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Tolkien le catholique.
#94
(09.05.2012, 20:32)Hisweloke a écrit :
Citation :Le débat n'est pas savoir si l'oeuvre Tolkien est catholique car cela est directement confirmé par l'auteur.

Attention quand même à manier cela avec toutes les précautions utiles... Ce que Tolkien indique, dans une lettre au père Murray, c'est que le SdA est "une œuvre fondamentalement religieuse et catholique ; de manière inconsciente dans un premier temps, puis de manière consciente lorsque je l'ai retravaillée" (n°142) - Il est toujours bon, d'une part, de se rappeler à qui est adressée une lettre, car ce n'est pas forcément anodin, et le contexte dans lequel elle a été écrite; d'autre part une lettre doit toujours être prise avec précaution, tant sur les intentions de l'auteur (présumées, à un instant de réflexion qui n'est pas nécessairement celui de la rédaction de l'œuvre). Ailleurs, il indique plus globalement que "ce monde est monothéiste, avec une “théologie naturelle”"(lettre n°165). Dans son interview par Dennis Gerrolt pour la BBC4 en 1971, interrogé sur la présence de Dieu dans son œuvre, il mentionne avec une sorte d'hésitation (qui contraste avec la vigueur dont il témoigne, interrogé sur sa propre foi juste après) qu'il est mentionné à une ou deux reprises, c'est "l'unique" (soit donc Eru). On pourrait continuer à dresser la liste des citations, mais il me semble qu'elles sont souvent très prudentes. Il ne faut pas forcément s'arrêter à ce qu'un auteur raconte de sa propre œuvre, ou le tenir pour un acquis certain alors que lui même y met plus de nuance. Enfin, tout ceci s'applique au SdA et à une partie tardive du Silmarillion, mais il serait moins aisé de le généraliser à l'ensemble de l'œuvre de Tolkien (dans le "légendaire" comme au dehors dans les autres contes).

Tout cela me rappelle mes études d'histoire à l'université... Face à une source historique, et singulièrement une source de première main, quelle qu'elle soit, ce sont toujours les mêmes questions principales qui se posent : "Quoi ?" (de quel type de source s'agit-il ?), "Qui ?" (Quel est l'auteur de la source ?), "Quand ?" (De quelle époque date la source), "Où ?" (Où a été créé la source), et "Pourquoi ?" (Pourquoi cette source a-t-elle été créé par son auteur).

S'agissant de la création littéraire, il faut, par ailleurs, en effet, se garder de prendre - si j'ose dire - comme parole d'Evangile les propos qu'un auteur peut tenir par rapport à son oeuvre.
Robert E. Howard, dans sa correspondance, expliquait, par exemple, que ses personnages et ses histoires lui venaient très naturellement - "presque sans effort", écrit-il à son collègue Clark Ashton Smith, à propos de son personnage de Conan, en 1933 -, alors qu'en réalité, si Howard a pu, à l'origine, effectivement facilement concevoir ses personnages dans son esprit, on sait aujourd'hui qu'en fait, il travaillait et retravaillait parfois longuement ses épreuves des récits mettant en scène lesdits personnages, comme l'atteste notamment les brouillons de ces histoires qui nous sont parvenus. Pendant longtemps, on a pris les propos de Howard au premier degré, en accréditant ainsi une idée reçue quant à la façon particulière dont l'auteur travaillait : on sait aujourd'hui combien il convient d'être nuancé à ce propos. Preuve que, si la correspondance d'un écrivain est toujours une source très utile lorsque l'intéressé parle de son oeuvre, il est tout aussi utile de ne pas se limiter à cela lorsque d'autres sources sont à notre disposition (la prudence s'imposant, de toute façon, même lorsqu'il n'y a pas d'autres sources).

Autre exemple, relatif à J.R.R. Tolkien cette fois : l'idée reçue selon laquelle la création de son univers secondaire serait totalement indissociable de la création de ses langues imaginaires. Comme Howard a laissé entendre qu'il créait ses histoires avec une insolite facilité, Tolkien a laissé entendre qu'il était un philologue n'ayant créé la Terre du Milieu que pour servir de cadre de mise en scène à ses langues inventées - ou de "berceau pour les langues qu'il inventait" comme l'a écrit élégamment Isengar -, ce qui n'est pas tout-à-fait exact, comme l'a pertinemment remarqué Dimitra Fimi dans son essai Tolkien, Race and Cultural History.

Ainsi, en ce qui concerne les créations littéraires, à bien y regarder, dans un cas comme dans un autre, les choses peuvent se révéler plus compliquées que ce que les auteurs ont laissés entendre.

(09.05.2012, 20:32)Hisweloke a écrit :
Citation :En définitive, par le principe de subcréation, les personnages de foi dans l'oeuvre de Tolkien ont foi en Tolkien qui est la trinité (sub)créatrice.

Je te l'avais déjà dit, cela me paraît être une inversion de sens et une sur-interprétation du concept de sous-création (sur ce dernier, il me faudra y revenir plus tard).

Reviens-y quand tu pourras, en effet, Didier, car ça m'intéresse. Je remercie, au passage, Aglarond de m'avoir répondu plus haut, au sujet du terme "subcréation".

(09.05.2012, 20:32)Hisweloke a écrit : Les personnages au sein du légendaire, dans l'économie du récit, n'ont pas foi en Tolkien !

Oui, et à moins que Tolkien ait eu une singulière et assez haute opinion de lui-même en tant que créateur - alors qu'il me semble qu'au contraire ses prétentions à ce sujet ont été plutôt modestes - j'ai du mal à saisir, à vrai dire, comment une tel postulat (des personnages ayant foi [?] en leur auteur) serait envisageable... même si on peut toujours essayer d'imaginer la situation, à chaque fois que Tolkien se penchait sur ses manuscrits, avec Gandalf, Galadriel, Frodo et Aragorn levant les bras et les yeux au ciel, et s'écriant tous en choeur "Gloire à J.R.R. ! Gloire à J.R.R. !" Wink Wink Wink Remarquez, il est possible qu'une telle scène se soit effectivement produite en Nouvelle-Zélande, durant le tournage de certains films chers à Isengar, et là encore, j'imagine le tableau : "Gloire à P. J. ! Gloire à P. J. !"... Wink Wink Wink Mais sans doute faudrait-il alors considérer qu'il s'agissait là d'acteurs incarnant les personnages, et non des personnages eux-mêmes... Wink
Bref, la toute-puissance du créateur est, en tout cas, un vaste sujet pouvant nous amener loin... mais, dans tous les cas de figure, il convient, assurément, de prendre garde à la sur-interprétation, quel que soit le degré de celle-ci.

Amicalement,

Hyarion.
All night long they spake and all night said these words only : "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish." "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish," all night long.
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)
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