(23.09.2012, 20:50)Elendil a écrit : Au demeurant, c'est amusant qu'on se pose la question de cette manière au sujet de Tolkien. Je ne crois pas que quiconque conteste que Kafka soit un écrivain. Et même un écrivain majeur. Pourtant, qu'est-ce qu'il a publié de son vivant ? Presque rien. Deux de ses trois œuvres majeures, le Château et le Procès sont des reconstructions posthumes à partir de ses notes. Alors, pourquoi traiter Tolkien différemment ?
C'est une bonne question. Tolkien est un écrivain. Un écrivain important. Mais simplement un écrivain, au regard de ce qu'il a laissé à la postérité, et ce pour quoi il est connu et reconnu aujourd'hui, à savoir ces écrits. Pourquoi faudrait-il voir en lui autre chose ? À moins de le considérer comme une sorte de prophète, à l'instar de Nostradamus ? Il est vrai que les personnes qui s'intéressent à Tolkien ont parfois tendance à passer pour de sympathiques "cinglés", aux yeux du profane (comme en témoigne l'article du Point dont j'ai parlé l'autre jour... ), mais nous ne sommes pas obligé de donner du grain à moudre en ce sens et cherchant à voir en Tolkien autre chose qu'un écrivain !
Je me rappelle d'une discussion sur un fuseau de JRRVF, dans lequel j'avais évoqué un danger que me paraissait souligner Isabelle Pantin, dans son article "Tolkien et l'histoire littéraire : l'aporie du contexte" (in Tolkien aujourd'hui) : ce danger, c'est que l'œuvre de Tolkien soit enfermée dans une identité de monde imaginaire, en oubliant qu'il s'agit d'abord d'une œuvre littéraire, et donc du travail d'un écrivain. Pour Isabelle Pantin, "Tolkien fait partie de ces auteurs qui requièrent d'être abordés selon une approche interne et avec des outils faits pour eux", ce qui ne veut pas dire qu'il doit être considéré comme un créateur isolé dans une tour d'ivoire, éventuellement pour mieux essayer d'y voir autre chose qu'un écrivain. Anne Besson a écrit des choses très justes là-dessus, à l'occasion d'un compte-rendu de lecture du livre d'Isabelle Pantin, Tolkien et ses légendes : "Première de ces idées reçues au sujet de Tolkien, l’image tenace d’un auteur « complètement insulaire » (p. 8 ), volontairement imperméable au monde de ses contemporains, retiré dans son imaginaire alternatif. Sans totalement rompre avec ces traits du portrait canonique dressé par Humphrey Carpenter dans sa fameuse biographie de l’auteur (1977), Isabelle Pantin prend le pari de replacer son œuvre dans son époque historique et son contexte culturel." Voila ce qui me parait être la meilleure chose à faire pour appréhender le créateur des récits de la Terre du Milieu : considérer tout simplement Tolkien pour ce qu'il est, un écrivain dans une époque donnée, auteur d'une œuvre littéraire qui reste le point de départ de tout, même si le monde imaginaire de Tolkien peut avoir tendance, par certains aspects, a avoir quelque peu "dépassé" les récits de fiction originaux qui y sont liés, compte tenu de la postérité très diversifiée qu'a engendré la contribution personnelle de Tolkien à l'histoire littéraire.
Amicalement,
Hyarion.
All night long they spake and all night said these words only : "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish." "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish," all night long.
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)