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Ils voulaient rester libres
#8
Chapitre 1.3


Une route soigneusement empierrée suivait le cours d’une petite rivière. Nous en remontions le cours, direction le nord. Derrière nous se perdait Lond galen, comme dévorée par une épaisse brume entre mer grise et ciel bas. Devant nous la plaine côtière devenait petit plateau, et au loin se dessinaient les premières montagnes. Orodreth avait ajusté par-dessus mes vêtements une épaisse veste de cuir et m’avait proposé diverses armes tranchantes. Les Akôèmes n’avaient pas de forgerons, je choisis néanmoins un poignard. Moins long que les effrayantes lames des sorciers, mais tellement solide et tranchant. Quelle différence avec nos outils de pêcheur en os et ivoire ! Les Akôèmes ne sont pas des guerriers, les seules armes que nous avons à opposer aux alliés des Hunhunés sont nos outils. L’arc qui nous sert pour la chasse, les harpons et couteaux de pêche, les gourdins… Personnellement je ne quitte jamais le bâton que m’a confié mon père. Il m’a toujours protégé. Orodreth et ses hommes portaient des longues chemises de mailles métalliques sous des manteaux aux couleurs ternes, de longues épées ornées de motifs entrelacés, des casques légers eux aussi dissimulés sous leur capuchon. Comme je le comprendrai plus tard, cette patrouille avait été adaptée à ma présence. La remonté de la Celgalen se fit à pied plutôt qu’à cheval, car ces grands animaux nous font encore bien peur ; la patrouille proprement dite se fit au plus près de Verlamin pour que nous puissions chaque soir faire halte dans une famille de paysans, ou de mineurs. Les deux premières semaines furent épuisantes : Orodreth et ses hommes me parlaient le plus possible, mais à voix basse pour m’indiquer un arbre en me donnant son nom, à moins que ce ne soit pour me parler du souffle d’air à cet instant ou de la couleur du sol ? Je ne comprenais rien, ou tout de travers, et parfois ils perdaient patience. Mais inlassablement ils me parlaient, reprenaient leur sourire. Il y eut cependant un moment où la langue ne fut plus une barrière, l’espace de quelques instants. Nous étions parvenus à proximité d’un col peu élevé : au-delà on distinguait une vaste vallée ronde, cernée de montagnes, peu élevées à l’est alors que les sommets de l’ouest étaient déjà couverts de neige. Là, au pied d’un arbre noueux dont plusieurs branches maîtresses étaient cassées, une trace au sol que nous reconnûmes tous : une grosse patte, ou plutôt un pied griffu. Un troll ! Ces monstrueuses créatures se trouvaient même au Gondor ? Essayant d’expliquer que je savais à qui appartenait cette trace, je me mis à faire une imitation d’un troll attaquant un groupe imprudent.
Les trolls des montagnes sont cruels et dangereux, mais fort heureusement stupides, surtout s’ils ne sont pas accompagnés d’orques ou alliés de sorciers. Mes compagnons partirent d’un grand éclat de rire, tant mon imitation était réussie !
La trace remontait à quelques semaines, le danger était loin et notre patrouille continua.
Orodreth nous conduisit ensuite à un gros village minier. Toute l’activité était centrée sur les métaux : extraits du cœur de la montagne ils étaient fondus sur place, retravaillés en petits blocs. Il y en avait du brillant, comme mon poignard, du jaune doré, du blanc lumineux. De nombreux soldats veillaient attentivement sur le doré et le blanc dont semblait faite la monnaie. Après avoir consulté certains mineurs, Orodreth nous conduisit au nord-ouest de ce village. Nous franchîmes plusieurs contreforts des monts qui se dressaient devant nous. Montagne de pierre blanche et sèche, parsemée d’une végétation rare. D’après ce que j’avais compris, un loup avait été aperçu récemment dans le secteur. Cet animal ne se trouvait pas dans nos régions de Neu-lène ou Desdursyton, par contre plus le temps passait et plus je craignais de rencontrer un de ces terribles serpents gris qu’on nomme Lumu. Il affectionne ce type de terrain et de climat et se nourrit de bouquetins… et d’hommes. Mes compagnons parlaient moins soudainement et je m’aperçus qu’ils avaient adopté la même attitude de vigilance que moi : ils scrutaient les crevasses, contournaient au large les éperons. C’est ainsi que j’avais appris d’abord de ma mère, puis de mon père à ne pas me laisser surprendre par ces créatures corrompues. Malheureusement Targon m’interpella vivement : comprenant de travers je fis un écart sur le côté, ce qui le mit en colère. Je l’entendis crier avec impatience des mots trop rapides pour moi et l’instant que dura ceci j’avais fait un pas de plus vers le côté. Hélas, ce dont il avait voulu me prévenir était maintenant juste devant moi. Un lumu se dressait là, au détour de cet amas rocheux. Sa tête se balançait lentement de droite et de gauche tandis que son regard avait accroché le mien. Aux cris et à l’agitation que je percevais derrière moi, je déduisis qu’il n’était pas seul. Même les plus sauvages guerriers de Desdursyton les craignaient. Leurs écailles avaient presque la dureté de l’acier et ils ne relâchaient leur proie qu’une fois tués ou après que le venin lentement instillé ait entraîné la paralysie. Le plus dangereux n’était pas là. Leurs yeux s’ouvraient sur une nuit profonde, un vide angoissant. Croiser leur regard c’était se retrouver dans un nulle part, où tout ce qui est perd l’existence. J’avais une fois déjà expérimenté cela et je n’en avais réchappé que par l’intervention immédiate d’un oncle. Dans ce néant, lumière, joie, amitié comme les arbres les montagnes la vie et même la mort étaient bues, avalées. Leur existence n’avait plus de sens, devenait vanité, prétention. Il n’y avait plus rien. Ceux qui n’avaient pas eu ma chance et avaient étés délivrés trop tard survivaient cependant, le corps ralenti, l’esprit vide. Ils étaient nourris comme des bébés mais s’éteignaient définitivement quelques années plus tard. Mais je tenais en main mon bâton. L’espérance et le courage y avaient étés gravés, la force l’avait patiné, le feu l’avait durci. Il est des volontés qui ne plient pas si facilement, je pus ajuster ma prise et frappais sous la gorge. Le coup remontant pouvait le surprendre, un deuxième coup, brutal celui-ci lui brisa le côté gauche du crâne. Je partis à droite pour éviter sa rage ; un peu plus loin mes compagnons luttaient contre les deux autres créatures. Deux ou trois le harcelaient pendant qu’un de plus ajustait un coup visant à passer sous une écaille. Un coup par-ci, une esquive par-là continrent le mien le temps qu’on vienne à ma rescousse.
Aucun blessé ne fut à déplorer et je lus l’admiration dans les regards : ils n’avaient jamais vu un homme armé d’un simple bâton résister à ces monstres. Notre patrouille nous mena encore dans des hameaux et aux abords d’un village fortifié plus à l’ouest avant d’entamer notre chemin de retour, à nouveau le long de la rapide rivière.
La lumière n'indique pas le bout du tunnel, c'est la lanterne de celui qui comme toi, cherche à sortir.
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Ils voulaient rester libres - par sam sanglebuc - 21.08.2022, 13:35
RE: Ils voulaient rester libres - par Irwin - 22.08.2022, 10:02
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