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Présentation
#18
Oh, elles se résument à très peu de choses ; en gros, lors de la traduction d'un poème d'une langue dans une autre, se pose la question de la forme poétique. Faut-il respecter la forme poétique originale du poème (dans le cas qui nous concerne, des octosyllabes rimés à ce qu'il me semble) ? Faut-il adapter la forme poétique de la langue source à une autre forme poétique, plus commune et mieux "disposée" à la langue cible (par exemple, traduire Shakespeare en alexandrins) ? Ou faut-il abandonner toute tentative de "rendre" cette forme poétique et se focaliser sur le sens ? Évidemment, mon inclination personnelle va à la troisième de ces possibilités.

Dans les deux premiers cas, il s'agit de recréer le texte traduit en essayant de restituer le sens, tout en obéissant aux détails de la forme poétique. Généralement, cette obéissance à la forme prévaut sur la restitution exacte du sens, puisque forcément, cela suppose une recréation du texte, un ré-agencement de la phrase, un choix parfois plus souple dans les termes employés.

Là, dans l'exemple, il n'y a pas de "torture" dans le texte original anglais ("put to pain", décrit comme un équivalent de "to pain" dans les dictionnaires du XIXème siècle, est en fait plus général, la torture étant quelque chose d'expressément actif, qui suppose un bourreau, alors que "put to pain" peut être plus passif ; par exemple la passion du Christ n'est pas un cas de torture au sens strict, mais qui serait couvert par "put to pain"), la comparaison des cris d'agonie avec le son des pierres frappées devient une métaphore implicite (dont on ne sait plus si elle se réfère effectivement aux langues hurlantes, ou si les bruits de rocs décrit plutôt l'atmosphère de vacarme de la scène) ; et il y a cet usage saugrenu du terme de "cadrature", ainsi que l'idée de "gangues de chaînes". Je ne suis pas sûr du sens du poème original (qui n'est facile pour un francophone comme je le suis !) mais il me semble que les captifs sont mis à travailler dans des forges ; or s'ils sont pris dans des gangues de chaînes, comme feraient-ils pour travailler, puisqu'une gangue, précisément, empêche le mouvement ? On voit ici que la nécessité stylistique (trouver une rime à "langue") aboutit à un choix de terme qui frise la contradiction avec la scène dépeinte. Dans un cas, on a un travail forcé dans des conditions épouvantables, dans l'autre, on a des suppliciés ensaucissonés.

L'autre possibilité, donc, est de traduire la poésie librement, avec, ici, divers degrés de liberté : en prose pure et simple (c'est le cas de certaines traductions de l'Illiade et de l'Odyssée par exemple), en reprenant la structure en vers, mais sans chercher à respecter une métrique particulière (la plupart des éditions bilingues des textes médiévaux optent pour ce choix), ou enfin, en respectant une certaine métrique, mais sans se soucier de la rime (l'exemple des "vers blancs"), ce qui permet alors de donner une idée du rythme, mais de se donner plus de liberté pour rendre le sens original du texte avec une précision plus fine.

Personnellement, je suis beaucoup plus intéressé par le sens d'un texte que par sa forme ; donc j'attends d'une traduction qu'elle me restitue ce sens, quitte à ce que la forme en soit amoindrie, si bien que je préfère la "seconde école" de traduction poétique (dans le cas de la poésie chinoise par exemple, où rendre la forme est pratiquement impossible, cette seconde école est décrite avec talent dans les essais de traductologie de Billeter), mais je conçois très bien qu'on puisse privilégier la première !

A titre d'exemple, Tolkien a lui-même traduit un poème moyen-anglais, "Pearl", en respectant au plus près les règles poétiques, qui sont, dans le cas de ce poème, terriblement complexes. Il était donc particulièrement sensible à la restitution de la forme. De ce fait, il me semble qu'il fait tout à fait sens de chercher à traduire les poèmes de Tolkien en rendant la forme poétique, quitte à sacrifier une partie du sens. Mais ce n'est pas à mon goût, simplement, si bien que, dans le cas des Lais du Beleriand (dont le passage cité de Beren et Luthien est un extrait), je suis heureux de savoir suffisamment d'anglais pour dédaigner complètement la traduction française, dont l'existence me réjouit pourtant.
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Présentation - par morphe07120 - 18.01.2018, 11:32

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