilt now understand that, albeit more wittingly, albeit more slowly, the tongues of the Quendi change in a manner like to the changes of mortal tongues. And that if one of the Eldar survives maybe the chances of fifty thousand of your years, then the speech of his childhood will be sundered from the speech of his present, as maybe the speech of some city or kingdom of Men will be sundered in the days of its majesty from the tongue of those that founded it of old.
Traduction rapide : D'où vient, Ælfwine, que si tu prends le temps de considérer tout ce que je t'ai maintenant dit, non seulement explicitement, mais aussi en ce qui s'y doit découvrir en pensée, ores comprendras-tu que les langues des Quendi, quoique plus consciemment, quoique plus lentement, changent d'une manière semblable aux langues mortelles. Et si l'un des Eldar survit à ce que peuvent être cinquante mille de vos années, alors le parler de son enfance se trouvera séparé du parler de son temps présent, comme le parler d'une cité ou d'un royaume des Hommes en sa splendeur peut se trouver séparé de la langue de ceux qui le fondèrent jadis.
Je repasse à l'extrapolation personnelle pour en revenir au peu de changements constatés en sindarin aux Deuxième et Troisième Âges. Il me semble aussi qu'on peut rattacher ce phénomène à la nostalgie et la moindre vitalité des Elfes en Terre du Milieu aux Deuxième et Troisième Âge, par rapport au Premier. Leur temps y est passé et leur pensée est de plus en plus tournée vers la conservation des beautés du passé plutôt qu'à la création nouvelle (d'où l'attrait sur eux des trois anneaux elfiques de pouvoir qui favorisent justement ce genre de choses) : dans la lettre n° 131 à Milton Waldman, Tolkien parle de cette tendance croissante en terme d'embaumement. Si l'on se rappelle que le changement linguistique chez les Elfes est en bonne partie conscient et délibéré, il serait alors somme toute logique que ce conservatisme croissant trouve son reflet dans leurs langues.
Le langage a à la fois renforcé l'imagination et a été libéré par elle. Qui saura dire si l'adjectif libre a créé des images belles et bizarres ou si l'adjectif a été libéré par de belles et étranges images de l'esprit ? - J. R. R. Tolkien, Un vice secret