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Tolkien écrivain ?
#24
(05.10.2012, 16:07)shudhakalyan a écrit : Parce que depuis que la notion de littérature est apparue avec le sens qu'elle garde aujourd'hui, en gros fin 18e, début 19e dans le romantisme allemand, elle est éminemment liée à la notion de style, notion clé pour évoquer la puissance verbale d'une production singulière de l'écriture.

Tu es sûrement plus calé que moi dans ce domaine, mais j'ai le sentiment que ce sens est attesté bien avant. En matière de style littéraire, on peut remonter jusqu'à Boileau et son Art poétique (novateur, pour l'époque). Quant à « littérature » dans le sens ou tu l'entends, le Trésor cite un ouvrage de F. Granet, en 1736-1740.

(05.10.2012, 16:07)shudhakalyan a écrit : Chez Tolkien, le style ne se met jamais en évidence pour lui-même, pas plus qu'il ne mettrait en évidence son absence de style manifeste et, en revanche, il ne se signale que par des effets qui semblent des archaïsmes.

Je suis d'accord dans l'ensemble, mais j'irais même plus loin : si les archaïsmes sont ce qui se remarque le plus dans le SdA, la maîtrise qu'à Tolkien du discours dialectal des Hobbits est extraordinaire — ce qui n'est absolument pas perceptible en français, on rejoint là ta critique de Baudelaire traduisant Poe. Je ne suis pas un grand spécialiste de la littérature anglaise, mais les seuls auteurs anglo-saxons qui m'ont frappé de la même manière sont Dickens, Lovecraft et Chaucer — ce dernier uniquement parce que j'ai essayé de creuser la question après avoir constaté à quel point Tolkien s'y intéressait. Dans le Hobbit, on trouve des effets stylistiques chez la quasi-totalité des locuteurs, du cockney des Trolls au discours très upper class de Smaug, en passant par les idiotismes de Gollum. Je pourrais encore citer Gilles, qu'on peut considérer comme un long jeu philologique sur le style romanesque.

(05.10.2012, 16:07)shudhakalyan a écrit : Le problème, c'est que la littérature se pense traditionnellement comme l'opposé des histoires et du divertissement, car elle n'est pas un simple amusement qui tiendrait aux idées de l'histoire, elle est "de l'art", ce qui dépend de sa finition formelle, de ce qui fait qu'un travail devient une "œuvre" au sens fort... Mais quand Tolkien associe l'amusement à l'inspiration des muses... les pistes sont brouillées, et les littéraires ne savent plus très bien à quoi ils ont à faire, alors, dans le doute, ils font comme le chien qui a peur de devoir céder une partie de son territoire : ils aboient.

Je pense que le problème est plus profond que ça : en règle générale, il semblerait que la majorité des critiques s'attende non seulement à une mise en exergue du style, non seulement à un sérieux assumé, mais même à un message politico-sociologique explicite... voire même à sens unique, ai-je parfois l'impression. N'a-t-on pas vu le tollé qu'a soulevé l'idée de commémorer l'œuvre de Céline, pourtant un des écrivains dont le style a le plus profondément marqué la littérature française ? Qui parle aujourd'hui de Montherlant, dont l'œuvre a pourtant marqué toute une époque et qui reste à mes yeux un des plus grands écrivains du siècle passé ? Ne dénigre-t-on pas Chesterton à chaque fois qu'une étude est publiée à son sujet ? Je n'ai pourtant pas le sentiment d'avoir choisi des écrivains dont l'œuvre serait particulièrement légère. Et pourtant, on se focalise sur une partie des idées qu'ils défendaient pour mieux évacuer l'étude de leur œuvre. La comparaison avec Sartre, justement, est éloquente.

(05.10.2012, 16:07)shudhakalyan a écrit : Mais, le danger, est d'avoir ainsi exposé son cœur et de ne plus pouvoir reconnaitre alors ce que disait Tolkien dans une de ses lettres : le créateur a aussi peu de part à son œuvre que les parents aux enfants issus de leur chair... mais bien sûr, cette petite part, ce n'est pas rien !

Certes, ce n'est pas rien. Au contraire, cela rejoint ce que Tolkien disait du rôle du sub-créateur au sein de la Création :

Tolkien a écrit :We make still by the law in which we're made.
« Nous façonnons encore selon la loi qui nous a façonnés. »
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
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Messages dans ce sujet
Tolkien écrivain ? - par Vorna - 23.09.2012, 11:45

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