15.01.2007, 22:35
(Modification du message : 15.01.2007, 22:42 par Greenheart.)
Dior a écrit :Je vois que tu as aussi mis "hobbits" entre guillemets. Tu peux en dire plus ?
Sinon, bienvenue
Oui. ça va juste être un peu long

Pour "communauté" je la traduirais par "Compagnie" tout simplement parce que la traduction en anglais de "communauté" n'est pas "fellowship" et que les camarades donc les compagnons pour Tolkien avaient une résonnance suffisamment forte chez Tolkien pour que l'idée de "vivre ensemble dans un but" (communauté) cède absolument à l'idée de fraternité, compagnonnage dans le titre de ce livre.
J'aurais presque traduit le titre du livre par "Les compagnons de l'anneau" si l'accent n'était pas mis justement sur la nouvelle unité formée par les héros - et je ne peux pas traduire "Confrérie" parce que cela se dit "Brotherhood" en anglais, et si Tolkien avait voulu utiliser ce mot, il l'aurait fait.
De même pour "communauté" qui se traduit "community", et qui est connoté fortement comme unité politique ou civile - communauté citoyenne, communauté de biens et de vie formée par les époux etc. Donc vraiment impropre à l'utilisation pour le titre du livre.
Pour "hobbit"
Lorsque j'ai dû rédiger mon article sur les techniques d'écriture de Tolkien j'ai dû comme pour les autres articles sur Arthur Conan Doyle, William Gibson et Edgar Allan Poe vérifier que les mêmes techniques d'écriture étaient bien appliquée dans le texte en français et le texte en anglais, sinon mon article ne pouvait plus s'intituler "écrire comme Tolkien" mais "Ecrire comme le Traducteur", ce qui n'était pas le but.
Comme j'avais déjà eu des grosses surprises dans le cas des textes précédents, je me méfiais déjà beaucoup.
En plus pour Tolkien, je savais que j'avais affaire à un linguiste, donc a priori quelqu'un de très soucieux sur le choix de ses mots, leur contexte, leurs sens multiples, leur dégradation etc. Tolkien pouvait aller très très loin dans la technique de rédaction pour par exemple sous-entendre que le récit était une traduction en anglais d'un autre ouvrage dans une de ses langues inventées... en particulier les poèmes.
Comme je n'arrivais pas à cerner le style original de Tolkien à partir de la version française, et que la lecture en anglais peut donner des impressions imaginaires de comment cela pourrait sonner en français, j'ai commencé par traduire à la volée pour voir ce que ça pourrait donner en respectant tout : les techniques narratives, l'ordre des mots, la musique des mots, les sous-entendus etc.
J'ai tout de suite buté sur le mot "hobbit" qui posait des tas de problèmes, notamment en français à cause du fait qu'il se prête à des jeux de mots et à des contrepétries vraiment très mal venues dans un récit qui doit être raconté à la manière d'une saga nordique, même (et surtout) pour un conte pour enfants : l'ouverture de Bilbo le Hobbit (répétée dans la biographie de Carpenter) sonne particulièrement mal en français de ce point de vue. Je me suis dit qu'il était impensable que Tolkien eût toléré une telle formulation.
"Dans un trou vivait un hobbit"
Il me parait aussi plutôt improbable que le traducteur du Hobbit n'ait pas réalisé le problème, et laisser paraître un simple copié collé de l'anglais me parait après coup très désinvolte de sa part, surtout dans un livre pour la jeunesse.
A partir de là j'ai cherché d'où venait le mot anglais "Hobbit". La biographie de Carpenter était la plus révélatrice sur ce sujet : Tolkien lisait entre autres des histoires de lapin (rabbit) à ses enfants à l'époque où il dit avoir sans réfléchir écrit les premiers mots de The Hobbit alors qu'il était en cours, sur la copie d'un de ses étudiants :
"In a hole in the ground there lived a hobbit."
Evidemment l'éthymologie du mot hobbit décrite par Tolkien lui même dans ses ouvrages ou ses lettres est trompeuse car elle fait partie du récit.
Décomposer le mot en anglais ne donnait pas grand chose d'utilisable.
J'ai alors réalisé que "rabbit" sonnait vraiment comme "hobbit", et que les lapins comme les hobbits avaient les pieds velus et vivaient dans des... terrier, parce que les lapins ne vivent pas seulement dans des trous mais dans des terriers, si on veut être un minimum précis.
En français, "rabbit" se dit "lapin". Tolkien n'a changé que le début du mot. Pour obtenir un effet équivalent en français, on doit donc remplacé le début du mot "lapin" par autre chose.
Le p et le b sont deux consonnes très proches, l'une se transformant facilement en l'autre à travers l'histoire d'un mot, selon notamment le style de la langue ou la position en tête, au milieu ou finale de la consonne.
"Hobbit" en français aurait donc dû se terminer par "-pin" ou "-bin" pour avoir le même effet de rapprochement avec l'idée de "lapin". "pin" évidemment serait aussi malvenu que "bit".
Pour la première partie du mot, et à cours de ressources éthymologique, je me suis tourné vers un langage que j'ai inventé, le primordial, qui a des caractéristiques particulières de part la manière dont il fonctionne : il se base sur les idées associées aux formes de gorges et de bouches correspondant à la consonne / voyelle articulée. La conséquence de cette propriété est que tout mot qui contient la même séquence son / idée emporte la même séquence émotionnelle. Autrement dit, il "sonne bien" dans toutes les langues.
Tolkien a glissé inconsciemment du son "Ra" au son "Ho" vu la description qu'il fait de la manière dont il a écrit les premiers mots de son roman d''après Carpenter.
En primordial, le "Ra" évoque une habileté particulière à former / comprendre le langage justement. La correspondance avec le lapin s'éclaire à la lumière des... grandes oreilles du lapin (et non de son rire ou sa faconde proverviale). Ne soyez pas surpris, les analogies du langage primordial sont très simples, primitives, enfantines.
"Ho" (combinaison du Ha et du O) correspond à l'idée du "cercle / réunion / assemblée" des "très hauts". Autrement dit un être intelligent dressé sur ses pieds et qui vit en groupe.
Le choix du mot "hobbit" en anglais étant totalement approprié du point de vue primordial, il n'y avait plus qu'à refaire la même chose en français.
Le plus simple est de reprendre le "ho" et de l'accoler à la fin de "lapin". Il y a sans doute d'autres possibilités mais celle-là est à mon avis très intéressante. Ce qui donne "Hoppin", ou de manière plus facile à prononcer "Hobbin" et qui évite l'arrivé de "pin" qui reproduit presque le problème de "bit".
Le "ho" initial de "hobbin" rappelant également le mot "homme" en français, la traduction parait conforme à tous les niveaux évoqués par Tolkien avec le "hobbit" anglais. Bien sûr, peut-être que "bin" pose un autre problème que je n'ai pas encore cerné

Et il faut s'habituer à cette nouvelle sonorité et ce n'est pas évident.
Impossible de faire des jeux de mots avec ça, et en plus les sonorités du mots anglais sont largement conservé, ce qui va me permettre de jouer quasiment de la même manière sur les sonorités (le côté "bondissant" de Bilbo the Hobbit demeure avec une traduction du genre Bilbault le Hobbin).
Le début du Hobbit donne donc (traduit à la volée) :
"Dans un terrier sous un pré***, là vivait un Hobbin."
(la traduction de "in the ground" par "dans la terre" posait un problème de répétition, il m'a fallu donc revenir à 1°) aux descriptions suivantes (sous la colline, vue sur un jardin, pas de racines d'arbres perçant à travers les plafond) 2°) Aux traductions possibles de ground et plus proche mot en ancien français, "grou", que signifie terre grumeleuse, avec des mottes et des cailloux, d'où "pré" - comme "in" en anglais prête à confusion sur la question de la fonction de l'objet suivi, ground pouvant signifier une masse ou une surface occupée par le "terrier" en question, on n'est pas obligé de le traduire par "dans la terre" et on peut le traduire par "sous un champ" par exemple.
Le traducteur de la version française ne se pose d'ailleurs pas la question et coupe la phrase originale.
***
De la même manière, le début du premier chapitre de la "Communauté" (La compagnie) de l'anneau" donne :
LA COMPAGNIE DE L’ANNEAU
CHAPITRE UN
Une réception tant attendue
Quand Monsieur Bilbault Bagages de Bout du Sac annonça qu’il fêterait très bientôt son onzante anniversaire par une réception d’une splendeur toute particulière, il y eut nombreux bavardages et de l’expectative à Hobbinville.
Bilbault était très riche et très bizarre, et il avait été le fait étrange de la Comté pendant soixante années, depuis l’époque de son extraordinaire disparition et de son retour inattendu. Les richesses qu’il avait ramenées de ses voyages étaient désormais devenues une légende locale, et il était populaire de croire que, quoi qu’en disent les anciens, la Colline de Bout du Sac, était pleine de galeries farcies de son trésor. Et comme si cela n’était pas suffisante renommée, il y avait également sa persistante vitalité pour étonner. Le temps s’écoulait, mais ne semblait n’avoir que peu d’effets sur Monsieur Bagages. A nonante ans, il était pratiquement le même qu’à cinquante. A nonante-neuf, on commença à le qualifier de « bien conservé », mais « inchangé » aurait été plus proche du compte. Il y en avait certains qui secouaient leur tête et pensaient que cela était beaucoup trop d’une bonne chose ; cela semblait injuste que quiconque puisse posséder (en apparence) la jeunesse perpétuelle tout autant qu’une (prétendue) richesse inépuisable.
« Il faudra le payer, » disaient-ils. « Ce n’est pas naturel, et des ennuis en viendront ! »
Mais jusque ici, les ennuis n’étaient pas venus ; et comme M. Bagage n’était pas avare de son argent, beaucoup de gens lui pardonnaient volontiers ses originalités et sa bonne fortune. Il demeurait en terme courtois avec ses parents (à l’exception, bien entendu, des Sacvilles-Bagages), et il avait beaucoup d’admirateurs dévoués parmi les Hobbins des familles pauvres et de moindre importance. Mais il n’avait aucun ami proche, cela tout au moins jusqu’à ce que certains de ses jeunes cousins commencent à s’aguerrir.
Le plus âgé de ceux-là, et le préféré de Bilbault, était le jeune Frodault Bagages. Quand Bilbault avait eu nonante-neuf ans, il avait désigné Frodault comme son héritier, et l’avait emmené vivre à Bout du Sac ; ainsi les espoirs des Sacvilles-Bagages avaient été définitivement anéantis. Bilbault et Frodault se trouvaient avoir le même jour d’anniversaire, le 22ème jour de septembre. « Tu ferais bien de venir et de vivre ici, Frodault mon garçon, » avait un jour dit Bilbault ; « Et ainsi nous pourrons fêter nos anniversaires à notre aise ensemble. » A cette époque, Frodault était encore dans sa vingtaine, comme les Hobbins avaient coutume de dire en parlant des vingt années de minorité qui séparaient l’enfance de l’arrivée à l’âge adulte de trente-trois ans.
***
Bien sûr, c'est une traduction rapide, que personne d'autre n'a vérifié, il peut donc y avoir des erreurs et je ne sais si elle vous plaira. Elle est cependant au plus proche pour ce que j'en sais des effets que Tolkien me semble avoir recherchés.