23.01.2007, 20:42
Eleglin a écrit :Sans vouloir te vexer, je trouve que l'opinion que tu as de la traduction de M. Ledoux ou de l'avis des membres de ce forum est un peu trop... hâtif, à mon goût.
Loin de moi l'idée d'entamer un inventaire détaillé des problèmes que pose la traduction de M. Ledoux, que ces problèmes puissent être résolus ou qu'ils soient insolvables - ou qu'ils aient été insolvables à l'époque.
Mon avis sur la proportion de réponses posts évoquant le fait que l'on ne puisse traduire Tolkien pour voir comment ça sonne, parce qu'il faut respecter la faerie en général et la traduction de M. Ledoux en particulier, ou encore qu'il faut avoir lu l'intégralité des écrits et études de Tolkien / sur Tolkien avant de pouvoir poster quoi que ce soit à ce sujet me parait raisonnablement fondé sur la lecture attentive de cette discussion - et n'est pas généralisée à l'ensemble des opinions exprimées sur ce forum ou dans cette discussion.
Eleglin a écrit :Les noms qu'a créé Tolkien ont un sens et une histoire. je me suis intéressé il y'a quelques années à l'onomastique dans l'oeuvre de Tolkien, et je m'intéresse à la nomenclature de Tolkien et les explications qu'il a pu en donner. Comme tu le reconnais toi-même, tu n'as pas étudié ces textes-là ; tu ne peux donc prétendre avoir un avis plus juste que celui d'autres qui ont lu ces textes et se sont essayé à la traduction. Loin de moi l'idée de m'avancer comme un spécialiste en la matière, mais j'ai lu une certaine partie des textes se référant à ce sujet, et tes propositions/affirmations sont soit contraires à ce que j'ai lu ou en tout cas ne se basent pas dessus.
En ce qui concerne les noms de Tolkien, ils ont leur sens propre dans la langue qui les produit (et ce n'est pas de l'anglais) et ce sens a été donné par tolkien lui-même. A partir de là, si ce nom n'a pas été traduit sous un pseudo-anglais, il n'y a pas de raison de le traduire vers le français. Le lecteur français, comme le lecteur anglophone, a tout à fait le droit de se référer aux langues crées par Tolkien. Il n'a pas besoin de se voir servir des noms traduits de façon arbitraire... ça s'appelle le respect de l'auteur et du lecteur
Ce qui est étonnant dans ce que tu affirmes est que les noms traduits sur lesquels nous avons énormément discutés sont précisément traduits par Tolkien sous un pseudo (ou plutôt véritable) anglais : Baggins, Bag's end et Hobbit par exemple.
J'apprécie bien entendu ta démarche, que j'ai cependant menée en partie à travers la biographie de Carpenter, qui décrit le processus d'invention des noms par Tolkien, ainsi qu'à travers plusieurs autres essais, qui reprennent les ouvrages de référence déjà cité dans ce débat.
Eleglin a écrit :C'est comme si je traduisais un texte apache sur Go Khla Yeh (celui qui baille) en le nommant Le Bailleur... ça n'a aucun sens.
Si, cela a un sens, si bien entendu le Bailleur est la bonne traduction, c'est à dire est bien l'idée que le nom Go Khla Yeh portait aux oreilles des Apaches.
Par exemple, si dans un récit en Français quelqu'un s'appelle "Dupont", tu vas bien entendre "Du pont" chaque fois que son nom sera prononcé dans le récit. Si tu dis ensuite qu'il est né sous un pont, ou bien qu'il garde un pont, tu obtiens un des effets narratifs dont je parle. Effet qui disparait complètement si jamais tu commences à traduire mon récit en français en anglais ou en japonais ou en elfique, peu importe, à partir du moment ou par exemple en anglais, le héros ne s'appelle pas "O'Bridge" ou "Bridges".
Autrement dit, chaque fois que tu entends un anglais dire "Mr Smith", l'anglais lui entend "Monsieur Forgeron".
En revanche, si dans ton récit apache, Go Khla Yeh n'a aucun sens en apache a priori, oui, il faut laisser le nom sans le traduire, sauf si Go Khla Yeh a un sens en français - qui n'est pas celui souhaité par l'auteur vis à vis du lecteur.
Et ce n'est pas de la prétention de ma part d'affirmer des choses pareilles, mais du bon sens, de la logique - et un grand respect pour le récit original tel que l'a raconté et voulu voir raconter l'auteur.
Eleglin a écrit :Quand on traduit Willem (allemand) en Guillaume (français), cela se justifie du fait de l'origine commune des langues indoeuropéennes. ce qui n'est pas le cas de l'apache et du français...
Tout dépend de tes choix au niveau de la traduction. Si les langues allemandes et françaises ont des origines communes, la question qui se pose de traduire Wilhelm par Guillaume est lié au reste de l'univers de ton récit : en particulier qui est le lecteur présumé, le point de vue narratif etc.
Si par exemple tu supposes qu'une partie du charme du récit vient du fait qu'on sait que le héros est allemand et que l'histoire se passe en allemand, et que le narrateur est de type lecteur omniscient je serai plutôt de l'avis de laisser Wilhelm.
Maintenant si le but du récit est de me mettre dans la tête d'un allemand, et que le décor n'est pas si important je serais paradoxalement obligé de traduire Wilhelm en Guillaume : c'est dans ce genre d'objectifs que par exemple que les aventures du Club des Cinq ont vu tous les noms anglais francisés, et les lieux ont été déplacés : tous les noms des héros, la baie de Kernach etc.
Enfin si dans ton récit l'allemand Wilhelm rencontre un français nommé Guillaume et qu'ils combattent un dragon ensemble au fin fond de la Forêt Noire, ton choix de traduire Guillaume par Wilhelm devient alors des plus problèmatiques, non ?
Eleglin a écrit :Tu te bases trop sur des opinions personnelles pour justifier ton point de vue, et ce sans avoir lu les textes correspondants de l'auteur ou en reniant leur primauté (ce qui n'est pas très rigoureux).
Tous mes posts sont a priori l'expression de mon opinion personnelle en effet. C'est le principe d'une discussion que d'exprimer une opinion personnelle sur un sujet.
Ton affirmation est une généralité : si je n'ai effectivement pas lu l'intégralité des écrits de Tolkien - et je n'ai pas non plus ses notes personnelles en ma possession (on peut aller loin comme ça), j'ai lu de nombreux textes sur lesquels je me base, je les cite et même je les traduit.
Quant à renier la primauté des textes de quelqu'un en ce qui concerne l'expression de mon opinion personnelle, il me parait normal et même très sain d'exprimer une opinion qui soit la mienne et non celle de quelqu'un d'autre comme si elle était la mienne. C'est la définition même d'une opinion personnelle.
En plus, si Tolkien était parfaitement compétent pour dire à un traducteur sous contrat comment il doit traduire tel ou tel point de son oeuvre, il n'est absolument pas compétent (ou n'importe qui d'autre d'ailleurs) pour me dicter mon opinion personnel sur tel ou tel point de son oeuvre, ou sur ses positions concernant la traduction de ses patronymes.
Eleglin a écrit :En ce qui concerne la traduction de Ledoux, je pense qu'elle sera un jour révisée pour corriger les erreurs qu'elle comprend, et l'actualiser en fonction des différents textes qu'a mentionné Zelph au dessus et qui permettent d'en savoir plus sur la nomenclature de Tolkien.
Oui. Je pense qu'a priori ce sera une très bonne chose.
D'un autre côté, la nouvelle traduction - ou la correction de l'ancienne peut se révéler pire : cela dépendra des choix de l'équipe de correcteurs et de la sensibilité des lecteurs de cette nouvelle traduction.
Eleglin a écrit :Ta démarche est certes intéressante, mais elle n'en reste pas moins inappropriée pour traduire une oeuvre d'une telle complexité. il ne s'agit pas d'une sacralisation de l'oeuvre, mais la difficulté de la tâche a été, confirmée par les traducteurs successifs (cf Interview de Christian Bourgois dans Tolkien, 30 ans après), alors il est préférable qu'elle soit faite avec rigueur et méthode
Ta démarche n'est donc applicable qu'à la création. Si tu l'essaies sur un autre texte, elle reste soumise à la critique du fait de son manque de rigueur. Et là je m'appuie sur l'échantillon que tu donnes ci-dessus en mettant des Bilbault et autres, sans autre justification que des idées personnelles. Car on peut dire ce qu'on en veut, mais l'opinion de l'auteur prime sur celle du traducteur. D'ailleurs un proverbe dit qu'un traducteur est un traitre ! « traduttore, tradittore »
Je connais ce proverbe (cité dans La réalité de la réalité, chez Point Seuil et abondamment illustré dans cet ouvrage, à la fois pour de mauvais résultats et pour de bons résultats).
Et tout l'objet de mes recherches visent justement à faire disparaître cette proportion de trahison dans la traduction d'un récit.
Oui, ma démarche s'applique à la création d'un récit. Mais la traduction est une recréation d'un récit (ou d'un texte), cela me parait une évidence.
Quand tu dis "sans autre justification que des idées personnelles", d'où crois-tu que tout traducteur sortira ses choix de traduction, à part de ses idées personnelles : si l'auteur veut imposer l'intégralité des choix de traduction de son récit, cela revient à le traduire par lui-même intégralement, non ?
Quant au manque de rigueur, c'est une appréciation tout à fait relative. et subjective de ta part. Chaque choix que j'exprime est argumenté, et même démontré. On peut les réproduire pour tout texte ou vérifier s'ils ont été appliqués ou non appliqués - et voir ce qu'il en est advenu.
Ma position est que le genre de traduction que je prône est bien plus rigoureuse que la moyenne des traductions qu'on peut trouver dans les récits classiques de science-fiction / fantastique / fantasy : j'en suis au cinquième roman examiné de très près toujours dans cet objectif de savoir comment il a été écrit, depuis l'idée jusqu'au moindre signe de ponctuation, et sur les cinq versions françaises, il n'y en a qu'une qui approche de très près le style et les intentions de l'auteur.
Les autres les trahissent un peu, souvent de manière très répétées, ce qui brouille l'ensemble - et parfois très largement. Le récit en français est alors dégradé, et les intentions de l'auteur sont diluées - voir effectivement trahies, plus ou moins spectaculairement.
S'il est plus important pour toi qu'un traducteur ait lu l'intégralité des écrits et essais de Tolkien plutôt qu'il le traduise précisément sur tous ses niveaux d'écriture, alors oui, ce genre de rigueur n'est pas la mienne.
Enfin lorsqu'au bout de vingt pages du Seigneur des Anneaux comparées à la virgule près on constate que le style d'une traduction diverge systèmatiquement de celui de Tolkien et que pratiquement tous les mots et toutes les figures narratives perdent de leur impact original, je crois que oui, on peut tirer des conclusions et ne plus se fatiguer à retraduire l'intégralité de l'ouvrage pour se consacrer aux seuls points de l'élaboration de l'article qu'on est en train d'écrire.
D'autant que je n'avais absolument pas la place ni le droit d'offrir au lecteur une traduction intégrale qui aurait respecté toutes les techniques d'écriture à l'oeuvre de Tolkien