(03.05.2012, 13:43)Fergus a écrit : Dans ce contexte, il semble en effet impropre d'assimiler Eru Iluvatar au « Dieu » du christianisme catholique. Il n'est ni Dieu-le-Père, ni, évidemment, le Fils ou le Saint-Esprit, ni même le Dieu triple.
Tout d'abord, il n'y a pas de Dieu triple dans le catholicisme mais un Dieu unique trinité.
Et la terre du milieu a son Dieu trinité et unique.
C'est Tolkien !
Je m'explique.
Dans le catholicisme, le fait que l'homme soit à l'image de Dieu signifie que l'homme est une trinité certes imparfaite mais une trinité.
En effet Yaveh (Je Suis en hébreu) est l'Etre, il est appelé Père.
Le Verbe est la connaissance de Yaveh par lui même, il est appelé Fils.
Etant parfait Dieu s'aime lui même (le Père aime le Fils, le Fils aime le Père), cet Amour est appelée Esprit Saint.
Dieu étant suffisant à lui même, c'est trois personnes sont également Dieu.
Pour chacun de nous, c'est exactement la même chose. En effet, Je suis, je sais que suis, j'aime être, j'aime savoir être et j'aime l'amour que je porte à mon être.
Cela s'appelle le "cogito Augustinien" - Cité de Dieu, L XI, Ch XXVI)
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints...c510342287
Maintenant, la génèse expose que Dieu crée par son Verbe, en parlant : "Dieu dit que la Terre soit".
Tolkien fait de même. C'est par son Verbe (sa parole mis en écrits) qu'il crée la Terre du Milieu.
C'est le concept de sub création forgé par Tolkien Lui même.
Voici l'extrait de l'essai de Mazas qui traite parfaitement du sujet :
Citation :Sens théologique de la « subcréation » : de la vérité des mythes
vant d’aller plus loin, il faut ici exposer une théorie audacieuse de J. R. R. Tolkien à propos des mythes. Pour beaucoup, ils ne sont que mensonges, certes beaux, poétiques et parfois magnifiques, mais mensonges quand même. Rappelons simplement l’opposition mythos / logos, où seule la lumière de la raison pourrait accéder à la vérité. Tel n’était pas l’avis de Tolkien. Pour lui, tous les hommes sont « made in the image and likeness of a Maker » [1], créés à l’image et à la ressemblance d’un Créateur. Or, il y a eu une Chute de l’Homme : on ne voit que trop bien qu’il est loin d’être parfait. Cependant, il doit subsister chez l'Homme un écho de cette « perfection » ou de cette « Vérité » originelle, qui touche à ce qu'est vraiment l'Homme dans sa nature et sa relation avec Dieu. Si l'Homme est à la ressemblance du Maker, du Créateur, il est donc capable de création également, en l'occurrence de création littéraire, et dans le cas de Tolkien, de création d'un monde imaginaire : un « sous-monde », d'où le terme forgé par Tolkien de « subcréation ». La conséquence des deux dernières phrases est que pour Tolkien, on doit donc retrouver dans les mythes un écho de cette Vérité originelle. Tout comme dans les autres œuvres de création, d’ailleurs ; cependant les mythes traitent des sujets essentiels à la nature humaine, de sa création et de son rapport avec Dieu.
our dire les choses autrement, les mythes ne sont pas des mensonges : ils sont un langage spécifique mais capable de vérité. Comme nous venons de Dieu, cette création doit refléter quelque chose de cette origine, même si les mythes contiennent des erreurs. C’est d’ailleurs cette argumentation que Tolkien utilisa pour convaincre une nuit de 1931 son ami C. S. Lewis. Celui-ci comprit alors, au cours de cette fameuse conversation, que l’Evangile était en fait un mythe qui s’était réellement passé, un mythe vrai. Cette nuit-là, Lewis (déjà revenu au théisme) passa « d’une croyance en Dieu à une croyance dans le Christ ». D’après son biographe Humphrey Carpenter [2], Tolkien dit au cours de cette conversation :
« Les mythes que nous tissons, même s'ils renferment des erreurs, reflètent inévitablement un fragment de la vraie lumière, cette vérité éternelle qui est avec Dieu. »
l faut ici citer un extrait du poème Mythopoiea que Tolkien écrivit en rentrant chez lui après cette conversation avec Lewis :
« Le cœur de l'homme n'est pas composé uniquement de mensonges, car il est sage d'une sagesse qui lui vient de Celui qui est très sage, et dont il est l'image. Quoique séparé de Lui depuis longtemps, l'homme n'est pas complètement perdu, ni entièrement changé. […] Il traîne encore des lambeaux de sa grandeur passée. […] Nous continuons de créer de la manière dont nous avons été créés. »
n voit donc à quel point la sous-création, qu’elle soit littéraire ou artistique, avait un sens particulier aux yeux de Tolkien, à tel point qu’il forgea le terme de « subcréation » pour en rendre compte et replacer son œuvre de création par rapport à son propre Créateur. Quoi d’étonnant alors que la Fantasy, ou faërie, lui apparaisse comme le plus noble genre littéraire qui soit !
Et j'ajourerais qu'il est permis de penser que c'est le cogito Augustinien qui explique l'amour de Tolkien pour le Verbe, sa philologie.
Aimant Dieu, Tolkien aime le Verbe, aimant le Verbe il aime le Logos, il est donc philologue.
J'ajouterais que la Génèse nous expose que Dieu voit que sa création est bonne.
Ainsi en est-il de Tolkien qui cherche à faire une subcréation bonne, c'est à dire fidèle à la création bonne au regard de Dieu. Et pour Tolkien, une subcréation bonne est une subcréation catholique, ce qui le conduit à écrire la phrase suivante:
" Le Seigneur des Anneaux est bien sûr une oeuvre fondamentalement religieuse et catholique; inconsciemment au départ, mais consciemment dans la révision. C'est pourquoi je n'ai pas inclus, ou ai supprimé, pratiquement toute référence à quoi que ce soit approchant la "religion", les cultes ou les pratiques, dans le monde imaginaire. Car l'élément religieux est absorbé dans l'histoire et le symbolisme." lettre 181 adressée au père Murray en 1953.
(03.05.2012, 03:10)Hisweloke a écrit : Ensuite, sur la "teinte" religieuse et catholique romaine, il convient aussi de la nuancer. Elle n'est pas intrinsèquement présente dès le début du légendaire, comme Tolkien l'explique dans une autre lettre, elle lui est surtout apparue lors des révisions du Seigneur des Anneaux. Elle s'est aussi manifestée juste après, quand il s'est à nouveau penché sur son "Silmarillion" : en simplifiant ici à l'extrême, cela couvre une période allant de 1947 à 1958 environ, pendant laquelle il s'est inquiété sur la manière de rationaliser son œuvre et de la mettre en adéquation avec ses croyances. Cela l'a notamment amener à se poser des questions fondamentales (qu'il n'a pas toujours su complètement résoudre sans remanier son légendaire et l'emberlificoter) - Quelques exemples viennent à l'esprit, que je simplifie forcément encore ici : les questions de la réincarnation des Elfes (et par là, de la nature de leur "âme"), de la nature des Orques (et par là, de la capacité du Mal à corrompre la Création), et enfin de la possibilité même du Mal (et par là, une réflexion sur la nature de Melkor et Sauron). Cela a donné des notes parfois confuses ou remettant trop en cause ses écrits, mais aussi quelques très beaux textes, tels que l'Athrabeth Finrod ah Andreth et l'Osanwe-kenta (respectivement publiés dans Morgoth's Ring et Vinyar Tengwar n°39).
Merci cher Didier,
Voilà de belles pistes à explorer.