06.10.2012, 10:22
Shudhakalyan, je te remercie aussi pour cet exposé fort intéressant sur l'évolution de la conception de littérature. La distinction que Rancière fait me semble justifiée, mais en partie seulement. J'aurais certainement besoin de lire son ouvrage pour comprendre pleinement ce qu'il entend par : « le primat du langage ; le principe antigénérique de l'égalité de tous les sujets représentés ; l'indifférence du style à l'égard du sujet représenté ; le modèle de l'écriture. »
Toutefois, j'ai du mal à percevoir en quoi ces principes ne pourraient pas s'appliquer, par exemple, aux sagas islandaises. Le primat du langage m'y semble évident ; tous les sujets représentés, quelle que soit leur qualité, y sont sur un plan d'égalité, dès lors que leurs actions sont dignes d'être racontées (sögurligr) ; le style dépend du type de saga, non des personnages qui s'y trouvent et Régis Boyer rappelle maintes fois, notamment dans son introduction aux Sagas légendaires islandaises (Anacharsis, 2012), qu'elles trouvent leur modèle dans la littérature latine, textes antiques ou hagiographiques. Le peu que je connais de la littérature perse, chinoise et japonaise m'incite à penser qu'on y trouverait là encore des contre-exemples à la datation proposée par Rancière.
Je dois avouer que je n'ai pas cité Boileau tout à fait par hasard. J'ai l'impression qu'avant lui, tous les auteurs se définissent par un rapport très étroits avec l'ensemble de leurs prédécesseurs. C'est le règne incontesté des Anciens. L'auteur se contente de sélectionner les motifs antérieurs qui lui semblent susceptibles de plaire et les réagence à sa convenance, en s'appuyant là encore sur des principes poétiques consacrés par l'usage. Boileau va — le premier, me semble-t-il — dénigrer une bonne partie du style de la littérature antérieure et postuler un ensemble de règles afin d'épurer et d'affiner le style, de le rendre digne du raffinement de son époque. Aujourd'hui, on dirait « l'actualiser ». Certes, il continuera à s'appuyer au moins en partie sur les règles poétiques définies pendant l'antiquité, mais l'application qu'il en fait est radicalement différente.
À partir de là, la littérature va de plus en plus s'affirmer comme novatrice, voire révolutionnaire. Chaque génération va chercher à se distinguer de celle qui la précède. C'est la naissance des mouvements littéraires, et donc, me semble-t-il, de la littérature au sens moderne du terme, même s'il faut encore attendre un peu pour trouver une attestation de ce mot dans le sens incontestablement moderne qu'il a pris. Par la suite, les romantiques se feront sans doute les chantres les plus efficaces de cet aspect révolutionnaire, ce qui peut expliquer pourquoi Rancière trace la ligne à leur niveau.
Personnellement, si je devais établir une gradation, elle chercherait à observer à quelle époque un style littéraire étranger prévaut sur le style autochtone d'un peuple ou d'une région, car là on peut à juste titre parler de révolution. À ce titre, le mouvement romantique constitue certainement un des principaux bouleversements littéraires en Europe, mais ce n'est ni le premier, ni le dernier.
Toutefois, j'ai du mal à percevoir en quoi ces principes ne pourraient pas s'appliquer, par exemple, aux sagas islandaises. Le primat du langage m'y semble évident ; tous les sujets représentés, quelle que soit leur qualité, y sont sur un plan d'égalité, dès lors que leurs actions sont dignes d'être racontées (sögurligr) ; le style dépend du type de saga, non des personnages qui s'y trouvent et Régis Boyer rappelle maintes fois, notamment dans son introduction aux Sagas légendaires islandaises (Anacharsis, 2012), qu'elles trouvent leur modèle dans la littérature latine, textes antiques ou hagiographiques. Le peu que je connais de la littérature perse, chinoise et japonaise m'incite à penser qu'on y trouverait là encore des contre-exemples à la datation proposée par Rancière.
Je dois avouer que je n'ai pas cité Boileau tout à fait par hasard. J'ai l'impression qu'avant lui, tous les auteurs se définissent par un rapport très étroits avec l'ensemble de leurs prédécesseurs. C'est le règne incontesté des Anciens. L'auteur se contente de sélectionner les motifs antérieurs qui lui semblent susceptibles de plaire et les réagence à sa convenance, en s'appuyant là encore sur des principes poétiques consacrés par l'usage. Boileau va — le premier, me semble-t-il — dénigrer une bonne partie du style de la littérature antérieure et postuler un ensemble de règles afin d'épurer et d'affiner le style, de le rendre digne du raffinement de son époque. Aujourd'hui, on dirait « l'actualiser ». Certes, il continuera à s'appuyer au moins en partie sur les règles poétiques définies pendant l'antiquité, mais l'application qu'il en fait est radicalement différente.
À partir de là, la littérature va de plus en plus s'affirmer comme novatrice, voire révolutionnaire. Chaque génération va chercher à se distinguer de celle qui la précède. C'est la naissance des mouvements littéraires, et donc, me semble-t-il, de la littérature au sens moderne du terme, même s'il faut encore attendre un peu pour trouver une attestation de ce mot dans le sens incontestablement moderne qu'il a pris. Par la suite, les romantiques se feront sans doute les chantres les plus efficaces de cet aspect révolutionnaire, ce qui peut expliquer pourquoi Rancière trace la ligne à leur niveau.
Personnellement, si je devais établir une gradation, elle chercherait à observer à quelle époque un style littéraire étranger prévaut sur le style autochtone d'un peuple ou d'une région, car là on peut à juste titre parler de révolution. À ce titre, le mouvement romantique constitue certainement un des principaux bouleversements littéraires en Europe, mais ce n'est ni le premier, ni le dernier.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland