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(25.10.2019, 02:49)Hyarion a écrit : Le sens de mon propos, c'est que l'étude des langues de Tolkien n'a selon moi d'intérêt ("général") qu'en ce qu'elle est mise en rapport avec l'œuvre littéraire (soit ce pourquoi Tolkien est lu), cette dernière ne devant pas, à cette aune, être subordonnée à la spécialité professionnelle universitaire de Tolkien et a fortiori à l'ultraspécialisation de certains tolkienologues.
Si la controverse me vise ( ), je tiens tout de même à préciser ici que je ne prétends pas subordonner l'une à l'autre, mais justement mettre l'une et l'autre sur le même plan. Mon hypothèse personnelle est que Tolkien continue à être autant lu et apprécié justement à cause du pan mythologique et linguistique de ses récits, qui dépassent largement le cadre du roman classique. C'est ce qui explique selon moi pourquoi son impact ne se ternit pas, contrairement à bien d'autres écrivains célèbres de fantasy, qui sombrent lentement, mais sûrement, dans l'oubli.
Et justement, si je conviens que Tolkien n'est pas seul dans son genre (encore moins seul tout court, mais je ne vais pas faire ici la liste de mes autres admirations littéraires, ce serait assez long), j'affirme quand même qu'il n'est objectivement pas « comme tant d'autres ». Chacun a bien sûr le droit absolu de préférer d'autres écrivains, ou d'en apprécier un grand nombre sans vouloir en mettre aucun au pinacle (et mettre Tolkien absolument seul au sommet de la littérature serait effectivement un genre d'idolâtrie littéraire auquel je ne souscris pas), mais son succès est quand même hors du commun. Pour moi, Tolkien a eu sur la fantasy le même genre d'influence que Chrétien de Troyes sur la matière de Bretagne, ce qui n'est pas peu dire. Pour ceux qui ne seraient pas convaincus par l'analogie, je leur donne rendez-vous dans cinquante ans pour en rediscuter.
(25.10.2019, 02:49)Hyarion a écrit : La philologie, à cette aune, devrait être considérée comme une spécificité, une originalité, mais non comme en soi un gage de qualité, et encore moins de supériorité.
Sur le plan littéraire pur, je te l'accorde bien volontiers. L'avis d'Edmund Wilson sur Tolkien en témoigne. Simplement, j'affirmerais avec Tolkien que la mythopoétique et la création des langues sont aussi des arts en eux-mêmes. Et dans cette mesure, la capacité à tisser étroitement les trois formes d'art en une seule tapisserie monumentale comme Tolkien l'a fait est clairement un gage de qualité à mes yeux. Si je le vois à part, c'est précisément parce que sa création dépasse pour moi la seule dimension littéraire. D'ailleurs, son activité d'illustrateur et de calligraphe en témoigne. Ça ne fait pas d'Herbert, par exemple, un écrivain moins remarquable, mais les langues chez Herbert ne sont qu'un prétexte pour donner plus de crédibilité à son univers. Malgré mon admiration pour le monde de Dune, qui m'a profondément marqué, j'ai été déçu de constater que chez Herbert, les langues et les livres fictifs cités n'avaient pas d'autre existence que les citations qui émaillaient le roman. En d'autres termes, qu'il ne s'agissait que d'un trompe-l'œil destiné à donner une illusion (assez réussie) de profondeur. À l'inverse, j'ai été fasciné de découvrir que chez Tolkien, c'était l'inverse : le SdA n'est en fin de compte que le splendide rideau de théâtre qui masque l'univers inventé.
Tout ce discours n'a toutefois pas pour but de prétendre que Tolkien serait la perfection dans tous les domaines, ni même qu'il serait indépassable. Mais j'y reviendrai une prochaine fois, car il est l'heure d'aller m'occuper de mes poules. :p
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je vois deux intitulés:
qu'aimez vous le moins et ce qui déplait le plus !
Ce que j'AIME le moins, c'est PJ. J'ai apprécié les films, surtout pour la mise en images des paysages, décors et costumes que mon imagination a eu la paresse de faire. Mais j'ai été incapable de revoir "Le Hobbit" qu'on m'a offert en dvd... C'est une porte d'entrée pour une nouvelle génération de lecteurs, avec qui on peu discuter.
Ce qui me déplait, eh bien j'ai fini par voter pour les formes de dévotion cultuelle. Je pense qu'elles existent, mais je ne les ai pas encore rencontrées de près.
Si Tolkien était encore vivant, le fait d'être français nous empêcherait peut être de nous rencontrer, mais ses écrits me suffisent amplement !
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(Modification du message : 25.10.2019, 10:35 par Mairon.)
Concernant Tolkien et les auteurs de fantasy : rien n'empêche d'égaler ou de dépasser Tolkien, par exemple en matière de construction d'un univers merveilleux détaillé et construit, bien au-delà de ce qui est simplement nécessaire pour donner un cadre ou une illusion historique à un roman ou à un cycle romanesque. Pour y procéder, il faut sans doute, cependant, avoir la passion de l'imagination, de l'invention, et la réaliser au moins comme hobby régulier pendant des années, voire des décennies.
Il ne s'agit pas non plus de considérer l'affaire en prenant Tolkien comme modèle ultime : je ne vais pas dire d'un auteur de fantasy, historien amateur ou professionnel, qui aura conçu une trame historique extrêmement développée comme cadre de sa fiction, qu'il est inférieur à Tolkien parce qu'il n'a pas, comme Tolkien, inventé dix langues. Chacun son ou ses domaine(s) de compétence et de prédilection.
Du reste, s'en tenir à l'illusion d'un univers fourni, former une impression de profondeur alors qu'en fait l'univers inventé n'est que brossé à grand trait, ce n'est pas un problème. On peut écrire un roman ou un cycle diablement efficace en s'en tenant à cela.
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31.10.2019, 00:22
(Modification du message : 31.10.2019, 00:23 par Elboron.)
Merci Hofnarr d'avoir mis plusieurs choix dans le sondage. Pas évident de choisir, Hyarion a écrit beaucoup de choses intéressantes.
Ce que j'aime le moins mais ce n'est pas grand chose est son côté anglais ou plutôt trop anglais peut être, notamment une sorte de dédain (j'exagère) à l'égard de la France. Cela m'a toujours un peu gêné probablement en raison d'un léger chauvinisme qui peut arriver chez tout le monde. Son côté un peu moralisateur également que je percevais dans les lettres me gênait, je ne suis pas sûr que j'aurais été ami avec Tolkien. Pour sa défense, il a toutefois vécu dans une période très difficile (les deux guerres notamment) où la morale était tout autre que celle d'aujourd'hui.
J'ai mis la dévotion culturelle autour de Tolkien également même si je ne suis pas sûr de bien percevoir de quoi il s'agit exactement. Je l'ai compris comme une sorte de sacralisation de son œuvre, un peu comme si on sacralisait l'histoire d'un pays et que personne n'aurait le droit d'y toucher, de se l'approprier à moins de passer par une sorte de clergé. Bien évidemment, la dévotion culturelle concernerait une minorité. L'université en France ne l'a heureusement pas encore rangé au panthéon avec Flaubert, Zola, Proust... sinon la dévotion serait encore plus forte. Tolkien, du côté de chez Sam à l'ombre des Ents en fleur.
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D'un point de vue personnel, mettre "Christopher Tolkien" dans la liste me paraît déplacé (même après avoir lu les intéressants commentaires de Hyarion ci-avant).
Ce que j'aime le moins chez J.R.R. Tolkien (et qui ne figure pas dans la liste), c'est une sorte de "mesquinerie" (je ne sais pas comment l'appeler autrement) qui ressort de certaines de ses lettres.
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(31.10.2019, 15:49)Simon a écrit : D'un point de vue personnel, mettre "Christopher Tolkien" dans la liste me paraît déplacé (même après avoir lu les intéressants commentaires de Hyarion ci-avant).
Ce que j'aime le moins chez J.R.R. Tolkien (et qui ne figure pas dans la liste), c'est une sorte de "mesquinerie" (je ne sais pas comment l'appeler autrement) qui ressort de certaines de ses lettres.
Pour moi, "Christopher Tolkien" est au contraire un aspect déterminant de l’œuvre. Certes, c'est grâce à lui que nous a été révélé toute la grandeur et l'immensité du légendaire ; et il a édité des textes auxquels personne d'autre n'aurait réellement pu s'atteler.
Cependant, son choix d'édition après le Silmarillion, particulièrement respectueux de toutes les variantes, de toutes les strates d'écriture, s'il est infiniment satisfaisant pour une perspective de recherche, a néanmoins l'inconvénient majeur de réserver ces textes à un lectorat extrêmement restreint et privilégié. Les EdH vont à l'encontre de cette tendance, mais les plus accessibles volumes parus récemment pour les deux autres Contes auront du mal à se tailler une place, à mon avis.
Il y a aussi ses commentaires qui étouffent un peu le texte parfois ; et cette manie agaçante de "couper" parfois arbitrairement (certaines longueurs dans le Conte Perdu du Soleil et de la Lune, par exemple), ce qui oblige à reconstruire les passages manquants à partir de ces indications cryptiques ("ici il y a un passage qui est le même, mis à part tels et tels changements onomastiques, que dans le manuscrit B4 partiellement publié dans le volume 3 alors je ne le reproduis pas ici"). C'est assez insupportable et on aurait aimé pouvoir avoir l'expérience de lecture la plus "complète" possible (oui, oui, des HoME encore plus gros!).
Comme Christopher Tolkien est l'éditeur principal, sinon unique, de tout un pan considérable du légendaire, ne pas le considérer comme une composante essentielle de l'œuvre tolkienienne susceptible d'être appréciée et critiquée en tant que telle me paraît, au contraire, impossible !
Quant à la "mesquinerie" de Tolkien, je serais très curieux d'en lire plus à ce sujet !
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Je n'ai jamais détaillé mes propres choix (alors que j'invite tout le monde à le faire et que je me réjouis chaque fois que quelqu'un s'y attelle!).
* La représentation des femmes et des races dans l'œuvre de Tolkien
Certes, Tolkien n'est pas misogyne ; et son racisme ne me semble pouvoir appartenir que du domaine de l'hypothèse (même si je pense à titre personnel qu'on a plus d'éléments qui la corroborent que d'éléments qui l'infirment). Il n'empêche : les femmes, dans l'œuvre de Tolkien, occupent soit une position quasi hiératique (c'est le cas de Melian, de Galadriel), soit ne sont que des faire-valoir (Rosie, Arwen, Finduilas, Idril). Elles sont souvent 'parfaites' au sens où il n'y a guère de personnages féminins négatifs (avec des exceptions comme Miriel, Morwen, Erendis et Beruthiel, chacune à sa façon, et qui constituent, surtout pour Morwen, des personnages féminins un peu intéressants). Deux exceptions me viennent en tête : Eowyn, qui à mon avis est un très mauvais contre-exemple puisque, si elle se lance dans la bataille, ce n'est pas par courage, mais parce que quelque chose est cassé chez elle qui la pousse à partir au-devant de la mort, et quand cette ombre sera levée, elle se rangera bien tranquillement à son rôle d'épouse ; et Tinuviel.
J'ai déjà soutenu plus haut que le Hobbit et le Seigneur des Anneaux met finalement en scène des "clubs" masculins (le Conseil d'Elrond, la Fraternité, la Compagnie de Thorin) où les femmes n'ont simplement pas leur place.
* Le culte rendu à Tolkien
En tant qu'iconoclaste compulsif, cette tendance à sacraliser Tolkien, à considérer qu'il ne faut pas entacher son œuvre avec des adaptations, que le moindre de ses brouillons a un intérêt littéraire (par exemple, quel intérêt a The Story of Kullervo, sinon pour la recherche ? Pour moi, aucun, même si j'utilise ce livre à titre de "matériel d'étude".), m'est assez insupportable.
* Les langues inventées
Ici, je vais y aller franchement : je n'aime pas l'approche qu'a Tolkien des langues, tout simplement. Pour dire les choses de manière un peu caricaturale, il en a une approche assez globalement grammairienne. Pour lui, apprendre une langue, c'est emprunter une grammaire à la bibliothèque, et apprendre par cœur des mots, des déclinaisons, des règles syntaxiques, etc. Quand il crée une langue, il cherche grosso modo à faire la même chose. C'est une approche des langues qui, là encore dit sans ambages, ne m'intéresse pas. Ce que j'aime, dans les langues, c'est ce qu'elles ont de glissant, d'inexplicable, ces structures qui, quand on les considère attentivement, ne devraient pas avoir de sens, et pourtant sont utilisée quotidiennement ; bref, c'est tout ce qui ne fait pas système, tout ce qui dont d'elles une entité fluide, mouvante, et forcément un peu informe. Ce n'est pas cet aspect qui intéresse Tolkien au premier chef, vraisemblablement.
Après, je ne me suis plongé dans les centaines d'écrits linguistiques extrêmement techniques et détaillés, et sans doute, un passionné des langues de Tolkien trouvera trop facilement matière à me contredire. Il n'empêche : pour moi, l'approche des langues n'a pas à prendre cet aspect extrêmement fouillé, précis, détaillé et technique. C'est dans ma vision des choses contraire à ce qui fait la vie, le ressort d'une langue.
Ensuite, je suis d'accord avec Tikidiki pour dire qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre les affirmations de Tolkien comme quoi il écrit une "mythologie pour ses langues". C'est, disons, ce qu'il aime bien croire et bien dire. Y souscrire intégralement, c'est à mon avis faire preuve d'un peu de cette dévotion cultuelle que j'évoquais plus haut. Les motifs narratifs et mythologiques sont dérivés d'un corps de légendes préexistant au légendaire au tolkienien, par exemple, et il les articule en un tout nouveau, puissant et cohérent. Par ailleurs, le dessin, et donc la puissance de visualisation singulière de Tolkien, ainsi que la poésie, préparent à mon avis bien mieux les récits du légendaire que ne le fait le lexique Qenya de 1915. Quant au Seigneur des Anneaux, l'écart avec la langue me paraît encore plus important.
Certes, il y a l'onomastique. Mais si associer quelques syllabes de manière un peu régulière ("dor" = pays, "mor" = noir, "annon" = porte), par exemple, est plaisant, d'autant plus que ce n'est nulle part explicité ce qui ménage la satisfaction de les retrouver, cela ne constitue pas l'assise du roman. Si les auteurs de fantasy ultérieurs ont utilisé des noms fantoches comme Faêrun ou Glorantha, c'est bien parce que, pour la plupart des lecteurs de Tolkien, les noms n'ont guère plus qu'un effet phonesthétique, qu'on peut reproduire de manière un peu hasardeuse et avec plus ou moins de succès.
Enfin, Tolkien joue certes, à l'occasion, avec les langues ; mais à l'occasion seulement. Leur rôle narratif est marginal. Il n'hésite pas ainsi à faire usage d'un "westron" bien commode, un peu comme le "Basic" dans Star Wars, qui évite d'avoir à se frotter aux problèmes de l'inter-communication. Donc, j'aurais tendance à minimiser l'importance des langues de Tolkien en tant que composante cruciale de ses récits.
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(03.11.2019, 01:22)Hofnarr Felder a écrit : Quand il crée une langue, il cherche grosso modo à faire la même chose.
Pas vraiment. Tolkien part systématiquement de la phonologie historique. Certes, il poursuit ensuite bien souvent en suivant les méthodes des grammaires historiques, mais cela reste le meilleur, sinon le seul moyen de décrire une langue de manière systématique, ce qui était son but pour le quenya et le sindarin. On peut aimer ou non son approche, incontestablement, mais ce n'est pas tout à fait celle que tu décris, même si elle s'inscrit clairement dans une vision classique de la description des langues (et en même temps, je serais bien curieux de savoir quelles méthodes modernes permettent le même détail de description en adoptant une stratégie descriptive différente).
Il faut aussi noter qu'il procède de manière beaucoup plus, disons, impressionniste, quand il veut créer une langue qui n'aura pas à être systématiquement sollicitée pour écrire des textes suivis.
(03.11.2019, 01:22)Hofnarr Felder a écrit : Ce que j'aime, dans les langues, c'est ce qu'elles ont de glissant, d'inexplicable, ces structures qui, quand on les considère attentivement, ne devraient pas avoir de sens, et pourtant sont utilisée quotidiennement ; bref, c'est tout ce qui ne fait pas système, tout ce qui dont d'elles une entité fluide, mouvante, et forcément un peu informe. Ce n'est pas cet aspect qui intéresse Tolkien au premier chef, vraisemblablement.
J'ai le regret de devoir à nouveau exprimer mon désaccord. Pour le quenya, le nombre de cas de ce genre auquel Tolkien consacre son attention est positivement énorme. Mais pour le coup, il agit suivant son inspiration dans des notes linguistiques qui ne font pas système, ce qui fait qu'elles sont publiées dans les recoins les plus obscurs de PE et VT. Je renvoie tout de même aux « Notes sur Óre » pour un exemple bien connu de son goût pour cet axe de réflexion.
(03.11.2019, 01:22)Hofnarr Felder a écrit : Il n'empêche : pour moi, l'approche des langues n'a pas à prendre cet aspect extrêmement fouillé, précis, détaillé et technique. C'est dans ma vision des choses contraire à ce qui fait la vie, le ressort d'une langue.
J'entends bien, mais à titre personnel, je ne vois guère de comparaison possible entre l'étude ou l'enseignement d'une langue, qui peut débuter par une pratique simple n'entrant pas dans les subtilités de la grammaire, et l'invention ab nihilo d'une langue complète, qui nécessite forcément d'appréhender simultanément tous les aspects de la langue, y compris les plus techniques, pour lui donner le caractère voulu par son inventeur.
(03.11.2019, 01:22)Hofnarr Felder a écrit : Si les auteurs de fantasy ultérieurs ont utilisé des noms fantoches comme Faêrun ou Glorantha, c'est bien parce que, pour la plupart des lecteurs de Tolkien, les noms n'ont guère plus qu'un effet phonesthétique, qu'on peut reproduire de manière un peu hasardeuse et avec plus ou moins de succès.
J'ajouterais alors que les lecteurs-imitateurs de Tolkien (qui ne représentent pas forcément la majorité des lecteurs de Tolkien, contrairement à ce que tu laisses entendre) ont aussi considéré qu'on pouvait réduire un récit de fantasy à une narration du type porte-monstre-trésor, qu'on pouvait reproduire de manière mécanique. Dans l'immense majorité des cas, l'échec littéraire et linguistique est patent, quand bien même ces auteurs ont eu leur heure de gloire. Je donne volontiers rendez-vous dans cinquante ans aux sceptiques : on verra quels auteurs de fantasy sont encore lus.
(03.11.2019, 01:22)Hofnarr Felder a écrit : Enfin, Tolkien joue certes, à l'occasion, avec les langues ; mais à l'occasion seulement. Leur rôle narratif est marginal. Il n'hésite pas ainsi à faire usage d'un "westron" bien commode, un peu comme le "Basic" dans Star Wars, qui évite d'avoir à se frotter aux problèmes de l'inter-communication. Donc, j'aurais tendance à minimiser l'importance des langues de Tolkien en tant que composante cruciale de ses récits.
Nous n'avons pas dû lire le même SdA. J'ai un souvenir bien clair de ma première lecture, où j'avais été fasciné de voir le nombre d'occasions où Tolkien jouait avec l'incompréhension du lecteur ou des protagonistes à cause d'une question de langue. Pour ne citer que le premier volume et que les questions d'inter-communication manifestes on peut au moins compter la rencontre avec Gildor, l'épisode de la Salle du Feu, le portail de la Moria, l'entrée en Lórien et la complainte de Galadriel. Soit presque toutes les rencontres importantes impliquant le dialogue, hormis celles de Tom Bombadil et de Bree.
Sans oublier que Tolkien a précisé qu'il avait évité de mettre trop de passages dans d'autres langues par peur de désorienter le lecteur. Et cette affirmation est corroborée par plusieurs passages des brouillons, comme les premières versions de l'arrivée à Edoras, où Tolkien envisageait d'insérer un très long passage en vieil anglais, ou l'épilogue prévu pour le SdA, qui devait comporter une reproduction de la Lettre du Roi.
Alors, certes, ce n'est pas un livre entièrement bâti dans le seul but d'utiliser des langues inventées, comme peut l'être Ward, de Frédéric Werst, mais je serais là encore curieux que tu m'indiques quels auteurs de romans auraient selon toi plus mis l'accent sur les langues inventées que Tolkien.
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Je te remercie, Elendil, pour ces retours très intéressants et qui apportent beaucoup à la conversation.
Il y a une difficulté intrinsèque à la critique, qui est que, quand quelque chose nous rebute, ou ne nous intéresse pas, on est forcément amené à moins la connaître que ceux qui en sont férus. Tenter d'aller outre cette impression subjective et de l'approfondir en examinant plus attentivement la matière s'expose au risque d'une contradiction systématique de ceux qui connaissent. Et en effet, pour tous les points que je pourrais soulever, il serait facile de noter telle approximation, tel raccourci, voire d'apporter tel contre-exemple ; et c'est intéressant. Mais, comme nous sommes dans le cadre d'un sondage et donc d'un échange d'opinions, je m'en garde à ma position sans trop chercher à l'étayer par l'examen d'un sujet qui, précisément, n'est pas le moins du monde à mon goût.
Pour aller plus loin que ces remarques d'ordre général pas très constructives, je dirai qu'aujourd'hui, dans certaines écoles de linguistique du moins, la description d'une langue ne cherche plus à être intégrale et exhaustive, et qu'on essaie au contraire d'étudier la langue comme un phénomène, dont on ne maîtrise pas forcément les logiques et qu'on ne saurait réduire entièrement à une description systémique. C'est l'esprit de la "grammaire des constructions" qui consiste à dire qu'il n'y a pas de syntaxe ou de lexique, mais un vaste inventaire de constructions qui se combinent et s'imbriquent. Cette approche est beaucoup plus fluide et flexible, mais elle interdit la description d'une langue de manière complète et exhaustive. Dans cette optique, la langue ne peut en fait se comprendre qu'à travers l'étude des faits de langue -c'est-à-dire des corpus oraux ou littéraires.
Du point de vue sémantique, certains linguistes considèrent que le sens des mots doit se comprendre "en contexte", c'est-à-dire à travers la multiplicité de ses situations d'usage. C'est en particulier la position d'Anna Wierzbicka dont j'admire particulièrement les travaux. D'ailleurs, elle considère que culture et langue sont intimement liées et a beaucoup écrit sur le sujet, avec notamment l'idée qu'on ne peut comprendre une culture qu'à travers les mots qu'elle emploie principalement et le sens qu'elle leur donne.
Évidemment, on peut facilement me répondre que ces approches ne donnent pas une clef, une méthode pour inventer une langue -qu'elles nécessitent au contraire de pouvoir s'appuyer sur la langue pour en faire sens. En ce sens elles contrastent assez fortement avec les approches génératives, d'après lesquelles la langue peut se déduire de principes de grammaire d'une part, d'un lexique de l'autre : un traité de grammaire et un dictionnaire suffisent a priori pour connaître une langue. Il me semble raisonnable de soutenir que, des deux tendances, Tolkien se rapproche nettement plus de la dernière, ne serait-ce que dans l'approche qu'il avait, lui, des langues vivantes.
Je n'ai aucune idée de la manière dont il faudrait procéder pour inventer une langue en partant des principes de la grammaire des constructions. Je crois en fait que celle-ci proscrit la possibilité d'inventer une langue ; ou alors par itérations, par une pratique laissée libre autant que possible, et si possible une pratique partagée, qui ne s'arrête pas à un seul individu qui juge de la correction ou non de telle ou telle forme. C'est pourtant bel et bien le cas avec les langues elfiques : on ne peut pas parler elfique car en-dehors des limites tracées par Tolkien, on ne sait pas ce qui est conforme ou non. En ce sens les langues inventées de Tolkien sont des langues mortes, réservées à un jeu d'érudition, condamnées à un statut figé et parcellaire, et qui n'ont pas, je réemploie le même terme que précédemment, de ressort propre. Je suis cependant curieux des tentatives d'écrire en quenya ; ta traduction des Psaumes, Elendil, me paraît par exemple une approche intéressante et féconde, propre à me faire changer d'avis.
Un dernier point : je ne pense pas que les langues inventées soient condamnées à une telle stérilité. L'esperanto est pour moi un contre-exemple heureux et bienvenu, car il s'est développé de manière relativement libre, donnant lieu à une production littéraire, musicale, etc., qui dépasse ses possibilités d'usage initiales. En règle générale, je m'intéresse trop peu aux langues inventées pour soutenir un long débat sur la question, et je ne sais pas si d'autres langues, comme par exemple le klingon, ont aussi su dépasser le carcan de l'esprit de leur créateur.
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04.11.2019, 11:36
(Modification du message : 04.11.2019, 11:44 par Mairon.)
Du côté des langues, il ne faut pas oublier un texte comme The Notion Club Papers, certes abandonné, mais qui est fort intéressant du côté du lien entre création linguistique et création littéraire.
Citation :En tant qu'iconoclaste compulsif, cette tendance à sacraliser Tolkien, à considérer qu'il ne faut pas entacher son œuvre avec des adaptations, que le moindre de ses brouillons a un intérêt littéraire (par exemple, quel intérêt a The Story of Kullervo, sinon pour la recherche ? Pour moi, aucun, même si j'utilise ce livre à titre de "matériel d'étude".), m'est assez insupportable.
Je trouve que ce texte a un intérêt littéraire. Il faut distinguer "avoir un intérêt littéraire" et "être un chef-d'oeuvre". La sacralisation a lieu dans le second cas. En outre, tous les brouillons de Tolkien ne sont pas édités selon la même intention et n'ont pas la même portée. Certains sont surtout intéressants dans la perspective d'une approche génétique de l'imaginaire d'Arda. Des notes griffonnées rapidement sur les Istari ne font pas oeuvre littéraire, mais sont intéressantes pour qui veut comprendre l'invention de ce monde et sa portée.
Concernant les adaptations, je suis un semi-puriste. Je ne dis pas non à des adaptations, mais je voudrais qu'elles respectent suffisamment l'esprit de l'oeuvre.
Du côté des langues inventées, je ne comprends pas tout à fait la critique, dans la mesure où l'intention de Tolkien n'était pas de construire des langues de communication courante. L'esperanto est une langue inventée, certes, mais dont la visée primordiale est de fournir un outil de communication universel.
Du reste, tout dépend de la perception qu'on a de l'oeuvre. Elle n'est pas forcée de correspondre à celle de l'auteur, loin de là, et on peut aimer le Seigneur des Anneaux, le Silmarillion ou autre sans se pencher sur les langues et sans goûter aux bribes de vieil anglais. Cependant, Tolkien lui-même, c'est quelqu'un qui au soir de sa vie a écrit The Shibboleth of Fëanor, ou qui voulait résoudre le problème du nom Elros (et autres), et ça, ce n'est pas contestable...
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(04.11.2019, 00:37)Hofnarr Felder a écrit : Je te remercie, Elendil, pour ces retours très intéressants et qui apportent beaucoup à la conversation.
Il y a une difficulté intrinsèque à la critique, qui est que, quand quelque chose nous rebute, ou ne nous intéresse pas, on est forcément amené à moins la connaître que ceux qui en sont férus.
Tant mieux que mes réponses t'aient au moins un peu intéressé. C'était le but. Je souscris très volontiers à ton commentaire sur le lien entre l'attrait -disons - instinctif pour un sujet et l'appétence intellectuelle à approfondir les questions afférentes, qui conduit à moins bien connaître les sujets vers lesquels on est peu attiré. C'est assez inévitable, je pense, même pour ceux qui s'efforcent de garder l'esprit ouvert.
(04.11.2019, 00:37)Hofnarr Felder a écrit : C'est l'esprit de la "grammaire des constructions" qui consiste à dire qu'il n'y a pas de syntaxe ou de lexique, mais un vaste inventaire de constructions qui se combinent et s'imbriquent. Cette approche est beaucoup plus fluide et flexible, mais elle interdit la description d'une langue de manière complète et exhaustive. Dans cette optique, la langue ne peut en fait se comprendre qu'à travers l'étude des faits de langue -c'est-à-dire des corpus oraux ou littéraires.
De fait, il est difficile d'avoir une description complètement exhaustive d'une langue, c'est assez évident. Je ne connaissais pas le terme de "grammaire des constructions", mais je vois le type d'approches qui s'y rapporte. Je dirais que c'est une idée intéressante, mais que cela ne peut fonctionner que sur les langues vivantes (et vivantes à l'oral) pour lesquelles on dispose déjà de descriptions précises à vocation normative. Pour les langues mortes, on aura plutôt tendance à parler des spécificités de tel ou tel auteur, faute de savoir précisément s'il s'agissait d'un usage purement individuel et littéraire ou s'il adoptait des tournures dialectales possiblement répandues à son époque.
Au demeurant, je ne défendrais pas la norme comme horizon indépassable, mais plutôt comme modèle de base qui permet ensuite de s'essayer à des approches plus subtiles et sans doute plus subjectives (en d'autres termes, il faut d'abord construire avant de vouloir déconstruire). Et j'aurais tendance à dire que Tolkien est très conscient de cela, puisqu'il donne rarement une correspondance mot à mot, mais cerne chaque mot elfique avec une précision variable et parfois de longues définitions lorsqu'il s'efforce de bâtir un concept manifestement non-humain dans le cadre de son Légendaire. Il lui arrive aussi assez fréquemment d'utiliser un mot dans un poème de manière assez différente des définitions qu'il avait posées.
(04.11.2019, 00:37)Hofnarr Felder a écrit : Du point de vue sémantique, certains linguistes considèrent que le sens des mots doit se comprendre "en contexte", c'est-à-dire à travers la multiplicité de ses situations d'usage. C'est en particulier la position d'Anna Wierzbicka dont j'admire particulièrement les travaux. D'ailleurs, elle considère que culture et langue sont intimement liées et a beaucoup écrit sur le sujet, avec notamment l'idée qu'on ne peut comprendre une culture qu'à travers les mots qu'elle emploie principalement et le sens qu'elle leur donne.
Je ne considère pas que ce soit une orientation nouvelle, puisque Saussure envisageait déjà ces idées, qui ont maintes fois été explorées par les spécialistes de la sémiologie européenne, notamment Benveniste, Greimas et Eco, dans des perspectives assez différentes. Là encore, je pense que ce n'est pas un hasard si Tolkien mettait en correspondance mythologie et langage, et s'il a exploré les spécificités de ses sociétés elfiques (en fait, surtout la société des Ñoldor) au travers de réflexions linguistiques. C'est pour moi un des aspects qui fait justement la richesse de son oeuvre, sur un plan qui n'est plus vraiment littéraire. Peut-être en revanche est-ce un aspect qui a été assez peu étudié par les spécialistes des langues elfiques.
(04.11.2019, 00:37)Hofnarr Felder a écrit : Il me semble raisonnable de soutenir que, des deux tendances, Tolkien se rapproche nettement plus de la dernière, ne serait-ce que dans l'approche qu'il avait, lui, des langues vivantes.
Sur ce point par contre, je me demande ce qui te fait dire cela, parce que ce n'est pas vraiment mon impression, du moins si je mets en regard les nombreux commentaires de Tolkien sur l'étude de l'anglo-saxon, du norrois ou même du gallois.
(04.11.2019, 00:37)Hofnarr Felder a écrit : Je crois en fait que celle-ci proscrit la possibilité d'inventer une langue ; ou alors par itérations, par une pratique laissée libre autant que possible, et si possible une pratique partagée, qui ne s'arrête pas à un seul individu qui juge de la correction ou non de telle ou telle forme.
Je dirais que l'itération est précisément la méthode d'invention tolkienienne par excellence, mais en effet, il s'agit d'une itération qui se voulait strictement individuelle.
Certes, comme tu le soulignes, il y aura toujours une différence perçue entre l'elfique tolkienien et les langues qu'on appelle néo-elfiques, mais c'est un peu le même type de différences qu'on peut observer entre le latin classique, enseigné comme base, et les différents dialectes latins dont on a conservé des traces, sans parler du latin que certains continuent à employer comme langue vivante à l'oral ou à l'écrit. Et c'est une différence qu'on peut aussi percevoir entre le statut de l'oeuvre littéraire de Tolkien et des différentes adaptations dont elle a fait l'objet.
Toutefois, cette question dépasse très largement la question de la méthodologie et de la présentation des langues inventées par Tolkien pour aborder un sujet bien plus complexe, à savoir l'attitude à avoir vis-à-vis des œuvres d'art et la façon dont elles peuvent constituer un héritage culturel : conservation, imitation, prolongation, détournement, etc. Sujet rendu d'autant plus complexe par l'invention relativement récente du concept des droits d'auteur.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland
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04.11.2019, 12:08
(Modification du message : 04.11.2019, 12:22 par Mairon.)
Concernant le Weston, Tolkien l'a abordé en linguiste, en brossant largement les liens avec les autres langues, et en inventant un système de correspondance bien pensé (d'où le vieil anglais pour rendre la langue du Rohan). Donc on n'est pas dans la situation d'un simple prétexte comme le basic de Star Wars, c'est plus élaboré.
Il me semble difficile de placer sur le même plan le lien entre quenya vs néo-quenya et latin classique vs néo-latin.
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27.09.2023, 16:30
(Modification du message : 27.09.2023, 20:33 par dcp.)
Bonjour,
Je réveille ce fuseau à propos de la francophobie de JRRT qui a été évoquée plus haut (cela sort peut-être du sondage, mais je n'ose créer un nouveau fil avec un tel sujet potentiellement polémique). Je suis tombé sur le document ci-dessous que je partage avec vous. J'y ai trouvé un éclairage intéressant sur les traces de la France (au sens le plus large: histoire médiévale, langue française, cuisine ...) dans le SdA.
French Connections in Middle-earth: The Medieval Legacy : article de Paul J. Smith issu de "Tolkien among Scholars a publication of Tolkien Society Unquendor" pp119 : https://scholarlypublications.universite...1887/75828 (lien direct : https://scholarlypublications.universite...40092/view)
Même s'il confirme, à mon grand désarroi, que JRRT ne portait pas la France et/ou les français dans son cœur, ce document apporte nombre d'informations que j'ignorais totalement. Le document relève entre autre :
- que Tolkien semble réserver l'usage des mots d'origine vieux-français à des personnages tels que Saruman ou Gollum,
- que des correspondances entre la "Chanson de Roland" et certains passages du SdA peuvent être établis :
- Boromir et Roland
- Theoden et Charlemagne (et dans la continuité Grima et Ganelon)
- de possibles parallèles avec Chrétien de Troyes.
- ...
Si vous avez d'autres sources sur ce sujet, je serai ravi de pouvoir les lire.
Denis
PS : je n'ai pas trouvé trace de cette publication sur le Forum. J'espère donc ne pas faire répétition ni contrevenir aux règles du forum.
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