Voici mes réponses, j'espère que ça n'aura pas trop tardé. Je pense que je m'y prendrai par morceaux, car certaines questions méritent pas mal de réflexion... et ma connexion est un peu incertaine, sans parler de mon temps libre
Pour situer : avant de commencer à m'intéresser aux langues de Tolkien, j'avais appris en classe l'allemand, l'anglais, et le latin ; j'avais aussi acquis quelques rudiments de grec ancien par intérêt personnel. Tolkien m'a conduit à apprendre des éléments de gallois et de vieil anglais, et a attisé un intérêt linguistique général.
Comme le soulignait Elendil, une bonne maîtrise de l'anglais est indispensable à une étude sérieuse des langues de Tolkien, car peu de ses sources sont disponibles en français, et les traductions existantes sont souvent entachées d'erreurs et de fautes de composition, du fait de l'extrême difficulté pour le traducteur et l'éditeur, en l'absence de contexte et de référence secondaire, de comprendre vraiment de quoi il retourne et de se rendre compte de possibles erreurs.
En dehors de cette simple question d'accès aux sources, la connaissance préalable de plusieurs langues m'a surtout fourni une culture linguistique préalable : par ex. je savais déjà ce qu'était une déclinaison, un augment, un redoublement (pour le quenya), un umlaut (pour le sindarin).
C'est avec l'apprentissage des langues anciennes que j'ai trouvé le plus de similarités, comme il s'agit de se familiariser avec une langue et une culture dans un but d'enrichissement personnel et non à des fins directement pratiques. (Non que cet aspect culturel soit inexistant dans l'apprentissage des langues vivantes, mais il est naturellement moins dominant.)
L'analogie est particulièrement nette pour le quenya, d'une part parce qu'il a ce rôle d'une langue ancienne au sein même de son monde imaginaire, et parce qu'il a des traits linguistiques communs (morphologie complexe, souplesse syntaxique, une certaines ressemblance phonétique).
Le sindarin m'a paru beaucoup plus déroutant. Ce sentiment s'est atténué quand mes horizons linguistiques se sont élargis, que j'ai appris quelques rudiments de gallois, l'inspiration principale du sindarin, et que j'ai fait connaissance de langues encore bien plus étranges dans leur fonctionnement... mais n'a pas entièrement disparu.
Non. Les démarches de Zamenhof et de Tolkien n'ont strictement rien à voir.
C'est plutôt l'allemand qui joue ce rôle chez moi ; je ne pratique pas activement (bien que je le lise sinon souvent, du moins régulièrement), mais il est très fréquent que je me pose inopinément la question : "comment dirais-je ceci en allemand ?".
Pour l'elfique, il faut que je sois au moment même de l'étudier pour que vienne cette question. Je dirais qu'il y a cependant une influence générale de Tolkien dans l'intérêt et le soin que je porte au langage - un trait que Tolkien attribue à ses elfes. Pour quelques mots, mon usage a été directement influencé : il s'agit en particulier de la paire de mots sindarins amdir / estel, traduits tous deux en anglais par "hope" ; mais amdir est l'attente positive du vraisemblable dans ce monde, et estel plus un sentiment de ferme confiance dans la providence. Le français a l'amorce d'une semblable distinction entre "espoir" et "espérance", mais elle est loin d'être aussi constante ; cependant, je la fais régulièrement dans mon propre usage, en y projetant les valeurs "elfiques". Ce n'est pas à vrai dire une élaboration personnelle, mais le résultat de longues discussions collectives lancées et élaborées par Yyr sur JRRVF (ici et là) et qui ont fait du chemin par la suite (par ex. reprise et critique par Michaël Devaux au colloque Tolkien de Rambures en 2008).
Mordor me vient fréquemment à l'esprit quand j'arrive dans un endroit repoussant ou saccagé, et le plus souvent, c'est dans le métro parisien. Sans doute toutes ces galeries bondées et puantes me mettent-elles dans la peau d'un gobelin... Mais c'est plutôt une réminiscence narrative que linguistique, même si techniquement c'est un mot elfique. C'est équivalent à penser à l'Enfer.
Sans doute pas : ouvrages et sites spécialisés s'adressent à des gens déjà passionnés. Ce qui a le plus de chances de refaire parler de Tolkien à moyen terme, ce sont les deux adaptations cinématographiques de Bilbo le hobbit. En supposant, bien entendu, que l'on se souvienne alors que c'est au départ un conte de Tolkien.
Cela fait une dizaine d'années que je m'y intéresse. Dans les premiers temps de la découverte, j'y consacrais facilement plusieurs soirs par semaine ; il m'est arrivé de passer des journées de loisir essentiellement dessus. Cela s'est naturellement tassé avec le temps, plus concentré autour de moments forts (vacances, publication importante, colloque) ; et j'ai traversé une longue période "sans" où je pouvais n'y pas toucher pendans des mois. Je m'y suis remis plus régulièrement depuis un an et demi environ, mais je ne dois guère y passer plus que quelques heures par mois.
J'ai déjà traité cette question lors du premier questionnaire. La difficulté tient principalement en deux points :
1) les sources sont peu accessibles. Pratiquement : l'essentiel ne figure pas dans les écrits de Tolkien édités à grand tirage, mais dans des publications confidentielles - encore qu'il soit infiniment plus facile de se les procurer aujourd'hui avec Internet qu'il y a seulement quinze ans, du temps des fanzines et des courriers papier : des vétérans comme Hisweloke pourraient en témoigner. Mais surtout, intellectuellement : les sources sont principalement des brouillons et notes souvent arides, confus et obscurs car Tolkien ne les destinait pas à la publication
2) les conceptions que Tolkien se faisait de ses langues ont toujours été mouvantes au cours de sa vie, ce qui fait qu'il est difficile de s'en faire une image nette : il faut se représenter une structure connue par morceaux, qui évolue au cours du temps à la fois pendant la vie de l'auteur mais aussi dans le temps interne du monde imaginaire, puisque Tolkien imaginait ses langues de façon essentiellement diachronique.
C'est à cause de ces difficultés que la majorité des gens qui étudient l'elfique se limitent en fait à des néo-elfiques : c'est à dire des recréations éditées, simplifiées et régularisées avec plus ou moins de maîtrise de l'original de Tolkien, mais qui ne peuvent être celui-là même. C'est de toute façon ce dont il est besoin si l'on veut se servir effectivement de ces langues : car en leur état brut, elles ne s'y prêtent que dans de très étroites limites. La question est alors de bien garder à l'esprit la distinction entre l'original et la recréation, ce qui a été source de maints échanges houleux.
A côté de ces difficultés pratiques et conceptuelles, les difficultés grammaticales ne sont finalement pas bien lourdes, quoiqu'il faille sans aucun doute un certain bagage linguistique pour s'y retrouver. Quant aux écritures, leur seule difficulté est la variété des modes (sans entrer dans les détails : il n'y a pas de valeur fixe attachée à chaque caractère, elles leurs sont affectées selon un "mode" déterminé d'une part par la phonologie de la langue transcrite, et d'autre part par des correspondances usuelles entre relations phonologiques des phonèmes et relations graphiques des caractères) ; elles ne sont en aucun cas un obstacle à l'approche de la langue, car en pratique les écritures elfiques ne sont guère employés que dans un but esthétique ; quand on discute des langues, c'est toujours dans leur transcription romanisée.
N'allez pas demander conseil aux Elfes, car leur réponse sera en même temps non et oui.
Blague à part (encore que la citation soit en un sens hautement appropriée), c'est plutôt un cadre explicatif général, des repères plutôt que des conseils, qu'il est utile de donner : pour savoir comment se présente le domaine, quelles sont les approches, et simplement... ce qu'on peut y faire. Savoir, par exemple, que l'elfique n'est guère "apprenable" sinon sous la forme de néo-elfiques qui ne sont pas de la plume de Tolkien. Ensuite... il n'y a guère d'autre conseil à donner que de suivre la règle de l'abbaye de Thélème.
L'idée me semble saugrenue. Il s'agit d'un domaine bien trop confidentiel et, tout de même, restreint pour faire l'objet d'un enseignement formalisé. Ceux qui s'y intéressent ont-il vraiment besoin d'un cours ? Et qui serait qualifié pour le donner ?
En revanche, dans le cadre d'une étude littéraire de Tolkien, d'une étude sociologique sur les communautés de fans, d'une étude poétique sur les jeux de langage, il peut être pertinent d'en toucher un mot. De faire savoir que ça existe et que ça peut avoir une certaine importance pour le domaine étudié ; libre à l'étudiant ensuite d'y mettre ou non son nez.
De toute façon, la tendance actuelle dans l'enseignement supérieur est de tailler dans tout ce qui ne sert pas directement à alimenter la machine de production et de consommation. Alors, les langues inventées...
Cela fait bien dix ans que je m'y emploie, et je ne crois pas être spécialement masochiste. Encore que... même le masochiste trouve sa satisfaction - selon son goût.
Elle a essentiellement alimenté mon goût (déjà présent) pour les langues, m'a fait m'assimiler à un bon bagage en linguistique (notamment historique), et a affiné ma conscience des dimensions esthétiques et ludiques du langage. Peut-être paradoxalement, j'ai traduit des poèmes en néo-elfique avant d'en traduire en vers français. Sans doute parce qu'on est moins intimidé en se lançant dans quelque chose de "pas sérieux" - c'est une dimension essentielle du jeu.
Je dirais aussi qu'avoir une passion aussi "bizarre" est fort instructif quant à la façon d'assumer les aspects les plus singuliers de son personnalité. Savoir ensuite qu'il y a d'autres pour la partager (il a fallu que m'arrive Internet pour m'en rendre compte) est une expérience assez indescriptible.
Oui, sur la poésie. Je n'étais absolument pas amateur auparavant, et c'est en apprenant à jouer et sculpter le langage en elfique que j'y ai pris goût.
Plus généralement, Tolkien au delà de ses langues pousse ses lecteurs à explorer des domaines qu'ils n'auraient jamais touchés autrement. Je n'aurais peut-être jamais lu le Kalevala, les Mabinogion ou Béowulf sans cela, et je n'aurais vraisemblablement jamais appris le moindre mot de gallois ou de vieil anglais. Je n'aurais peut-être jamais pensé non plus que la fantaisie pouvait faire de la bonne littérature... D'autres expriment cela par la peinture, la musique, la reconstitution historique, les études médiévales... les formes en sont assez variées, mais c'est quelque chose qui me paraît assez typique chez les tolkiendili les plus actifs.
J'ai déjà répondu à cette question dans le premier questionnaire, lorsqu'il fut question des motivations. Il s'agit en premier lieu d'une immersion dans un monde imaginaire que l'on aime ; en second lieu, d'un défi intellectuel, du plaisir de découvrir "comment ça marche" ; et en dernier lieu, d'une façon de mieux comprendre Tolkien et son oeuvre, du fait de la place considérable qu'y prennent ses langues.
Peut-être pas de façon profonde : je ne suis pas convaincu qu'il y ait un thème essentiel qui ne soit perceptible autrement. En revanche, comprendre Tolkien dans le détail nécessite certainement une part d'approche linguistique, car ses langues et surtout l'onomastique qu'elle permettent de bâtir fondent une bonne partie de la consistance de son monde imaginaire. Les noms sont signifiants chez Tolkien, et si les plus importants sont expliqués en clair, beaucoup ne sont qu'en arrière-plan et ne révèlent leur sens qu'à l'étude ; celui-ci ne vient pas modifier la ligne générale, mais apportent de la profondeur. Je ferais volontiers une comparaison musicale : étudier Tolkien sans ses langues inventées, c'est comme écouter une composition polyphonique en ne suivant que les mélodies sans tenir compte de l'harmonie. Le sens y est, on se souvient de l'oeuvre, mais en passant à côté d'une dimension essentielle.
De fait : sinon nous ne serions pas sur un forum en train d'en discuter. Et pour le cas plus particulier des langues, c'est encore plus sensible, car les gens concernés sur la durée restent peu nombreux et l'on finit par en connaître un bon nombre de nom, de style... et parfois de visu.
Diverse. Pas de meilleur mot qu'Elendil. La communauté se base sur un intérêt commun ; mais au delà de ça, il y a vraiment de tout, que ce soit par l'âge, les professions, les prédilections.
Oui, les deux. J'entretiens depuis un certain nombre d'années un cercle de lecture autour de Tolkien (qui s'effiloche un peu mais se maintient encore). Je me suis rendu plus d'une fois à des manifestations où rencontrer des tolkiendili - celles-ci étant le plus souvent consacrées à la fantaisie et l'imaginaire en général, mais Tolkien y est presque incontournable. Il m'est également arrivé d'assister à des conférences dans un cadre universitaire.
Oui, mais surtout indirectement : en rejoignant une communauté de passionnés, à ce moment important qu'est l'arrivée à l'âge adulte, je me suis fait de nombreux amis, qui m'ont donné l'occasion de faire maintes découvertes - pas forcément liées à Tolkien.
A l'exception déjà citée de la découverte de la poésie, mes prédilections en matière de loisirs n'ont pas notablement changé. Mais elles ont été certainement infléchies : j'aimais déjà les langues, les mythologies et la littérature médiévale, mais je m'y suis encore bien plus plongé après avoir découvert la Terre du Milieu.
Trop vaste question ! Il faut mettre un pluriel à ces regards. Je dirai au moins :
J'attends qu'on me démontre qu'il y a réel un regain d'intérêt du public : le conte littéraire, la légende, le récit merveilleux ne sont pas spécialement des genres récents et il y a toujours dû avoir un fonds d'amateurs.
En fait, pour Tolkien, nous serions plutôt bien en période d'étiage, actuellement. Il y a eu un pic d'activité et de visibilité au moment de la "trilogie" de Peter Jackson, qui est complètement retombé depuis. Il y aurait même plutôt moins d'activité qu'avant, l'intensité du début des années 2000 ayant sans doute créé un effet de saturation.
En revanche, il me semble en effet que la visibilité de la fantaisie comme genre a sensiblement augmenté dans les dix dernières années, en tout cas en France. Il y a d'une part, un phénomène médiatique et commercial : il y a eu plusieurs sorties d'ouvrages et d'adaptation cinématographiques qui ont connu un certain, voire beaucoup de succès public, ce qui a attiré l'attention des médias et, peut-être, amené un regard plus nuancé sur la valeur artistique de la fantaisie, qui comme maints genres populaires tend à être relégué comme la littérature de bas-étage - ce n'est souvent pas faux, mais ne peut être généralisé. Il y a eu le même phénomène auparavant avec la science-fiction ou le roman policier.
Le singulier avec la fantaisie, c'est que malgré ses racines beaucoup plus anciennes (le récit merveilleux et le roman d'aventures), il paraît pourtant plus récent de la voir discutée chez nous comme genre digne d'intérêt. Il s'agit peut-être d'un manque de familiarité en France avec la fantaisie comme roman : les auteurs relativement connus sont essentiellement anglophones, et j'ai l'impression que la fantaisie en langue française s'est plus visiblement exprimée dans la bande dessinée. Il est vrai que le romancier français moderne aurait vergogne à s'abaisser à distraire en racontant une histoire : lui, c'est un monsieur sérieux, qui ne s'amuse pas à des balivernes. (Admettons que j'abuse un peu - celui que je viens de citer est une exception fort célébrée...)
Concernant plus spécifiquement Tolkien, il faut aussi se souvenir que longtemps, seule son oeuvre de fiction "définitive" était connue (Bilbo le hobbit, le Seigneur des Anneaux, le Silmarillion les Contes et Légendes Inachevés, et quelques petits contes séparés) : mais la traduction de l'Histoire de la Terre du Milieu, indispensable pour saisir la profondeur de sa création, n'a commencé qu'il y a une dizaine d'années. On ignorait largement aussi le Tolkien universitaire et les liens entre ses activités de philologue et d'écrivain ; cela commence à être plus perceptible grâce à la publication des Lettres, des Monstres et les Critiques, de La Légende de Sigurd et Gudrun. Il faut aussi souligner l'activité persévérante de plusieurs universitaires qui se sont attachés à le mieux faire connaître, tels que par exemple Vincent Ferré, Anne Besson, Michaël Devaux. Tout cela a dû jouer quant à sa reconnaissance dans le monde littéraire "savant".
Au sein même du monde imaginaire, il existe plusieurs cultures elfiques, largement décrites dans le Silmarillion. Mais je gage que la question porte plutôt sur notre monde à nous ! Auquel cas je dirai : non. Il y a maintes gens qui pratiquent des loisirs inspirés de Tolkien, mais cela ne fait pas une culture : cela n'imprègne pas l'ensemble du quotidien à l'insu partiel de ses porteurs, mais se limite à des contextes précis. Peut-être pourrait-on parler en revanche de sub-culture, comme pour d'autres fictions, musiques, loisirs en général qui agrègent des communautés de passionnés ; mais ce serait une question à poser à un sociologue.
Je suis documentaliste dans le domaine médical.
Le mot ayant été mis à toutes les sauces, il me semble indispensable de préciser de quoi il retourne.
S'il s'agit de parler du sens initial dans le domaine de l'informatique, certainement pas. Je n'ai d'intérêt que strictement utilitaire pour les ordinateurs, et les machines en général.
S'il s'agit de désigner par extension un comportement de passionné quelque peu obsessionnel sur un centre d'intérêt abscons, sans spécifier lequel, ça peut mieux convenir. Il faut sans aucun doute avoir ce tempérament pour s'intéresser en détail à des langues inventées au sein d'un monde imaginaire... Mais alors, toute personne ayant une passion singulière devient un "geek" et le mot se vide de son sens - car c'est une situation somme toute assez commune.
S'il s'agit de la récupération mercantile sous forme de mode ado ou post-ado, j'ai sans doute passé l'âge...
C'est une question d'actualité ? Dans ce cas, je dirai : "une escroquerie intellectuelle manipulée par des politicards malfaisants afin d'appliquer une très vieille stratégie : diviser pour régner."
Plus sérieusement, définir ces concepts hors contexte est suffisamment délicat philosophiquement pour que je ne m'y risque pas en quelques lignes. Je répondrai donc sur mon simple sentiment en fonction de mon rapport à l'oeuvre de Tolkien : de fait, je participe à une communauté qui partage une passion et des références spécifiques. Mais je n'irai certainement pas jusqu'à parler d'identité - il m'arrive de mettre cet intérêt en veilleuse sans me sentir mis en cause dans ma personne.
Le français.
Cordialement,
Bertrand Bellet

(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : Si vous avez étudié une langue étrangère : le fait d’étudier une langue étrangère vous a-t-il aidé dans l’étude de l’elfique ?
Pour situer : avant de commencer à m'intéresser aux langues de Tolkien, j'avais appris en classe l'allemand, l'anglais, et le latin ; j'avais aussi acquis quelques rudiments de grec ancien par intérêt personnel. Tolkien m'a conduit à apprendre des éléments de gallois et de vieil anglais, et a attisé un intérêt linguistique général.
Comme le soulignait Elendil, une bonne maîtrise de l'anglais est indispensable à une étude sérieuse des langues de Tolkien, car peu de ses sources sont disponibles en français, et les traductions existantes sont souvent entachées d'erreurs et de fautes de composition, du fait de l'extrême difficulté pour le traducteur et l'éditeur, en l'absence de contexte et de référence secondaire, de comprendre vraiment de quoi il retourne et de se rendre compte de possibles erreurs.
En dehors de cette simple question d'accès aux sources, la connaissance préalable de plusieurs langues m'a surtout fourni une culture linguistique préalable : par ex. je savais déjà ce qu'était une déclinaison, un augment, un redoublement (pour le quenya), un umlaut (pour le sindarin).
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 2 - Par rapport aux autres langues que vous avez-pu apprendre, quelles sont les points communs et les différences avec l’elfique ?
C'est avec l'apprentissage des langues anciennes que j'ai trouvé le plus de similarités, comme il s'agit de se familiariser avec une langue et une culture dans un but d'enrichissement personnel et non à des fins directement pratiques. (Non que cet aspect culturel soit inexistant dans l'apprentissage des langues vivantes, mais il est naturellement moins dominant.)
L'analogie est particulièrement nette pour le quenya, d'une part parce qu'il a ce rôle d'une langue ancienne au sein même de son monde imaginaire, et parce qu'il a des traits linguistiques communs (morphologie complexe, souplesse syntaxique, une certaines ressemblance phonétique).
Le sindarin m'a paru beaucoup plus déroutant. Ce sentiment s'est atténué quand mes horizons linguistiques se sont élargis, que j'ai appris quelques rudiments de gallois, l'inspiration principale du sindarin, et que j'ai fait connaissance de langues encore bien plus étranges dans leur fonctionnement... mais n'a pas entièrement disparu.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 3 - Pensez-vous que l’elfique peut être comparé à l’esperanto dans le domaine de langues inventées ? Pourquoi ?
Non. Les démarches de Zamenhof et de Tolkien n'ont strictement rien à voir.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 4 – En sociolinguistique, on parle de « langue blanche » pour désigner une langue qu’on ne parle pas forcément couramment mais qui a tout de même un impact, aussi minime soit-il ; pensez-vous que l’elfique agit comme une « langue blanche » sur vous ?
C'est plutôt l'allemand qui joue ce rôle chez moi ; je ne pratique pas activement (bien que je le lise sinon souvent, du moins régulièrement), mais il est très fréquent que je me pose inopinément la question : "comment dirais-je ceci en allemand ?".
Pour l'elfique, il faut que je sois au moment même de l'étudier pour que vienne cette question. Je dirais qu'il y a cependant une influence générale de Tolkien dans l'intérêt et le soin que je porte au langage - un trait que Tolkien attribue à ses elfes. Pour quelques mots, mon usage a été directement influencé : il s'agit en particulier de la paire de mots sindarins amdir / estel, traduits tous deux en anglais par "hope" ; mais amdir est l'attente positive du vraisemblable dans ce monde, et estel plus un sentiment de ferme confiance dans la providence. Le français a l'amorce d'une semblable distinction entre "espoir" et "espérance", mais elle est loin d'être aussi constante ; cependant, je la fais régulièrement dans mon propre usage, en y projetant les valeurs "elfiques". Ce n'est pas à vrai dire une élaboration personnelle, mais le résultat de longues discussions collectives lancées et élaborées par Yyr sur JRRVF (ici et là) et qui ont fait du chemin par la suite (par ex. reprise et critique par Michaël Devaux au colloque Tolkien de Rambures en 2008).
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 5 - Certains mots vous viennent-ils parfois en elfique ? Si oui, lesquels ?
Mordor me vient fréquemment à l'esprit quand j'arrive dans un endroit repoussant ou saccagé, et le plus souvent, c'est dans le métro parisien. Sans doute toutes ces galeries bondées et puantes me mettent-elles dans la peau d'un gobelin... Mais c'est plutôt une réminiscence narrative que linguistique, même si techniquement c'est un mot elfique. C'est équivalent à penser à l'Enfer.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 6 - Maintenant que les supports se sont multipliés (Internet, nombreux ouvrages), pensez-vous que davantage de gens s’intéresseront à l’elfique, ou à l’œuvre de Tolkien de manière plus générale ?
Sans doute pas : ouvrages et sites spécialisés s'adressent à des gens déjà passionnés. Ce qui a le plus de chances de refaire parler de Tolkien à moyen terme, ce sont les deux adaptations cinématographiques de Bilbo le hobbit. En supposant, bien entendu, que l'on se souvienne alors que c'est au départ un conte de Tolkien.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 7 - Combien de temps en moyenne consacrez-vous (ou avez-vous consacré) à l’étude de l’elfique ? (par jour, par semaine, par mois ?)
Cela fait une dizaine d'années que je m'y intéresse. Dans les premiers temps de la découverte, j'y consacrais facilement plusieurs soirs par semaine ; il m'est arrivé de passer des journées de loisir essentiellement dessus. Cela s'est naturellement tassé avec le temps, plus concentré autour de moments forts (vacances, publication importante, colloque) ; et j'ai traversé une longue période "sans" où je pouvais n'y pas toucher pendans des mois. Je m'y suis remis plus régulièrement depuis un an et demi environ, mais je ne dois guère y passer plus que quelques heures par mois.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 8 - Précisément, quelles difficultés avez-vous rencontré lorsque vous avez appris ces langues (points grammaticaux particuliers, alphabet…) ?
J'ai déjà traité cette question lors du premier questionnaire. La difficulté tient principalement en deux points :
1) les sources sont peu accessibles. Pratiquement : l'essentiel ne figure pas dans les écrits de Tolkien édités à grand tirage, mais dans des publications confidentielles - encore qu'il soit infiniment plus facile de se les procurer aujourd'hui avec Internet qu'il y a seulement quinze ans, du temps des fanzines et des courriers papier : des vétérans comme Hisweloke pourraient en témoigner. Mais surtout, intellectuellement : les sources sont principalement des brouillons et notes souvent arides, confus et obscurs car Tolkien ne les destinait pas à la publication
2) les conceptions que Tolkien se faisait de ses langues ont toujours été mouvantes au cours de sa vie, ce qui fait qu'il est difficile de s'en faire une image nette : il faut se représenter une structure connue par morceaux, qui évolue au cours du temps à la fois pendant la vie de l'auteur mais aussi dans le temps interne du monde imaginaire, puisque Tolkien imaginait ses langues de façon essentiellement diachronique.
C'est à cause de ces difficultés que la majorité des gens qui étudient l'elfique se limitent en fait à des néo-elfiques : c'est à dire des recréations éditées, simplifiées et régularisées avec plus ou moins de maîtrise de l'original de Tolkien, mais qui ne peuvent être celui-là même. C'est de toute façon ce dont il est besoin si l'on veut se servir effectivement de ces langues : car en leur état brut, elles ne s'y prêtent que dans de très étroites limites. La question est alors de bien garder à l'esprit la distinction entre l'original et la recréation, ce qui a été source de maints échanges houleux.
A côté de ces difficultés pratiques et conceptuelles, les difficultés grammaticales ne sont finalement pas bien lourdes, quoiqu'il faille sans aucun doute un certain bagage linguistique pour s'y retrouver. Quant aux écritures, leur seule difficulté est la variété des modes (sans entrer dans les détails : il n'y a pas de valeur fixe attachée à chaque caractère, elles leurs sont affectées selon un "mode" déterminé d'une part par la phonologie de la langue transcrite, et d'autre part par des correspondances usuelles entre relations phonologiques des phonèmes et relations graphiques des caractères) ; elles ne sont en aucun cas un obstacle à l'approche de la langue, car en pratique les écritures elfiques ne sont guère employés que dans un but esthétique ; quand on discute des langues, c'est toujours dans leur transcription romanisée.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 9. Quels conseils donneriez-vous à ceux qui voudraient l'apprendre ?
N'allez pas demander conseil aux Elfes, car leur réponse sera en même temps non et oui.
Blague à part (encore que la citation soit en un sens hautement appropriée), c'est plutôt un cadre explicatif général, des repères plutôt que des conseils, qu'il est utile de donner : pour savoir comment se présente le domaine, quelles sont les approches, et simplement... ce qu'on peut y faire. Savoir, par exemple, que l'elfique n'est guère "apprenable" sinon sous la forme de néo-elfiques qui ne sont pas de la plume de Tolkien. Ensuite... il n'y a guère d'autre conseil à donner que de suivre la règle de l'abbaye de Thélème.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 10 - Pensez-vous que l’elfique pourrait faire l’objet d’un apprentissage (même optionnel) dans l’enseignement supérieur ? (dans un cursus tel que Lettres Médiévales par exemple)
L'idée me semble saugrenue. Il s'agit d'un domaine bien trop confidentiel et, tout de même, restreint pour faire l'objet d'un enseignement formalisé. Ceux qui s'y intéressent ont-il vraiment besoin d'un cours ? Et qui serait qualifié pour le donner ?
En revanche, dans le cadre d'une étude littéraire de Tolkien, d'une étude sociologique sur les communautés de fans, d'une étude poétique sur les jeux de langage, il peut être pertinent d'en toucher un mot. De faire savoir que ça existe et que ça peut avoir une certaine importance pour le domaine étudié ; libre à l'étudiant ensuite d'y mettre ou non son nez.
De toute façon, la tendance actuelle dans l'enseignement supérieur est de tailler dans tout ce qui ne sert pas directement à alimenter la machine de production et de consommation. Alors, les langues inventées...
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 11 - Tirez-vous une satisfaction personnelle de votre étude de l’elfique ?
Cela fait bien dix ans que je m'y emploie, et je ne crois pas être spécialement masochiste. Encore que... même le masochiste trouve sa satisfaction - selon son goût.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 12 - Qu'est-ce que l’étude de l’elfique a changé en vous et que vous a t-elle apporté ?
Elle a essentiellement alimenté mon goût (déjà présent) pour les langues, m'a fait m'assimiler à un bon bagage en linguistique (notamment historique), et a affiné ma conscience des dimensions esthétiques et ludiques du langage. Peut-être paradoxalement, j'ai traduit des poèmes en néo-elfique avant d'en traduire en vers français. Sans doute parce qu'on est moins intimidé en se lançant dans quelque chose de "pas sérieux" - c'est une dimension essentielle du jeu.
Je dirais aussi qu'avoir une passion aussi "bizarre" est fort instructif quant à la façon d'assumer les aspects les plus singuliers de son personnalité. Savoir ensuite qu'il y a d'autres pour la partager (il a fallu que m'arrive Internet pour m'en rendre compte) est une expérience assez indescriptible.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 13 - L’étude de l’elfique vous a-t-elle ouvert les yeux sur d’autres domaines ?
Oui, sur la poésie. Je n'étais absolument pas amateur auparavant, et c'est en apprenant à jouer et sculpter le langage en elfique que j'y ai pris goût.
Plus généralement, Tolkien au delà de ses langues pousse ses lecteurs à explorer des domaines qu'ils n'auraient jamais touchés autrement. Je n'aurais peut-être jamais lu le Kalevala, les Mabinogion ou Béowulf sans cela, et je n'aurais vraisemblablement jamais appris le moindre mot de gallois ou de vieil anglais. Je n'aurais peut-être jamais pensé non plus que la fantaisie pouvait faire de la bonne littérature... D'autres expriment cela par la peinture, la musique, la reconstitution historique, les études médiévales... les formes en sont assez variées, mais c'est quelque chose qui me paraît assez typique chez les tolkiendili les plus actifs.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 14 - Si vous utilisez peu ou n’utilisez pas l’elfique, pourquoi prendre la peine de l’étudier ?
J'ai déjà répondu à cette question dans le premier questionnaire, lorsqu'il fut question des motivations. Il s'agit en premier lieu d'une immersion dans un monde imaginaire que l'on aime ; en second lieu, d'un défi intellectuel, du plaisir de découvrir "comment ça marche" ; et en dernier lieu, d'une façon de mieux comprendre Tolkien et son oeuvre, du fait de la place considérable qu'y prennent ses langues.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 15 - Pensez-vous mieux comprendre l’œuvre de Tolkien grâce à votre étude de ses langues ?
Peut-être pas de façon profonde : je ne suis pas convaincu qu'il y ait un thème essentiel qui ne soit perceptible autrement. En revanche, comprendre Tolkien dans le détail nécessite certainement une part d'approche linguistique, car ses langues et surtout l'onomastique qu'elle permettent de bâtir fondent une bonne partie de la consistance de son monde imaginaire. Les noms sont signifiants chez Tolkien, et si les plus importants sont expliqués en clair, beaucoup ne sont qu'en arrière-plan et ne révèlent leur sens qu'à l'étude ; celui-ci ne vient pas modifier la ligne générale, mais apportent de la profondeur. Je ferais volontiers une comparaison musicale : étudier Tolkien sans ses langues inventées, c'est comme écouter une composition polyphonique en ne suivant que les mélodies sans tenir compte de l'harmonie. Le sens y est, on se souvient de l'oeuvre, mais en passant à côté d'une dimension essentielle.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 16 - Avez-vous le sentiment d’appartenir à une communauté du fait d’apprendre l’elfique ou de vous intéresser à l’œuvre de Tolkien ?
De fait : sinon nous ne serions pas sur un forum en train d'en discuter. Et pour le cas plus particulier des langues, c'est encore plus sensible, car les gens concernés sur la durée restent peu nombreux et l'on finit par en connaître un bon nombre de nom, de style... et parfois de visu.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 17 - Comment décririez-vous la communauté des Tolkiendili ?
Diverse. Pas de meilleur mot qu'Elendil. La communauté se base sur un intérêt commun ; mais au delà de ça, il y a vraiment de tout, que ce soit par l'âge, les professions, les prédilections.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 18 - Provoquez-vous ou assistez-vous à des rencontres entre Tolkiendili (fans de l’univers de Tolkien) ?
Oui, les deux. J'entretiens depuis un certain nombre d'années un cercle de lecture autour de Tolkien (qui s'effiloche un peu mais se maintient encore). Je me suis rendu plus d'une fois à des manifestations où rencontrer des tolkiendili - celles-ci étant le plus souvent consacrées à la fantaisie et l'imaginaire en général, mais Tolkien y est presque incontournable. Il m'est également arrivé d'assister à des conférences dans un cadre universitaire.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 19 - Le fait d’apprendre l’elfique, ou plus largement de s’intéresser à l’univers de Tolkien et autres, a t-il eu une influence sur votre mode de vie, vos loisirs ?
Oui, mais surtout indirectement : en rejoignant une communauté de passionnés, à ce moment important qu'est l'arrivée à l'âge adulte, je me suis fait de nombreux amis, qui m'ont donné l'occasion de faire maintes découvertes - pas forcément liées à Tolkien.
A l'exception déjà citée de la découverte de la poésie, mes prédilections en matière de loisirs n'ont pas notablement changé. Mais elles ont été certainement infléchies : j'aimais déjà les langues, les mythologies et la littérature médiévale, mais je m'y suis encore bien plus plongé après avoir découvert la Terre du Milieu.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 20 - Quel regard portez-vous sur l’œuvre de Tolkien ?
Trop vaste question ! Il faut mettre un pluriel à ces regards. Je dirai au moins :
- l'enchantement : vous rentrez dans le monde imaginaire comme en un voyage, vous êtes pris et avez plaisir à y revenir encore et encore
- la profondeur : elle est le travail d'une vie, d'une longue fusion de multiples sources en un vaste ensemble cohérent. A la façon de la mythologie, elle aborde maintes questions fondamentales que maints lecteurs ont plaisir à discuter ensuite par le biais de la narration.
- la variété de styles : on a le conte léger et humoristique avec Bilbo le hobbit ; la saga implacable avec Les Enfants de Hurin ; la fresque mythologique puis historique avec le Silmarillion ; la quête et l'aventure dans Le Seigneur des anneaux...
- l'universalité : au-delà de la multiplicité des traductions, l'ouvre de Tolkien est remarquablement libre des contingences de l'époque et du pays de son auteur (fût-ce malgré lui-même). Sur un fondement culturel spécifique, elle recrée sa propre réalité et échappe à une temporalité précise. En se plaçant dans le monde du conte, Tolkien propose mais n'impose pas des choix de valeurs et d'interprétation à son lecteur (contrairement à son collègue et ami C. S. Lewis, par exemple) ; c'est un auteur profondément catholique (et se revendiquant tel) qui a pu être aimé par des hippies. Je gagerais volontiers qu'il sera encore lu et aimé dans un siècle (si nous ne nous sommes pas fait sauter d'ici là).
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 21 - Selon vous, comment expliquer le regain d’intérêt récent pour la littérature du style de Tolkien ?
J'attends qu'on me démontre qu'il y a réel un regain d'intérêt du public : le conte littéraire, la légende, le récit merveilleux ne sont pas spécialement des genres récents et il y a toujours dû avoir un fonds d'amateurs.
En fait, pour Tolkien, nous serions plutôt bien en période d'étiage, actuellement. Il y a eu un pic d'activité et de visibilité au moment de la "trilogie" de Peter Jackson, qui est complètement retombé depuis. Il y aurait même plutôt moins d'activité qu'avant, l'intensité du début des années 2000 ayant sans doute créé un effet de saturation.
En revanche, il me semble en effet que la visibilité de la fantaisie comme genre a sensiblement augmenté dans les dix dernières années, en tout cas en France. Il y a d'une part, un phénomène médiatique et commercial : il y a eu plusieurs sorties d'ouvrages et d'adaptation cinématographiques qui ont connu un certain, voire beaucoup de succès public, ce qui a attiré l'attention des médias et, peut-être, amené un regard plus nuancé sur la valeur artistique de la fantaisie, qui comme maints genres populaires tend à être relégué comme la littérature de bas-étage - ce n'est souvent pas faux, mais ne peut être généralisé. Il y a eu le même phénomène auparavant avec la science-fiction ou le roman policier.
Le singulier avec la fantaisie, c'est que malgré ses racines beaucoup plus anciennes (le récit merveilleux et le roman d'aventures), il paraît pourtant plus récent de la voir discutée chez nous comme genre digne d'intérêt. Il s'agit peut-être d'un manque de familiarité en France avec la fantaisie comme roman : les auteurs relativement connus sont essentiellement anglophones, et j'ai l'impression que la fantaisie en langue française s'est plus visiblement exprimée dans la bande dessinée. Il est vrai que le romancier français moderne aurait vergogne à s'abaisser à distraire en racontant une histoire : lui, c'est un monsieur sérieux, qui ne s'amuse pas à des balivernes. (Admettons que j'abuse un peu - celui que je viens de citer est une exception fort célébrée...)
Concernant plus spécifiquement Tolkien, il faut aussi se souvenir que longtemps, seule son oeuvre de fiction "définitive" était connue (Bilbo le hobbit, le Seigneur des Anneaux, le Silmarillion les Contes et Légendes Inachevés, et quelques petits contes séparés) : mais la traduction de l'Histoire de la Terre du Milieu, indispensable pour saisir la profondeur de sa création, n'a commencé qu'il y a une dizaine d'années. On ignorait largement aussi le Tolkien universitaire et les liens entre ses activités de philologue et d'écrivain ; cela commence à être plus perceptible grâce à la publication des Lettres, des Monstres et les Critiques, de La Légende de Sigurd et Gudrun. Il faut aussi souligner l'activité persévérante de plusieurs universitaires qui se sont attachés à le mieux faire connaître, tels que par exemple Vincent Ferré, Anne Besson, Michaël Devaux. Tout cela a dû jouer quant à sa reconnaissance dans le monde littéraire "savant".
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 22 - Selon vous, existe-t-il une culture elfique ? Si oui pouvez-vous la décrire ?
Au sein même du monde imaginaire, il existe plusieurs cultures elfiques, largement décrites dans le Silmarillion. Mais je gage que la question porte plutôt sur notre monde à nous ! Auquel cas je dirai : non. Il y a maintes gens qui pratiquent des loisirs inspirés de Tolkien, mais cela ne fait pas une culture : cela n'imprègne pas l'ensemble du quotidien à l'insu partiel de ses porteurs, mais se limite à des contextes précis. Peut-être pourrait-on parler en revanche de sub-culture, comme pour d'autres fictions, musiques, loisirs en général qui agrègent des communautés de passionnés ; mais ce serait une question à poser à un sociologue.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 23 - Dans quelle tranche de notre société vous situez-vous ?
Je suis documentaliste dans le domaine médical.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 24 - Vous décririez-vous comme « geek » ?
Le mot ayant été mis à toutes les sauces, il me semble indispensable de préciser de quoi il retourne.
S'il s'agit de parler du sens initial dans le domaine de l'informatique, certainement pas. Je n'ai d'intérêt que strictement utilitaire pour les ordinateurs, et les machines en général.
S'il s'agit de désigner par extension un comportement de passionné quelque peu obsessionnel sur un centre d'intérêt abscons, sans spécifier lequel, ça peut mieux convenir. Il faut sans aucun doute avoir ce tempérament pour s'intéresser en détail à des langues inventées au sein d'un monde imaginaire... Mais alors, toute personne ayant une passion singulière devient un "geek" et le mot se vide de son sens - car c'est une situation somme toute assez commune.
S'il s'agit de la récupération mercantile sous forme de mode ado ou post-ado, j'ai sans doute passé l'âge...
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 25 - Que vous évoquent les mots « communauté » et « identité » ?
C'est une question d'actualité ? Dans ce cas, je dirai : "une escroquerie intellectuelle manipulée par des politicards malfaisants afin d'appliquer une très vieille stratégie : diviser pour régner."
Plus sérieusement, définir ces concepts hors contexte est suffisamment délicat philosophiquement pour que je ne m'y risque pas en quelques lignes. Je répondrai donc sur mon simple sentiment en fonction de mon rapport à l'oeuvre de Tolkien : de fait, je participe à une communauté qui partage une passion et des références spécifiques. Mais je n'irai certainement pas jusqu'à parler d'identité - il m'arrive de mettre cet intérêt en veilleuse sans me sentir mis en cause dans ma personne.
(16.03.2011, 20:25)Alecto a écrit : 26 – Quelle est votre langue maternelle ?
Le français.
Cordialement,
Bertrand Bellet