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Doutes
#1
Quand je lis l'oeuvre posthume de JRR Tolkien, je ne peux m'empêcher d'avoir des doutes sur le travail de son fils. Et si ce qu'il a fait n'était pas ce que son père aurait imaginé ?
Je ne pense pas être le premier à me poser la question.
Je tiens à préciser que je ne dénigre pas l'immensité du travail de Christopher Tolkien, au contraire, mais j'aurai aimé voir ce que ça aurait rendu si le Professeur l'avait fait lui même.
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#2
Eh bien, je pense que, nécessairement, ces œuvres posthumes ne correspondent pas aux intentions de Tolkien ; autrement il aurait tenté de les publier lui-même. S'il ne l'a pas fait, c'est qu'il n'est pas parvenu à donner une forme à ces écrits qui le laisse entièrement satisfait.

En revanche, je m'interroge : il est dit dans les Lettres que Tolkien a essayé de publier, avec le Seigneur des Anneaux, une version des Contes. Il devait donc s'agir d'une version achevée (qu'il allait être amené à remanier plus tard, évidemment, mais tout de même) et je ne sais pas si les HoME nous donnent accès à cette version, si d'ailleurs elle existe vraiment. Ici, j'espère que les spécialistes pourront apporter leur éclairage...

Cependant, je rejoins tes doutes concernant d'autres travaux, comme la traduction par Tolkien de Beowulf, qui n'était rien de plus qu'un document de cours, et qui se trouve désormais érigée en œuvre, j'estime tout à fait à tort. Je ne pense pas que cela soit pertinent, même si les commentaires qui l'accompagnent sont remarquablement intéressants.
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#3
(19.11.2016, 23:04)Hofnarr Felder a écrit : En revanche, je m'interroge : il est dit dans les Lettres que Tolkien a essayé de publier, avec le Seigneur des Anneaux, une version des Contes. Il devait donc s'agir d'une version achevée (qu'il allait être amené à remanier plus tard, évidemment, mais tout de même) et je ne sais pas si les HoME nous donnent accès à cette version, si d'ailleurs elle existe vraiment. Ici, j'espère que les spécialistes pourront apporter leur éclairage...
Il s'agit de la Quenta Silmarillion publié dans la Route Perdue. Tolkien a aussi soumis la Route Perdue, ainsi que le Lai de Leithian à l'éditeur, sous la forme publiée par son fils.

(19.11.2016, 23:04)Hofnarr Felder a écrit : Cependant, je rejoins tes doutes concernant d'autres travaux, comme la traduction par Tolkien de Beowulf, qui n'était rien de plus qu'un document de cours, et qui se trouve désormais érigée en œuvre, j'estime tout à fait à tort. Je ne pense pas que cela soit pertinent, même si les commentaires qui l'accompagnent sont remarquablement intéressants.

Il y a deux choses, la traduction elle-même et les morceaux de cours. Vu la qualité de la traduction, il est probable qu'il envisageait de la publier à terme, sans doute à destination des étudiants (cf. la critique de Drout à ce sujet) :

Citation :Tolkien n’incorpore pas beaucoup de sa propre interprétation, mais présente plutôt ce qu’était, au cours des années 1920 à 1940, le consensus concernant la plupart des passages cruciaux et des ambiguïtés [...] destiné à donner une base de compréhension du poème aux étudiants, comme une « aide à l’étude » qui ne les mènerait pas loin hors des sphères critiques de Beowulf.
What's the point of all this pedantry if you can't get a detail like this right?
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#4
Merci Druss pour toutes ces précisions ! Il va décidément falloir que je lise cette Route Perdue, ça ne va pas sinon !

En réfléchissant plus avant à ta question, Daeron, je me disais que les HoME posent effectivement problème. Tolkien est en fait devenu, plus qu'un écrivain, un sujet d'étude. Une revue universitaire lui est consacré, notamment, et c'est le signe habituel auquel on reconnaît qu'un certain champ de la connaissance est devenu académique. En ce sens, la publication des brouillons de Tolkien, des différentes transformations génétiques de son légendaire, était une entreprise essentielle, sans laquelle la recherche serait restée à la fois restreinte et partielle.

Le problème, c'est que Tolkien est aussi un écrivain, et que la moindre de ses productions est vue non pas seulement comme un objet de recherche, mais également comme une œuvre. Qui plus est, le Seigneur des Anneaux, et peut-être le Silmarilion plus encore, du fait de son caractère inachevé (inabouti du moins), ont laissé un véritable sentiment de frustration ; l'univers produit en quelque sorte un sorte d'enchantement sur le lecteur qui souhaite, après son expérience de lecture, retourner dans ce monde, y revenir, y rester. Et c'est aussi pourquoi le moindre écrit de Tolkien, fut-ce un brouillon, reçoit une telle révérence, cristallise une telle attente.

Ce que sont les HoME n'est donc pas entièrement clair, car leur statut est multiple -j'espère l'avoir fait sentir. Porte d'accès à une recherche érudite sur les mutations d'un monde subcréé, mais également, porte d'accès à ce monde lui-même, les HoME se distinguent par un vernis de rigueur, de légitimité, en même temps qu'ils sont attendus avec une certaine fébrilité par un lectorat qui n'a probablement que faire de cette dimension universitaire, et y trouve bien autre chose.

Sans doute, pour résoudre l'insatisfaction profonde laissée par la plongée dans l’œuvre de Tolkien, aurait-il fallu des continuateurs. Je pense que le fait que le Tolkien Estate ait scrupuleusement veillé à ce que ça n'arrive pas, en préférant publier cinq ou six versions de la Quenta Silmarilion, ait un choix qui honore la mémoire de Tolkien et qui fait preuve d'une fidélité rare et sincère à l'égard de son œuvre d'écrivain. Mais en même temps, ce choix ne permettra pas d'atténuer la sensation terrible de frustration d'un lectorat proprement fasciné. En ce sens, et pour faire écho à une discussion qui avait lieu non loin, il semblerait que la position de Christopher Tolkien ait fait prévaloir le respect du père, à la satisfaction des lecteurs. C'est une décision louable, très certainement.

Mais les plus grandes œuvres de l'imaginaire -la mythologie grecque, Star Wars, l'épopée de Roland, l'épopée de Manas- sont faites d'apports multiples, parfois contradictoires ; toutes celles-ci n'auraient en tout cas pas atteint un tel degré de richesse, de profondeur, s'il n'y avait eu tous ces multiples continuateurs. Christopher Tolkien préserve l'intégrité de l’œuvre paternelle, mais il la clôt tout en même temps.

Et puis, quand Arda sera livrée au domaine public, qu'adviendra-t-il ? Une vaste foire d'empoigne ? Ou une merveilleuse floraison créatrice ? Nous autres ne le saurons très probablement pas.
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#5
(20.11.2016, 21:27)Hofnarr Felder a écrit : Et puis, quand Arda sera livrée au domaine public, qu'adviendra-t-il ? Une vaste foire d'empoigne ? Ou une merveilleuse floraison créatrice ? Nous autres ne le saurons très probablement pas.

En France, la majeure partie de l'œuvre de Tolkien tombera dans le domaine public 70 ans après l'année de sa mort, soit en 2044 : il y a de fortes chances que nous ayons le temps d'en voir les premiers effets.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
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#6
2044 pour les écrits de JRR Tolkien publié de son vivant, mais surement pas pour le travail effectué par son fils.
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#7
Disons qu'il faudra du courage à celui qui voudra éditer les brouillons du père issus des HoMe, parce qu'il faudra qu'il fasse disparaître la moindre modification éditoriale du fils. Pour les ouvrages comme le Hobbit, le SdA ou bien les contes pour enfants, ça pose moins de problèmes.
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#8
Je ne parlais pas nécessairement de réédition des œuvres de J.R.R. Tolkien, mais de la possibilité qui s'ouvrira de créer des suites, des fictions, etc. situées en Terre du Milieu, comme l'évoquait Hofnarr : de la même manière qu'on a pu voir des suites des Misérables ou d'Autant en emporte le vent (je sais, ces deux exemples sont peu laudateurs, mais ce sont les premiers qui me sont venus à l'esprit...)
Rollant est proz e Oliver est sage.
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Puis que il sunt as chevals e as armes,
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#9
(20.11.2016, 21:27)Hofnarr Felder a écrit : Ce que sont les HoME n'est donc pas entièrement clair, car leur statut est multiple -j'espère l'avoir fait sentir. Porte d'accès à une recherche érudite sur les mutations d'un monde subcréé, mais également, porte d'accès à ce monde lui-même, les HoME se distinguent par un vernis de rigueur, de légitimité, en même temps qu'ils sont attendus avec une certaine fébrilité par un lectorat qui n'a probablement que faire de cette dimension universitaire, et y trouve bien autre chose.

Il me semble que la publication des Enfants de Húrin en volume séparé, sans notes textuelles, peut être vue comme une réponse à ce lectorat intéressé par le conte plutôt que par le texte. (Dans un cas où la reconstitution d'une "histoire complète" était rendue très complexe par l'éparpillement des versions.) Peut-être le Beren et Lúthien à paraître suit-il la même logique. Nous verrons.

Le Silmarillion initialement publié, édité par CJRT et Guy Gavriel Kay, occupe lui-même la même place de "version pour amateurs de conte" vis-à-vis des HoME qui sont la "version pour amateur de texte". Sans doute n'aurions-nous jamais eu la seconde s'il n'y avait eu un public pour la première, qui sert peu ou prou de version de référence par rapport à laquelle on apprécie la longue histoire textuelle sous-jacente.

Cela se rapproche un peu de la façon dont l'on découvre la mythologie classique : plutôt par des réécritures modernes d'abord (souvent pour jeune public), et ce n'est que plus tard que l'on va éventuellement lire Homère, Hésiode, Virgile ou Ovide dans le texte ou en traduction. Ou de la matière de Bretagne, sans doute plus connue du grand public par ses reprises (et ses parodies) que par les textes médiévaux de départ.

Sauf évidemment chez Tolkien que la multiplicité des versions vient d'un seul et même auteur !

Elendil a écrit :Je ne parlais pas nécessairement de réédition des œuvres de J.R.R. Tolkien, mais de la possibilité qui s'ouvrira de créer des suites, des fictions, etc. situées en Terre du Milieu, comme l'évoquait Hofnarr : de la même manière qu'on a pu voir des suites des Misérables ou d'Autant en emporte le vent (je sais, ces deux exemples sont peu laudateurs, mais ce sont les premiers qui me sont venus à l'esprit...)

Il me semble très probable que cela se fera. JRRT n'a pas été continué pour des raisons de droit évidentes, mais il a été imité, certainement en partie pour satisfaire ce besoin de continuer sans enfreindre le droit d'auteur. Je parierais que des épigones rongent déjà leur frein !
Le langage a à la fois renforcé l'imagination et a été libéré par elle. Qui saura dire si l'adjectif libre a créé des images belles et bizarres ou si l'adjectif a été libéré par de belles et étranges images de l'esprit ? - J. R. R. Tolkien, Un vice secret
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#10
P.D. James à repris il y a quelques années les personnages, l'époque et les lieux figurant dans "Orgueil et préjugés" de Jane Austen pour en faire un polar "La mort s'invite à Pemberley". Personnellement, je ne l'ai pas lu et comme c'est un écrit de fin de carrière, je ne sais si ça a la même qualité d'écriture que "Les fils de l'homme ; Ce que je sais, c'est que P.D. James était une" Janiste" de premier rang et je m'imagine mal, en grande fan qu'elle était, massacrer l'oeuvre originale en s'en servant comme toile de fond.
Peut être qu'un jour, un auteur sera nous satisfaire, voir nous émerveiller, en reprenant cet univers qui nous est si cher. Qui vivra verra !
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