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L'Art selon Tolkien
#10
Nous venons de traiter la notion de Croyance Secondaire dans un cadre artistique large. Comme le suggérait Elendil la question de la Croyance Secondaire pourrait être plus profondément étudié à la lecture d’essais tels que celui de Michaël Devaux : « Leibnitz et Tolkien : Monde possible et subcréation », mais les bibliothèques stéphanoises ne disposent malheureusement pas de ce genre d’ouvrage, et il faudra attendre mon prochain séjour à Lyon pour (avec de la chance) pouvoir en disposer… Je n'approfondirai pas non plus la question de la croyance religieuse, qui si elle est intéressante, est hors-sujet, et que je ne rappellerai donc qu'en toute fin, lorsque le sujet sera sur le point d'être clos et nécessitera annexes et ouvertures Wink

Aussi, passons donc sans attendre à la Subcréation.


Généralement, les britanniques (je parle en fait des rédacteurs du Tolkien Gateway ou du wikipedia brit') semblent considérer le terme de subcréation comme un synonyme de monde secondaire. C'est incomplet. Car Tolkien aurait pu alors choisir de l'appeler tout simplement Secondary World. Alors pourquoi ce terme de Subcréation?

Réponse : pour sa richesse.

Arrow Tout d'abord le terme de création définit à la fois le résultat, la chose créée et l’acte, le fait de créer. Une double sémantique qui existe aussi bien en français qu’en anglais. Alors que le seul terme de monde secondaire n’évoque que le résultat. Mais Tolkien ne disait-il pas plus tôt que « L’art est le procédé », le processus qui réalise l’imagination ? Qu’en conclure ?

Nous savons d’une part que (sub)Création = acte + résultat et d’autre part Art = acte. Aussi disposons-nous de deux solutions :
- soit (sub)création = Art (acte) + Monde (résultat). Mais dans ce cas, restons-nous fidèles à Tolkien disant : « l’Art, le lien à l’œuvre entre l’imagination et le résultat final qu’est la sub-création » ?
- soit (sub)création = résultat seul (comme l’entendent les britanniques). Mais dans ce cas, on perd toute la richesse d’une double sémantique du mot…

Arrow À moins que sa richesse ne vienne du préfixe latin "sub". En latin, celui-ci ne signifie qu’en de très rares cas "ce qui vient après", mais plutôt "ce qui vient en dessous". Il faut de plus savoir que Tolkien ne réserve le terme de Création qu'à Dieu seul, l'Auteur du Monde primaire, et celui de Subcréation aux créatures de Dieu. Par conséquent ses commentateurs pensent que Tolkien utilisait ce terme de sub-création pour une raison religieuse… Ainsi Dieu est-il un artiste, l’Artiste parfait, et l’on voit l’homme imiter Dieu par ses productions nécessairement imparfaites. À cette occasion je me demande : Tolkien ne serait-il pas un brin platonicien ? Avec cette idée d’imitation humaine (donc physique) et de perfection divine (donc métaphysique)…

Notons aussi que chez Tolkien, le terme de "sub" ne qualifie pas seulement un degré d’infériorité, comme l’échellon inférieur d’une échelle, mais contient également en lui-même une notion de soumission, comme le niveau inférieur d’une pyramide hiérarchique. Je m’explique.
Dans une de ses lettres, Tolkien dit :
Citation : « De toute façon, toute cette affaire se préoccupe surtout de Chute, de Mortalité, et de la Machine. De Chute inévitablement, et ce thème survient de plusieurs manières. De Mortalité, spécialement puisqu’elle affecte l’art et le désir créatif (ou comme je le dirais, sub-créatif)… Il a diverses possibilités de « Chute ». Il peut devenir possessif, s’accrochant aux choses faites par « lui-même », le sub-créateur veut être le Seigneur et le Dieu de sa création privée. Il se rebellera contre les lois du Créateur, particulièrement contre la mortalité. Ces deux choses (seules ou ensembles) conduiront au désir de Pouvoir, de rendre la volonté plus effective, et ainsi jusqu’à la Machine (ou la Magie) ».

Ainsi, Tolkien énonce que le subcréateur ne doit pas se sentir propriétaire de sa subcréation (Tolkien propriétaire de son monde d’elfes et de dragons). Etrange n’est-ce pas ? Je rédige un poème, dessine une aquarelle, n’ai-je pas le droit de m’en sentir le propriétaire. La société actuelle, le droit actuel répond par l’affirmative. Tolkien par la négative. Pourquoi ?

Il s’agit là d’une conception qu’explique le catholicisme.
À qui le subcréateur doit-il de pouvoir produire des mondes secondaires ? À Dieu qui lui a fait don de l’art. (En effet, puisque Dieu est artiste, s’il a créé l’homme à son image, il est naturel que tout homme soit à son tour artiste). Mais en même temps le catholique doit être comme cet homme à qui le seigneur donne 5 talents, les fait fructifier et rapporte 10 talents à son seigneur. Ainsi est-il criminel de ne pas faire fructifier les dons que Dieu nous donne (dans la parabole, l’homme à qui le seigneur n’a donné qu’1 talent, l’a enterré dans la terre, puis l’a déterré pour le rendre au retour de son seigneur est d’ailleurs sévèrement puni). Ainsi Dieu nous apprend-il non pas à posséder, mais à produire et donner non pas à proportion de ce qui nous a été donné, mais plus que ce qui nous a été donné. Toujours cette idée d’imitation de Dieu, aussi bien dans l’action créatrice, que dans celle d’un don total.


En même temps (et je méloigne encore un peu du sujet), on nous apprend en philo d’une part que l’homme est un éternel insatisfait, et que chaque fois qu’il parvient à posséder l’objet de son désir, il n’est pas heureux et sent le besoin de désirer encore et toujours plus. En gros le moyen de parvenir au bonheur est de parvenir à la satisfaction pure, sans borne, éternelle. D’autre part certains nous apprennent que le bonheur réside dans la satisfaction d’avoir seulement ce que l’on a dans l’instant présent (carpe diem), sans se projeter dans l’avenir puisque forcément le désir ne peut exister sans l’avenir.

Tolkien pour sa part semble d’accord sur le fait que posséder ne rend pas heureux (puisqu’elle mène au pouvoir, à la rébellion contre le Créateur, en désirant toujours plus, notamment l’immortalité). Par conséquent il semble penser que le bonheur de l’homme réside dans le désir créatif, dans l’acte de créer, et le don de sa création.

Car au final qu’est-ce qui produit le plus de satisfaction : le fait de dessiner ou de contempler son œuvre achevée ? La contemplation finit par lasser, fait ressortir toujours plus les défauts de l’œuvre qui demeurent somme toute irrémédiables. À l’inverse lorsqu’on dessine ou écrit, on peut toujours évoluer, toujours s’améliorer.
Qu’est-ce qui produit le plus de satisfaction : le fait de posséder sa création ou de la donner à d’autres? La possession est égoïste et finit toujours par susciter l’envie des autres, quand l’acte de création est forcément tournée vers les autres ; on ne crée pas pour soi, mais pour les autres. Car qu’est-ce qu’un artiste sans public, sans personne à qui faire apprécier, profiter sa création ? Et puis donner, ça fait toujours plaisir aux autres, donc à soi-même !


Par conséquent, et pour revenir au sujet, je suis tenté d’affirmer que la particularité de Tolkien, par rapport à tous les autres philosophes qui se sont posés la question de l’art, est d’en avoir une conception particulière : une conception religieuse de l'art et plus précisément catholique.

Je précise "catholique", et non pas "chrétienne" parce que le protestantisme est chrétien, mais qu'il considère l'art d'une façon différente de celle du catholicisme à en croire cet essai qui compare les opinions de Lewis (le protestant) et Tolkien (le catholique):
Citation :One wonders if the differing emphases of Tolkien and Lewis on this matter are related to their different church backgrounds, Roman Catholic and Anglican respectively. Since the Reformation, Protestant aesthetic theorists have tended to discuss art in more functional terms. From early theorists like Pierre Ramee and Jonathan Edwards to a 20th century popular prophet like Frances Schaeffer, Protestants have generally viewed art in terms of the values it communicates (whether good or bad), as an expression of the artist's world-view. From the Counter-Reformation's deliberate flaunting of ornament to the work of contemporary writers such as Jacques Maritain and Hans KÃng, Roman Catholics have been more willing to see the creative act as an end in itself, if not art-for-art's-sake, then perhaps more precisely art-for-God's-sake.
Trad' rapide : "On se demande si les accents différents de Tolkien et Lewis sur cette question sont liées à leurs différentes origines écclésiales, catholique et anglicane, respectivement. Depuis la Réforme, les théoriciens esthétiques protestants ont eu tendance à parler de l'art en termes plus fonctionnels. Des premiers théoriciens comme Pierre Ramée et Jonathan Edwards jusqu'aux prophètes populaires du 20ème siècle comme Frances Schaeffer, les protestants ont généralement considéré l'art en fonction des valeurs qu'il communique (bonnes ou mauvaises), en tant qu'expression de la vision du monde de l'artiste. Depuis l'ornementation délibérément affichée de la Contre-Réforme [ce qu'en France on appelle le style baroque] jusqu'aux œuvres d'écrivains contemporains tels que Jacques Maritain et Hans KÃ ¼ ng, les catholiques romains ont été plus enclins à voir l'acte créateur comme une fin en soi, sinon de l'art pour l'art, alors peut-être plus précisément de l'art pour Dieu.
Où l'on voit donc Tolkien s'inscrire dans la droite lignée des catholiques romains en ce qui concerne l'art...

Je n'en ai pas encore fini avec la Subcréation, mais pour un seul message, je crois que cela demeure suffisant si je ne veux pas risquer l'indigestion des lecteurs! Mr. Green
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Messages dans ce sujet
L'Art selon Tolkien - par Juliεη - 03.11.2009, 16:10

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