Note de ce sujet :
  • Moyenne : 0 (0 vote(s))
  • 1
  • 2
  • 3
  • 4
  • 5
Telle jumelle, tel jumeau
#16
Avec quelques mois de retard...
Je rappelle que ce récit a plutôt un but de réflexion "philosophique"...




Au petit matin, Milthonar et moi nous réveillâmes presque en même temps. Nos cœurs étaient tristes de quitter ces bois ; même sans comprendre ses habitants, nous nous étions en effet attachés à ce lieu, à ce calme et à ces êtres. Debout dans la clairière, nous n’osions parler ensemble pour ne pas rompre le silence de l’endroit, et avions tous deux commencés à ranger nos maigres affaires. Nos petits ballots terminés, constitués d’un petit sac de cuisine et d’une couverture, nous avions d’un commun accord revêtu l’armure que nous n’avions pas portés depuis plusieurs jours, qui nous avaient parus bien plus nombreux que la réalité. En remettant cette protection qui m’avait maintes fois sauvée la vie, je paraissais me remettre dans la vie normale et habituelle, comme après un long intermède.
Pendant ce temps, trois Elfes s’étaient approchés derrière nous. Ils venaient du carrefour tout proche ; deux d’entre eux nous prirent nos bagages et le dernier nous fit signe de le suivre, toujours de la même façon. Après un regard rapide à mon ami, je lui emboîtai le pas, retrouvant le poids important que mon armure faisait sentir à son porteur. Ils marchaient peu rapidement et sans faire aucun bruit, comme si une discrétion volontaire de notre part à tous était nécessaire.

L’Elfe de tête, le plus grand des trois si je ne me trompe, nous entraîna au lieu du départ, au Nord de la forêt, à une assez grande distance de notre lieu d’asile, où elle nous attendait. Les deux Elfes qui portaient nos affaires suivaient toujours, et achevaient la légère colonne que nous formions. Je remarquai alors que, quand les Elfes marchent, ils font des enjambées plus importantes que nous les hommes, car ils sont tous plus grands que nous. Par ces grands pas qu’ils faisaient, ils étaient encore plus imposants, rêveurs, semblant plus calmes et maîtres de tout ce qui les entourent. Leurs pas étaient lents, mais grands et sûrs, comme si la végétation se pliait sous leurs pas, et nous fûmes bientôt en vue d’ajoncs, et entendîmes des clapotis, annonçant la proche présence du fleuve. Il s’agissait en fait d’un petit cours d’eau, affluant du Grand Fleuve. Nous entendions les cailloux qui roulaient à cause du courent assez fort de ce petit ruisseau qui s’enfonçait dans la forêt.

Cela devait faire plusieurs heures que nous marchions quand enfin nous arrivâmes au lieu prévu pour notre dernière rencontre avec les habitants de la forêt, car le soleil était déjà presque au zénith. C’était au bord d’un tout petit affluent qui allait se jeter plus loin dans le Grand Fleuve. Plusieurs Elfes étaient là, assis en cercle fermé au bord du ruisseau parmi les derniers arbres de la lisière de la forêt, et semblaient nous attendre. Je les estime dans mes souvenirs à environ une vingtaine. Ils tournèrent la tête dès notre arrivée et certains esquissèrent un léger sourire de bienvenue. Sur tous leurs visages, plus ou moins expressifs, se lisait la bienveillance qu’ils éprouvaient à notre égard. Alors que nous nous rapprochions, je la reconnus ; elle était la seule de ce petit groupe à continuer de nous regarder longuement. Nous étions maintenant à quelques mètres du cercle qu’ils formaient. Voyant l’extérieur de la forêt si proche de nous, je me rendis compte réellement de notre départ imminent. Cette « aventure » en ces lieux, qui avait en fait été pour moi plus une expérience personnelle, me paraissait maintenant avoir été très courte. Peut-être le temps s’écoule-t-il plus rapidement sous ces arbres, aussi vite que les Elfes quittent les rivages à l’Ouest… Tout en essayant de graver ce dernier moment en ma mémoire, je me sentis alors si proche de ces lieux, que je voulus que les choses s’accélèrent, afin de vite oublier toutes mes pensées qui allaient vers ces bois.
Voyons que nous n’osions trop nous approcher d’eux de peur de troubler la perfection de ce cercle et le silence qui régnait, l’Elfe que nous « connaissions le plus » fit signe à l’un des siens, le plus proche de nous ; ce dernier se leva, fit quelque pas dans notre direction et nous invita à nous asseoir à l’emplacement que laissaient deux Elfes qui s’étaient levés pour aider nos guides à déposer nos affaires au pied d’un grand arbre. Elle se leva délicatement, en faisant briller au soleil sa longue robe argentée. Après un long moment d’attente pendant lequel elle nous avait tous deux observés, elle se tourna vers le centre de sa forêt et parla ainsi :

« La joie s’en est allée,
De tous nos territoires.
Nous sommes oubliés,
Avons perdu la gloire-
-Faisant auparavant
Des nôtres le renom ;
Voilà très simplement
Pourquoi tous nous partons.

Il est passé le temps
Où nous étions nombreux ;
Etant peu maintenant,
Nous ne sommes plus heureux.
Abandonnant nos terres
Il faut tourner la page ;
Nous allons voir la mer
Et quitter ces rivages.

Des Elfes passe le temps,
Commence alors le vôtre ;
N’oubliez cependant
Pas ce qu’on fait les nôtres. »

Par ses mots enfin je comprenais un peu plus les réactions et l’état d’esprit des Elfes, tout comme la pesanteur qui règne dans la forêt. Mais je ne prends pas ce que l’on pourrait appeler « destin » comme une fatalité. Seulement ces événements devaient être et sont aujourd’hui. Le flambeau se passe, et est actuellement à nous, les Hommes…
Elle reprit après un temps de silence :

« C’est à vous maintenant,
Petit peuple des Hommes
De faire vivre à présent
Tout ce que l’on vous donne.

Sachez qu’en ce moment
Est vôtre le pouvoir ;
L’user dorénavant
Devient votre devoir.

Faites régner la paix
Au dessus de la guerre ;
Qu’elle soit à tout jamais
Présente sur ces terres. »

Elle s’arrêta quelques instants, mais continua de nous regarder tous deux.
Mon ami et moi ressentîmes un lourd poids sur les épaules, qui nous était jusqu’alors inconnu. C’était sans doute la première fois que des Elfes, sans traiter les Hommes d’égaux, leur confiaient leur propre tâche et semblaient avoir foi en eux. Il était venu le temps des Hommes, et les Elfes quittaient peu à peu les rivages d’une terre qui leur avait été demandé de maîtriser, de diriger et d’aimer…
Ses yeux quittèrent les cimes des arbres environnants, et baissant les yeux sur nous :

« A chacun de vous deux
Je dirai simplement
Que ce temps fut heureux
Avec vous un moment. »

Se tournant d’abord vers mon ami :

« Va-t-en dans ton pays
Pour dire à tous les tiens,
Que demeurent vos amis
Les Elfes de Lorien. »

Elle fixa quelques instants le visage de mon compagnon.
Ce dernier, ne sachant comment réagir, baissa les yeux et se contenta d’un léger sourire de remerciement.
Puis, se tournant vers moi, elle me dit :

« Ton corps était blessé
A l’orée de ces bois,
Et nous t’avons soigné ;
Tu iras dire au Roi
Quand tu seras rentré,
Que tous ceux de ces lieux
Tiennent à saluer,
Ce guerrier valeureux.

Sommet de ses espoirs,
Il a gagné le cœur
De l’Etoile du Soir,
En prouvant sa valeur.

Même au-delà des mers
Chacun se souviendra
Des combats légendaires
De vous tous, soldats. »

Elle s’arrêta quelques instants pendant lesquels je pus me souvenir que, selon les bruits qui courent à la Tour Blanche, notre Reine proviendrait d’une de ces forêts, et serait même parente de la Gardienne de certains bois… Mais n’étant moi-même qu’un jeune soldat, et étant arrivé depuis peu à Minas Tirith, je ne savais que penser de tout cela.

Mais brusquement se fit entendre dans mon esprit une voix calme, douce et que je pouvais entendre clairement. Relevant les yeux, je vis que l’Elfe me regardait fixement. Je me souviens précisément de ses paroles :

« Ta dernière mission sera bien la plus étrange ; une unique tâche dont on murmure déjà l’importance, et reparlera souvent au-delà de la mer, mais qui restera longtemps cachée pour beaucoup d’hommes de cette terre. Tu t’appelleras désormais Elenion, ou « Fils de l’étoile », pour les être immortels. Puisse en effet la lumière d’Ëarendil, notre astre protecteur, t’indiquer la route à suivre pour accomplir ton devoir, et représenter le peuple des Hommes lors de la renaissance de ce qui nous et cher à tous. »

Je fus tout d’abord surpris qu’elle ne m’adresse plus directement la parole à voix haute, et sans forme régulière. De plus, je ne comprenais pas le moindre sens à tout cela, et ne pouvais pas même dire si cette sorte de prophétie me concernait réellement, si elle s’avérerait qui plus est bénéfique ou néfaste pour moi, ni quand elle devrait s’accomplir. Ne voulant pas faire durer ce temps de silence pesant, je fis une légère inclination de la tête, comme signe d’acquiescement ; elle me le rendit avec un semblant de sourire et une pointe d’amusement dans les yeux.

Elle reprit pour nous deux après quelques instants:

« Maintenant hâtez-vous,
Rejoignez vos contrés ;
Et prenez avec vous
Ce que j’ai apporté. »

Sur ce, elle fit amener par deux grands Elfes une dague pour chacun de nous, magnifiquement décorée, et un peu de nourriture sous la forme de galettes dont nous avions pu, mon ami et moi, apprécier l’importante consistance et les effets nourrissants lors de ces derniers jours. Après avoir reçu de ses propres mains le petit coutelas qu’elle me tendait, je pus observer ce dernier sous tous les angles. A mon avis, il devait avoir appartenu à je ne sais quel guerrier elfe valeureux lors des grands troubles qui secouèrent ces terres, à l’époque où nos pères durent risquer leurs vies pour la liberté de leurs enfants et de ceux qui suivraient… Le fourreau vert comme les marais de Nindalf était orné artistiquement, sans surcharger l’ouvrage, et révélait une lame magnifique qui possédait, semble-t-il, quelques inscriptions dans la langue même de ceux qui la fabriquèrent. Mon ami était également comme sous le charme de sa dague, qu’il avait déjà, par une très fine lanière de cuir retenant le fourreau, attaché à sa ceinture. La nourriture apportée était quant à elle sous la forme de petits pains peu épais, et entourée de feuilles fines et larges. Il y avait également une petite quantité de fruits, de tailles et de formes variables, rouges ou violets pour la plupart ; ils étaient contenus dans une espèce de fin tissu, transparent avec des reflets pourprés. On aurait dit le résultat d’un long et méticuleux tissage de fins et beaux fils d’araignées qui formaient un enchevêtrement admirable…
Après nous avoir elle-même remis tout cela dans deux petits sacs, la belle Elfe reprit :

« Ceci en souvenir
Des grands Elfes des bois ;
Il est temps de partir,
Ne nous oubliez pas. »

Plus loin sortirent à ce moment des arbres deux êtres de ce peuple qui amenaient par la bride deux chevaux ; l’un d’eux portait sur lui la selle et le harnais de mon ancienne monture, et je compris qu’il m’était adressé. Quand ils furent tout près de nous, le cheval de mon ami voulut se débarrasser de celui qui le traînait pour rejoindre son maître ; mon ami se jeta presque sur lui pour le caresser. Il l’ausculta sous tous les angles, après quoi il me fit un large sourire, satisfait de l’état de la monture qu’il affectionnait tant. Ayant également pris mon cheval par la bride, je me retournai vers la femme Elfe et avec mon ami, nous fîmes un léger signe de tête accompagné d’un sourire de remerciement.
Après nous avoir répondu par une légère inclination de la tête, elle continua à parler, et nous indiqua la route du Nord :

« Ce chemin, prenez-le,
Ne vous retournez pas ;
Et la paix sachez-le,
Longtemps demeurera. »

Sur ce, elle ouvrit les bras en signe d’adieu, et comme d’encouragement ; il s’en suivit une légère inclination de notre part auxquels tous les Elfes nous entourant répondirent.
Après ses derniers mots, j’aurai souhaité la remercier pour ces ultimes moments comme pour tous les autres, mais ne sus trouver les mots.
Obéissant tous deux, nous nous sommes alors retournés sans même nous regarder, et avons commencé à marcher, calmement, comme si la marche des Elfes nous avait imprégnés, longeant le cours d’eau vers le Grand Fleuve qui nous permettrait tous deux de continuer nos missions respectives, avant de rentrer chez nous… Nous tenions nos chevaux par la bride car nous n’osions monter dessus de peur qu’ils ne nous éloignent trop vite de la forêt.
Je regrettais au fond de moi de quitter tous ces Elfes, et elle en particulier, belle et douce, que je ne vis sourire…
Répondre


Messages dans ce sujet
Telle jumelle, tel jumeau - par Tinakë - 03.05.2008, 12:36

Atteindre :


Utilisateur(s) parcourant ce sujet : 1 visiteur(s)